[ITW] Liliane Trévisan : « J’ai écrit avec fougue et passion »
Interview
Un crayon, un bloc note, un magnétophone. Journaliste sportive au service du basket pendant près de quarante ans, Liliane Trévisan a ravi le grand public, dans ses papiers, par sa connaissance du terrain et son professionnalisme. Pour Basket Retro, elle a accepté de se plier au jeu des questions / réponses. Interview !
En ce mois de septembre 1990, la folie Michael Jordan s’empare de Paris. Déterminée comme jamais à réaliser une interview programmée par Maxi Basket et Nike, Liliane Trévisan essuie toutefois un net refus de l’icône. Qu’importe, malgré la foule la journaliste argumente, insiste, explique, avant d’obtenir finalement, le lendemain, le droit de questionner His Airness. Parce que des tribunes de presse, aux cours des grand hôtels en passant par les bus des équipes ou les vestiaires des salles NBA, Liliane a toujours pris le soin de faire le lien entre le public et les stars du basket, et ce dans l’objectif d’informer. Trévisan est une passeuse ! D’ailleurs, elle a pris le contre-pied, sur un euro step, du journaliste sportif qui serait un « beauf » proche de la figure du supporter. Après avoir grandi en Alsace, Lilou a ensuite franchi en contre attaque les étapes une à une : Presse Régionale, Maxi Basket puis L’Équipe avec une méthode qui résonne comme un leitmotiv : être elle-même. Primée au Prix Martini en 1985 sur un lay-up, défenseuse du basket féminin, elle marque fréquemment à trois points lorsqu’il faut se battre contre les irrégularités qu’imposent la vie à certaines. Pour Basket Rétro, elle a accepté de revenir sur son immense carrière de journaliste sportive. Et pour nous : c’est un privilège. Interview !
Basket Retro : En 1993, vous écrivez pour Maxi Basket un beau papier sur les Suns de Barkley qui vont affronter en Finale NBA les Bulls de Jordan. Le début des années 1990 correspond à un moment unique. La France s’ouvre à la NBA. L’inverse est aussi vrai. C’est une période particulière le début de l’ère Jordan ?
Liliane Trevisan : La NBA et moi…. c’est une longue histoire. J’arrive à Maxi basket, une référence, en 1987 ou 88 et on me dit : « Jabbar vient à Paris, on te propose de le suivre et de faire une interview. » J’étais un peu sidérée quand même Abdul Jabbar au temps de sa splendeur… Ce n’est pas rien… Et, mon entrée en NBA se fait comme cela. Kareem voulait visiter Orsay et voir les impressionnistes. Alors, je me suis retrouvée avec Jabbar et son amie de l’époque dans la galerie d’Orsay ! On était seuls. C’était hallucinant. Il était un peu mutique au départ puis petit à petit il a posé quelques questions et à la fin on a fait cette interview mais ce moment était juste incroyable ! Mes premières finales, ce sont celles de 92 entre Chicago et les Blazers et c’est vrai que la France découvre la NBA à cette période. J’étais la première pour Maxi à suivre des Finales et comme j’avais l’Anglais facile oui j’ai vécu cette époque bénie. Jordan portait tout Chicago, il déferlait sur le monde. Il faut dire que c’était une icône mondiale. On ne peut pas l’imaginer maintenant mais Jordan, sur le plan économique, c’est quelqu’un qui pouvait influer sur la bourse de Chicago. Et j’ai adoré tout Chicago. Je veux dire la ville, la franchise. J’ai lié aussi d’amitié avec Sam Smith qui travaillait au Chicago Tribune. Sam m’a beaucoup aidé à avoir des entrées en NBA. C’était une période spéciale. A l’époque, les Bulls jouaient au Chicago Stadium dans un quartier peu recommandé. A présent, tout est différent mais à l’époque le quartier était un peu coupe-gorge et puis au Stadium, on circulait dans des couloirs souterrains tout noirs. Il y avait des fils électriques qui trainaient… Cela faisait bizarre de voir jouer la meilleure équipe NBA dans une salle pareille. Mais quelle ambiance ! D’ailleurs, je n’ai jamais retrouvé une ambiance identique. C’était phénoménal. Cette salle transpirait et suait l’amour des Bulls et j’y ai vécu des grands moments. J’ai vécu les sacres de Jordan. A l’époque, on pouvait rentrer dans les vestiaires quinze minutes après les matchs. J’y ai vu Jordan hystérique avec sa bouteille de champagne. Il en mettait partout… C’était de bons moments. Quel privilège et j’ai adoré !
