ITW Alain Jardel : « Je voulais que les choses changent »
Interview
Une carrière extraordinaire, des titres nationaux et internationaux, des rencontres, un héritage. C’est cette vie que l’entraîneur français Alain Jardel nous raconte.
Basket Retro : Comment s’est déroulée votre première rencontre avec la balle orange?
Alain Jardel : C’est une très très longue histoire. Je dois tout à mon père, un instituteur à l’ancienne si j’ose dire, issu des principes de la IIIème République. Mon père était un sportif accompli. Il a d’abord joué au football puis brièvement au rugby à XIII, par nécessité dans le village où il avait été muté, Duravel dans le département du Lot. Comme ce club de rugby à XIII est tombé de sa belle mort, son mécène de l’époque (1953) arrêtant de subventionner, les jeunes vinrent voir mon père. L’instituteur était un recours pour tout à cette époque dans les villages, et il leur dit « je connais un jeu ». Ils ont alors arraché des platanes du foirail et construit un terrain à la main en mâchefer (résidus issus des usines métallurgiques), mon père a repris le manuel de basket de 1953 et il est devenu initiateur et donnant l’exemple sur le terrain. À 32 ans, il a créé un club qui existe toujours, le Sporting Club Duravellois, où d’illustres joueurs sont passés.
BR : Mais vous auriez pu vous orienter vers d’autres sports comme le rugby, plus dans la culture locale ?
AJ : A mon entrée en sixième, à Cahors, j’ai découvert d’autres sports que le basket, en particulier le rugby, j’ai failli faire une très grosse infidélité aux idées mon père, j’ai été embrigadé évidemment dans les équipes de mon école. Le basket était inconnu alors dans la région. C’est à cette époque, à 14 ans, que j’ai su que je ferai du sport mon métier.
BR : C’est-à-dire ?
AJ : La voie royale à l’époque était de devenir professeur d’EPS, ce que je suis devenu à 22 ans à l’Université de Bordeaux, tout en jouant dans l’équipe de mon père en parallèle.
BR : Vous poursuivez votre carrière de basketteur à la fin de vos études ?
AJ : Alors oui, et ma grande chance a été d’être nommé en premier poste à Lille en 1968. J’ai été accueilli dans le monde du basket par le club omnisports qui s’appelait Lille Olympique Sporting Club, le LOSC. L’équipe de basket à Lille jouait le championnat fédéral. Alors, c’est difficile de situer le niveau de jeu qui correspondait à la troisième division. Le plus haut niveau que j’ai atteint en tant que joueur.
BR : En 1973 vous « redescendez » dans le sud, pourquoi ?
AJ : Je ne saurais pas dire pourquoi car nous nous plaisions beaucoup dans cette région où nous avions été très bien accueillis. J’y avais déjà creusé mon trou. Mais, avec mon épouse, nous avons senti la nécessité de revenir dans le sud. Je suis alors nommé dans le Gers à Auch, à la Direction Départementale et j’ai été détaché à Mirande.
BR : Pour y faire quoi exactement ?
AJ : Je suis chargé de créer une passerelle entre le sport (le Centre d’Animation Sportive), les sports civils, les associations sportives et les différents lycées de la ville. Voilà comment commence une aventure formidable. A Mirande, à ce moment-là, il n’y a pas de club de basket. Le basket a existé avant, mais a disparu après la guerre. Les jeunes filles, en particulier, n’ont aucune activité en dehors de faire un tout petit peu d’athlétisme, du judo et c’est tout. Le sport roi était le rugby. J’ai même été sollicité par le club de rugby pour intégrer le staff des entraîneurs. J’étais prêt à y aller mais, venant de Lille dans le nord comme il le précisait, le président de l’époque ne m’a pas jugé compétent pour faire la préparation physique des joueurs de rugby qui jouaient en seconde division.
BR : Et le basket dans tout ça ?
AJ : Justement, en parallèle, j’essayais de trouver un club de basket évoluant au niveau Fédéral pour jouer. Il y avait le club de Séméac et je vivais à Mirande. Il s’est passé ce qui devait se passer, avec la Direction départementale des sports, j’ai trouvé la possibilité de créer un club de basket.
BR : Nous sommes en quelle année ?
AJ : 1975, le 7 janvier pour être exact, nous effectuons une réunion avec quelques personnes de bonne volonté, qu’on avait trouvé dans le village. Initialement, l’idée, c’est de créer un club, une association pour faire jouer des jeunes et particulièrement des jeunes filles. Sachant qu’à l’époque je n’étais pas particulièrement attiré par le fait d’entraîner les filles.
