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[ITW] – Paoline Ekambi « Ma Promesse en Héritage »

Interview

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro

Paoline Ekambi, c’est l’une des plus grandes joueuses du basket-ball français, détenant pendant plus de 20 ans le record de sélections en bleue, avec 254 rencontres, de 1980 à 1993. Elle est également la première joueuse française à traverser l’Atlantique pour rejoindre la NCAA, le championnat universitaire américain. Mais aujourd’hui il ne s’agira pas d’évoquer sa riche carrière, bien connue des lecteurs de basket-retro, évoquée à plusieurs reprises en ces lieux.

À l’occasion de la sortie de son ouvrage autobiographique, « Ma Promesse En Héritage », co-écrit avec la journaliste Liliane Trévisan aux éditions Amphora, Paoline y raconte le terrible drame de l’inceste, qu’elle a subi adolescente. Un livre remarquablement bien écrit, aussi poignant que révoltant, et ayant le mérite de mettre en lumière un sujet encore trop peu abordé. Entretien.

Basket Retro : Tout d’abord, sur la création du livre, dans un entretien pour TV5 Monde tu signalais que tu travaillais sur cet ouvrage depuis 2018 : il est sorti le 18 avril. Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as co-écrit cet ouvrage avec Liliane Trévisan, journaliste et ex-Grand Reporter à L’Équipe ? Quelle est la genèse de ce projet et quelles sont tes principales motivations ?

Paoline Ekambi : Jusqu’à l’âge de 14 ans j’ai eu une vie à peu près normale. Ensuite, j’ai intégré l’INSEP au même âge. J’étais super heureuse. Un peu plus tard dans la même année ma vie va changer, elle deviendra un enfer, car je serai victime d’inceste par mon père jusqu’à mes 18 ans.
Avec Liliane Trévisan, qui m’a suivi sur les parquets depuis mes 17 ans, et femme très engagée sur les sujets de violences sexuelles intrafamiliales, dans le sport et au-delà…, nous avons décrit comment j’ai surmonté le traumatisme de l’inceste et puisé ma résilience à travers le basketball.
Mais avant d’arriver à l’écriture du livre « Ma promesse en héritage », il m’a fallu surmonter un long parcours de reconstruction qui a été chaotique et très douloureux.

J’ai toujours exprimé mes douleurs, mes angoissantes par écrit. J’ai commencé à rédiger mon manuscrit au fur et à mesure que ma mémoire traumatique se mettait en place. Il a fallu que je l’affronte, car il fallait que je sois suffisamment prête, suffisamment forte pour le faire. J’ai toujours écrit mes douleurs, mes colères, mes pensées bien enfouies, depuis très jeune. C’était mon seul moyen d’expression, puisque l’on m’étouffait dans mon silence : j’avais besoin d’expulser cette douleur, donc j’écrivais. Le sport m’a permis de canaliser cette douleur et l’exprimer sur un terrain où je me sentais libre et en sécurité. Cela prend du temps d’écrire, car cela prend du temps de se reconstruire. Le sport de haut niveau, la reconversion, la vie personnelle m’ont pas mal accaparé. Depuis le mouvement MeToo, la parole s’est libérée. Depuis, il y a eu de nombreux médias qui consacrent des sujets sur à la pédocriminalité et les viols intrafamiliaux. Le grand public découvre un fléau mondial qui touche toutes les strates de la société.

En 2021, je reçois dans ma boîte mail, une newsletter de France Inceste, dont je suis abonnée depuis de longues années, pour signer une pétition pour supprimer le délai de prescription pour les viols et l’inceste. C’est en découvrant les chiffres de l’inceste (voir chiffres de l’INSEE en fin d’interview, ndlr) que j’ai eu un choc ! J’étais furax ! Sur le coup de la colère que les agresseurs puissent s’en sortir à cause de la loi sur la prescription, alors que pour les victimes c’est perpète, j’ai aussitôt partagé cette pétition sur mon compte Facebook. J’ai accompagné la pétition en écrivant quelque peu mon histoire et en incitant les gens à signer cette pétition. Et le lendemain, en vérifiant les chiffres des signataires, je me rends compte de l’ampleur de cette publication, les gens découvrant mon histoire, surpris par le fait que j’ai fait ma carrière en portant ce trauma en silence. J’ai aussi reçu de nombreux témoignages de sportifs.ves qui ont eux-mêmes été victimes d’inceste. Liliane Trévisan faisait aussi partie des personnes surprises par ma révélation, elle qui m’avait accompagné tout au long de ma carrière, depuis mes 17 ans, et me propose d’en discuter. Je t’avoue que je n’étais pas très prête pour cela, il fallait que je digère dans un premier temps tous ces retours, que je n’attendais pas. On a tout de même fini par échanger, et elle m’a demandé si j’acceptais de parler de mon histoire à travers un article dans l’Équipe. Comme je savais Liliane très engagée sur les sujets de violences sexuelles dans le sport et au-delà, et que j’avais confiance en elle pour respecter l’esprit dans lequel je souhaitais partager mon histoire personnelle, j’ai accepté. Et l’article est paru en février 2021, dans lequel j’ai évoqué mon projet de livre, dont j’avais déjà écrit le manuscrit.

