[Portrait] Gregor Fučka, l’artiste aux doigts de fée
Portrait
L’actualité du basket a bien fait les choses durant l’été pour la Slovénie et l’Italie. Deux pays qui ont réussi à obtenir leur précieux sésame pour les Jeux Olympiques de Tokyo après des qualifications rondement menées l’été dernier. Pour autant, les amateurs de basket européen peuvent également relier les deux pays grâce à un joueur italien mythique des années 1990-2000. Gregor Fučka, né dans l’actuelle Slovénie, le pivot aux mains d’argent et au toucher de balle si soyeux.
NAISSANCE EN (EX)-YOUGOSLAVIE, BOGDAN TANJEVIC EN MENTOR ET DÉPART EN ITALIE
C’est donc le cœur léger et avec le sentiment du devoir accompli que l’Italie du néo-joueur du Fenerbahçe Istanbul, l’ailier fort Achille Polonara et la Slovénie de la pépite des Mavericks, le phénoménal Luka Dončić ont réussi à qualifier leurs pays pour les Jeux olympiques (J.O.) de Tokyo (du 22 juillet au 8 août 2021). En réussissant même le tour de force pour les Italiens, à Belgrade, de dominer les favoris serbes (102-95) et la Lituanie, à Kaunas, pour la Slovénie, sur des scores sans appels (96-85). Ces deux pays de basket ont donc réussi à revenir sur le devant de la scène avec, pour les Transalpins, un beau triplé puisque, outre la qualification aux J.O., ces derniers ont également remporté l’Eurovision en chanson et l’Euro 2020 en football.
Pour autant, tous les suiveurs du basket italien (et slovène) des années 90 se remémorent certainement le nom d’un pivot de 2m15 au physique étiré mais avec le talent d’un meneur de jeu. Tout autant talentueux par sa science du basket que par sa capacité à créer du mouvement autour de lui. Gregor Fučka, un pivot atypique dans le basket d’alors et qui est, de par sa longévité, avec plus de 20 ans de carrière au haut niveau, un des joueurs les plus plaisants qu’il ait été donné de voir évoluer en Europe. Né en août 1971 et néo-cinquantenaire, Fučka (prononcez « Futchka »), a vu le jour à Kranj, ville au nord-ouest de la capitale de la Slovénie d’aujourd’hui, Ljubljana, rattachée à l’époque à la Yougoslavie fédérative de Tito. Fučka a bénéficié lors de ses jeunes années de toute la science du basket héritée des pays composant l’ancienne entité yougoslave tant au niveau des entraînements que de la science basket. C’est donc tout logiquement que le grand Gregor pose ses guêtres, à partir de 1988, au sein du plus grand club de la région, le Košarkarski klub Olimpija (ou Smelt Olimpija à l’époque) de Ljubljana. Club du légendaire meneur de jeu, Ivo Daneu, sextuple champion de Yougoslavie et de la future pépite slovène des années 90, l’ailier spécialisé dans les « dunks » spectaculaires, Marko Milič. Le jeune Gregor grappille dans ce championnat technique et physique des minutes et de l’expérience au sein de l’élite du basket yougoslave. Largement dominés à cette époque par le Jugoplastika de Split et ses titres en pagailles, l’occasion est toute trouvée pour Fučka de se frotter aux meilleurs joueurs du championnat. Face aux futurs Croates « made in NBA » : le futur pivot des Celtics, Dino Radja (double Champion d’Europe avec Split entre 1989 et 1990) et l’ailier, futur coéquipier de « Sa Majesté » Jordan aux Bulls de Chicago, Toni Kukoč (triple Champion d’Europe avec Split entre 1989 et 1991). Fučka teste également son jeu pivot-meneur avec son coéquipier, le gaucher Jure Zdovc, futur champion d’Europe avec le CSP Limoges en 1993.