BR : Créer des clubs, c’est une histoire de famille ?
AJ : Le père crée un club dans le Lot et le fils dans le Gers. Le Basket Astarac Club Mirande, BAC Mirande, du nom de la Région. A la création du club, nous devions nous réunir de manière intimiste mais 80 personnes se sont présentées, nous avons démarré tout de suite à la vue de la demande extraordinaire.
« Le père crée un club dans le Lot et le fils dans le Gers »
BR : Quelle a été l’ambition à la création du club ? Le haut niveau ?
AJ : Non, il faut bien comprendre qu’à ce moment-là, j’ai 29 ans, je suis à Mirande, je joue et j’entraine à Séméac, j’ai donc énormément de kilomètres à effectuer. Ma principale mission est de faire du développement sportif. Mais nous avions déjà 120 licenciés, soit 10% du total des licenciés du Gers. On devient rapidement un club qui compte.

Crédits photo : France 3
BR : Pourquoi autant de licenciés et de joueurs de bon niveau ?
AJ : Il n’y a aucune envie de notre part de s’installer dans le basket de haut niveau. Les équipes montent, les équipes de garçons et de filles montent tous les ans, toutes les divisions.
BR : Qu’est-ce qui a fait que l’investissement a été mis sur l’équipe féminine ?
AJ : La saison charnière a été 1979-1980, l’équipe des garçons est en excellence régionale et peut accéder aux championnats de France, je joue dans cette équipe et j’entraîne les filles, qui peuvent elles aussi accéder en Nationale 3 (il n’y avait pas de division 4 à l’époque). Chez les garçons, toutes les équipes à partir du niveau de Régionale font appel à des joueurs étrangers. A Auch, il y a un joueur sénégalais, frère de l’entraîneur Abdou Ndiaye qui fera une brillante carrière, mais aussi des joueurs américains dans d’autres clubs. Nous aussi à Mirande nous recrutons un joueur avec le statut d’étranger, un jeune sénégalais de 19 ans, Aimé Toupane (en 2020, en charge des U20 de l’INSEP) qui venait de participer aux championnats du monde avec l’équipe du Sénégal (en octobre 1978 aux Philippines). Il est toujours le plus jeune joueur sénégalais sélectionné en équipe nationale.
BR : Les garçons ne sont pas montés de division et les filles oui ?
AJ : Oui, les garçons sont restés aux portes de la 4ème division en finissant 3ème du Championnat. L’équipe des filles est montée. Et là, il a été décidé politiquement par le club de faire tous les efforts pour promouvoir les filles et laisser les garçons faire comme ils pouvaient.
BR : Vous restez coach des deux équipes et joueur ?
AJ : Je joue encore une dernière saison, à 33 ans et, compte tenu des déplacements, c’était compliqué, je me suis alors consacré à entrainer l’équipe féminine.
BR : Pour en revenir aux joueuses, de quelle manière recrutiez-vous ?
AJ : Nous avions un vivier exceptionnel. Une fille a joué un rôle majeur, si je ne l’avais pas rencontrée, il ne se serait rien passé au niveau professionnel à Mirande, c’est Martine Campi, qui jouait pivot. Elle mesurait 1,90m, ce qui était très rare à l’époque. Je l’ai entrainée quotidiennement, seule et avec l’équipe, je l’ai aidée à sortir de ses complexes, elle est devenue inarrêtable en première division, notre joueuse majeure des deux côtés du terrain (c’était son anniversaire le jour de l’interview, le 24 août). Et nous avions également la chance d’avoir des joueuses du cru très fortes. C’est parti comme ça et nous sommes montés de division en division.
« Nous avions un vivier exceptionnel »
BR : Avez-vous eu un mentor, un référent autre que votre père, qui vous a aidé à lancer votre carrière ?
AJ : On ne se fait pas tout seul, je dois beaucoup de choses à mon mentor, nous n’en avons pas encore parlé, c’est Jean-Paul Cormy. Il a été entraîneur d’équipes nationales féminines (avec Elisabeth Riffiod notamment) et masculines en sélection jeunes (Jacques Monclar, Jean-Luc Monschau par exemple). Il m’a mis le pied à l’étrier quand il m’a identifié comme assistant complémentaire et m’a emmené en stage avec l’Equipe de France au début des années 80. Je lui ai ensuite demandé de devenir mon assistant et nous avons été champions d’Europe ensemble (en 2001).