Je préviens la franchise et Doc Rivers le coach de l’époque et je m’installe dans la salle pour regarder l’entrainement. A la fin, il dit à son groupe : « Bon on va dans les vestiaires pour préparer tactiquement le match de demain. Et là je vais le voir et lui demande : « Cela vous dérange si je viens ? Au culot ! » Il m’a dit oui… Je me suis fait toute petite dans un coin du vestiaire et j’ai écouté Doc Rivers faire son speech pour le match du lendemain. C’était génial !
BR : Si vous n’aviez pas suivi professionnellement les Finales NBA, vous vous seriez levée la nuit pour les regarder ? Est ce que vous adorez la NBA ou cela fait partie de votre boulot ?
LT : J’ai adoré l’univers de la NBA. Tout y est gigantesque et tellement différent. Et j’ai eu la chance de découvrir la NBA grâce à Maxi. Je n’étais pas une passionnée au départ parce que la NBA, je ne la connaissais pas vraiment ou peu. A l’époque, la NBA, on la connaissait peu d’ailleurs. Ensuite, j’ai eu la chance de me faire un réseau rapidement. Comme je connaissais bien Brian McIntyre le numéro 2 de la NBA cela m’a surement facilité les choses. Un jour, il a dépanné ma voiture sur un parking à Munich sur un Open McDonald’s. Il a mis les mains dans le cambouis ! Aujourd’hui, cela ne peut plus arriver…. Tout cela pour dire que j’arrivais à avoir des accès privilégiés qui seraient un peu compliqué à obtenir aujourd’hui. Attention, j’ai eu aussi maille à partir avec des attachés de presse de club NBA. Mais ma façon de faire à l’époque a très bien marché. J’ai pu faire de super interviews : Thomas, Magic, Olajuwon ou Barkley. D’ailleurs, je crois que j’ai fait à peu près toutes les grandes stars NBA de l’époque (nos photos : collection personnelle de Liliane Trévisan) . Ce n’était pas un problème de les approcher à l’époque et puis j’avais beaucoup de culot. En plus, j’étais une femme, j’étais française je parlais bien anglais donc j’étais aussi une curiosité. J’ai vécu de grands moments en NBA et j’ai adoré découvrir ses coulisses. Apprendre à savoir comment la NBA fonctionne : c’est passionnant et incroyable. J’étais au plus près. Aujourd’hui avec les process, ce serait juste impossible de faire les mêmes choses. Je me souviens une année, je vais à Atlanta pour faire un papier sur Dominique Wilkins. Je préviens la franchise et Doc Rivers le coach de l’époque et je m’installe dans la salle pour regarder l’entrainement. A la fin, il dit à son groupe : « Bon on va dans les vestiaires pour préparer tactiquement le match de demain. Et là je vais le voir et lui demande : « Cela vous dérange si je viens ? Au culot ! » Il m’a dit oui… Je me suis fait toute petite dans un coin du vestiaire et j’ai écouté Doc Rivers faire son speech pour le match du lendemain. C’était génial. Doc et Wilkins sont venus me parler ensuite. Ils étaient très curieux. Ils voulaient savoir comment on pouvait parler de la NBA en France. Ensuite, je rentre à mon hôtel. Je m’en souviens, je travaillais sur mes notes et la réception de l’hôtel m’appelle. Dominique Wilkins était là pour m’inviter à manger. Extraordinaire ! Impossible maintenant enfin, je ne pense pas. Sauf si vous êtes dans l’entourage de Fournier ou de Gobert évidemment.


BR : Liliane, vous êtes la première personne que nous interviewons qui n’a pas de page Wikipédia… Vous êtes née où ? C’est quoi votre jeunesse ? Dites nous tout …
LT : (elle se marre) J’ai grandi en Alsace. Mes parents s’y sont installés quand j’ai eu 10 ans et j’ai fait toutes mes armes là-bas. J’adore l’Alsace. J’y ai fait une école de journalisme, le CUEJ, à Strasbourg. A l’époque, il n’y avait pas internet donc il fallait aller chercher l’info en se débrouillant. On prenait notre téléphone, on se déplaçait. J’ai grandi dans ce journalisme de terrain. D’ailleurs, je suis allé faire des stages très vite.
