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ITW Alain Digbeu : « Je n’ai pas pu réaliser mon rêve en NBA, mais je ne regrette presque rien ».

Interview

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro

Alain Digbeu, arrière hyper spectaculaire et icône de la Pro A des années 90, revient avec Basket Retro sur sa carrière, ses succès mais aussi les étapes moins heureuses qui ont façonné le joueur et l’homme.

Basket retro : Comment avez-vous débuté le basket ? Quelle est votre première rencontre avec la balle orange ?

Alain Digbeu :  J’étais un gamin qui rentrait dans les normes, qui était surtout attiré par le foot et par nos stars, nos idoles de l’époque. Moi, j’ai 44 ans, donc j’ai grandi avec Platini, Tigana, Rocheteau et si tu vas un peu plus loin, c’est Baresi en Italie, ou Socrates au Brésil. Donc voilà, je suis un footeux sans l’être vraiment, parce que je joue au foot dans mon quartier ou à l’école. Et mon père était basketteur, un basketteur amateur. Il n’a pas joué en pro, mais à un haut niveau, peut être entre l’équivalent de la Nationale 1 et la Nationale 2 d’aujourd’hui ; Je me souviens plus très bien des appellations de l’époque. Mais voilà, donc ça respire le basket à la maison. Mais de manière assez contrôlée. Donc, comment je rentre dans le basket ? En fait, ce qui se passe, c’est j’ai un ami dans mon quartier qui est arrivé chez moi en plein été, 1987, et il arrive à la maison avec une cassette du All-Star Game NBA 87. Et c’est comme ça que je regarde mon premier match. N.B : Et quel match ! Parce que t’as toutes les grosses pointures de la Ligue nord-américaine qui sont réunis au même endroit au même moment et j’en ai pris plein les yeux. Donc, c’est comme ça que la flamme est née, en fait. Mon père jouait au basket. J’ai envie d’être comme mon père, mais en même temps, je suis tiré de l’autre côté par le foot, surtout en tant que lyonnais.

BR : Vous aviez le gabarit pour jouer au foot. D’autres joueurs comme Vincent Masingue, qui a un gabarit plus important et qui aimait le foot, ne pouvait pas suivre les gabarits d’1m70.

AD : Oui, forcément. J’ai grandi après mes 15 ans. Avant mes 15 ans, j’ai une taille relativement moyenne, donc je me sens capable de jouer au foot. Mais je n’étais pas talentueux. Je n’avais aucun talent pour jouer au foot. Souvent, j’étais dans les cages parce que j’étais plus grand que les autres, mais je n’étais pas grand comme aujourd’hui. Je n’avais pas la moindre chance de percer dans le foot. Mais bon, voilà, c’est pour se fondre dans la masse ; pour se faire des copains, c’est parfait.

BR : Mais vous avez percé dans le basket de haut niveau.

AD : Oui, mais c’est arrivé bien plus tard.

Venissieux - Le Progres

©Le Progrès

BR : Vous débutez très jeune le basket. Etait-ce à l’ASVEL ?

AD : J’ai commencé dans un club qui n’était pas loin de chez moi. Je suis né à Mâcon, mais on est arrivé à Lyon avec ma famille en 1980. Je jouais dans une équipe à Vénissieux. C’était un club qui n’était pas très loin d’un ensemble multisport. Mon club était à deux pas de cette aire de jeu et c’est là-bas que j’ai commencé vers 12 ans, 13 ans. J’ai fait mes années benjamins, minimes, cadets à Vénissieux et c’est plus tard que j’arrive à l’ASVEL, en 1991.

BR : Vous avez effectué les sélections jeunes pour rejoindre l’ASVEL ?

AD : J’ai été invité pour un essai. Mon père avait un ami qui faisait partie du comité directeur de l’ASVEL, Albert Demeyer. Il a suggéré à mon père que je fasse un essai à l’ASVEL. Et voilà, c’était super marrant parce que j’étais un joueur qui aimait beaucoup plus le côté spectaculaire, je n’avais pas de fondamentaux du tout. J’étais très, très athlétique et j’aimais bien courir, sauter, mettre des contres et surtout faire des smashs et c’est ce que j’ai essayé de montrer avant tout. L’entraîneur qui dirigeait l’essai, Patrick Maucouvert, était quelqu’un de réputé au niveau de la formation à l’époque. Bon, j’ai été recalé. C’était une catastrophe en soi parce qu’ils m’ont demandé de faire certaines choses techniques, de reproduire certains gestes et j’étais complètement à la rue. C’est pour cela que je n’ai pas été pris. Mais ils m’ont rappelé après.

BR : C’est évident que l’on n’apprend pas la triple menace sur un playground.

AD : Non, c’est clair on apprend d’autres choses sur la vie sur un playgroud.

BR : Vous rejoignez l’ASVEL en 1991 et au bout de deux ans, vous signez votre premier contrat pro avec eux. Vous débutez donc en espoirs. Vous participez à quelques matchs très vite avec les Pros ?

AD : Non, mon premier match avec les pros c’est en 1993. Entre 1991 et 1993, j’alterne entre l’équipe cadets et l’équipe espoirs, quelques apparitions avec les pros. Si je me souviens bien, c’est l’ère Jean-Paul Rebatet ou je commence à flirter un petit peu avec les pros. Mais la période où j’ai eu une relation un peu plus intense avec les pros, c’est quand Greg Beugnot arrive en 1993, il reprend l’équipe avec Marc Lefebvre, comme président. Ils sauvent le club du dépôt de bilan. Et à partir de là, la reconstruction démarre. Donc pendant deux ans, j’ai fait des allers/retours et quand je jouais mal, j’étais recalé en cadets. Patrick Maucouvert aimait me tester, me rentrer dedans un petit peu parce qu’il savait que je voulais réussir. Mais parfois, j’en faisais un peu trop. J’en faisais qu’à ma tête. En fait, je n’étais pas quelqu’un de très discipliné. Ça m’a coûté quelques suspensions.