Gregor Fučka, un numéro, le 7. Toujours (Crédit photo : Sports Illustrated)
Ces deux saisons (entre 1988 et 1990) sont donc essentielles pour Fučka et lui permettent également de se mettre en valeur sur d’autres points. Par l’entremise et un coup de pouce géographique bien senti tout d’abord. En effet, puisque l’Italie partage une frontière avec la Slovénie, Gregor Fučka traverse tout simplement celle-ci en 1990, et se retrouve dans le club de la ville frontalière de Trieste. Ville de naissances des mondialement connus écrivains-voyageurs italiens, Claudio Magris et Paolo Rumiz, Trieste a été, en 1947, l’ultime ville européenne bloquant l’expansion de la Yougoslavie de Tito. Ceci étant dit, côté basket, au sein du club de la ville donc, le Stefanel Trieste, Fučka va dès lors s’escrimer à participer à l’un des championnats les mieux côtés de l’époque et passer une étape supérieure dans son développement. Bien aidé par ailleurs dans cette quête de nouvelle aventure par l’ombre d’un mentor bienveillant et qui joue un grand rôle dans sa carrière en construction. Le nom de cet entraîneur s’inscrit également au sein de nombreux clubs qui ont pu profiter de sa science, allant de sa Yougoslavie natale (OKK Belgrade, KK Bosna avec lequel il sera champion d’Europe en 1979), à la France (le CSP Limoges et l’ASVEL) en passant par la Turquie (Fenerbahçe et la sélection nationale turque). C’est surtout leur pays d’accueil qui rapproche Fučka et son nouvel entraîneur, Bogdan Tanjević. C’est en effet sur les conseils de « Boša » Tanjević et par son entremise insistante que le jeune Gregor a réussi à sortir de son pays natal. Au prix d’une lutte acharnée avec la fédération yougoslave de basket qui ne voyait pas, même aux prémices des catastrophes annoncées, d’un bon œil l’envol d’une pépite. Quoiqu’il en soit, le Yougoslave se sent bien en veine de pouvoir arriver en Italie grâce au forcing de Tanjević qui, selon la légende, s’est appuyé sur des origines italiennes du joueur pour faciliter son départ… Si la manière a pu être débattue, le pivot confirme les espoirs placés en lui et ne va pas décevoir ses supporteurs. En effet, l’Italie devient non seulement patrie d’adoption mais sa patrie tout simplement. Dès 1990, et à peine arrivée chez les Transalpins, Gregor Fučka participe au Championnat du monde des moins de 18 ans. Mais en faisant plus que faire de la figuration puisqu’il contribue grandement au titre remporté par les jeunes Italiens en battant l’URSS 92-79 en finale grâce en partie aux 25 points de Fučka.

Gregor Fučka sous le maillot italien (Crédit photo : gazzettaobjects.it)
Dans une édition néerlandaise avec quelques-uns des plus grands prospects de l’époque dont nos légendes nationales Antoine Rigaudeau, Stéphane Risacher et Yann Bonato, le Turc Ufuk Sarıca qui fera les beaux jours de l’Efes Pilsen et qui sera également meilleur marqueur de la compétition ou encore avec les Yougoslaves et le rugueux pivot Željko Rebrača, Nicola Loncar et un futur compagnon de Gregor Fučka, Dejan Bodiroga. Les Grecs Nikos Ekonomou et Giorgios Sigalas futurs champions avec le « Pana » et l’Olympiacos, Alfonso Reyes, le grand frère de Felipe, néo-retraité (en 2021) et ancien capitaine du Real Madrid, également passé par le PSG Racing à la fin des années 90. Bref, du beau linge et une victoire italienne qui sert de base une dizaine d’années plus tard à un trophée encore plus grand pour Gregor Fučka et les deux Alessandro, De Pol et Abbio. En attendant, Fučka et ses lieutenants « Alessandro », continuent de glaner des trophées de jeunes notamment lors du Championnat du monde des moins de 19 ans à Edmonton au Canada, en 1991. Face aux Etats-Unis, l’Italie vend chèrement sa peau derrière les 20 unités du pivot naturalisé et ne perd en finale que de cinq points (90-85). Sur le plan national aussi, Fučka durant quatre saisons (entre 1990 et 1994) à Trieste profite pleinement de son nouveau statut et s’adapte totalement à son nouvel environnement. Dans un championnat italien à la réputation féroce et difficile, une des facettes du bonhomme est également d’avoir été fidèle à son club de Trieste et à Bogdan Tanjević. Durant toutes ces années et sans jamais défaillir. Mais le destin s’en mêle et l’heure de sauter le pas arrive pour Gregor Fučka qui se résout à rejoindre un autre Stefanel lors de la saison 1994/1995.
