ITW Gérard Bosc – « Le basket ne considérait pas que son histoire faisait partie de sa vie »
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Dans les locaux du musée du basket, Gérard Bosc s’est prêté à l’exercice de l’interview. Créateur du musée, auteur de plusieurs ouvrages, il est l’un des personnages majeurs de l’histoire du basket en France. Il revient notamment sur les débuts de l’écriture de l’histoire du basket en France, et la difficile prise de conscience de son importance au sein de la fédération. L’entretien s’est déroulé en présence de Daniel Champsaur, archiviste au sein de la fédération depuis une dizaine d’années.
Nous avons été accueillis au sein du musée du basket de Bondy, créé en 1984 par Gérard Bosc. L’espace muséal ouvert au public de Paris n’a été créé qu’en 2011, témoignant des efforts récents de la fédération. Cependant, le musée du basket reste encore indépendant de la FFBB.
Basketretro : Pouvez vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ?
Gérard Bosc : Je m’appelle Gérard Bosc, j’ai fait toute ma carrière dans l’éducation physique et surtout dans le basket parce que j’ai été entraîneur national, directeur technique national. J’ai dû entraîner 5 ou 6 clubs dont Caen et Reims, dont j’ai été le président après.
BR : Des équipes de jeunes aussi nationales ?
GB : Que des équipes de jeunes nationales. Des cadets, des juniors, des espoirs. J’ai été le premier entraîneur de l’INSEP. Cela date de 1975. Entre le temps où j’ai été élève, professeur et entraîneur, j’ai passé 15 ans à l’INSEP, dont 6 ans pour le basket. C’était dans le cadre d’une opération appelée « horizon 80 ». L’état avait décidé de donner des primes ou de mettre en situation de bon entraînement des étudiants. En basket, Monsieur Jaunay était à l’époque le directeur technique national, il a décidé d’ouvrir un centre à l’INSEP avec des jeunes qui étaient des espoirs potentiels, il y avait là des joueurs comme Hufnagel. Il voulait quelqu’un qui était basketteur, mais qui était aussi éducateur. C’était ma situation, et ça m’a permis d’entraîner des équipes de France de jeunes, mais aussi de commencer à écrire des livres. Au fond, je montrais aux gens ce qu’il fallait faire, alors autant le montrer aussi dans un livre. Il n’y en avait pas beaucoup à l’époque, ça ne se faisait pas.
BR : À partir de quel moment il y a eu cette bascule entre le terrain et des choses plus théoriques comme l’histoire du basket ? Comment s’est ressentie la nécessité d’entretenir cette mémoire ?
GB : J’étais responsable de la détection et de la formation des cadres à la Fédération. Pour faire ce travail, il y avait besoin de se poser la question : que faisait-on avant ? C’est à partir de là que j’ai commencé mes recherches. J’avais un petit goût pour l’histoire, j’ai décidé d’écrire des manuels pour montrer comment on peut entraîner, comment on peut développer un certain nombre de techniques ou de tactiques. Quand je faisais une conférence, je laissais le manuel en partant. Un éditeur m’a demandé de faire un livre avec les livrets que j’avais fait. Nous avons écrit un livre qui a fait autorité, L’entraîneur de basket-ball, avec Bernard Grosgeorge (NDLR : paru en 1976). On s’est approché de l’histoire réelle en regardant l’histoire du jeu.

L’un des trois tomes de son ouvrage « Une histoire du basket français », parus entre 1999 et 2002, prix Lacoste du beau livre en 2002. @ A. Abolivier pour Basket Rétro
BR : Il y a l’aspect purement technique, il y a l’aspect culturel, le sport dans son contexte social, son contexte historique. Pourquoi tant de clubs sont des Cercles Saint-Pierre, des Jeunes France, pourquoi le basket a pris dans certaines régions et pas dans d’autres. On vit dans un pays curieux quand même, car on se targue d’aimer l’histoire, les émissions où on popularise l’histoire à la télévision ont un énorme succès. Mais l’histoire du sport reste anecdotique …
GB : Mais c’est parce que le sport est anecdotique en France. Ce n’est pas une activité centrale, comme aux États-Unis où il rentre dans le domaine éducatif très profondément. C’est parce que le sport, l’éducation physique, n’ont pas grandi avec l’éducation nationale. Ce sont des à côtés, des amusements. Aux États-Unis, le sport est inclus.