Quelques mois après, la maison d’éditions Amphora, à laquelle j’ai envoyé mon manuscrit, accepte de l’éditer. Je suis dans les locaux d’Amphora, qui me propose une personne de leur vivier pour co-écrire mon livre, où d’en trouver une de mon choix. Je leur donne aussitôt celui de Liliane Trévisan, Amphora la connaissait bien et à tout de suite approuvé ce choix. Je devais leur donner la réponse de Liliane très rapidement, j’ai aussitôt appelé Liliane en lui donnant 5 minutes pour me répondre. Je dois dire que je l’ai bousculé et je ne lui ai pas donner le temps de réfléchir. Elle a accepté. Nous étions en route vers l’écriture du livre « Ma promesse en héritage » !

Paoline Ekambi – crédit photo Marie Lopez- Vivanco 2024

BR : Au-delà de ton témoignage direct, qu’aimerais-tu transmettre au lecteur ?

PE : La pratique du basket m’a permis de canaliser ma colère et ma douleur pour les transformer en quelque chose de positif. Le basket décupler ma motivation à m’en sortir, à développer mon mindset, et à me libérer de l’emprise toxique que mes parents défaillants avaient sur moi.
Sur les terrains de basket, je me sentais libre, entourée et portée par le collectif, je n’avais plus peur, j’étais en sécurité ! Lorsque j’ai craqué après un entrainement à l’INSEP, j’ai eu une écoute bienveillante et sans jugement de la part du DTN ; Joé Jauney et mon coach de l’époque, Jackie Delachet. Pour la première fois, je suis face à de la bienveillance et cette écoute sans jugement m’a probablement sauvée la vie. Avec leur aide, je m’investis à 100% dans le sport car je sais que c’est le ticket vers mon émancipation et ma liberté. Je me réapproprie mon corps et en fait un instrument de guerre. À 18 ans je signe mon 1er contrat professionnel au Stade-Français Paris Basket. J’ai désormais un salaire et un appartement et réussit enfin à me libérer de l’emprise de mes parents toxiques. Sans le sport et l’écoute bienveillante de mes coaches, je ne serai pas là pour raconter aujourd’hui mon histoire.
La révolte, la colère, la résilience, les rêves, le sport de haut niveau et l’espoir sont venus défier la noirceur de l’inceste, ce fardeau bien trop lourd à porter et cette souffrance indescriptible vécue dans une totale solitude intérieure.
Longtemps, j’ai éprouvé une profonde colère et une immense douleur qui rongeaient mon être tout entier. Puis, grâce au sport de haut niveau, j’ai appris à les apprivoiser et à les transformer en rage de vaincre. Cette douloureuse épreuve et ce long combat ont révélé la femme que je suis devenue aujourd’hui et mon humanité.

Le basket est bien plus qu’un sport !

Le sport de haut niveau c’est bien plus que la gloire et les médailles. Le sport peut jouer un rôle significatif dans le processus de reconstruction des victimes d’inceste, l’empowerment, l’épanouissement individuel et établir des liens sociaux positifs avec d’autres personnes partageant des intérêts similaires, ce qui peut être crucial pour leur rétablissement émotionnel.

Le sport peut donner aux survivants d’inceste un sentiment d’empowerment et de contrôle sur leur corps, en contrastant avec les sentiments d’impuissance souvent associés aux expériences traumatiques. J’aimerai aussi souligner l’importance de sensibiliser, informer et former les coachs, encadrants, bénévoles, dirigeants, parents des jeunes sportifs.ves dans les clubs sportifs, les pôles France, les centres de formations ou à l’INSEP à identifier, garantir une écoute et recueillir la parole de ceux-celles dont ils ont la charge, qui subissent des violences sexuelles dans le monde du sport et intrafamiliales pour les signaler et les orienter vers des spécialistes.
On parle beaucoup de plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le sport en parlant des pédocriminels, mais on devrait rajouter « intrafamiliales » car autour de nous il y a beaucoup de sportifs.ves de haut niveau, quel que soit le sport, qui sont ou ont aussi été victimes d’inceste. Pendant ma carrière sportive, j’ai très peu parlé de l’enfer que je vivais dans ma famille parce-que dans le sport de haut niveau on ne montre pas ses faiblesses. Et pourtant, il m’est souvent arrivée de m’écrouler émotionnellement ce qui a parfois affecté ma performance sportive et suscité l’incompréhension de mon entourage sportif.