STEFANEL MILAN, ENTRE NOUVELLE PUISSANCE DE FRAPPE ET ENVERGURE PERSONNELLE DECUPLEE
D’un Stefanel à l’autre donc mais surtout une bascule vers un monde totalement différent. Entre une ville frontalière paisible et relativement tranquille à une autre, plus clinquante. Milan, lieu du goût, du luxe et de la gagne dont le meilleur ambassadeur de l’époque n’est autre que le club de football de Silvio Berlusconi. L’AC Milan vainqueur en 1994 de la Ligue des Champions et multiples champions d’Italie. Bref, un monde totalement nouveau mais qui ne va pas le moins du monde perturber Gregor Fučka, loin d’être dépaysé. En effet, l’histoire fait bien les choses puisque son coach et mentor Tanjević vient d’être nommé entraîneur du Stefanel Milan. Dans une écurie où l’équipe est clairement tournée vers la gagne, les coéquipiers de Fučka sont, lors de la saison 1994/1995 : Alessandro De Pol, avec qui l’Italien a déjà remporté deux médailles en sélection de jeunes, en meneurs, l’Italien Flavio Portaluppi aidé d’un Argentin, futur médaillé en 2004 aux J.O. d’Athènes, Hugo Sconochini. Ed Stokes, pivot américain qui a été médaillé d’Or à Edmonton face à…l’Italie de Fučka et enfin le meneur Nando Gentile, gaucher et père de Stefano et Alessandro, deux futurs internationaux italiens. Au-delà de ces noms, un ailier, Yougoslave, au déhanché si caractéristique et à l’allure d’un robot figé lors de ses lancers-francs : Dejan Bodiroga. Coachés par Tanjević, tout ce beau monde passe pourtant une saison en demi-teinte. Une quatrième place et une élimination en demi-finale du Championnat italien ainsi qu’une finale perdue en Coupe Koraç face aux Allemands de l’Alba Berlin emmenés par le meneur yougoslave Saša Obradović et l’arrière allemand Henrik Rödl en deux manches (172-166 en cumulé).

Trois génies des Balkans : Dejan Bodiroga (à gauche), l’entraîneur Bogdan Tanjević (au milieu) et Gregor Fučka (à droite) lors de leur passage au Stefanel Milano au mitan des années 90 (Crédit photo : eurosport.com)
Toutefois, sur le plan national, ces performances mi-figue mi-raisin ne sont pas à mettre au débit du pivot italo-slovène, auteur d’une très belle saison à titre personnel avec près de 13 points de moyenne en championnat. La saison suivante, en 1995/1996, changement de braquet avec une équipe de Milan plus italienne et qui s’appuie, outre Fučka, Gentile et Bodiroga, sur un arrière américano-panaméen du nom de Rolando Blackman. Celui-ci est un joueur établi en NBA avec 11 ans aux « Mavs » de Dallas et deux saisons aux Knicks au compteur pour étoffer une équipe dont la puissance de feu est sans égal sur le papier. Blackman qui, pour la petite histoire, deviendra également assistant coach de… Tanjević en Turquie lors du Championnat du monde en 2010. Retour sur la saison 95/96 toutefois pour signaler que le Stefanel Milano frôle de peu le triplé Championnat-Coupe d’Italie-Coupe d’Europe. Ayant remporté le Championnat et la Coupe d’Italie, les Milanais sont également finalistes de nouveau en Coupe Koraç. Mais le résultat n’est pas à l’arrivée puisque les Italiens s’inclinent en deux manches cumulées (146-145) face à l’Efes Pilsen de Petar Naumoski, d’Ufuk Sarıca et du regretté Conrad McRae passé par Pau-Orthez. Ainsi que deux jeunes pleins d’avenir en la personne de Mirsad Türkcan et Hedo Türkoğlu qui vont se frotter à l’Italien prochainement. Fučka, avec 16 points et 4 rebonds de moyenne tente ce qui est en son pouvoir pour renverser la vapeur mais les Turcs l’emportent sur le fil. En championnat, rebelotte, le pivot continue de progresser pour 14 points de moyenne lors de la saison. Une nouvelle fois, ces statistiques démontrent l’importance prise par Gregor Fučka au sein de son équipe. La saison 1996/1997 marque toutefois le départ de Bodiroga pour le Real Madrid ainsi que ceux de Blackman vers le CSP Limoges mais également de coach Tanjević vers… Limoges. Fučka a donc les clés du camion et prend davantage la lumière dans l’équipe mais il sera bien seul pour permettre aux Milanais d’espérer rééditer les performances des saisons précédentes. Dès lors, après cette saison en roue libre marquée par une élimination aux portes de la demi-finale d’Euroleague, Gregor Fučka quitte Milan et signe dans la foulée à Bologne, au Fortitudo.