BR : Il y a d’ailleurs assez peu de clubs à prendre soin de leur histoire. Il y a un mouvement de fond depuis quelque temps seulement.
GB : Pour nous, le facteur déclenchant a été le Musée en 1984. Les archives ont été notre problème…où trouver les documents ? Notre première source a été la revue Basket-ball, qui a commencé à paraitre en 1933 (aujourd’hui en ligne sur Gallica), puis les bulletins de fédérations affinitaires avec leurs patronages et aussi la presse régionale. Ce sont toutes ces petites choses éparses, et d’apparence pas sérieuses, qui nous ont permis d’avoir une assise.
« Le sport, l’éducation physique n’ont pas grandi avec l’éducation nationale. Ce sont des à côtés, des amusements. »
BR : Vous pouvez revenir justement sur la création du musée du basket, dont vous et René Lozach étaient les initiateurs ?

Le musée de Bondy regroupe des milliers de photos, quelques ballons, trophées, maillots, chaussures et divers objets confinés sous une tribune de palais des sports. @ A.Abolivier pour Basket Rétro
GB : René Lozach était responsable des sports à Bondy. Il est passionné d’histoire. Il me donnait un coup de main et assurait notre mini-administration. Nous étions le Musée à nous deux. Quant à la Fédération, ce n’était pas quelque chose qui l’intéressait. Elle ne nous gênait pas mais ne nous encourageait pas non plus
BR : J’ai eu récemment un long entretien avec Pascal Legendre lui aussi passionné d’histoire, et j’ai la sensation qu’il y avait une espèce de dilettantisme constant. Il me racontait par exemple que quand il y a eu la fameuse draft de Jean-Claude Lefebvre en 1960, lui avait contacté Jean-Paul Beugnot, qui ne le savait même pas. Il savait qu’il y avait quelque chose avec les Etats-Unis, mais ne s’y intéressait pas. On ne s’occupait pas trop d’aller voir à l’étranger, on s’occupait de ses petites affaires, dans un esprit clocher.
GB : C’est ça. Le basket ne considérait pas son histoire comme faisant partie de sa vie. Il n’y avait pas de structure. Il y a maintenant une académie nationale et des académies régionales, destinées à mettre en avant ceux qui ont fait quelque chose pour le basket de la région. Mais c’est une nouveauté. Cela créé un lien, les gens se sont aperçus que mieux on connaîtra notre histoire plus on fera de progrès. Mais ça a mis du temps.
BR : Suite aux déboires de l’équipe de France, Vincent Collet s’est fait incendier sur les forums, les réseaux sociaux. Mais j’avais envie de leur dire mais attendez, regardez d’où on vient ! Il a quand même mis l’équipe de France parmi le Top 5 mondial, dans les années 60-70 on ne se qualifiait pas toujours pour les championnats d’Europe !
GB : Oui c’était commun. Et les équipes de jeunes qui maintenant caracolent dans les classements mondiaux n’étaient jamais qualifiées non plus. Quand une équipe de jeunes cadets, junior était qualifiée c’était déjà formidable. Et quand elle était 8, 9, 10, 11ème, c’était … La nécessité de placer les meilleurs potentiels dans les meilleures conditions, de créer des centres de formation n’était pas une évidence. C’étaient des idées fantaisistes. Ce qui parait fondamental aujourd’hui n’était pas forcément perçu comme tel alors. Quand on a compris cela, on comprend pourquoi le Musée du Basket a pris naissance sous une tribune du Palais des Sports, à Bondy. (NDLR : référence à la réserve du Musée où se déroulait cet entretien). En ce moment, on essaie de revenir dans le giron de la Fédération. On va y être…
« La nécessité de placer les meilleurs potentiels dans les meilleures conditions, de créer des centres de formation n’était pas une évidence. C’étaient des idées fantaisistes. »

L’équipe de France de 1964, la première à avoir été absente des Jeux Olympiques. La France ne retrouvera la compétition qu’en 1984, ne se qualifiant plus ensuite avant l’épopée de 2000.@ Musée du basket
BR : Parce que le musée du basket est toujours indépendant de la fédération ?