BR : Vous construisez un palmarès exceptionnel, en particulier avec 3 championnats de suite. Comment avez-vous évité l’usure mentale, le recrutement de haut niveau et surtout, insuffler l’envie de gagner ?
AJ : Il y a eu une conjonction d’événements. Avec l’école de basket de Mirande, nous avons accédé à la seconde division. C’est à partir de ce moment qu’on a mis en place quelque chose d’extrêmement novateur dans le monde du basket à l’époque, nous avons créé une école d’espoirs. On a fait venir des jeunes filles des départements avoisinants. Je suis entraîneur de la sélection Midi-Pyrénées cadettes, je ne suis plus professeur d’éducation physique. Je bascule dans le monde du basket et je deviens conseiller technique départemental du Gers, je travaille donc pour la fédération.
BR : C’est grâce à cela que vous avez pu mettre une solide équipe en place ?
AJ : Oui, un jour avec la sélection des cadettes Midi-Pyrénnées nous devons rencontrer les Pays de la Loire où je savais qu’évoluait une joueuse d’exception, une meneuse de jeu. Elle nous a mis 41 points ce jour-là, il n’y avait pas la ligne à 3 points à l’époque (elle est arrivée en 1984). Elle s’appelle Valérie Garnier.
« Elle nous a mis 41 points ce jour-là… Elle s’appelle Valérie Garnier »
BR : Comment s’est déroulé son recrutement ?
AJ : Nous sommes allés directement chez elle à Jallais convaincre son père de la laisser intégrer notre structure et elle est venue jouer en Nationale 2, à Mirande. Malheureusement pour elle, elle a eu une très grave blessure à un genou mais nous l’avons conservée dans l’effectif. La vague de recrutement suivante, en 1984, nous avons eu la chance d’avoir en région toulousaine Yannick Souvré, Loëtitia Moussard, Corinne Zago. Regardez leurs palmarès, toutes internationales.

Crédits photo : La Dépêche du Midi
BR : Quelle équipe ! Non seulement elles sont arrivées jeunes mais elles sont restées longtemps au club pour la plupart. Comment avez-vous réussi cela ?
AJ : Je n’aurais pas pu avoir cette carrière sans cela. C’était au siècle dernier, il n’y avait pas de turn over important, ce n’était pas professionnel à proprement parler, personne ne touche d’argent. Nous montons en première division, les gens ne sont pas payés sauf une joueuse étrangère (hongroise) à partir de la seconde année. Mais nous étions les premiers à voyager en avion jusque Paris ou Strasbourg, par exemple, et avec l’équipe espoir. Ce concept, cette identité, m’étaient dus et expliquent beaucoup de choses dans ma carrière. Martine Campi a joué une douzaine d’années au club, Yannick Souvré cinq ans, Valérie Garnier et Loetitia Moussard ont joué neuf ans, Corinne Zago sept à huit ans.
BR : Quelles ont été les personnes qui vous ont épaulées, soutenues et aidées ?
AJ : Je souhaite déjà rendre hommage à tous les dirigeants de Mirande qui ont été extraordinaires et aussi et surtout les autorités. Tous les Directeurs Départementaux de la Jeunesse et des Sports, Gérard Bosc le DTN et Georges Estève Président du Comité Départemental, m’ont permis d’être à la fois entraîneur à plein temps de Mirande et Conseiller Technique Départemental. J’étais le seul à partir en réunion à Paris pour la Direction Technique alors que je revenais de jouer, par exemple, à Moscou. Cela a créé beaucoup de jalousies.
« Je souhaite déjà rendre hommage à tous les dirigeants de Mirande »
BR : Ces innovations vous ont permis rapidement de construire un solide palmarès pour le club.
AJ : Oui, Mirande monte en première division en 1984, joue sa première finale de Coupe de France en 1986, est champion de France pour la première fois en 1988 puis en 1989 et 1990. Le club dispute aussi une finale dramatique à Challes-les-Eaux où tout le monde, les spectateurs et même les gens de Challes, sait qu’on a été volés. Nous étions aussi novateurs sur la communication, nous sommes les premiers à nous déplacer avec des véhicules floqués au nom et logo du club. Tout le monde nous regardait, c’était extraordinaire.
BR : D’où vous venaient ces idées novatrices ?