BR : Oui parce que sauf erreur de notre part, vous avez débuté dans la PQR (la Presse Quotidienne Régionale).
LT : Exactement, j’ai commencé à La Provence en stage. La presse régionale, c’est la plus formidable des écoles. A Marseille, j’ai commencé aux faits divers puis aux infos générales et j’ai terminé aux sports. A l’époque, il n’y avait pas de femmes journalistes qui s’intéressaient véritablement aux sports. Il y avait d’ailleurs très peu de femmes dans le journalisme tout court. A Strasbourg, à l’école, sur quarante on devait être deux ou trois femmes d’ailleurs. Et à la Provence, j’ai sympathisé avec le responsable des sports André De Rocca. Il était très ouvert. Moi, j’étais la petite dernière, la stagiaire et il savait que j’étais là que pour quelques mois mais malgré cela il m’a demandé de faire un papier d’ambiance, du factuel, sur le match OM – Saint-Étienne. Après, j’ai interviewé Keegan, super sympa. J’ai fait mes armes dans la presse régionale. J’ai été privilégié. Aujourd’hui, il y a encore un peu un sentiment pas d’arrogance parce que cela ne serait pas vrai aujourd’hui, mais un peu de condescendance de la presse nationale vis-à-vis de la presse régionale. Mais ce n’est pas cela. Il y a des formidables journalistes dans la presse régionale et de formidables journaux. Ils bossent, ils sont prêts du terrain, ils sont dans la réalité de ce qu’est le journalisme. Moi, je suis passée de CDD en CDD dans la PQR. Je suis même parti à La Réunion et c’est là que j’ai signé mon premier CDI de journaliste. Là bas, j’ai fait peu de sport mais c’était passionnant.
J’étais la première femme à gagner ce prix créé en 1958, l’année de ma naissance. Et cela m’a valu une grosse réputation. J’ai été interviewé dans Elle, Le Figaro Madame.
BR : Comment vous venez à écrire sur le basket ?
LT : A La Réunion, j’ai reçu une réponse à un CV que j’avais laissé au Quotidien L’Alsace. Le chef de service s’appelait Roland Scheubel et je suis rentrée en métropole. J’ y ai passé de très beaux moments dans ce journal. Et c’est là que commence mon aventure avec le basket. René Kapp, malheureusement décédé depuis, et qui suivait Mulhouse allait sur sa retraite et donc je prends la suite. J’avais joué au basket au lycée mais pas plus. J’ai repris la couverture du Mulhouse BC, de toute façon le sport m’intéressait. J’ai alors entamé l’épopée avec les frères Monschau qui ont porté le club très haut sur la carte du basket français. Je me suis enrichie. J’allais tous les jours à l’entrainement, j’étais très assidue et j’ai fait cela avec passion. J’ai adoré suivre le basket et vite ce sport a pris beaucoup de place dans ma vie. Et puis avec Mulhouse, on faisait les déplacements en bus. Je passais des heures avec l’équipe. Quand on rentrait de nuit de Pau à Mulhouse ça fait un peu de temps… Mais c’était très très sympa d’être dans la vie de cette équipe et encore une fois j’ai appris beaucoup de choses et cela m’a beaucoup nourri dans ma façon d’appréhender le basket et de la façon de faire ce métier là. Et j’ai passé cinq ans avec le Mulhouse BC. Jean Luc et Christian sont très enrichissants du point de vue basket mais également humain donc du coup, j’ai adoré. Et je n’ai plus jamais quitté le basket.
BR : En 1985, vous recevez, alors que vous écrivez pour L’Alsace, le Prix du meilleur article sportif. C’est un peu votre titre de MVP ce prix pour vous ? Cela a quelle valeur à vos yeux parce que vous êtes la première femme à l’obtenir ?


