ITW Jacques Monclar « 1970 a été un petit tremblement de terre pour les ricains »
Interview
La coupe du monde se déroule en ce moment en Chine, c’est le moment de faire un petit retour en arrière. Jacques Monclar l’a vécue en tant que joueur en 1986, puis en tant que consultant à de nombreuses reprises. Il revient pour nous sur l’historique de cette compétition.
Basket Rétro : Vous avez joué à une époque où il était très difficile pour la France de se qualifier à une coupe du monde. Comment perceviez vous cette compétition avant d’avoir pu y participer ?
Jacques Monclar : C’était une compétition un peu à la marge, dans la mesure où les ricains ne considéraient que les JO pratiquement. Je dirais que les championnats du monde, dans les années 1970 surtout, étaient moins un événement pour nous qu’un championnat d’Europe.
BR : Même si ça ne valait pas les JO, on voulait quand même la jouer non ? Ce n’est pas par choix qu’on l’a manquée pendant 23 ans, si ?
JM : C’était devenu un objectif. Il y a eu plusieurs étapes. Il y a eu d’abord la victoire de la Yougoslavie à Ljubjana en 1970 qui a été un petit tremblement de terre pour les ricains. Ils n’envoyaient même pas toujours une équipe d’universitaires, ils envoyaient des équipes de tournée, parfois l’US Army par exemple. Après il y a eu en Colombie en 1982, où on a vu du Doc Rivers, des joueurs comme ça et ça interpellait. Nous, en 1986, on a été repêchés parce qu’il y avait eu un forfait. On avait perdu la qualif après trois prolongations contre la Grèce.
BR : L’équipe de France fut repêchée mais paraissait capable d’accrocher certaine des meilleurs équipes …
JM : C’est un concours de circonstance très malheureux qui fait qu’on ne fait pas la phase finale car il fallait que l’Espagne batte le Brésil. On se retrouve à attendre le résultat de ce match, et l’Espagne prend 15 points contre le Brésil, ce qui était absolument invraisemblable. On avait battu les ricains en préparation, ils ont été champions du monde, avec Muggsy Bogues, David Robinson … On leur avait mis 15 points à Coubertin, bon ils descendaient de l’avion, mais quand même. On était pas passés loin, c’était une grande douleur, peut être la plus grande d’ailleurs.
BR : Vous avez battus le Brésil en poule, le Brésil qui finit 4e de la compétition, la France finit 13e sur le papier mais ça ne veut rien dire…
JM : Oui, on était le premier non qualifié au final ! On perd contre l’Espagne et la Grèce, mais on bat le Brésil, la Corée, le Panama. Le Brésil a battu la Grèce, il fallait donc que l’Espagne batte le Brési pour qu’on se qualifie. L’Espagne était hyper favorite, il se trouve que les espagnols la veille avaient foutus 55 points aux coréens. C’est une équipe d’Espagne qui est monumentale, vice-championne olympique en titre. Mais contre le Brésil ils ne sont pas bons, nous on regarde le match dans les tribunes, c’est une horreur, on se dit que ce n’est pas possible, et le lendemain on se retrouve comme des cons à l’aéroport ! En terme de basket pur, parce que Jean Galle nous avait bien préparés, parce que l’on avait un groupe homogène et avec des joueurs de grand talent, Richard Dacoury était déjà référencé, et derrière du Ostrowski, Eric Beugnot, moi j’étais avec Valéry Demory et Freddy Hufnagel, dedans Vestris s’opposait à pas mal de pivots de grande taille. Jean Galle avait fait un travail formidable, on s’était préparés au Touquet, on avait cavalé, on était en stage, on avait tapé les ricains en prépa. Je me souviens je jouais blessé, j’avais le poignet en vrac donc je pouvais plus shooter, je faisais autre chose. On n’en rajoutait pas sur le fait que c’étaient les ricains, et puis on ne savait pas que Muggsy Bogues c’était Muggsy Bogues, que David Robinson était David Robinson, même Steve Kerr était là …
BR : Ces championnats du monde 1986 c’était un moment assez rare de voir la France jouer contre les nations extra-européennes (ce fut la seule participation française entre 1963 et 2006). La France a notamment joué la Grèce de Galis et le Brésil d’Oscar Schmidt. Qu’est ce cela faisait de jouer contre de tels joueurs ?