BOLOGNE, DANSE AVEC LES STARS ET LE JEU DE KINDER… BOLOGNE
Les amoureux du basket italien le savent bien. Le championnat d’Italie est considéré à juste titre comme un des championnats les plus réputés et difficiles dans les années 90. Conjugués à la présence de nombreux clubs sponsorisés par de grandes marques de luxe ou des banques, ces équipes obtiennent souvent de bons résultats sur la scène européenne. Entre le Stefanel Milan de Gregor Fučka, le Virtus (ou Buckler ou Kinder) Bologne ainsi que le Fortitudo Bologne, le Cagiva Varese ou encore le Benetton Trevise et le club aujourd’hui disparu, le Montepaschi Sienne, bon nombre de grands joueurs sont passés en Lega durant ces années dorées.
Outre les changements réguliers de leurs dénominations, (rien que le club de Fučka, le Fortitudo a changé pas moins trois fois de noms durant le passage du pivot italien : Teamsystem, Paf Wennington et Skipper Bologne), chaque saison, ces clubs ont marqué de leur empreinte l’Europe du basket. En ce sens, Gregor Fučka à Bologne est mis dans le grand bain immédiatement dès son arrivée en 1997. Côtoyant ce que l’Europe du basket attire de meilleur, avec des stars affirmées tels que l’immense meneur de jeu passé par Antibes durant deux saisons (entre 1993 et 1995), David Rivers en provenance de l’Olympiacos auréolé d’un titre d’Euroleague. Le non moins immense et légendaire joueur des « Hawks » d’Atlanta, Dominique Wilkins, vainqueur de l’Euroleague avec le Panathinaïkos en 1996. Ainsi que l’arrière Italien Carlton Myers, une des plus grandes légendes du pays et son compatriote, le pivot Roberto Chiacig, pilier de la sélection nationale durant plusieurs saisons. Citons enfin le pivot américain « made in NBA », Marty Conlon. Bref, du lourd voire du très lourd sur le papier mais qui permet à Fučka de tirer son épingle du jeu en étant, sur sa toute première saison, le troisième meilleur marqueur derrière Myers et Wilkins. Cependant, malgré tous ses efforts, Fučka et les siens ont plus forts qu’eux en face. Deux redoutables adversaires dans leur championnat avec, selon les époques, le Kinder Bologne d’Antoine Rigaudeau, d’Emanuel Ginóbili, de Predrag Danilović coachés par Ettore Messina et le Benetton Trévise de Željko Rebrača, avec en tête d’affiche Tyus Edney ou l’italo-argentin Marcelo Nicola. Dès lors, Fučka et les siens ont toutes les peines du monde à pouvoir se frayer un chemin vers les cimes du succès. Aussi, lorsque l’on regarde de près les cinq saisons passées par Fučka à Bologne, ces derniers vont perdre en finale face au Kinder trois manches à deux en 1998 sous l’appellation Teamsystem Bologne. Le Fortitudo parvient néanmoins à se consoler cette saison-là avec une Supercoupe et une Coupe d’Italie. Puis, en 1999, ce sera au tour du Benetton d’éliminer en demi-finale de play-offs de Lega Fučka et Myers et leurs coéquipiers (trois manches à deux une nouvelle fois).