BR : Vous êtes arrivés à un moment où le basket se basait de plus en plus sur les qualités physiques, plus axé vers les arrières. L’ASVEL se construit avec des joueurs reconnus, en France comme Laurent Pluvy, par exemple, mais aussi américains comme Delaney Rudd. Vous avez grandi en même temps que le club, comment l’avez-vous vécu ?

AD : Ce qu’il faut retenir, c’est qu’on est parti de rien du tout, niveau moins 1. Et puis voilà, on a gravi les échelons petit à petit. On a grandi au niveau sportif, au niveau économique, la structure avec le déménagement à l’Astroballe, ça a été un grand pas en avant. Mais avant d’arriver à l’Astroballe, il y a une reconstruction qui se fait. Ça passe par la main de Greg Beugnot, par Marc Lefebvre. La mairie de Villeurbanne qui était très proche de son équipe de Basket parce qu’il y avait une espèce de communion avec les fans, avec les institutions politiques, les sponsors. L’ASVEL, c’était l’équipe du peuple. Et la victoire c’est d’avoir respecté et porté notre identité pendant des années et surtout d’avoir su créer ces liens avec les fans et avec tout le monde.

« On a marqué les esprits sur une courte période »

BR : Vous étiez « coincés » avec l’ASVEL entre deux places fortes du foot que sont l’ASSE et l’OL.

AD : C’est là qu’est l’exploit parce qu’on est en compétition directe ou indirecte avec l’OL, on est là, on est sur les mêmes plates-bandes. Eux et nous faisons des résultats et ça n’empêche pas que les gens viennent à la Salle de la Maison des Sports, et plus tard à l’Astroballe. On a marqué les esprits sur une courte période.

BR : Comment avez-vous créé votre identité de joueur à Villeurbanne ?

AD : J’étais quelqu’un d’assez émotionnel, comme je l’ai dit au début de l’interview. Je suis quelqu’un issu des playgrounds. Alors porter le maillot vert. Parce que quand tu es gamin, que tu portes le maillot de petites équipes locales et que tu joues contre l’ASVEL, c’est pour toi un rêve de revêtir la tunique verte. Tu as envie d’être comme eux, de briller de te faire reconnaître. Tout s’est accéléré, j’ai vécu un rêve. Jamais je n’aurais pu imaginer que tout se passe tellement vite, que je joue mon premier match pro deux ans après mon arrivée à l’ASVEL. La passion était là, la faim, le désir d’apprendre et de réussir, tout était présent. Après, le côté physique, j’étais un bosseur hors norme et c’est ce qui m’a permis d’intégrer l’effectif pro assez rapidement. J’étais bien, j’étais confortable, mais je me mettais en danger parce que j’étais comme ça, parce que j’aimais travailler, plaire à Greg Beugnot pour qu’il m’utilise en pro à chaque rencontre, ce n’était pas toujours le cas. Mais je forçais un peu la donne. Gamin, j’avais des posters de Willie Redden, de Christophe Dumas, de Leslie Reynolds, Abbas Sy, Ils étaient mes héros et le fait d’être avec eux sur le même terrain, partager des moments, des victoires, des défaites. C’était magique.

« j’étais un bosseur hors norme et c’est ce qui m’a permis d’intégrer l’effectif pro assez rapidement »

BR : Quels étaient vos joueurs modèles à cette époque de votre carrière ?

AD : Moi, j’étais fan de Christophe Dumas. Pour nous, Christophe Dumas, c’était le grand frère. C’était le modèle. C’était le sérieux, le gars appliqué, le professionnalisme à son paroxysme. Jamais en retard, jamais un mot de travers, toujours à fond. Il avait un charisme. Il avait une copine et il avait une voiture. Donc, tu vois, quand t’es gamin, tout ça, c’est des détails qui motivent, tu te transposes et tu as envie d’être comme lui. Après, dans le jeu, moi, c’était Leslie Reynolds, l’athlète à l’état pur. C’était le feu quand il prenait un rebond et qui traversait tout le terrain pour finir avec un smash. Il mettait des trois points, il était spectaculaire et il faisait des passes aveugles. C’était magnifique. C’était un arrière gaucher dont j’ai hérité du numéro 10. (NDLR : Leslie Reynolds, américain naturalisé qui joua à l’ASVEL de 1983 à 1993, est malheureusement décédé d’un accident de la route en 1996).

ASVEL - Le Progres

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BR : Et côté joueur NBA ?

AD : La réponse est simple. C’est Michael Jordan que j’ai découvert sur la fameuse cassette que mon ami a ramené à la maison. Et voilà, j’ai envie d’être comme le 23, de me raser comme le 23, de marcher comme le 23, de mâcher son chewing gum comme le numéro 23. J’avais envie de tout faire comme le numéro 23. Quand t’es gamin, tu penses que tout est possible. Je me suis autorisé à rêver et je pense ça m’a porté jusqu’au niveau professionnel parce que j’étais un grand passionné et j’étais un fou de Jordan. J’ai visionné tellement de cassettes que je savais exactement ce qu’il allait faire, à tel moment et à tel endroit sur le terrain.

BR : Nous sommes au moment de la sortie de The Last Dance. J’imagine que vous avez dû passer dix bonnes heures sur Netflix ces dernières semaines.

AD : J’aurais aimé regarder ça d’un coup. Ce n’était pas possible, alors je n’ai pas regardé ça tous les lundis, comme tout le monde. Le documentaire c’est du très, très lourd.

BR : A l’époque, Georges Eddy commentait le basket français et il faisait quelques parallèles entre vous et Michael Jordan, concernant l’esthétisme, la façon de jouer, le poste de deuxième arrière, spectaculaire, star dans son championnat. Entendiez-vous souvent cela à l’époque ?

AD : Toutes proportions gardées, bien sûr, mon côté spectaculaire, le fait que je me sois rasé le crâne assez tôt et j’ai eu quelques discussions en face à face avec Georges Eddy, il m’a demandé qui était mon idole. Et donc il m’a encouragé à travailler. Ça n’a pas été une tâche facile de vouloir imiter un joueur comme Michael Jordan. Mais bon, moi, j’ai été inspiré du début de ma carrière jusqu’à la fin. C’était une icône, un phénomène culturel. Quand tu es gamin, tu te dis que tu pars avec un avantage, avec une avance de 10 points quand tu portes ses chaussures, ce genre de choses. C’est ce qui c’est ce m’a porté. Côté championnat de France, il y avait des joueurs comme Moustapha Sonko, un de mes meilleurs amis, Stéphane Risacher, des joueurs forts athlétiquement. Mais voilà, avec Jordan, la comparaison est assez rapidement hors contexte.