JM : En 1986, Galis était déjà assez inarrêtable, l’année d’après ils sont champions d’Europe les grecs ! On était habitués à les rencontrer, car on faisait les coupes d’Europes, on les jouait les yeux dans les yeux. Oscar, j’ai dû jouer cinq, six, peut être dix fois contre lui, on était habitués à les jouer en équipe nationale et en club, parce qu’il jouait à Caserta en Italie. Donc on était quand même exposés à travers les coupes d’Europe et préparés à cela.
BR : Pouvez vous nous décrire le type de joueurs qu’ils étaient ?

Oscar Schmidt – Brésil (c) Euroleague.net
JM : Galis c’était un deuxième arrière, pas bien grand, qui avait une détente de volleyeur, c’est à dire qu’il restait trois jours en l’air. Sur un shoot, il pouvait reculer d’un mètre, en mode Jordan. Il avait une suspension très haute et très longue, un sens du timing. Ce n’était pas vraiment un shooteur à trois points, mais un joueur d’intervalle absolument incroyable. On l’a contrôlé jusqu’en 1983, et à partir de 1984, c’est 30 à chaque fois, et parfois plus. Quand à Oscar Schmidt, c’est ce qu’on appellerait maintenant un 4 moderne, c’est à dire un joueur de plus de peut être deux mètres trois ou quatre qui pouvait shooter à très très longue distance. Le brésil on les jouait souvent, on les battait souvent hein, d’ailleurs en 1986 on les avait battus, on perd contre la Grèce comme d’hab depuis 1983. Le Brésil avait d’excellents joueurs, en Europe il n’y avait le droit d’avoir que deux étrangers par équipe, Caserta avait pris deux brésiliens, à la place des ricains. Oscar, c’était l’équivalent d’un Larry Bird, encore plus shooteur mais peut être moins créateur.
« En 2002 ça se passe aux Etats-Unis, à Indianapolis, terre de Basket par excellence. Et ils prennent une place de sixième en perdant trois matchs ! C’est une honte ! »
BR : A quel moment est ce qu’on situe la bascule pour que les championnats du monde soient devenus la première compétition dans le basket ?
JM : Je crois que 2010 a été un virage. 2006 a été la fin pour les ricains du non-sérieux. Avant, il y a eu 1992. 92 a tout changé, car les ricains ont vu que ça progressait. Les européens arrivaient en NBA. À Sidney, les ricains se font chauffer très sérieusement par la Lituanie en demi. Contre la France en finale ils gagnent mais il y a 4 points à 4 minutes de la fin, avec une équipe constituée de joueurs NBA de premier plan. Mais il n’y avait pas vraiment de préparation d’équipe. On retient le dunk de Vince Carter (NDLR : en match de poule, au dessus de Fred Weis), mais pour tout le reste ça jouait les un contre un, Shaquille a été fort … Mais je trouve que il y a une faiblesse annoncée. En 2002 ça se passe aux Etats-Unis, à Indianapolis, terre de Basket par excellence. Et ils prennent une place de sixième en perdant trois matchs ! C’est une honte ! Ils perdent contre les yougoslaves, les espagnols et les argentins. Chez eux, ça aurait dû être pour eux un avertissement définitif, mais ils y ont pas cru et derrière, il y a 2004, où il y a Duncan, Lebron, mais ils s’en sortent grâce à Marbury et Payton pour ramasser une médaille de Bronze, et l’Argentine est championne olympique. Et comme ils sont encore têtus, en 2006, ils ont le droit à la démonstration de Papalukas et là ils comprennent que s’ils veulent garder le leadership mondial du basket, il faut arrêter les conneries et envoyer le meilleur. 2008 c’est la redeem team, l’équipe de la rédemption, c’est l’équivalent de 1992.