La santé mentale des sportifs est une préoccupation croissante. Bien que les sportifs de haut niveau bénéficient souvent d’un soutien professionnel et des ressources pour leur développement physique et mental, ça ne suffit pas.

Il est crucial de comprendre pourquoi des sportifs à fort potentiel s’écroulent, pour les aider à surmonter les problèmes personnels auxquels ils sont parfois confrontés et leur garantir un soutien adéquat en matière de santé mentale pour améliorer leur bien-être psychologique et émotionnel.

BR : Il y eu le mouvement #MeToo, l’affaire Weinstein, les témoignages et livres de Flavie Flament (2016), Vanessa Springora (2020), Camille Kouchner (2022)… maintenant ton livre. Quelle est la suite pour le combat contre les violences sexuelles à la lumière ces témoignages ?

PE : Le mouvement MeToo a accélérer la libération de la parole et c’est une bonne chose pour faire bouger les lignes. Et en même temps, il faut que la justice agisse plus vite que ça, car lorsqu’on connaît les chiffres :
1 sur 5, 20% de nos enfants sont victimes d’inceste. Concrètement ça signifie que dans chaque école, chaque classe, de 3 à 5 enfants sont ou ont été victimes aux moins une fois de VIOLences sexuelles.
Ces chiffres ont été publiés en 2016.
C’est la synthèse glaçante des études initiées par le Conseil de l’Europe qui veille sur les droits de 800 millions de citoyens. Ça fait 166 millions de victimes.
En France il y a 67 millions d’habitants, les victimes de VIOLences sexuelles sont potentiellement plus de 10 millions. 10% des Français, 78% de femmes, 22% d’hommes, 3 enfants par classe de 30 enfants.
C’est sans compter ceux qui ne se sont pas encore déclarés et ceux qui se sont suicidés. 32% des Français disent connaître au moins une victime d’inceste dans leur entourage, et 29% d’entre eux déclarent que cette personne victime qu’ils connaissent, c’est eux. (source IPSO)
J’en fait partie.
Cela fait combien de prédateurs ? Mathématiquement plusieurs centaines de milliers ! Les violeurs d’enfants sont donc là parmi nous. (voir 1 sur 5 le film contre la pédocriminalité de Karl Zéro)
Ils ont su mettre en place, à tous les niveaux de la société, une véritable machine à étouffer la vérité pour continuer à abuser d’enfants impunément !
Ils ont commis des dégâts irréparables depuis des générations. Nous sommes face à un véritable fléau social.

Il faut de plus en plus de voix qui s’élève pour que la peur change de camp. La justice est bien trop indulgente dans notre pays envers les agresseurs. Je n’aime pas le terme «présumé innocent » pour les agresseurs. C’est insupportable pour les victimes qui doivent sans arrêt prouver, sachant que leur mémoire est parfois morcelée le temps de la guérison, cela prend quelques années. Je suis contre la prescription, car pour les victimes c’est perpette !
Lorsque l’on a été victime… dans mon cas j’avais 14 ans et demi, c’était en 1976, nous sommes en 2024, la société  commence seulement à écouter et à sortir du déni, mais on a encore une justice qui marche sur la tête.

Ne pas agir vite, c’est de la non-assistance à enfance en danger ! La justice doit changer, elle est bien trop complaisante envers les agresseurs. Je n’aime pas du tout la notion de présumer innocent pour les agresseurs Il faut faire évoluer la loi du côté des victimes. ça suffit stop aux viols !

Aujourd’hui, j’ai choisi d’ajuster ma vie à ce combat contre l’inceste que détourner mon regard de la souffrance des enfants! J’ai toujours voulu transformer mon trauma en combat pour donner l’espoir aux victimes qu’on peut s’en sortir grâce au sport et sensibiliser la société sur les ravages de ce crime
odieux qui tue psychologiquement les/nos enfants.
La société c’est nous et nous avons le pouvoir ! Ensemble, nous avons le pouvoir de donner de la voix aux sans voix pour combattre et forcer la reconnaissance de ce crime, oui car c’est un crime qui fracasse des vies entières, c’est même la négation de l’enfant. Soyons des sentinelles pour protéger l’intégrité des/nos enfants pour leur bien-être, car ils sont notre promesse d’avenir ! Les petites actions individuelles, cumulées, deviennent de grandes victoires collectives pour contribuer à un monde meilleur. C’est le combat à mener tous ensemble aujourd’hui.