« Ça n’a pas été une tâche facile de vouloir imiter un joueur comme Michael Jordan »

BR : Et pour finir sur la période villeurbannaise, il y a eu 3 moments fantastiques : un titre de MVP français, votre participation au Final Four de l’Euroligue, avec une équipe à majorité française (2 américains à l’époque par équipe) et contre des mastodontes et puis votre draft par les Hawks en 1997. Quel était votre objectif de vous inscrire à la Draft, c’était un coup pour voir, ou vous aviez quelques certitudes ?

AD : Non, je n’avais aucune certitude. Je savais que quelques équipes étaient venues me scouter plusieurs fois sur Lyon. Je savais que les Clippers de Los Angeles étaient venus plusieurs fois. Atlanta allait venir notamment sur un quart de finale en Euroligue contre Efes Pilsen. Oui, je savais, je savais tout ça, mais en même temps, j’étais assez réaliste. Je savais que pour me faire drafter au premier tour, il fallait accomplir certaines choses. Il fallait que je sois beaucoup plus régulier dans mon shoot, beaucoup plus fort défensivement, physiquement. Essayer de perdre moins de balle et d’être moins, comme on va dire, feu follet, moins nerveux. Parler moins avec les arbitres. Enfin, j’avais un tas de choses à changer ! Mais j’ai essayé de mettre tous les atouts de mon côté. Je pense avoir fait ce que je devais faire, mais ça n’a peut-être pas suffi pour faire le pont en NBA. Mais déjà, me faire drafter à l’époque, c’était grand. C’était un accomplissement. À l’époque, je n’étais pas très satisfait parce que je me suis fait drafter au deuxième tour. J’étais un petit peu vexé.

BR : Est-ce qu’à l’époque aussi seuls les contrats des joueurs pris au premier tour étaient garantis ?

AD : Oui. C’est ce que je recherchais, un contrat garanti. Et quand t’es jeune le système, tu ne le connais pas sur le bout des doigts. J’ai pris ça comme un affront. Mais après, c’est la réalité. Il faut faire avec. Et puis, je me suis promis d’être MVP français. C’est ce que j’ai fait. Je pense avoir rempli ma part du contrat. Après, c’est une suite de circonstances. Je n’ai pas pu réaliser mon rêve en NBA, mais je ne regrette presque rien.

BR : Quand on regarde votre carrière européenne, effectivement, il n’y a pas de quoi rougir, ni grand-chose à regretter. En 1999, vous décidez de quitter la France. Vous vous faites « draguer » par une des plus grosses écuries européennes, le FC Barcelone. Vous avez passé trois ans là-bas, au milieu de joueurs en pleine ascension comme Sarunas Jasikevicius ou Juanca Navarro. Comment l’avez-vous vécu ? Quel était votre rôle dans cette équipe de Barcelone ?

AD : J’ai été abordé par le Real Madrid en premier lieu et après, le Barça s’est aligné. On s’est rencontré lors du championnat d’Europe en France en 99. C’est là où il y a une interaction avec les dirigeants de Barcelone, avec le coach de Barcelone Aito Garcia Reneses , maintenant un bon ami à moi, une personne que je respecte énormément et qui m’a beaucoup apporté sur et en dehors du terrain. Et donc, à Barcelone, j’arrive un petit peu avec mes gros sabots parce que j’étais un joueur majeur dans le championnat de France et je pensais que ça allait être facile. Je n’avais pas beaucoup d’informations sur l’équipe, sur le style d’Aito, comment il utilisait ses joueurs. Tout était nouveau. J’essaye d’impressionner dès les premiers entraînements et les premiers matchs amicaux. Mais je suis tombé dans mes travers, jouer à l’envers, jouer trop vite, ce genre d’erreurs. Aito a alors décidé de me mettre sur le côté et m’a dit « Ici ce n’est pas le championnat de France, il va falloir qu’on révise certaines choses ». Au début, j’étais très vexé. En plus, je ne parlais pas espagnol. J’ajoutais donc la barrière de la langue, ce n’est pas l’espagnol qu’on apprend à l’école. Quand on arrive à Barcelone, il faut non seulement apprendre le catalan, mais il faut apprendre l’espagnol aussi. Donc, l’intégration ne s’est pas passée idéalement. Mais après, il faut mettre de l’eau dans son vin. J’ai travaillé. J’étais proche de certains joueurs locaux, notamment Rodrigo de la Fuente et surtout Roberto Duenas, avec qui j’avais beaucoup d’affinités.

« Je me suis fait abordé par le Real Madrid en premier lieu et après, le Barça s’est aligné »

BR : Un colosse aussi dur qu’il en avait l’air (2m21, 137kg) ?

AD : Non, c’est un bonhomme extra. Oui, il impressionne par son gabarit, on s’est connu jeune, on a été draftés la même année. On s’était souvent affrontés en sélection de jeunes France-Espagne. C’était marrant de se retrouver à Barcelone et on a tout de suite accroché. On était presque tout le temps ensemble et c’est vraiment quelqu’un de super doux. Bon, forcément, tu ne comprends pas quand tu le vois, mais il faut le côtoyer au quotidien, il ne s’ouvre pas à tout le monde. Mais j’ai eu beaucoup de chance de rentrer dans son cercle d’amis parce que c’est vraiment un super gars. Donc, pour reprendre, quand j’arrive à Barcelone, ma première année, c’est l’éclosion de Pau Gasol et de Juanca Navarro. Deux gamins de 17/18 ans qui viennent de remporter le Championnat du Monde Junior. Ils ont fait beaucoup de bruit en Espagne parce qu’ils ont battu les États-Unis en finale.

BR : Ils roulaient sur toute l’Europe à l’époque ?