Le passage à l’an 2000 améliore le sort du nouveau PAF Bologne avec (enfin !!) un titre trois manches à une face au… Benetton Trévise. 2001, encore une fois avec le PAF Bologne, défaite sèche trois à zéro cette fois face au Kinder. Enfin, en 2002, le Skipper Bologne perdra face à Trévise une fois encore trois à zéro mais avec un match perdu 20-0 et un scandale lors de la troisième rencontre avec un envahissement de terrain qui coûte la troisième partie à l’équipe de Fučka. Des résultats peu probants certes mais ajoutée à une adversité « bologno-trévisane » rédhibitoire, hormis le titre de 2000, surtout une nouvelle décennie qui permet au natif de Kranj de marquer davantage et d’avoir durant deux saisons (entre 2000 et 2002) près de 21 points de moyenne. Fučka devient davantage maître du jeu et en utilisant sa science et sa technique ainsi que son gabarit plus mobile et véloce que la moyenne, un vrai changement de cap pour un pivot, loin d’être massif mais à la technique de meneur de jeu et à la vision clairement au-dessus des autres.
Problème pourtant, sur la scène européenne, impossible de faire mieux puisque sur les mêmes saisons prises en compte, le plafond de verre est incassable. En quart de finale, en 1998, élimination par le… Kinder Bologne, deux manches à zéro, en 1999, une demi-finale d’Euroleague avec une élimination face au… Kinder de nouveau, les coéquipiers de Fučka finissent quatrièmes du Final Four. En 2000, élimination du PAF Bologne face au Maccabi Tel-Aviv en quart de finale, deux à un. Lors de la fameuse saison 2000/2001 qui a vu deux compétitions, l’Euroleague et la Suproleague se chevaucher, dans la première compétition, le PAF Bologne est balayé trois manches à zéro face à leurs meilleurs ennemis, le Kinder Bologne. Enfin, en 2002, le Skipper Bologne est éliminé en phase de poule avec, à l’époque, une seule équipe se qualifiant par groupe au Final Four. Dans un groupe assez relevé comprenant le Benetton Trévise, le Scavolini Pesaro et le FC Barcelone. Un club catalan que Fučka retrouve pourtant très vite après cinq saisons mitigées à Bologne. Une caractéristique qui joue sur le palmarès de Fučka dans la mesure où ce dernier remporte certes des trophées avec une deuxième Coupe d’Italie et une Supercoupe d’Italie mais sans jamais arriver à ses fins en Europe ni en championnat. Malgré deux sélections dans l’éphémère « Eurostar » sorte de « All Star Game » version européenne entre l’Europe de l’est et de l’ouest, l’heure du départ sonne une nouvelle fois pour Gregor Fučka.
DÉPART VERS L’OUEST ET TROPHÉES EUROPÉENS EN ESPAGNE
Ce départ d’Italie est donc être acté, après une bonne grosse décennie passée entre Trieste, Milan et Bologne. A partir de la saison 2002/2003, Gregor Fučka signe en Catalogne au sein d’une armada encore plus impressionnante que les précédentes. Rien de rédhibitoire néanmoins pour Fučka car ce dernier fait littéralement sa mue et brise son plafond de verre, enfin. A Barcelone, l’Italien remporte le Championnat d’Espagne, la Coupe du Roi mais surtout l’Euroleague en 2003. Qui plus est, à domicile face à un club… italien, le Benetton Trevise (76-65) avec 17 points et 6 rebonds pour Fučka. Il lui a donc fallu quitter l’Italie pour découvrir le doux délice de remporter des trophées et des Coupes d’Europe et ce n’est pas fini. Sous la houlette de l’expérimenté germano-serbe Svetislav Pešić, un vieux loup de mer et avec la présence de deux joueurs les plus talentueux que le basket européen ait eu en son sein. Le grand ami du pivot italien, Dejan Bodiroga qu’il retrouve après l’épisode du Stefanel Milan ainsi que le Lituanien, actuel entraîneur du FC Barcelone, Šarūnas Jasikevičius. Un meneur aussi génial qu’avec la culture de la gagne dans le sang.