AJ : Il n’y avait pas d’exemple, pas de modèle à suivre. Nous avons aussi été le premier club à réussir à faire sortir la première joueuse d’Union Soviétique, Olga Soukharnova, qui était le pivot de l’équipe nationale soviétique. Les dirigeants m’ont demandé quelle joueuse je voulais, j’ai répondu Olga Soukharnova et ils se sont débrouillés pour la signer (il fallait avoir 27 ans à l’époque pour sortir du pays). Je vais vous dire, de manière totalement immodeste, qu’il n’y a aucun exemple au monde, quelle que soit la discipline, qui soit similaire à ce que nous avons vécu avec Mirande. Personne n’a pu grandir aussi vite, créer un tel palmarès, jouer contre tant de grandes équipes étrangères qui étaient composées à chaque fois d’une majorité d’internationales.
« Nous avons aussi été le premier club à réussir à faire sortir la première joueuse d’Union Soviétique »
BR : Vous avez formé un certain nombre d’internationales au BAC Mirande ?
AJ : Il y a eu nombre prodigieux d’internationales qui ont soit été formées ou juste joué au club que ce soit en pro ou en junior. Surtout pour le club d’un village de 4500 habitants. Nous sommes le premier club en 1984 avec des assistants coach, dont Jacky Commères avec qui j’ai travaillé 18 ans. Pendant ce même temps, il y a Georges Fisher à Orthez, cette équipe formidable, qui fait un one man show au coaching, pas d’assistant, pas d’intendant.
BR : Je souhaiterais revenir sur la carrière de Yannick Souvré et son séjour en NCAA. Comment s’est-elle retrouvée en championnat universitaire américain ?
AJ : C’est l’américaine du club à l’époque, Shannon McGee qui a permis ça. Je n’ai rien contre la NCAA mais ça ne m’a pas fait plaisir de la voir partir en pleine jeunesse et ce qui m’ a plus ennuyé à son retour, elle a signé au Racing Club de Paris. Ce n’était pour moi pas très fair-play, j’ai en plus de très bons contacts avec ses parents et sa famille. Elle a poursuivi sa carrière à Rouen et surtout à Bourges et on s’est retrouvé pour notre bonheur ainsi que celui de l’équipe de France en Équipe Nationale. Nous travaillons aujourd’hui en bonne intelligence, elle est directrice de la Ligue féminine et moi à la Fédération.

Crédits photo : Maxi Basket
BR : Que pensez-vous de la WNBA ?
AJ : Je déteste véritablement, cette ligue se moque du monde où les filles courent maintenant pour y jouer, mais ça ne me concerne plus. A mon époque les joueuses avaient le choix, c’était soit la WNBA soit l’équipe de France, on ne pouvait pas faire les deux.
« C’était soit la WNBA soit l’équipe de France, on ne pouvait pas faire les deux »
BR : Nous allons passer à une étape importante de votre carrière, l’Équipe de France. Comment êtes-vous devenu entraîneur ? Est-ce une volonté de la Fédération de structurer son équipe ou vous vous êtes proposé ?
AJ : C’est tout ça à la fois. En 1990, j’ai un premier contact très sérieux avec le DTN en place à l’époque qui me dit « serais-tu d’accord, est-ce possible que tu viennes coacher l’Équipe de France ? ». Je lui réponds que oui mais il était hors de question d’abandonner mon rôle d’entraîneur de club à Mirande. Pour lui, cela n’existait pas. A 50 ans, je m’en sentais capable, cela se faisait en Russie, je connaissais toutes les parties prenantes (arbitres, adversaires, coaches…). Donc ma proposition a été rejetée. Cela s’est représenté une seconde fois avec les mêmes conséquences. Puis, le président de la fédération a changé, est arrivé Yvan Mainini, Gérard Bosc est parti de la DTN, Jean-Pierre de Vincenzi a pris la suite. Cela correspondait au moment où, en accord avec le club de Mirande, je passais l’équipe à Jacky Commères. Le DTN me téléphone début juillet 1996, j’ai donné ma réponse début octobre.
BR : Pourquoi si tard ?
AJ : Nous avons discuté certains points, je voulais que les choses changent, que les moyens soient augmentés. Par exemple, que je ne voulais plus entendre des arguments comme « on ne donne que deux t-shirts aux filles car elles peuvent faire la lessive (les garçons en avaient 10). Les joueuses étaient hébergées dans des internats de lycées alors que les garçons dormaient à l’hôtel. Sans cela, nous n’arriverions à rien. Finalement, la Fédération a lâché beaucoup de lest et j’ai donc pris la suite de Paul Besson. La sélection était alors en troisième division européenne, tout est à refaire. Lui et moi n’avions pas les mêmes vues sur les joueuses, par exemple, il avait écarté Yannick Souvré. En avril 1997, nous nous qualifions en Slovénie pour la division supérieure puis en 1998, en Israël, pour le championnat d’Europe.