BR : Mais quelque part on espère voir le favori perdre un peu tous les ans …
JM : En 2002 il était pas tombé, il s’était ridiculisé ! Il y a une différence entre perdre comme en 2004 sur le buzzer beater de Manu Ginobili, et se faire tauler comme ça ! Oui l’URSS de Sabonis, la Yougoslavie les battait dans le passé. Mais il y a un avant et un après 1992 dans le basket mondial. On peut remonter à 2000 à Sydney, les lituaniens les ont au bout du fusil. Et en finale, on les chatouille un peu, beaucoup même. Et ils ne voient pas venir le truc chez eux, en Indiana. Quand ils perdaient un match en poule contre l’Argentine. Puis contre l’Espagne et la Yougoslavie. Trois matchs en compétition officielle ! Chez eux ! Mais ils pigent pas. En 2004, et je crois que c’est Larry Brown le coach, ils étaient pas sérieux. En 2006 il se font tauler par les grecs, il y a pas un joueur plus différent de la NBA que Papaloukas. Et c’est lui qui leur fait la chanson dans tous les sens. Leçon de pick&roll, de basket intelligent. En 2008 ils ont fait la seule équipe qui ressemble un peu à la dream team, la redeem team. En 2010 il y a beaucoup de forfaits, c’est des gamins, mais ils sont exceptionnels avec Durant, Westbrook, et des chefs de nage comme Billups et Andre Iguodala. Ça gagne, et ça gagne en jouant un basket magnifique ! Et ils se banalisent, je me souviens de Kevin Durant qui venait en zone mixte avec son petit sac à dos et qui faisait toute la presse mondiale ! Ils ont eu un comportement irréprochable.
BR : A vous entendre depuis tout à l’heure, les championnats du monde n’ont eu de l’intérêt que lorsque les Etats-Unis s’y sont intéressés ?
JM : On peut dire ça, mais on peut dire aussi qu’ils ont été obligés de s’ajuster au niveau montant des équipes européennes. Et encore ! Ils ont eu l’éclatement de l’union soviétique et de la grande yougoslavie ! Parce qu’en 1990 ils finissent troisièmes aussi. C’est au moment où la Yougoslavie va exploser, même si en termes sportifs elle explose lors de l’euro à Rome, ils perdent un joueur avant la finale quand la Slovénie vient d’acquérir son indépendance. Il y avait ces deux équipes qui jouaient les ricains les yeux dans les yeux avant !
BR : Mais malgré l’effondrement de ces deux états et donc équipes, les américains ont mis des années à redevenir incontestables après 1996.
JM : Le problème c’est le concept d’équipe justement. L’équipe de 1996 de la dream team aux jeux elle ne laisse pas de souvenirs. L’équipe de 1994 où il y a Larry Johnson & compagnie, elle laisse pas de souvenirs. Après 1992, ils se sont tous pris pour Magic, Michael, Charles et compagnie. Mais non, ça ne marchait pas comme ça, et il a fallut attendre 2006 pour qu’ils réalisent vraiment qu’ils se faisaient trop rattraper. 2002 avait été un avertissement énorme, ils avaient pas percuté. 2004, nouvelle baffe, 2006 ils se font ridiculiser par le pick&roll de Papaloukas. En 2008 ils envoient Kobe et compagnie, une équipe formidable mais ça se joue dans la dernière minute quand même, contre l’Espagne. Ensuite, depuis 2010, il n’y a que des gamins, mais il y a une équipe autour de Kevin Durant. En 2004 quand ils sont que médailles de bronze à Athènes, Tim Duncan, qui n’est quand même pas connu pour être le plus agressif des ricains, fait la plus vilaine faute de sa carrière et dit “FIBA basketball sucks” !

Gregg Popovich etJerry Colangelo au camp de préparation de Team USA. (c) Sport Illustrated
BR : Donc plus que 2008, c’est 2010 le tournant ?
JM : A partir de 2010, il y a un concept équipe. Les jeunes c’est quand même Eric Gordon, Russel Westbrook, Kevin Durant qui est absolument immense, encadrés par Andre Iguodala, par Chauncey Billups , et il y a un concept équipe ! Ils se mettent à jouer au basket FIBA, ils s’adaptent, ils attaquent les zones intelligemment. À l’époque il n’y avait pas de défenses combinées, cette année on les a vu lancer des boites et doubles boites. C’est pour ça qu’aligner des joueurs avec des stats en franchise NBA, ce n’est pas la garantie, et ils ont compris que ce n’était plus le cas. Celui qui met tout ça en place, c’est Jerry Colangelo, qui créé Team USA, avec un programme. Cette année, tout le monde note qu’il y a beaucoup d’absents, ce qui est vrai, ce qui est dû en partie à une histoire d’agents, parce que même en Australie Ben Simmons n’y va pas pour ça. Mais Team USA a un staff impressionnant, quand vous avez Gregg Poppovich et Steve Kerr sur le côté, on peut penser qu’ils vont bien jouer au basket.