GB : Effectivement, mais la Fédération s’y intéresse vraiment depuis une dizaine d’année avec l’engagement d’un responsable archives et patrimoine (NDLR : Daniel Champsaur, présent le jour de l’entretien).
BR : Mais même 10 ans, ça reste un temps long, pourtant vous êtes toujours indépendants …

Étagère musée du basket de Bondy @ A.Aboliier pour Basket Rétro
GB : Dans les statuts du Musée du Basket, il est prévu qu’en cas de dissolution de l’association, tout aille à la fédération. Actuellement, nous sommes en train de voir comment dissoudre l’association sans rien perdre ou détériorer des choses comme cela se faisait avant. Je raconte parfois l’histoire du CAUFA de Reims et de son maillot à damier dont les derniers exemplaires avaient été transformés en chiffons par la femme du président du club
BR : Donc beaucoup de choses ont été perdues ?
GB : Probablement, mais heureusement il y a eu L’Auto, L’Equipe, des journalistes qui ont suivi le basket et ont permis de garder trace des événements. C’est du sauvetage en permanence. Il a fallu accepter le jeu américain que des penseurs des années 1930 ne prenaient pas au sérieux. Nous pratiquions le vrai basket, pas eux !…Même s’ils nous donnaient la leçon à chaque fois. Il y a une part d’anti américanisme.
BR : En 1972, certaines banlieues fêtaient le titre soviétique. C’étaient des gens qui aimaient, pratiquaient le basket. Mais les américains, ça ne passait pas.
GB : Tout ça, ajoutées aux discussions locales, ça a créé un climat de sport aux petits intérêts.
BR : Un côté esprit de clocher ?
GB : Voilà. On ne regardait pas vers l’avant. C’est tout ça qui s’est créé contre le basket. Alors qu’on croyait que c’était pour le basket.
BR : Encore aujourd’hui il subsiste dans les clichés que le basket est le sport des américains, et ils gagnent à tous les JO. Alors que finalement l’intérêt même de l’histoire du basket est que tout le monde se l’est approprié différemment. En France on a parlé de ripopo, un style de jeu qui perdait mais qui était très différent du basket américain.
GB : Oui, mais par exemple : qu’est ce que c’est que le ripopo ? D’où ça vient ? C’est tout simplement un journaliste, qui s’appelait Perrier, qui ne savait comment décrire ce qu’il voyait. Il a parlé de ripopo. Certains ont cru qu’il s’agissait de technique … On en a fait une sorte de porte drapeau d’une activité. Il y avait du chemin à parcourir pour remettre les choses à leur place.
BR : À partir de 84 vous montez peu à peu. Il y a quand même une condescendance de la fédération par rapport à votre travail ?
GB : Il avait surtout un désintérêt même si on nous considère maintenant avec sympathie. La Petite Gazette y est pour beaucoup ainsi que la vidéo 100 ans de Basket que nous publions en 1993 (année du centième anniversaire de l’apparition du basket en France) qui met en avant la rue de Trévise où le basket a été joué pour la première fois en Europe. L’arrivée d’Yvan Mainini à la tête de la Fédération en 1992 sera également un facteur déclenchant de l’intérêt de la famille pour son patrimoine.
« [La fédération] est dans l’actualité, le présent, cependant, avec l’Espace muséal, il s’est passé quelque chose. »
BR : Qu’est ce que ça devient d’ailleurs rue de Trévise ?
GB :Le bâtiment au sein duquel se trouve le gymnase est classé. Il était prévu que ce soit vendu et démoli. On s’est bagarrés pour que ce soit classé, ce qui a été le cas. Le bâtiment appartient toujours à la YMCA de Paris (UCJG).

gymnase de l’UCJG, rue de Trévise (1) @ Musée du basket
BR : Ca serait le bâtiment à récupérer pour la fédération ! En judo, en rugby, en handball on développe des infrastructures, mais nous …
GB : La Y, elle accueille, elle loue des chambres. C’est une auberge de jeunesse. La YMCA, rue de Trévise, ça reste. Il faudrait demander à Tony Parker de mettre quelques millions …
BR : C’est une histoire qui a été écrite. Mais la fédération reste à côté, tout le temps dans l’actualité.