BR : Les dirigeants de la fédération vous avait fixé des objectifs ? Étaient-ils exigeants par rapport au fait de vous avoir consentis des concessions ?
AJ : A ce moment-là, tout le monde était déjà content qu’on gagne des matchs. En 1997 quelque chose de formidable se produit, on se qualifie en Slovénie pour le tournoi de qualification pour les Championnats d’Europe, ce n’a pas été compliqué même si il y avait de jeunes joueuses prometteuses en face comme Ann Wauters en Belgique. A la réunion finale, je dis au filles que ce qu’on a fait est exceptionnel, deux filles prennent alors la parole, Yannick Souvré et Isabelle Fijalkowski, pour dire que ce qui les intéresse vraiment est d’aller aux Jeux Olympiques de Sydney. Leur vision à long terme était un moteur important pour l’Équipe.
« Leur vision long terme était un moteur important pour l’Équipe »
BR : Ce moteur vous a permis d’aller très loin.
AJ : Oui, même si nous avons perdu la finale du Championnat d’Europe 1999 en Pologne contre la Pologne. Cette équipe avait une joueuse hors du commun (2m17) malheureusement décédée, Małgorzata Dydek. Ce fut la seule fois, on leur a mis des volées mémorables par la suite. On se qualifie pour Sydney. Je n’ai vécu que des joies, on fait un parcours remarquable. Nous étions parfaitement préparés, (20 matchs de préparation avant d’arriver à Sydney, vingt victoires : 3 au Brésil, 2 en Russie…). Mais on a commis l’erreur de mettre le focus sur les coréennes avec leur basket atypique, vitesse d’exécution, tir à trois points. Dernier match de poule, nous rencontrons l’Australie chez elle. Pour la première et seule fois de ma carrière dans une compétition internationale, les équipes rentrent sur le terrain derrière le coach et la capitaine. Yannick Souvré me dit « Savez-vous qui on rencontre ensuite ? Cuba ? La Corée du Sud ». Je lui ai répondu qu’on se posera la question après avoir gagné contre l’Australie, mais je savais que c’était la Corée. On perd sur le fil contre l’Australie mais c’était un match formidable devant 18 000 spectateurs, le pied complet. Tout le monde la tête au fond du seau dans les vestiaires, non pas d’avoir perdu mais d’apprendre qu’on joue la Corée deux jours après. On perd contre la Corée.
BR : Les filles n’ont pas su se concentrer sur le match ?
AJ : J’ai vu des trucs incroyables, Nicole Antibe tirer sur la planche si fort que ça a lancé une contre-attaque adverse, Isabelle Fijalkowski qui se mélange les crayons alors qu’elles ne nous arrivaient pas aux épaules. Nous avons perdu de 12 points. On était tellement obsédés par les tirs à trois points que le premier qu’on leur a laissé marquer fut à trois minutes de la fin. Tout le match elles ont pénétrées dans tous les sens. Notre seule défaite contre la Corée.
BR : Quelle a été la suite de votre parcours ?
AJ : On est éliminé des phases finales. Nous avons perdu un seul match de classement pour finir le tournoi, seulement, cinquièmes. Alors que pendant ce temps-là, les garçons…
BR : Quels ont été les impacts de cette défaite sur le groupe ? Elles se sont réunies pour tout « défoncer » en 2001 ?
AJ : Non, nous étions plus forts que ça. Par exemple, Cathy Melain joue le basket de sa vie en 2000/2001. Isabelle Fijalkowski peut jouer dans n’importe quelle équipe au monde y compris les États-Unis. Yannick Souvré est à la baguette, le cerveau de l’équipe, mon relais sur le terrain, Audrey Sauret une équipière de devoir au comportement exemplaire, Nicole Antibe, Sandra le Dréan… Des grandes dames. Et forcément, ces Jeux de Sydney nous ont permis de lancer ce qui s’est passés par la suite lors des Championnats d’Europe qui se déroulaient en plus en France. Je dis bien « en plus » car on m’avait expliqué que pour les garçons, le Championnat d’Europe en France leur a ajouté de la pression et causé leur défaite (en 1999). A l’inverse, ça nous a donné une force considérable. Regardez la finale contre la Russie, c’est un point d’orgue extraordinaire, une maîtrise terrible.
« Regardez la finale contre la Russie, c’est un point d’orgue extraordinaire, une maîtrise terrible »
BR : L’équipe reste la même suite à ce Championnat d’Europe ?
