Souvenirs d’Euro : Yannick Souvré : « Notre équipe était programmée pour gagner l’Euro 2001 »
Interview
Internationale des catégories juniors à l’équipe victorieuse de 2001, Yannick Souvré a tout connu en équipe de France. Devenue internationale à une époque où l’équipe de France était au plus bas, elle a finit sur la plus belle des médailles en 2001. Portrait de Tito, haut niveau, Saucisson et victoire programmée, Yannick Souvré revient pour nous sur ce qui l’a marquée.
A noter que cet entretien a été réalisé avant le quart de finale de l’Euro 2017.
Basket Rétro : Que connaissiez vous de l’Eurobasket avant d’y avoir participé ?
Yannick Souvré : Le premier souvenir que j’ai c’est quand mes parents nous avaient amené, ma soeur et moi, voir le championnat d’Europe masculin à Limoges en 1983. J’ai le souvenir que j’étais allée voir les joueurs à la fin du match, Richard Dacoury m’avait offert son poignet. C’est une des premières fois que l’on avait vu Sabonis évoluer en France, je me rappelle que les gens étaient choqués de voir quelqu’un de cette taille là jouer comme un meneur de jeu, c’était surréaliste à l’époque. Au delà de ça, je me souviens qu’il passait son temps à la buvette, à boire des bières. Il était jeune, il avait 18 ou 20 ans quoi. Il était avec l’URSS, donc on approchait pas comme ça de l’équipe, mais c’étaient les rumeurs qui disaient « qu’est ce qu’ils boivent comme bières ! ». C’était une autre époque. Mon deuxième souvenir, plus féminin, c’est très mauvais puisque c’est ma première participation avec les séniors, en Bulgarie. J’avais 18 ans et on a finit huitièmes sur huit.
BR : Au delà du jeu, quelles expériences furent vos participations aux championnats d’Europe ?
YS : J’ai le souvenir d’avoir partagé mes championnats d’Europe non seulement avec mes coéquipières françaises mais aussi avec des filles qu’on a suivies qu’on retrouvait chaque année, notamment des espagnoles, des filles comme Cebrian (NDLR : Elisabeth Cebrian, 252 matchs en équipe d’Espagne). On s’est retrouvées à un championnat d’Europe junior en Bulgarie, à l’époque il n’y avait pas grand chose à manger là bas, elles avaient partagé leurs saucissons avec nous. C’était assez surréaliste, c’est ça aussi les souvenirs. C’est pas que glamour le sport de haut niveau, je me rappelle d’être allée deux ans de suite en Bulgarie, je pouvais plus voir les tomates et les concombres en peinture, parce qu’on avait que ça à manger ! J’ai un souvenir aussi en jeune, d’un Championnat d’Europe en Yougoslavie dans la ville de Tuzla , qui a été totalement bombardée pendant la guerre civile. Ils ont détruit la salle extraordinaire qui avait réunit tout le championnat. Il y avait deux salles côte à côte, une très grande et une plus petite. J’ai deux souvenirs d’une salle pleine à craquer, avec peut-être 5000, 6000 personnes. La joueuse phare de Yougoslavie, Danira Nakic, qui était une joueuse formidable, portait le portrait de Tito avant de rentrer sur le terrain. Je me souviens aussi que quand on a joué contre les russes, on a perdu de 51 points. J’étais meneuse, et je n’arrivais pas à traverser le demi-terrain. Donc en 2001, quand on est championnes d’Europe en France face à la Russie, quelque part c’est un peu une revanche personnelle ! A l’époque on ne voyait pas le jour du tout.
«Ce serait présomptueux de dire qu’on savait qu’on allait gagner un Euro mais on en avait l’ambition, ça c’est sûr ».
BR : Vous l’avez abordé alors je vous pose la question tout de suite : Quel sensation ressent-on quand on gagne un Euro à domicile ?
YS : Eh bien, ça décuple les émotions que vous avez car vous ne les partagez pas qu’avec votre équipe, votre staff et les quelques supporters qui ont pu faire le déplacement. Là vous avez la France entière qui vous regarde, de par la couverture médiatique qui est beaucoup plus importante. Il y a la famille, les amis qui ont fait le déplacement, nous pour la plupart on avait nos parents qui étaient là, donc on partage ça avec eux. Cela met plus de pression, mais les émotions sont décuplées à la fin de cette victoire. Maintenant, notre équipe était programmée pour gagner cet euro, donc quelque part ça aurait été un échec de ne pas gagner. On était peut être pas spécialement favorites, mais nous dans notre progression d’équipe, on avait programmé qu’on gagnerait. Ce serait présomptueux de dire qu’on savait qu’on allait gagner un euro mais on en avait l’ambition, ça c’est sûr.