GB : Elle est dans l’actualité, le présent, cependant, avec l’Espace muséal, il s’est passé quelque chose.
BR : Les clubs transmettent ils leurs archives et, si oui, de quelle manière ?
Daniel Champsaur : Certains prennent contact avec nous. Nous avons élaboré un petit guide pour aider à conserver comme il convient archives administratives et historiques. Nous les orientons également vers des partenaires potentiels locaux compétents, tels que les Archives Départementales.
BR : En plus le basket est un peu desservi au niveau médiatique et au niveau de son histoire, mais il est aussi un peu polymorphe, il y a le basket américain, français, européen… Il y a des gens qui savent tout de la NBA des années 1980 mais ne savent pas qui est Freddy Hufnagel.
GB : C’est logique ! Le basket, et le sport en général, ne sont pas des sujets de préoccupation fondamentaux. Aux Etats-Unis, si.
BR : On le voit quand on traite le basket français, américain. Quand on traite du basket américain, c’est beaucoup plus facile ! On retrouve les stats de tous les matchs, des tonnes d’articles et d’archives sur internet. Quand on veut chercher sur du basket français, ce n’est pas si évident. Et même pour la FIBA.
DC : Comme on vient de le dire, ce n’est pas un problème spécifique au basket. C’est une approche culturelle différente du sport en général.
BR : J’avais l’impression que culturellement, des sports entretenaient plus leur mémoire, comme le rugby.
GB : On le croyait, et je me suis rendu compte qu’ils ne l’avaient pas tant que ça. Les fédérations, de manière générale, commencent juste. Par exemple, la revue Basket-Ball a été numérisée sur Gallica et d’autres fédérations suivent, l’athlétisme notamment. C’est tout nouveau.

Le vestiaire de Denain, avec notamment Degros et Staelens @ Musée du Basket
BR : Ces dernières années, beaucoup de livres sortent sur des sportifs, sur des équipes. Ce sont souvent des histoires que l’on raconte plutôt que de l’Histoire. Quel est votre regard sur ces histoires à tendance biographiques ?
GB : C’est différent du travail d’un historien même si c’est intéressant pour récupérer des informations. On a également besoin de cadres, pour expliquer, mettre en perspective, donner un contexte, sinon, on ne comprend pas pourquoi à tel moment cela se passe de telle manière. Par exemple, pourquoi la Fédération a mis tant de temps à lancer le sport féminin ? Cohu (NDLR : Robert Cohu, 1911-2011, joueur international présent aux JO 1936) me disait, en consultant Une Histoire du Basket Français, être étonné qu’il y ait eu autant de basket féminin au début du siècle. Il ne le savait pas. Le basket féminin était très important : pourquoi a-t-il disparu ? Le sport féminin était indépendant avant le Front Populaire, puis il est entré dans le giron des fédérations. Pourquoi n’est il pas resté autonome ? Là on touche à un problème de société. Ça c’est intéressant. On pourrait mettre une équipe au travail…
Autre exemple, l’histoire de Jean Degros est tout à fait intéressante…mais ce qui est vraiment passionnant, au-delà du destin individuel, c’est l’histoire de Denain-Voltaire. C’est quoi Denain-Voltaire ? C’est une école, et c’est le basket à l’école. Et papa Degros c’était un instituteur qui faisait jouer le basket à ses gosses dans la cour d’école. Ca c’est intéressant ! Le parcours de Jean Degros peu être une très bonne entrée pour faire accéder à l’histoire socioculturelle.
Basket Rétro remercie une nouvelle fois Gérard Bosc et Daniel Champsaur pour leur disponibilité et l’ouverture exclusive de ce lieu riche à Bondy. Et, de manière plus générale, nous les remercions pour leur travail sur lequel nous nous basons régulièrement ici, de manière directe ou indirecte. Vous pouvez retrouver le musée du basket en ligne, notamment sur leur page facebook régulièrement mise à jour.
Propos recueillis par Laurent Rullier et Antoine Abolivier.
Bannière réalisée par Laurent Rullier. Crédits photos : Antoine Abolivier, musée du basket.
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