LT : C’est énorme ! Et c’est grâce à un papier de basket ! Je racontais un retour en bus avec Mulhouse après une défaite. Là où l’histoire est très belle, c’est que ce n’est pas moi qui ai présenté ce papier. Je ne savais pas qu’il fallait envoyer des papiers pour ce prix. Ce sont des collègues de la rédaction des sports qu’ils l’ont fait parce qu’ils le trouvait très beau ce papier. Et quand le papier arrive pour les éliminatoires, je ne suis pas prévenue. Un jour je reçois un appel chez moi. Mon père me dit ton journal t’appelle, j’étais en congés. Et L’Alsace me téléphone pour me dire que j’avais gagné les éliminatoires régionaux pour le Prix Martini (nos photos – Source : Wikipédia). Aujourd’hui cela se nomme le Prix Crédit Lyonnais. Je suis allé en finale et là j’ai battu les papiers de L’Équipe, Le Figaro, Libération, etc… J’étais la première femme à gagner ce prix créé en 1958, l’année de ma naissance. Et cela m’a valu une grosse réputation. J’ai été interviewé dans Elle, Le Figaro Madame. J’étais très étonné et je me suis rendu compte à quel point le fait d’être une femme était considéré comme une rareté dans ce milieu. Presque une anomalie pour déchainer autant de passion et cela m’a fait ma place dans le basket.
On m’a souvent dit que j’étais la Marianne Mako du basket. Et Marianne, c’était une vraie journaliste qui donne son avis sur le foot.
BR : Ce prix a été crée en 1958 par l’USJF (Union syndicale des journalistes sportifs de France) Christine Thomas l’a reçu en 2003, Dominique Issartel en 2010 et vous l’obtenez en 1985. Trois femmes lauréates pour un titre qui a soixante ans d’existence. Cela vous fait dire quoi d’être la première femme à l’obtenir et que seules trois femmes l’ont reçu ?
LT : Ce ne sont que des journalistes de L’Équipe, il faut le noter. Et cela me fait dire que c’est un peu à l’image de la société et du travail français. C’est à dire que les femmes y sont moins considérées à tout point de vue. D’un point de vue salarial, économique, etc. mais aussi dans le traitement des prix et des traitements qu’on leur accorde. Le journalisme n’est pas différent du reste de la société française. On m’a souvent dit que j’étais la Marianne Mako du basket. Et Marianne, c’était une vraie journaliste qui donne son avis sur le foot. Alors aujourd’hui, la situation n’est plus tout à fait la même évidemment, il y a beaucoup de femmes journalistes, même si elles restent moins nombreuses que les hommes. Les femmes y ont parfois quelques responsabilités. Il y a par exemple une femme rédactrice en chef, je crois, à l’Équipe sauf si cela a bougé depuis que je suis parti. Encore une fois, on en revient à la société française : les femmes ont du mal à accéder aux responsabilités. Malgré moi, j’ai contribué à faire bouger les lignes. Quand une femme est compétente, elle est parfaitement capable d’assumer des responsabilités. J’ai eu de la chance au Provençal avec André De Rocca, qu’à L’Alsace avec Roland Scheubel, à Maxi avec Pascal Legendre et à L’Équipe avec Jean-Luc Thomas d’avoir des chefs très ouverts d’esprit néanmoins j’ai aussi eu mes problèmes à L’Équipe et j’ai du ruer dans les brancards parce que sinon j’aurais fait le basket féminin toute ma vie. Quand je suis arrivé à L’Équipe, on a trouvé normal que ce soit moi qui fasse le basket féminin. J’étais très heureuse car j’adore le basket féminin, sauf qu’au bout du compte , je me suis rendue compte que je ne suivais plus souvent les garçons. J’ai trouvé ça anormal. Ensuite, ça s’est arrangé. mais ce n’est pas facile de faire sa place en arrivant dans un groupe,où il y a un réflexe naturel de « clan entre hommes ». Je pense y être arrivée pas trop mal, mais ce n’était pas un chemin de roses. Cela n’a pas été simple.
Et donc j’ai fait un papier qui s’appelait « les conditions féminines » , c’était juste avant Sidney. Du coup, cela m’a valu les foudres de la DTN, cela a choqué mais en étant là je pouvais faire bouger les choses alors j’ai décidé de ne pas arrêter de le faire.
BR : Dites nous tout sur l’aventure Maxi Basket ….
LT : Peu de temps après le prix, Maxi Basket m’a contacté. C’était un gros changement pour moi parce que Maxi est un mensuel. C’était pour partir sur de longs reportages, deux ou trois semaines. C’était aussi pour aller beaucoup à l’étranger et moi j’étais dans un quotidien et c’est pas les mêmes choses. Mais j’ai dit oui. J’ai quitté l’Alsace le cœur pincé parce que j’ai passé de très belles années là-bas, mais j’avais envie de cette aventure Maxi Basket. Nous étions en 1987 ou 88, je ne sais plus trop.