AD : Ils ont été très, très forts. Ils ont fait une grosse perf’. Ils rentrent en Espagne, ils sont unis, reçus comme des dieux. Mais à ce moment-là, je ne me rends pas compte que la concurrence allait être aussi rude parce que j’avais mes acquis. Je suis un peu plus âgé que Navarro, j’ai cinq ans de plus que lui. Je me dis c’est bon, c’est un gamin et je vais en faire qu’une bouchée.

BR : Vous étiez sur le même poste, avec La Bomba ?

AD : Oui. Il était déjà très, très, très talentueux à l’époque. Il n’avait peur de rien et n’a pas froid aux yeux. Et puis Aito, forcément lui tend la main et essaie de propulser sa carrière. On ne peut pas lui en vouloir. C’est normal.

BR : Vous essayez d’accrocher le wagon ? Quelles conclusions tirez-vous de ces années ?

AD : J’essaie de rester dans le wagon, comme tu dis, et je suis resté trois ans à Barcelone. Il y a eu des hauts et des bas, beaucoup plus de hauts.

BR : Pourquoi ?

AD : Pourquoi ? Parce que j’ai changé, j’ai grandi en tant qu’homme. J’y ai rencontré ma première femme, mon premier garçon est né là-bas, à Barcelone. J’ai fait la rencontre d’un tas de joueurs et certains sont restés des amis encore aujourd’hui.

BR : Comme qui, par exemple ?

AD : Par exemple, Arturas Karnishovas, qui est le vice-président des Chicago Bulls depuis 2020, Rodrigo de la Fuente, avec qui on est toujours pote, Roberto Duenas pareil. Navarro, on s’est croisé il y a quelques années, on s’est un peu perdu de vue. Eftimos Rentzias, Francisco Elson, le néerlandais. On se parle souvent au téléphone. Avec Ademola Okulaja aussi.

« Ce qui m’a marqué, dès ma première année, c’est ce mix culturel et ethnique qui a fait notre force »

BR : Pour conclure sur cette période, comment pouvez-vous la résumer, nous dire ce qui vous a le plus marqué ?

AD : Ce qui m’a marqué, dès ma première année, c’est ce mix culturel et ethnique qui a fait notre force ensuite parce que nous avions un Français, un Grec, un Hollandais, un Serbe, un Lituanien. C’était magnifique de pouvoir tous s’entendre et de parler la même langue, celle du basket. Et puis surtout, on apprenait l’espagnol en même temps. Ça nous a rapproché un petit peu aussi et c’était des années vraiment magnifiques.

digbeu

©BasketEurope

BR : Est-ce à ce moment que vous avez créé un lien avec Sarunas Jasikevicius. Il est maintenant coach du Zalgiris Kaunas. Votre fils joue pour lui ?

AD : Mon fils est affilié avec le Zalgiris Kaunas mais il n’a pas pu jouer cette saison pour cause de blessure. Mais il est dans l’équipe.

BR : La période Barça s’achève. Avec vous l’équipe a été championne d’Espagne, votre premier titre national, vainqueur de la Coupe du Roi mais rien sur la scène européenne. Pourquoi avez-vous quitté le Barça ? Qu’est ce qui vous a fait partir pour la capitale, chez l’ennemi ?

AD : Chez l’ennemi, c’est ça. C’est une période assez dramatique pour moi dans le sens où je suis très bien à Barcelone, mais le problème, c’est qu’on n’a pas gagné. On n’a pas été champion d’Europe pendant 3 ans. On a fait deux Final Four, on a échoué. On a une bonne équipe, mais pas une grosse équipe. Je parle d’une époque où le basket européen est dominé par Maccabi Tel Aviv, le Panathinaikos, le Kinder Bologne. Pour exister, c’était assez dur parce notre équipe était jeune, talentueuse, certes, mais le manque d’expérience nous a trahi sur certains matchs. On est reparti bredouille deux fois, donc les catalans décident de prendre une nouvelle direction. Donc Aito doit partir et certains de ses joueurs aussi. Je fais partie du lot même si on a essayé de négocier une extension de contrat, le coach Pesic n’était pas très chaud parce qu’il avait son équipe en tête depuis très longtemps et qu’il arrive avec de très, très grosses pointures comme Fucka et Bodiroga. Voilà, ça a changé la donne.

BR : Vous avez tout de suite signé à Madrid ?

AD : Je n’ai pas tout de suite signé à Madrid parce qu’au bout de ma troisième année à Barcelone, Atlanta se manifeste, je me dis que c’est peut-être le moment d’aller en NBA. J’ai joué en summer league. Je ne suis pas pris. Je suis coupé au dernier moment.

« Avoir accepté de jouer la summer league avec Atlanta, ça m’a forcément fermé la porte en Europe »

BR : A ton sens, légitimement ou pas ?

AD : Je ne sais pas, c’est compliqué. Je n’ai pas forcément brillé. Il y a aussi des choix, on va dire, des agents qui ont mis la pression pour que certains joueurs soient pris. J’ai manqué d’un peu de chance et de réussite, mais ça fait partie du jeu. Je me retrouve « les fesses à l’air » et le fait d’avoir accepté de jouer la summer league avec Atlanta, ça m’a forcément fermé la porte en Europe. Je laisse d’autres options européennes me filer entre les doigts. Je signe sur le tard au Real, par défaut, parce que c’est la seule offre que j’ai si tard pendant la présaison. Et voilà, je me retrouve au Real, pas content du tout d’y aller. J’y vais en reculant mais je voulais rester en Espagne. J’avais reçu deux offres en Espagne. Malaga, mais qui ne m’a pas attendu parce que je leur ai dit que je partais à Atlanta. Et donc, le Real est arrivé par la suite. J’ai loupé Bologne, le Dynamo Moscou aussi, qui ne voulait plus attendre. Le Real qui arrive en embuscade et qui veut me signer tout de suite. Donc ça a été dramatique pour moi. Je me suis même posé la question « est ce que je dois revenir en France ? ». Je n’ai pas signé où je voulais mais où je pouvais. Et ça, ça fait une grosse différence.

BR : Quel était le niveau de l’équipe du Real à cette époque ? Une des meilleures d’Europe comme aujourd’hui en 2020 ?