AJ : Non, elle se finit là. Pour des raisons qui lui appartiennent, Isabelle Fijalkowski décide de stopper sa carrière internationale à 29 ans alors qu’il lui reste encore quatre ans au moins au plus haut niveau. C’était la pièce maîtresse de l’équipe autour de qui tout tournait. En 2002, avec le DTN, on commet une erreur qui a été salutaire par la suite pour les autres, on a voulu amener les « 12 filles en or » aux Championnats du Monde à l’exception donc d’Isabelle donc. Au début de la compétition, Loetitia Moussard se blesse, Yannick Souvré y laisse une cheville. La compétition derrière ça a été extrêmement chaotique.

Crédits photo : Euro Basket Féminin
BR : Qu’auriez-vous dû faire ?
AJ : Comme les Championnat du monde ne sert à rien quelque part, seuls les Championnats d’Europe et les Jeux Olympiques ont une réelle importance, on aurait dû changer l’équipe plus tôt. Puis, en 2003 en Grèce, on est champion d’Europe en titre, l’équipe est rajeunie, la compétition commence bien et on perd en quart de finales contre la Russie, le futur champion. On finit une nouvelle fois cinquièmes. En 2005, on reperd en quart de finale contre, là-aussi, les futures championnes, la République Tchèque. Et on termine cinquième. Le Président de la Fédération juge que les résultats sont indignes du standing de la France (nous n’avions perdu que deux matchs finalement). On me fait comprendre qu’on ne renouvellera pas mon contrat. Jean-Pierre de Vincenzi, DTN, me soutient et me dit « Bon, tu vas aller aux Championnats du Monde au Brésil en 2006 puis tu arrêteras derrière. Jacky Commères prendra ta suite. Le deal était fait. On re-finit cinquièmes encore une fois battus par le futur vainqueur, l’Australie. Voilà comment s’achèvent 10 ans d’équipe nationale pour moi, et je voudrais envoyer un salut amical à tous ceux qui nous ont accompagnés dont l’équipe médicale et mes assistants (Jacky Commères et Ivano Ballarini).
« On re-finit cinquièmes encore une fois battus par le futur vainqueur »
BR : Que faites-vous ensuite ?
AJ : En 2006, j’ai 60 ans, je reste à la Fédération, aucune envie de prendre ma retraite, et je fais des conférences, j’encadre quelques stages d’arbitres, j’écris des procédures pour la Fédération… A ma grande surprise, en 2009, Jean-Pierre de Vincenzi me propose, ne sachant pas si j’allais accepter, de coacher l’équipe de U20. Je le prends comme un honneur, c’est formidable même si je ne connaissais pas l’effectif. J’embarque Ivano Ballarini avec moi. On fait un sans-faute total, on gagne tous les matchs en 2009 pour finir Championnes d’Europe.
BR : En Équipe de France vous avez dirigé deux générations. Les baskets joués étaient différents d’abord à l’intérieur puis sur les ailes. C’est vous qui vous êtes adapté aux joueuses ou l’inverse ?
AJ : Je me suis adapté aux joueuses. Je n’étais pas d’accord avec les critiques de l’époque. Il ne faut pas oublier que nous sommes passés aux 24 secondes après le JO de Sydney (30 secondes pour attaquer avant cela). J’ai commencé en Equipe de France avec du jeu placé avec une forte défense, alors que le tempo était plus rapide quand j’entrainais Mirande même si on défendait fort aussi mais on était plus porté vers l’avant. On m’a fait le procès d’être un coach défensif, je l’accepte, sauf qu’on était très porté vers l’attaque. On oublie de dire que je suis l’entraineur français à avoir mis Céline Dumerc sur le terrain, au détriment d’une autre forte joueuse (NDLR : nous ne saurons pas qui) avec qui elle était en concurrence. Je ne revendique rien mais je voulais le préciser, elle avait à peine 21 ans. Je fais aussi jouer Edwige Lawson a 18 ans en Équipe de France. C’étaient quand même de sérieuses attaquantes qui jouaient très vite.
« Je suis l’entraineur français à avoir mis Céline Dumerc sur le terrain »
BR : Vous avez lancé beaucoup de carrières internationales de joueuses qui ont marqué le Basket français.