« La pire des souffrances est de ne pas comprendre » – Carl Gustave Yung

BR : As-tu trouvé des réponses du côté de la famille de ta mère, qui n’apparaît pas dans le livre, contrairement à certains membres de la famille du côté de ton père ?

PE : Oui après ma carrière sportive, j’ai décidé qu’il était temps de rencontrer la famille de ma mère, que je connaissais peu. Et j’ai découvert des tantes formidables, pour lesquelles j’ai énormément d’affection et qui me le rendent bien. Je suis notamment très proche de ma tante ; la (fausse) jumelle de ma mère. On a beaucoup de points communs. Ma tante me dit souvent que je lui ressemble beaucoup, ce qui m’a rassurée, moi qui ne voulait surtout pas ressembler à ma mère ! Mes tantes sont des femmes formidables, pleine d’empathie, indépendantes et ouvertes d’esprit, au contraire de leur sœur ; ma mère. Mes tantes et cousins, lorsqu’ils ont su pour l’inceste, m’ont écouté et soutenu.  De même que certains membres de la famille au Cameroun,  lorsqu’ils ont su également. Il y en à même un qui s’est excusé de ce que mon père m’avait fait subir.

Paoline avec Liliane Trévisan

BR : Il y a beaucoup de témoignages de proches dans le déroulé de l’ouvrage, que tu as trouvés dans le cadre de la rédaction de ce livre. Il y a notamment des révélations incroyables que les lecteurs découvriront. Était-ce un choix délibéré de ta part d’aller retrouver ces gens des années plus tard ?

PE : C’est vient surtout de Liliane. Comme elle avait l’habitude de faire des reportages et des enquêtes, c’était indispensable pour elle d’avoir des témoignages extérieurs, pour que ce ne soit pas que ma parole, donc je la remercie pour cela , c’était un conseil éclairé, qui légitime ma parole.

 

Quelques chiffres clés pour comprendre la réalité de l’inceste en France :


-D’après le dernier sondage Ipsos réalisé pour l’association Face à l’inceste en novembre 2020, un Français sur 10 confie avoir été victime d’inceste, soit environ 6,7 millions de personnes. Cela représente trois élèves dans une classe qui en compte 30. Un chiffre en hausse, puisqu’en 2009, le nombre de victimes s’élevait à 2 millions, selon un premier sondage de l’institut.


-Selon un rapport de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) publié en novembre 2022, 74,4 % des victimes (hommes et femmes),
ayant subi l’inceste par un membre de leur entourage ont confié avoir confiance en leur agresseur.


-D’après le rapport de la Ciivise, 160.000 enfants sont victimes d’agressions sexuelles chaque année. Par ailleurs, un enfant meurt tous les cinq jours dans son environnement familial sous l’effet de ces violences sexuelles. La commission alerte également sur la grande vulnérabilité des jeunes en situation de handicap. Ces derniers ont un risque 2,9 fois plus élevé d’être agressé. Ceux qui souffrent d’une déficience intellectuelle y sont, quant à eux, 4,6 fois plus exposés.


-Selon Anne Clerc, Déléguée générale de l’association Face à l’inceste, « 70 % des plaintes déposées pour des violences sexuelles infligées aux enfants font l’objet d’un classement sans suite par le procureur de la République à l’issue de l’enquête ». Le plus souvent au motif que l’infraction est « insuffisamment caractérisée », ajoute-t-elle. Par ailleurs, la voix des victimes est très souvent inaudible par leur famille, alerte l’activiste : « Dans 9 cas sur 10, lorsqu’un enfant révèle l’inceste, la famille prend parti pour l’agresseur et rejette la victime au profit de la cohésion familiale. »

 

Paoline Ekambi est aujourd’hui conférencière et présidente / cofondatrice de Sportail Community, qui vise à « connecter les talents Sportifs de Haut Niveau, Professionnels, Semi-Professionnels et les Entreprises afin de les accompagner vers une reconversion efficiente »
Son ouvrage « Ma Promesse en Héritage », co-écrit avec Liliane Trévisan, est disponible depuis le 18 avril aux éditions Amphora

 

Vous avez subi des violences sexuelles et/ou vous voulez œuvrer à la lutte contre celles-ci ?
Vous pouvez contacter (ou vous engager dans) des associations qui luttent contre les violences
sexuelles intrafamiliales et dans le sport, dont voici une liste non exhaustive
:

Rebond France

Colosse aux pieds d’argile

La voix de Sarah

Be Brave

Fight for Dignity

Site gouvernemental

Mémoires traumatiques et victimologie

 

Propos recueillis par José Chédotal pour Basket-Retro, avril 2024

About José Chédotal (11 Articles)
Passéiste de basse intensité. X= @mainscarrees

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