AD : Non, non, loin de là. Loin de là ! Il y avait des joueurs majeurs, des joueurs comme Alberto Herreros, qui faisaient partie des meilleurs shooteurs en Europe. C’est quelqu’un avec qui j’ai eu des débuts assez difficiles, on s’est « frotté » pendant mes trois années à Barcelone, c’était donc assez tendu. C’était dur les premiers mois parce que je n’ai pas été accepté.

« C’est simplement le fait que je venais de Barcelone. Ils ont voulu me donner une leçon »

BR : Ont-ils débuté sans vous la préparation. Ils avaient un schéma de jeu déjà établi ?

AD : Ce n’est pas au niveau du schéma de jeu. C’est simplement le fait que je venais de Barcelone. Ils ont voulu me donner une leçon. L’ironie du sort est qu’aujourd’hui, avec Alberto, on est très, très potes.

BR : Vous restez un an au club (2002-03), rester en Espagne est un choix ?

AD : Oui et surtout que je retrouve mon entraîneur de prédilection Aito à Badalone et là, on fait une grosse saison. On a une équipe de bras cassés, un mix de vétérans et de fougue, de jeunesse avec Rudy Fernandez et Henk Norel. Ça se passe bien, on fait la finale de la Coupe du Roi, on est en playoffs. Sur la scène européenne, on ne brille pas beaucoup, mais on fait des coups. Moi, j’étais bien. Pourquoi ? Parce que je savais où j’allais jouer, pour qui et comment. Comme j’avais à mon actif trois années avec Aito, je savais exactement ce qu’il attendait de moi. C’était donc facile de jouer à Badalone.

BR : Vous a-t-il donné le même rôle que vous aviez avec lui à Barcelone ?

AD : Un peu plus, beaucoup même. J’avais une liberté offensive, je prenais beaucoup plus de shoots à trois points, je pouvais mieux m’exprimer, comme je le faisais à l’ASVEL.

BR : La couleur (verte) du maillot y étais peut-être aussi pour quelque chose ?

AD : Peut-être, c’était bien. C’était une bonne année. Ç’aurait pu durer plus longtemps. Mais voilà, le club a eu des soucis financiers aussi, donc c’était compliqué.

BR : Vous avez joué avec un autre français, le meneur Stéphane Dumas. Et aussi avec Zan Tabak, Champion NBA avec les Rockets.

AD : Oui, on est très potes encore aujourd’hui. En ce moment, il est entraîneur en Pologne.

BR : Eté 2004, vous quittez l’Espagne. Contraint et forcé de partir en Italie ?

AD : Contraint, non, je n’ai pas trouvé ce que je cherchais. Varèse s’est manifesté assez tôt. Ça ne fait pas de mal. J’ai toujours aimé l’Italie. Je n’avais jamais joué en Italie auparavant et donc j’ai dit bon, on va tenter et je pense que j’ai réussi mon coup.

BR : Vous effectuez une belle saison ?

AD : 14 points, 5 rebonds. Mais c’était aussi un petit peu traumatisant. Pas un endroit facile pour les joueurs noirs. Ça a été compliqué, mais je suis resté. Je suis resté jusqu’au bout. J’ai tenu le coup. A Varèse, c’était très hardcore parce qu’il y avait des parasites dans les tribunes. J’ai entendu dire qu’aujourd’hui, ils ne sont plus là, je suis content. Je suis toujours un petit peu le club, ce qu’ils font. Je pense avoir laissé des bons souvenirs au niveau sportif. J’ai des amis encore là bas. J’ai peu d’amis, mais j’ai des amis. Et puis surtout, c’est une année où j’ai pu connaître des gars de ma génération qui ont brillé en Europe, comme Andrea Meneghin ou Sandro DePaul, donc aujourd’hui encore on est souvent en contact.

BR : Comment s’est déroulé l’important turn-over d’entraîneurs cette année-là?

AD : C’était compliqué parce qu’on a eu au début un jeune entraîneur (NDLR : Gianni Molina) qui était très un bon gars, vraiment un bon gars, un bon fond, mais qui manquait terriblement d’expérience. Et il a été remplacé, par Ruben Magnano, très bon entraîneur argentin, entraîneur de la sélection argentine, donc une grosse expérience sur la scène internationale. Il arrive à Varèse et c’est le jour et la nuit parce que tu passes d’une flexibilité totale, liberté totale et tu rentres après dans un système rigoureux. Le caractère argentin fait que tu parles durement, sèchement. Pour moi, l’avantage de parler espagnol me permettait d’avoir la primeur de l’info. Mais c’était bien. Hormis les problèmes hors terrain à Varèse, sportivement ça s’est très bien passé.

BR : Vous retournez en Espagne après cette saison italienne, C’est un choix de votre part ?

AD : J’arrive sur une fin de saison à Varèse où je romps le contrat parce qu’on ne fait pas les playoffs. Je suis libre entre la fin du mois d’avril et le début mai. Je me dis pourquoi rester là ? Pourquoi rester en Italie à ne rien faire ? Autant intégrer une équipe et faire des playoffs, essayer donc d’investir pour les années à venir. Tu vois, là, il y a Alicante qui se manifeste. Séville aussi s’était manifesté. J’aurais peut-être dû aller à Séville. A Alicante, ça s’est bien passé, mais sans plus. Ce furent trois années difficiles au niveau perso, au niveau sportif. Et voilà, ce n’est pas un choix que je valide à 100%. Mais parfois, il y a des accidents de parcours dans la vie. Alicante ne reste pas un épisode très réjouissant pour moi.

« Moi, je suis quelqu’un qui dit les choses en face »

BR : Il y a eu un intermède à Bologne ?

AD : Voilà exactement, lors de ma deuxième année. J’ai eu une petite altercation avec l’entraineur d’Alicante. Moi, je suis quelqu’un qui dit les choses en face. Je lui ai dit clairement. Il n’a pas apprécié mon honnêteté devant tous les joueurs. Ça m’a coûté ma place. Ça m’a coûté un mois et demi sur le côté pour m’entraîner avec l’équipe à ne pas jouer. Cette année-là, heureusement il y avait Moustapha Sonko avec moi et ça me permettait de me changer les idées, après les entraînements et les matchs.