A Barcelone, Fučka retrouve Bodiroga et les trophées (Crédit photo : eurohoops.net)
Sans compter le totem du club, Juan Carlos Navarro, le géant espagnol de 2m21, Roberto Dueñas ainsi que l’autre tour, l’Allemand de 2m16 Patrick Femerling. Et enfin, les pivots Brésilien Anderson Varejão et Néerlandais Remon van de Hare et l’ailier espagnol au nom poétique, Rodrigo de la Fuente. Bref, du costaud, du lourd, du brutal drivé de main de maître par Bodiroga et « Saras ». Avec, dans le rôle de l’homme-lige, l’Italien Fučka qui dès lors soulève sa première Coupe d’Europe. Après avoir éliminé en demi-finale, le CSKA Moscou de l’américano-russe J.R. Holden (76-71), les hommes de Pešić se défont aisément (76-65) du… Benetton Trévise de Tyus Edney. Une boucle bouclée également pour le pivot italien qui du même coup se défait d’un adversaire qui lui a mis énormément de bâtons dans les roues dans sa carrière en Italie. La suite est du même tonneau en termes de trophées avec une Supercoupe d’Espagne et une Liga ACB glanée en 2004. Ce qui permet à Fučka de continuer à remplir son armoire à trophées autrement qu’avec sa sélection nationale. Même si la suite est moins glamour pour Barcelone aussi bien en championnat qu’en Euroleague exceptée une quatrième place obtenue en 2006 lors de la dernière saison de Fučka en Catalogne. Toutefois, au milieu de joueurs renommés à Barcelone, l’Italo-slovène apporte toujours son écot à son équipe, entre 12 et 15 points de moyenne. Dès lors, si un départ est acté de Barcelone, l’Italien ne va pas bien loin puisqu’il signe lors de la saison 2006/2007 à Gérone en Catalogne au sein du club local de l’Akasvayu Girona. Un choix de prime à bord curieux mais qui s’avère payant puisque ce bon vieux Gregor se retrouve au milieu de noms renommés du basket européen.
Avec Ariel McDonald, un meneur de jeu américain naturalisé… Slovène par la suite et passé par l’Olimpija Ljubljana, le pivot croate Dalibor Bagarić , passé par les Bulls, le régional de l’étape à savoir le meneur catalan Victor Sada, ancien du Barca. Ainsi que de l’ailier lituanien Dainius Šalenga, l’arrière américain Bootsy Thornton, coéquipier de Fučka à Barcelone la saison précédente. Mais également l’ailier serbe Marko Kešelj, le futur totem de Baskonia, le néo-retraité (en 2021 lui aussi comme Felipe Reyes) l’espagnol Fernando San Emeterio, son compatriote, le gaucher et pivot de son état, Germán Gabriel et la légende européenne, Darryl Middleton. Un ailier fort, aujourd’hui coach adjoint au CSKA Moscou et qui a la particularité d’avoir joué jusqu’à ses 48 ans dans bon nombre de clubs européens (Barcelone, Badalone et Panathinaïkos entre autres). Enfin, last but not least, Marc Gasol, frère de Pau et qui va rependre brièvement le club en 2014. Dans cet ensemble entraîné par Svetislav Pešić, l’équipe est un bon mix entre joueurs confirmés et avides de faire un coup, ce qu’ils réussissent parfaitement en remportant l’Eurocup en 2007 face aux Ukrainiens de Mariupol (79-72). Avant cela, en double phase de poules, aucune défaite en douze rencontres et seulement une petite défaite face aux Grecs du Panionos en quart de finale. Bref, un survol intégral pour Girona de la compétition et une nouvelle Coupe d’Europe dans son escarcelle pour Fučka. Après cela, le champ d’un nouveau départ arrive et permet à l’Italien de rentrer à 36 ans au pays, lors la saison 2007/2008. En signant cette fois-ci à Rome, au Lottomatica Roma, Fučka prolonge même le plaisir de jouer jusqu’à ses 40 ans avec un détour par son ancien club de Bologne, le Fortitudo durant une saison. Puis, l’heure de raccrocher les baskets se faisant de plus en plus pressant, le pivot finit tranquillement sa carrière en Toscane à Pistoia entre 2009 et 2011. Dès lors, Gregor Fučka reste dans les mémoires comme un joueur de devoir, travailleur et capable de se dépasser sans coup férir. Pourtant, au-delà de sa carrière en club, les Italiens lui sont surtout gré d’avoir mis leur pays sur le toit du basket européen en 1999. Un exploit pour l’Italie et le summum de la gagne pour Fučka.