AJ : Oui, je fais aussi jouer Sandrine Gruda aux Championnats du Monde 2006 au Brésil à 19 ans et elle finit meilleur marqueuse de l’Équipe. En revanche, on m’a interdit cette année-là de prendre Isabelle Yacoubou car il fallait qu’elle reste avec les U20 pour que cette génération gagne des titres. Je n’ai pas pu sélectionner les deux en même temps ;
BR : Voici ce qu’on disait de vous dans Le Monde en 2001 lors de l’épopée des bleues à l’Euro : « L’entraineur, Alain Jardel, a su professionnaliser un groupe tout en entretenant sa cohésion et sa motivation, non sans avoir recours, parfois, à la manière forte », pouvez-vous nous expliquer?
AJ : Je comprends ce qui est dit, il faut le remettre dans le contexte de l’époque où je suis considéré comme un entraîneur autoritaire. Il faut savoir que cette génération me vouvoie, Yannick Souvré que j’ai mis sur le terrain en pro à 14 ans au BAC Mirande me vouvoie (elle remplaça Valérie Garnier blessée), parce que c’est comme ça. J’ai toujours pensé que je ne voulais pas manipuler les gens et je ne faisais pas d’entretien individuel avec les joueuses. J’ai donc mis entre elles et moi les assistants, j’en profite pour rendre un hommage à Jacky Commères qui faisait la traduction du « Jardel » auprès des joueuses et j’avais deux autres « assistantes » sur le terrain, Yannick Souvré, mon relais et Loetitia Moussard qui me faisaient de temps en temps des retours. Si jamais j’avais un tête à tête avec une joueuse c’était très sérieux, par exemple, avec Céline Dumerc je lui ai expliqué qu’il fallait qu’elle me montre que j’avais fait le bon choix la concernant. Si c’est ça être autoritaire, alors oui, je le suis, je le revendique. Je n’aime pas les parlotes, on en meurt. Maintenant je peux dire ce que je pense de mes joueuses, je ne l’aurais pas fait à l’époque, surtout pas. Nous n’étions pas à l’époque Neymar/MBappé.
« Si c’est ça être autoritaire, alors oui, je le suis, je le revendique »
BR : Peut-on dire que votre rôle c’était Manager et pas seulement entraineur ?
AJ : C’est pour cela que je vous ai expliqué qu’à Mirande j’avais des assistants, ce n’était pas par hasard. Je ne conçois pas ce travail autrement. Je ne critique pas ceux qui refusent les assistants, toutes les méthodes peuvent fonctionner.
BR : On voit bien que votre conception fonctionne grâce à votre héritage, votre empreinte dans la structuration du basket. De quoi, de qui êtes-vous le plus fier par rapport à ça?
AJ : Je ne me suis pas senti vieillir, c’est ça dont je suis le plus fier. Même en fin de carrière avec les U20 France, elles me tutoyaient, ce qui est cocasse. Quelque part, je suis le papy. Evidemment que les titres avec le BAC Mirande sont importants mais il y a plusieurs vie. La première avec mon enfant, le BAC Mirande puis la seconde avec le statut que j’ai pu obtenir avec l’Equipe nationale. Bien sûr il reste le plus grand regret, le match contre la Corée du sud, après demeure le palmarès, au moins 80% de victoires avec plus de 100 matchs.
BR : Quel regard portez-vous sur le basket actuel ?
AJ : Il est très différent. Je reste en relation étroite avec Valérie Garnier, qui fut aussi mon assistante, je vois les difficultés avec tous les intermédiaires comme les agents. A mon époque, j’arrivais à tenir une poigne forte, par exemple quand Audrey Sauret m’a dit qu’elle allait jouer en WNBA, je lui ai dit « pas de problème, c’est très bien, mais c’est la WNBA ou l’Equipe de France, tu choisis, c’est l’un ou l’autre ». L’agent n’avait pas son mot à dire. Je pense que ce n’est plus possible pour un entraineur d’équipe nationale aujourd’hui. Maintenant c’est l’agent qui discute en direct avec le coach, pour moi c’est inadmissible, il est sûr que je ne pourrais pas vivre dans ce monde-là. On avait une vision de groupe, unitaire, à l’époque.
« C’est la WNBA ou l’Equipe de France, tu choisis »
BR : Cette vision l’avez-vous apportée à Tarbes, pour votre retour comme coach en club ?