BR : Quel était son nom ?

AD : C’était Trifon Poch. C’est un coach bizarre, qui avait toujours raison et qui masquait toujours ses défauts. Et moi, je n’en pouvais plus. Parce que j’ai joué avec des grands joueurs et pour de grands coaches. Je n’aime pas la mascarade, ce n’est pas mon truc, je l’ai dit, j’ai payé, j’ai même payé cash. Mais ça m’a permis d’un côté de retrouver l’Euroligue avec Bologne (NDLR : à partir de Décembre 2006). Donc je me dis à un moment donné, j’ai bien fait d’aller au clash. Ça m’a permis de retourner en Italie, de jouer pour Ergin Ataman, de me faire de nouveaux amis, jouer avec des coéquipiers de renom.

BR : Qui donc ?

AD : À l’époque à Climamio Fortitudo Bologne, il y avait Tyus Edney, Moochie Norris, qui a eu une grosse carrière à Houston. Les jeunes, Marco Bellinelli, toujours en NBA aujourd’hui, Stefano Mancinelli qu’on attendait un peu plus haut, très talentueux, mais très fainéant, donc pas de surprise. J’étais avec Jérôme Moïso, Vasco Evtimov, David Blutenthal, grand shooteur du Maccabi Tel-Aviv. On avait une bonne équipe et ça m’a fait du bien à mon ego de retrouver l’Euroligue.

BR : Et après cet intermède à Bologne, direction Alicante ?

AD : C’est ça. Mais en deuxième division, par contre. Le club est descendu entre temps. Donc moi, j’étais en Italie, le club plonge mais je suis sous contrat. J’essaie de prolonger à Bologne (NDLR : Alain était prêté par Alicante), mais ça a été la bagarre entre Ataman et la direction. Ataman s’est fait virer. Ils ont essayé de placer un Italien à la tête. La prolongation de contrat a été compromise et il me reste un an de contrat avec Alicante à cette période. Côté personnel, vie privée, je me sépare de ma femme à ce moment-là, j’ai privilégié le fait de rester proche de mon enfant, c’est la raison pour laquelle je reste à Alicante.

BR : Et après cette saison en D2, vous découvrez nouveau pays en 2008-09, La Grèce et le club de Kavala. Au moment de préparer cet entretien, nous n’avons pas trouvé beaucoup d’infos sur cette période, mais l’on note que l’histoire tourne court. Avez-vous vécu la même mésaventure qu’Arsène Ade Mensah, par exemple, qui a commencé à jouer mais n’a pas été payé ?

AD : C’est la Grèce du basket. C’est malheureux à dire non, mais c’est un système qui perdure. Malheureusement, ce sont des habitudes de vie qui sont encore là aujourd’hui. Et je n’ai pas joué pour une grosse équipe en Grèce, j’ai joué pour Kavala,  c’est à côté de Salonique et ça a été compliqué, je me suis aperçu que c’était une maison en carton. J’ai fait mes valises au bout de trois mois et demi, quatre mois. Mais encore une fois, quand je regarde le côté positif, j’ai fait la connaissance Pape-Philippe Amagou, un super mec. Et puis j’ai pu apprendre le grec. Je parle six langues, donc je suis. J’ai appris le grec en un temps record. Ça permettait de m’occuper un petit peu au quotidien parce que le basket, ça n’allait pas du tout. Je n’en garde pas un souvenir passionnant mais voilà, il y a des choses qui se sont passées hors terrain, qui ont été très agréables.

« Je parle six langues »

BR : Où achevez-vous la saison ?

AD : Je finis la saison à Pau-Orthez (NDLR : à partir de février 2009). Ce n’est pas un petit moment, c’est un gros moment de flottement parce que je perds un petit peu le contrôle de ma carrière. C’est la profession qui décide pour moi de mon futur, donc, c’est là où ça commence à être dangereux. Ça a été un tournant dans ma carrière, notamment par rapport au fait que je suis lyonnais, j’ai bataillé maintes fois contre Pau-Orthez et de me retrouver à porter ce maillot a été un peu paradoxal, mais encore là-bas, je rencontre un ami d’enfance, Slaven Rimac. J’ai des amis sur Pau, la propriétaire de mon appartement, je suis encore ami avec elle aujourd’hui. C’est marrant, donc il y a des choses dans la vie que tu ne peux pas prévoir. Il faut s’adapter. Et puis, il faut tirer parfois le côté positif de moments difficiles.

BR : La saison ne se finit pas bien, l’équipe descend en Pro B. Vous avez joué à cette époque-là avec Thomas Heurtel, c’est lui qui vous suit la saison suivante à la SIG Strasbourg ?

AD : Je crois qu’il part à Strasbourg par lui-même. Il a fait une bonne saison. Moi, j’ai fait trois bons mois avec Pau. J’ai fait de belles choses. J’étais là-bas pour faire jouer l’équipe, pour courir, prendre des rebonds, faire partager mon expérience, tout ça. Au final, j’ai quand même des stats acceptables et c’est ce qui me permet de trouver un contrat à Strasbourg. J’étais très bien à Strasbourg.

BR : A Strasbourg, étais-ce le même schéma que vous avez connu à Villeurbanne ? Jouer pour une équipe qui va devenir une très grosse équipe. Comment cela s’est-il structuré ? Il y avait aussi des jeunes très forts avec Thomas Heurtel, Axel Toupane là-bas. C’était juste avant l’arrivée de Vincent Collet. Vous sentiez que l’équipe allait prendre un virage positif et devenir la grosse équipe qu’elle a été entre 2010 et 2018 ?