Bourges avec Yannick Souvré contre Valenciennes (c) Tempsport
BR : Vous ne vous êtes pas rajoutées de la pression en réfléchissant ainsi ?
YS : Oui, on s’est rajoutées cette pression là, mais c’est pour ça que je pense que cette équipe était pas loin d’être l’une des meilleures équipes dans laquelle j’ai joué, elle avait une force mentale et une abnégation qui nous a fait gagné, ça c’est sûr. Des filles comme Isabelle (Fijalkowski), c’est des rocs quoi ! Mentalement et physiquement … Quand je dis qu’on était programmées, c’est parce qu’on était capables de tout mettre au service du collectif, et Dieu sait qu’on était beaucoup à ne pas s’aimer (rires). Il faut remettre ça dans son contexte, à l’époque les derbys c’était Bourges-Valenciennes, Valenciennes-Bourges, on se mettait sur la pipe pendant la saison, donc on arrive en équipe de France, on ne s’aime pas quoi. Sauf qu’on est capables de mettre tout ça de côté pour un résultat final que l’on connaît. C’est vrai qu’on s’est mises la pression en visant ce titre, mais c’est parce qu’on savait qu’on pouvait l’assumer, et la preuve on l’a fait. Même si ça s’est joué à peu, on a contrôlé notre sujet. On était pas au dessus, c’est juste qu’on était bien programmées et bien entraînées.
BR : Quel serait votre pire souvenir ?
YS : Mon plus mauvais souvenir c’est mon premier … En 1989, à Varna en Bulgarie, j’arrive dans un groupe senior où il y a une ambiance détestable, il y a des clans. Je sors de catégories de jeunes où j’avais pris mon pied, il y avait toujours beaucoup d’ambiance, les filles étaient heureuses de se retrouver. J’arrive en senior, mon dieu cette ambiance en interne … une horreur ! Je me suis dit, mais c’est quoi, ce n’est pas comme ça qu’on peut gagner. Comme je l’ai dit, il y a le fait de pas s’aimer et le fait de cohabiter. Là le groupe ne cohabitait même pas ! Une horreur, un vrai mauvais souvenir.
BR : Vous semblez accorder une grande importance aux championnats juniors, c’est une bonne préparation pour la catégorie senior ?
YS : Ah oui, totalement. Je pense qu’il faut passer par là, ça prépare à la dureté, à se jauger par rapport aux autres nations, car être le meilleur de son nombril, ça ne sert pas à grand chose. Il n’y avait pas de mondiaux de jeunes et je sais que plus tard, quand on est allées aux Jeux, on perd contre les coréennes en quart de finales, on perd par inexpérience, face à un basket totalement différent de ce qu’on a l’habitude de jouer. Les générations suivantes, elles ont fait des championnats du monde, elles ont eu l’habitude de voir d’autres baskets que des baskets européens. Quand vous jouez les japonaises, les coréennes, les chinoises, ce n’est plus du tout le même basket. En 2000, quand on joue contre la Corée, je n’ai jamais joué de basket asiatique. Je suis persuadée que c’est la raison principale, même si c’est pas la seule, qui fait qu’on a perdu.
BR : Qu’est ce qui vous a surpris dans ce basket coréen ?
YS : C’étaient des joueuses de petite taille, qui vont très vite, qui courent partout. Nos grandes joueuses n’avaient pas l’habitude de ça, elles essayaient de compenser, nous on essayait de compenser pour elles, et on était toujours à la ramasse. Elles compensaient leur manque de taille par leur vivacité, par une énergie assez phénoménale. Si vous êtes pas plus forts pour imposer votre jeu et votre puissance, vous ne passez pas. Surtout sur le basket féminin, qui a besoin de beaucoup de répétitions car il est très axé sur le collectif, quand vous ne mettez pas votre jeu en place, vous avez moins l’impact individuel qui prend le pas comme on peut voir chez les masculins, donc ça s’effondre vite. Là on l’a vu face à la Grèce (NDLR : en phases de poules), l’intérieure Spanou, elle est petite, c’est toujours un peu délicat. Bon, et c’est une bonne joueuse, c’est sûr.