1999 : L’ITALIE, DE NOUVEAU SUR LE TOIT DU BASKET EUROPÉEN
1999 donc, une année faste pour l’Italie, avec un Eurobasket se déroulant en France pour l’occasion. Deux ans auparavant, les Italiens avaient échoué en finale sous l’ère Messina et sont considérés comme des outsiders, loin d’être favoris certes mais qu’il vaut mieux éviter de les croiser. Pourtant versés dans un groupe compliqué avec la présence de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie et de la Turquie, les Transalpins ne sont pas là pour perdre du temps. Dès le premier match, le ton monte très rapidement face aux Croates d’un Toni Kukoč intenable (16 points et 8 rebonds). Les Italiens sont défaits sur le fil 70-68 après une seconde période catastrophique pour eux malgré les 15 points de Giacomo Galanda du Fortitudo Bologne. Pas le temps néanmoins de gamberger car dès le lendemain, les hommes de Bogdan Tanjević remportent la rencontre face à la Bosnie-Herzégovine (64-59) avec un duel de « pistolero » entre Carlton Myers et Nenad Marković (nouvel entraîneur de la JDA Dijon), auteurs de 22 points. La troisième rencontre face à la Turquie est toujours aussi difficilement remportée (64-61), ce qui permet aux coéquipiers de Gregor Fučka de se qualifier pour la seconde phase en compagnie des Turcs et des Croates. Et de se retrouver dans un groupe élargi en compagnie de la Lituanie de Sabonis, de l’Allemagne de Femerling et la République tchèque de l’ailier Luboš Bartoň. Dès lors, les Italiens prennent le problème de la première phase à l’envers dans cette poule avec deux larges victoires contre l’Allemagne (74-53) et la République tchèque (95-68). La dernière rencontre ne sera que pure formalité avec la clé une défaite face à la Lituanie derrière un monstrueux Sabonis (74-62 et 25 points, 13 rebonds pour le pivot des Trail Blazers).
Direction donc les quarts de finale face à la Russie avec une belle et franche victoire de la bande de Tanjević (102-79) derrière les 19 points de Fučka, bien mis en jambe. Sur cette belle lancée, la demi-finale s’annonce plus explosive face à la Yougoslavie d’une vieille connaissance en la personne de Bodiroga. Mais surtout d’une armada offensive de premier plan avec rien de moins que Predrag Danilović, Vlade Divac, Saša Obradović, Peja Stojaković des Kings de Sacramento, Milan Gurović, Dragan Lukovski, Milenko Topić, Nikola Lončar, Vlado Šćepanović, Dragan Tarlać et Dejan Tomašević. Soit 12 joueurs que l’Europe entière connaît et craint tant la variété de leur panoplie est diverse et dangereuse. Inutile de dire que l’Italie n’en mène pas large face à cette armada équipée pour pilonner ses adversaires. Pourtant, dans le sport en général et le basket en particulier, toute talentueuse qu’elle soit, cette équipe yougoslave subit la loi de l’Italie. Emmené par un Fučka intenable avec 17 points et une première mi-temps de haute volée (37-23), l’Italie fait déjouer les coéquipiers de Bodiroga. Malgré ce dernier (17 points également et 13 rebonds), son ami italien prend le dessus et hisse son pays en finale, à Paris Bercy avec une victoire nette et propre, 71-62. Un gros morceau d’avaler sûrement mais la finale s’annonce pourtant toute aussi périlleuse.

Attention, spoiler pour l’Italie… (Crédit photo fip.it)
Le 3 juillet 1999, c’est donc avec l’espoir de rééditer la performance des glorieux anciens du pivot Dino Meneghin en 1983 lors du XXIIIème Euro de basket qui se déroula… en France face à… l’Espagne que l’Italie se présente au Palais Omnisports de Paris-Bercy. Face à eux, l’Espagne donc d’Alfonso Reyes et Alberto Herreros et force est de constater que dans une finale équilibrée sur le papier, Fučka et ses onze coéquipiers ont toutes leurs chances d’obtenir la récompense suprême. Composés, outre le pivot, de Carlton Myers, Giacomo Galanda, de deux acolytes de Fučka en 1990 et 1991 lors des Championnats du monde de jeunes, Alessandro De Pol et Alessandro Abbio. Ainsi que du meneur natif de Bologne et joueur du Virtus, Davide Bonora, de l’autre meneur du Fortitudo et futur coéquipier de Fučka à Barcelone, Gianluca Basile. Des massifs pivots de Bologne, Roberto Chiacig et Denis Marconato, de Trévise. Enfin de Michele Mian en meneur remplaçant et de Marcelo Damiao en pivot, avec, pour la touche finale et symbolique, l’arrière Andrea… Meneghin, fils de Dino, vainqueur de l’Euro en 1983. Bref, une finale historique à plus d’un titre et que l’Italie remporte, à l’instar de sa demi-finale face à la Yougoslavie en mettant le paquet dès la première mi-temps.