AD : Non, je ne le sentais pas. Je ne pouvais pas le voir venir parce que j’étais dans le projet. Frédéric Sarre m’a intégré dans son projet. C’est quelqu’un avec qui j’ai gardé un bon rapport et quelqu’un qui a été très honnête avec moi pendant presque deux ans. J’aurais aimé que l’aventure continue. Le club a pris une autre direction, moi à Strasbourg je suis dans un rôle de grand frère, en fin de carrière. J’essaie de ne pas trop tirer la couverture à moi. J’aurais pu le faire, mais là, il y a des joueurs qui se sont logiquement beaucoup plus mis en avant que moi, les référents en attaque. Moi, j’ai toujours été un des premiers référents défense. En attaque, le ballon ne se dirigeait pas forcément vers moi, mais voilà, j’essaie de partager mon expérience. Donc Sacha Giffa, Steve Essart et moi on était les trois doyens de l’équipe et je pense qu’on a fait du mieux que l’on pouvait. Après, l’équipe n’était pas extrêmement talentueuse. On a manqué de rigueur sur la première année. On a loupé le coche des playoffs de très peu, mais j’en garde quand même un bon souvenir, de Strasbourg. Parce qu’encore une fois, il y a eu les choses hors terrain qui se sont passées, il y a la réalité de l’âge, la réalité de la succession des joueurs derrière toi qui arrivent et qui donnent un gros coup dans la porte pour essayer de rentrer. Il faut accepter un tas de choses, mais moi, j’étais confortable dans mon rôle. Je sais que j’aurais pu donner beaucoup plus, mais j’ai accepté mon rôle de grand frère.

Strasbourg - G. Varela

©G. Varela

BR : Vous décidez alors d’arrêter votre carrière ?

AD : Non, ce n’est pas moi qui décide. C’est l’année du lock out NBA en 2011. Pour moi, à 36 ans, j’aurais pu me diriger vers la Pro B. J’aurais pu me diriger vers un petit projet en Pro A. J’aurais pu retourner en Italie. Mais c’est l’année du lock out et c’est très difficile pour moi de trouver une équipe à ce moment là-bas.

BR : Les conséquences d’un lock out NBA sont si importantes sur l’Europe ?

AD : Oui, tu as des clubs forcément qui essaient de mettre la main sur des joueurs américains avec un gros CV ou un bon CV. Donc des joueurs comme moi à 36 ans, on passe en deuxième, voire troisième plan. Ça a été difficile de trouver une équipe. Et puis, la vérité est que ma dernière année à Strasbourg (2010-11) n’a pas été flamboyante au niveau statistiques. Tout ça n’a pas joué en ma faveur. C’est comme ça, je n’ai pas arrêté comme je voulais, mais j’ai su rebondir. Ça a mis du temps pour rebondir. Je suis passé par des phases assez dures, même très dures, mais j’ai su rebondir pour la suite.

« Je suis scout aujourd’hui en 2020 pour une équipe NBA »

BR : Vous aviez d’autres projets que le basket ?

AD : Non, parce que tu comprends bien que ne pas décider de la fin de ta carrière, ça chamboule tout. Dans ton programme tu te dis mince, ben je suis en retard. Qu’est ce qui se passe ? Qu’est-ce que je dois faire ? Quelle est la prochaine étape ? Demain, je me réveille et je fais quoi ? Parce que pendant 20 ans, je me suis réveillé à 8 heures du matin pour aller m’entraîner à 10 heures, faire ma sieste, manger et aller jouer, performer, et ça pendant 20 ans. Donc, quand tu sors de ce schéma-là et que tu n’as pas préparé ta sortie, c’est là que c’est très, très dur. Donc moi, j’ai galéré pendant 2 à 3 bonnes années et puis finalement mes relations, mes connexions ont fait que je me suis retrouvé entraîneur de Galatasaray et j’avais espoir donc de devenir entraîneur professionnel mais j’ai pris une autre direction : le scouting NBA, donc je suis scout aujourd’hui en 2020 pour une équipe NBA.

BR : Laquelle est-ce ?

AD : Les Houston Rockets.

BR : Vous cherchez des petits qui shootent de loin ?

AD : Oui, des moyens aussi mais il faut que ça shoote, ça oui.

BR : C’est un travail salarié ou de consultant externe ?

AD : Salarié à plein temps. Je suis basé à Istanbul. Je scoute en Turquie en particulier et en Europe en général.

BR : Bravo : Barcelone, Madrid, Istanbul, que des villes magnifiques !

AD : J’ai eu de la chance. J’ai eu beaucoup de chance, ça, oui. Je suis super reconnaissant parce que j’ai eu beaucoup de chance de vivre dans des grosses villes, des métropoles et ça facilite ta vie au quotidien. Les transports, les voyages, on ne s’en rend pas compte. Mais voilà, c’est un gros gros avantage d’habiter dans des grandes villes.

BR : Là s’arrête votre carrière de joueur professionnel, on va parler un peu de l’équipe de France si vous le voulez bien. Selon les joueurs, la perception de la vie en équipe de France est très différente. Comment l’avez-vous vécue ?

AD : J’ai toujours rêvé de jouer en équipe de France dès mon plus jeune âge et quand j’avais 16, 17 ans. Mon ambition était tellement forte que j’essaie de mettre mon nez un petit peu partout. Pour moi, c’est un objectif. Quand j’ai intégré l’équipe de France des moins de 20 ans, pour moi, c’est une consécration, mais vraiment énorme. Je me rappelle, je me revois encore avant de me faire sélectionner, toujours griffonner sur un bout de papier, une hypothétique sélection de dos et je mettais les noms de mes potes, dont Pascal Perrier-David, Guillaume Granotier, Yann Fatien, des gars avec qui je jouais à l’ASVEL. C’était magnifique de porter le maillot bleu quand je me fais sélectionner en U20, c’est un rêve qui devient réalité. En équipe de France A c’est mi-figue, mi-raisin, je ne vais pas le cacher. J’aurais pu jouer le championnat d’Europe 97 en Espagne, mais j’étais blessé, je m’était fait une tendinite au genou. J’arrive sur le championnat d’Europe 99 et là, on a une espèce de dream team avec Antoine Rigaudeau, Tariq Abdul Wahad, Moustapha Sonko, Laurent Foirest, le regretté Ronnie Smith, Jim Bilba. Les places sont chères. C’était une bonne expérience dans le sens où rien n’est acquis, en fait. Encore une fois, j’ai appris une leçon parce que j’ai peut-être un statut, Barcelone flirte avec moi. Mais voilà, l’équipe de France, c’est autre chose et il faut accepter d’avoir un rôle moindre, moi qui a toujours le feu en moi et qui a envie de montrer, c’était dur de ronger son frein. Mais quand tu as Tariq Abdul Wahad devant toi, des joueurs établis comme Laurent Foirest, Stéphane Risacher, je m’estime au même niveau qu’eux, dans un rôle différent, avec des aptitudes différentes mais je pensais que j’aurais pu jouer beaucoup plus dans ce championnat d’Europe. Le fait aussi d’avoir décalé Antoine en poste 2 ça a pris un peu de mon temps de jeu. Mais bon, c’est une bonne expérience. Je fais une bonne sortie contre l’Espagne. Ça m’a permis de m’introduire un petit peu auprès des Espagnols, mais ce n’était pas suffisant. Et puis, la déception et la détresse m’ont fait dire certaines choses que je ne regrette pas mais ça, ça m’a coûté ma sélection pour Sydney.