BR : Comment s’est passée votre transition de joueuse à supportrice de l’équipe de France ?
YS : J’étais très fan avant, très fan pendant et donc très fan après ma carrière. Je considère qu’on est que de passage, j’ai fait mon temps, et j’ai eu de la chance, j’ai fait longtemps, avec 251 sélections en équipe de France. J’ai eu la chance de pouvoir y apposer mon nom, parmi tant d’autres, donc que derrière il y ait une génération plus dorée, puis une génération encore plus dorée, tant mieux pour le basket féminin ! J’étais tellement récompensée de ma carrière que je ne suis pas envieuse des suivantes. Il y a des gens aigris, moi je ne le suis pas, j’ai vraiment tourné la page. Et puis je ne me vois plus du tout sur un terrain de basket, je n’ai pas fait de transfert sur les filles qui ont joué après moi.
« Aller jouer avec des gens moins forts, je pense pas que j’aurais été apte … Je crois pas, j’aurais été casse-pied au possible … ».
BR : Paoline Ekambi nous disait avoir complètement coupé avec le jeu une fois sa carrière terminée, ça a été la même chose pour vous ?
YS : Je pense qu’on a été certaines, et que Paoline en fait partie, à n’avoir connu que le haut niveau. Dès l’âge de 14 ans, j’étais dans le haut niveau, le professionnalisme si on veut, et pas le loisir. J’y prenais beaucoup de plaisir car c’est une passion. Mais j’ai toujours dit que je suis une basketteuse de luxe, je ne sais jouer que dans une salle, sur un parquet, avec des chevillères. Donc aller jouer dehors, sur un terrain où il n’y a pas de filets, je ne sais pas faire, j’y suis pas habituée ! Donc le jour où ça s’est arrêté, je me voyais mal aller dans les divisions inférieures. En plus je suis très exigeante, et moi ce qui me rendait bonne, c’était les bonnes joueuses autour de moi puisque j’étais meneuse de jeu, et ma façon de jouer dépendait beaucoup de l’équipe. Donc aller jouer avec des gens moins forts, je pense pas que j’aurais été apte … Je crois pas, j’aurais été casse-pied au possible … C’est aussi pour ça que je ne suis pas entraîneuse.
BR : Ce que vous nous dites permet de mieux comprendre ces sportives et ces sportifs qui, une fois à la retraite, arrêtent du jour au lendemain une activité à laquelle ils se consacraient depuis leur jeune âge …
YS : Oui, après vous avez des basketteuses qui sont restées très sportives. Moi j’ai toujours dit que j’aime bien courir mais derrière un ballon : pas de ballon, on me fait pas courir. Ce qui m’intéresse c’est de jouer avec une équipe, le sens du collectif, de l’abnégation. Ça c’était mon adrénaline. Moi j’étais capitaine, j’étais meneuse de jeu, je me devais de montrer l’exemple, donc j’étais toujours à fond aux entraînements. Et ça me permettait de râler sur les autres ! Mais pour la pure passion, non. Maintenant, je ne fais pratiquement plus de sport, le seul qui me va encore c’est le tennis, parce que ça a un côté ludique. Mais aller courir pour courir, non !
BR : Quel est votre avis sur l’équipe de France version euro 2017 ?
YS : Cette équipe de France est quand même déplumée à l’intérieur, parce que l’arrêt d’Isabelle Yacoubou et l’absence de Sandrine Gruda, c’est pas rien ! C’est ce qui se fait pratiquement de mieux en Europe au niveau des pivots. J’espère qu’elles iront au bout, mais franchement chapeau ! Des filles ont réussi à prendre de la place, Helena Ciak est super épanouie, et Endy Miyem qui prend des responsabilités. Mais franchement chapeau, c’est pas rien d’avoir ces deux joueuses en moins. Tout le monde ne s’en releverait pas comme ça. Comme je suis toujours très exigeante, j’aimerais qu’elles défendent un peu mieux que ce qu’elle font, car on peut faire toujours mieux.
BR : Il est maintenant temps pour nous de vous laisser le mot de la fin de cette interview.
YS : Merci. Merci à vous, parce que vous parlez beaucoup de basket féminin. Un grand merci même. Je sais que c’est pas toujours le cas et qu’on râle souvent après les médias qui le font pas, mais ceux qui le font il faut leur dire quoi.
Propos recueillis par Antoine Abolivier
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