AJ : C’est assez amusant, Tarbes c’est le club de Jean-Pierre Siutat, Président de la Fédération française de basket. Nous avons les mêmes origines, je le connais depuis qu’il est enfant car il avait joué à Duravel pour mon père. Tarbes est devenu, avec les années un concurrent direct de Mirande, j’avais même envisagé de fusionner avec eux quand mon équipe n’allait pas bien, Jean-Pierre Siutat avait alors en main l’équipe féminine de Tarbes. le club est champion de France avec François Gomez mais l’entraineur n’est pas renouvelé. Le Président de l’époque, M. Uriarte me propose le poste d’entraîneur. J’en informe François Gomez qui était déjà au courant. J’y suis allé avec beaucoup d’ambition et, en plus, ils m’ont donné les moyens de très bien travailler. J’ai mis en place une structure très féminine avec des assistantes, dont Polina Tzekova pour l’entrainement individuel.
BR : Vous aviez tout pour réussir, l’envie, les moyens financiers et humains.
AJ : Oui, mais tout s’est mal goupillé avec des blessures, des changements de joueuses. En cours de saison, le Président est hospitalisé et me fait croire qu’il veut me garder sur le long terme, je n’avais signé que pour une saison ne sachant pas si je serais capable de continuer à voyager en car dans toute la France. Et en février, il m’apprend que la tête du club va changer, qu’ils ont choisi leur entraineur, un ancien assistant à moi en équipe de France Pascal Pisan qui lui ne m’en avait pas parlé. J’ai en gros fini comme prestataire de service les trois derniers mois alors que je devais mettre en place des structures. Ca s’est bien finit, on est second du championnat et qualifiés pour l’Euroligue. J’ai continué à aller voir des matchs par la suite. De leur côté, le nouveau Président, le nouvel entraineur se sont faits virer et ils sont revenus me chercher. Là j’ai dit non.

Crédits photo : Ladepeche.fr
BR : Qu’avez-vous fait ensuite ?
AJ : Je suis très heureux que le Président de la ligue professionnelle m’ait donner la Présidence de la Commission Sportive, une commission très importante. J’ai succédé à Jacques Monclar à ce poste. Je suis intervenu aussi comme conseil mais je me consacre aujourd’hui beaucoup au golf, je ne suis pas rentré dans la retraite. J’ai eu un travail très particulier, c’était une passion.
BR : Vous n’avez jamais souhaité ou accepté d’entraîner à l’étranger ?
AJ : Non, je n’ai jamais répondu positivement aux sollicitations. J’ai eu le réflexe que je considère comme idiot de penser que je n’étais pas suffisamment fort en italien ou en espagnol, pratiquant un anglais de « survie », je ne pouvais pas entrainer. Quand je vois le niveau en langue de certains entraineurs aujourd’hui, c’est dommage. C’est un regret de ne jamais avoir entrainé à l’étranger. Je rends hommage à Pierre Vincent, entraineur de Schio en Italie, qui tient tout un temps mort en italien, c’est très fort.
« C’est un regret de ne jamais avoir entrainé à l’étranger »
BR : Toute proportion gardée, peut-on dire que Pascal Donnadieu, compte-tenu de son parcours en club et en Équipe de France, est un « mini Jardel » ?
AJ : J’ai commencé plus jeune, mais on peut dire que oui. Une différence majeure, son père est Président, il a donc accès directement aux dossiers. Mais on peut dire qu’il y a une analogie.
BR : Il y a clairement une empreinte Alain Jardel sur le basket français. Quel sera votre héritage, quelle image, selon vous ?
AJ : Un coach qui structure, qui fait progresser les joueuses, un coach de l’Équipe de France. Je voudrais aussi dire que ce sport m’échappe aujourd’hui, on s’éloigne de ce qui fait pour moi ce sport, le collectif, il se transforme aujourd’hui en un ensemble de sports, de performances, individuelles, il n’y a plus de poste. Je le déplore comme je déplore l’apparition du 3×3 en sport Olympique . Je ne suis pas optimiste pour la suite. C’est peut-être pour cela qu’on ne m’appelle plus pour coacher, je dois sans doute être un homme du passé.

Crédits photo : Photo DDM – Laurent Dard.
BR : Notre coutume chez Basket-retro est de vous laisser le mot de la fin, c’est à vous :
AJ : Je vous saurais gré de faire un morceau d’histoire, je vous ai raconté ma vie, du petit garçon à un homme de 74 ans, rendez-vous compte. Dans notre discipline, les nouvelles générations ignorent totalement le passé. On est tous tributaires de ceux qui nous ont précédés. Pour moi c’est la grande époque des demoiselles de Clermont, qui le sait aujourd’hui ? même les joueuses que j’ai eu le plaisir d’entraîner, est-ce que les jeunes joueuses les connaissent aujourd’hui ?
BR : C’est aussi pour ça que Basket-retro existe.
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