« Ce qu’on disait avant, c’est qu’ils envoyaient une équipe de boulangers de New York, ils battaient tout le monde à une époque ! Les ricains ont mis un moment à comprendre que le basket progressait »
BR : Et ils ont toujours une densité d’effectif impressionnante.
JM : Bien sûr. Par exemple la présence d’un Plumlee elle peut faire rire, mais il a fait 2014. On a des joueurs qui jouent au basket, qui ne sont pas là pour faire un show, pour ridiculiser l’adversaire, mais s’en méfient, le considère. Ce qu’on disait avant, c’est qu’ils envoyaient une équipe de boulangers de New York, ils battaient tout le monde à une époque ! Les ricains ont mis un moment à comprendre que le basket progressait. On pouvait retourner jusque 72 et la défaite contre l’URSS, sur une décision arbitrale très contestable, mais bon, ils perdent quand même. Et ils mettent que 50 points ! Certes dans un basket à 30 secondes de possession, face à la génération de joueurs fantastiques russes derrière Belov. C’étaient des joueurs qui auraient été dans le top 30 NBA.
BR : C’est difficile de se rendre compte tant les styles de jeu pouvaient différer …
JM : Voilà les styles de jeu étaient opposés, le decorum était tellement décalé. Le niveau général de la NBA était moins fort. Bien sûr, dans les années Jordan il y avait des joueurs exceptionnels, à commencer par lui mais aussi Drexler, Magic, Worthy McHale, on pourrait continuer … Mais le volume général de joueurs était moins important. Là cette année Team USA a beaucoup de forfaits. Mais un Kemba Walker, va falloir s’occuper de lui pour shooter. D’un autre côté, si on prend notre France, ils vont jouer contre Evan Fournier, Rudy Gobert, Nico Batum, c’est des mecs qui jouent en NBA ! Des gars qui vont s’opposer. Oui les ricains ont apporté aux championnats du monde une crédibilité de par la qualité des équipes envoyées, et je parle d’équipes, pas des noms. Ils ont envoyé des noms et ça a pas toujours été formidable, mais des équipes, avec un coaching staff et avec du travail et un concept équipe. La présence en 2010 autour de Kevin Durant d’un Andre Iguodala, elle est fondamentale. Kevin Love n’est pas dominant du tout. Et ça l’a pas empêché d’enquiller des stats à 20-10 en NBA pendant les 3 années suivantes avec Minnesota. Il a pas encore le shoot extérieur, et physiquement, les FIBA ils lui marchaient dessus.
BR : Merci Jacques pour cet entretien, on vous laisse conclure avec le mot de la fin.
JM : Il y a un truc qui est symbolique, c’est que ça ne s’appelle plus championnats mais coupe du monde. J’ai eu un peu de mal au début, mais je trouve ça bien. Pour l’équipe de France, je leur souhaite le meilleur, je vois qu’ils ont des ambitions et c’est très bien. Je répète. On est top 8 mondial à tous les coups. Notre niveau c’est la demi, et quand on est dans les quatre derniers rien n’empêche d’aller faire un coup. L’équipe de 2014 a été magnifique, on espère retrouver cet esprit. La médaille de 2014, la présence de Nico Batum dans le 5 du mondial, elle est magnifique. Le shoot de Thomas Heurtel contre l’Espagne, c’est un bonheur de tous les jours. Il s’était créé une vraie alchimie dans l’équipe. Il y en a qui l’ont vécu, ils sont pas mal à avoir de l’expérience. Nico est revanchard, Evan est en quête de victoires, des garçons comme Andrew Albicy sont à maturité. J’ai pas la composition des 12, mais le concept équipe est bon. C’est une coupe du monde très relevée, il ne faut pas regarder les absents mais regarder qui est sur le terrain chez les ricains.
Propos recueillis par Antoine Abolivier le 01/08/19.
Votre commentaire