« J’ai toujours rêvé de jouer en équipe de France »

BR : Vous êtes membre de l’équipe de France entre 1997 et 2005 mais en 2000, à Sydney, vous n’êtes pas sur la photo. Pouvons-nous vous demander pourquoi ?

AD : Je suis hyper content pour Tariq, Mouss et Makan. On est encore très pote tous les quatre, on s’est d’ailleurs fait un Facetime hier soir. Je ne vais pas mentir. Bien sûr que j’étais jaloux de Makan (NDLR : Dioumassi). Bien sûr que je me voyais à la place de Makan et Makan a mérité sa place, tout simplement. Il a été bon avec Le Mans à l’époque, j’étais à Barcelone, mais je ne jouais pas beaucoup. Mais c’est surtout dû aux traces que j’ai laissé à ma sortie du championnat d’Europe à domicile en 1999. Mais voilà, comme tu dis, je ne suis pas sur la photo, mais j’ai regardé tous les matchs et j’étais content pour mes potes qui étaient sur place, mais je ne te cache pas que j’aurais aimé y être avec eux.

AD - 1999 - EDF.

©FFBB

BR : Avez-vous gagné des titres en équipe de France ?

AD : Non. On est passé à côté de deux médailles en 99. On perd contre l’Espagne en demi-finale et pour le match pour la troisième place on joue contre la Serbie. On se fait étriper par une grosse équipe. En face, ils ont beaucoup plus faim que nous. Il y a Vlade Divac, Obradovic, Stojakovic, des grosses pointures du basket européen ou mondial. Pour nous, la déception l’a emporté, la défaite contre l’Espagne ne nous a pas  électrifié comme ça aurait dû l’être contre les Serbes. Et puis, en 2003 aussi, le fameux match contre la Lituanie, où on plonge. Mais entre-temps, il y a 2001, c’est une autre équipe, une équipe B. Il n’y a presque personne, Tony Parker qui fait ses débuts. Je finis deuxième meilleur marqueur de l’équipe à ce championnat d’Europe. On perd un match crucial contre l’Allemagne avec un Dirk Nowitzki phénoménal. On a fait ce qu’on a pu avec très peu de talent et d’expérience, mais quelque part, c’est un beau résultat quand même, cinquième ou sixième en 2001, Ça s’est joué sur un match en quart de finale contre l’Allemagne. Mais en 2003, très dur, très lourd. Et puis 2005, pour moi, c’est le clap de fin avec une indigestion de ma non-sélection pour le Championnat d’Europe. Ça, c’est quelque chose aujourd’hui que je n’arrive toujours pas à comprendre, même si Claude Bergeaud, par la suite, a essayé de s’expliquer. Je ne lui en veux même pas parce que le temps passe. Mais voilà, je n’ai pas compris pourquoi je n’ai pas fait partie de cette équipe en 2005.

« Je suis le premier en France, il faut que ça soit clair »

BR : On vient de retracer votre carrière, avez-vous eu un surnom durant ta carrière ?

AD : Grâce à Georges Eddy on m’a connu en tant qu’Air France.

BR : Vous êtes le premier Air France ?

AD : Oui, oui, je suis le premier en France, il faut que ça soit clair. Sinon, rien d’autre. En Espagne, ils ont écorché mon nom c’était marrant. Ils m’appelaient Digbé. Je me suis adapté. ils n’ont jamais réussi à dire Alain mais Allen. Là aussi, je me suis adapté. C’était marrant. Mais non, Air France, rien d’autre. Ce qui est déjà pas mal.

BR : Au niveau héritage, la dynastie Digbeu est lancée. Votre sœur joue encore en Pro ?

AD : Non, elle a pris sa retraite. Mon fils est derrière. Il est dans les starting blocks. Il n’a pas pu jouer cette saison, donc il attend la nouvelle saison avec impatience.

BR : Il comptait se présenter à la Draft 2020 ?

AD : Ce n’est pas vraiment le moment de se présenter, plutôt en 2021. Il est arrière/meneur.

BR : De coutume, chez Basket Retro nous laissons le mot de la fin à notre invité.

AD : L’interview est géniale merci de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer, comme je n’habite pas en France. Il y a quelque chose sur lequel j’aimerais revenir : mon histoire est extraordinaire parce que je viens de nulle part et avoir réussi, j’espère que ça va montrer la voie à d’autres jeunes. Mais sans certaines personnes, je n’aurais jamais pu vivre tout ce que j’ai vécu. Je pense à mon père, Greg Beugnot, Marc Lefebvre, Patrick Maucouvert. Sylvain D’Amico, Pascal Perrier-David, Laurent Pluvy : Ce sont ceux qui m’ont poussé et qui ont été à mes côtés. Pour moi, tout ça a été une aventure extraordinaire, tout simplement extraordinaire, parce que j’ai rêvé, beaucoup. Certains de ces rêves se sont réalisés. Le rêve m’a donné tellement de force que je me suis toujours senti planer, surtout pendant mes années à l’ASVEL. C’est une bonne occasion pour moi pour remercier toutes ces personnes.

Propos recueillis par Arnaud Lefèvre pour BasketRetro.

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