« C’est un très bon ami, un homme fantastique et un grand joueur. Il m’a énormément aidé à Trieste au début et c’est toujours un plaisir de le revoir et passer du temps en sa présence. En tant que joueur, il était très habile et intelligent et cette intelligence lui permettait d’occuper plusieurs postes aisément. Avec ses grandes mains et sa technique, c’est un des joueurs les plus fantastiques de sa génération. Nous sommes toujours en contact aujourd’hui et notre amitié va durer encore longtemps » De la part de Dejan Bodiroga, un bel hommage à Gregor Fučka (Crédit : Euroleague.net)
Au final, une belle victoire 64-56 avec 18 points de Carlton Myers et un double-double de Gregor Fučka (10 points et 10 rebonds), ce qui lui permet, pour le côté continuité symbolique, de « remercier » Bogdan Tanjević d’avoir cru en lui depuis toutes ces années. En remportant le tournoi, ainsi que le titre de « MVP » de la finale et en étant dans le cinq majeur de la compétition avec ses coéquipiers Meneghin, Myers et son ami Bodiroga, complété par l’Espagnol Herreros, Fučka connaît l’ivresse des sommets. Une bien belle victoire symbolique pour un joueur capable d’évoluer, à l’instar de ce qui disait Bodiroga sur plusieurs postes aussi différents mais que son talent lui permet d’occuper sans problème. Pivot par sa taille, ailier par sa dextérité et même parfois meneur de jeu pour sa vision incommensurable du jeu, Fučka symbolise parfaitement la synthèse entre le QI basket de l’Europe de l’Est et l’évolution du jeu de l’Ouest. Une nécessité pour chaque joueur de ne pas se reposer sur ses acquis. Aujourd’hui, après avoir pris sa retraite au début des années 2010, Fučka est en charge de transmettre toute sa expérience auprès des jeunes joueurs italiens. Et avec succès, en témoigne le Championnat FIBA des moins de 16 ans en 2019, qui a vu l’Italie chiper la médaille de bronze avec Fučka sur le banc.

Les années passent mais Fučka est toujours aussi élancé. Ici, lors d’un entraînement avec les jeunes espoirs italients (Crédit photo : sportando.basketball)
Qui sait, peut-être qu’en transmettant à ses jeunes poulains sa culture de la gagne, le pivot né en Slovénie et « adopté » en Italie peut également permettre à ces pépites d’éclore. Notamment à l’une d’entre elle : Matteo Spagnolo, un arrière de 18 ans qui évolue au Real Madrid B et qui va découvrir en prêt la Lega italienne à Crémone cette saison. Un club espagnol bien connu pour promouvoir de nombreux jeunes à l’instar, ces dernières années, de Luka Dončić et Usman Garuba récemment. Quoiqu’il en soit, Gregor Fučka a été un joueur que d’aucuns considéraient comme « versatile » mais surtout capable de bien des prouesses sur un terrain. Une carrière bien remplie pour un joueur, au sens large du terme, toujours considéré comme un des plus doués en Italie et en Europe. Tellement « versatile » que le commun des suiveurs avait du mal à déterminer sa latéralité. Gaucher, droitier, peu importe finalement car cette capacité de se jouer des codes lui a permis de s’élever au-dessus de la mêlée. Gregor Fučka, une légende italienne des années 90/2000 a été à ce titre un maître-étalon du basket en Europe et qui fait allègrement partie de l’histoire du basket du Vieux Continent.
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