BR : Quand nous préparons nos interviews, vous l’avez certainement fait aussi, nous donnons deux trois coups de fils à nos contacts pour avoir des informations sur la personne à interviewer. Non pas pour savoir, mais pour savoir où aller. Et nous avons interrogé des hommes et des femmes. C’est peut être maladroit ce que nous allons vous dire mais voilà les choses. Vous faites l’unanimité, c’est notre constat. Par contre, avec toutes les anciennes championnes que nous avons eu, il y autre chose qu’on entend. Parce que le basket féminin, on raccourci évidemment, mais pour elle : c’est vous, « lilou ». Odile Santaniello, Paoline Ekambi, etc. elles vous remercient toutes. Vraiment.
LT : Je sais bien qu’elles me remercient toutes, elles sont adorables en plus. Jean-Luc Thomas a écrit aussi sur le basket féminin. On a fait quelques compétitions ensemble, et lui aussi était un passionné du sport féminin. Mais c’est vrai quand j’arrive, je suis un femme, je faisais bien mon boulot et j’ai crée des liens avec certaines filles des équipes que j’ai suivi. J’ai trouvé que ces « nanas » étaient remarquables. Quel investissement alors qu’on les ignoraient et qu’elles avaient du mal à vivre de leur sport ! Encore une fois, j’allais aux entrainements, je posais des questions, je faisais les choses à fond et oui j’ai créé des liens. J’ai fait des papiers plus militants, notamment avant les JO de Sidney. Comme j’étais très proche des joueuses, je savais qu’il y avait de grandes différences de traitement, dans le suivi médical, dans les déplacements ou les défraiements. Ce qui me choquait, c’est qu’on imposait aux filles des choses qu’on aurait jamais osé imposer aux garçons. Les gars étaient dans le confort par contre les filles on s’affolait pas si elles faisaient dix heures de bus et donc j’ai fait un papier qui s’appelait « les conditions féminines » , c’était juste avant Sidney. Du coup, cela m’a valu les foudres de la DTN, cela a choqué mais en étant là je pouvais faire bouger les choses alors j’ai décidé de ne pas arrêter de le faire. Effectivement, quand j’ai annoncé que j’arrêtais L’Équipe, j’ai reçu pleins de messages d’acteurs du milieu féminin pour me remercier. Des gens m’ont même dit mais comment cela va se passer après toi… Et donc je me suis rendue compte qu’il y avait deux poids deux mesures et ce n’était pas admissible. Je me souviens de ce championnat du monde au Brésil, je ne sais pas si les garçons auraient supporté cela. Il pleuvait dans la salle ! Les filles passaient entre les sceaux pour jouer… Les filles sont dures et ce sont de vraies athlètes !

BR : En 2010, sur trente-sept journalistes foot à l’Équipe, il n’y a qu’une seule femme. Sur le secteur Basket-Volley-Hand vous êtes deux femmes sur onze journalistes et sur les disciplines « dites » annexes, il y trois femmes sur cinq journalistes. Il y a une domination masculine dans le domaine du journalisme sportif ?
LT : Évidemment, c’est un fait de culture. Encore une fois, cela ne veut pas dire que c’est gravé dans le marbre parce que cela a déjà changé et que ce sera encore amené à changer encore mais oui c’est culturel. J’ai un gros caractère donc, j’y suis arrivé mais ce n’est pas simple. Les gens qui travaillaient avec moi savaient que j’avais du répondant et que je ne me laissais pas marcher sur les pieds. Et moi, rien ne me faisait peur ! Je ne fuis pas le conflit et cela m’a permis de faire mon chemin. On le voit aujourd’hui, la parole s’est libérée.
BR : Les contenus changent aussi. Il y a à présent dans l’Équipe des séries sur l’histoire du basket, ou sur les destins brisés comme celui de Natasa Kovacevic. Cela change de l’affaire Jacquet ou de la Une qui relaye les propos de Nicolas Anelka.
LT : Il faut être lucide là dessus. Le journalisme de sport doit être rentable. L’Équipe doit aussi se vendre et la majorité des lecteurs de l’Équipe n’achète pas le journal pour ces papiers mais plus pour le foot et/ou le PSG. On peut faire toutes les études de marché qu’on veut, le sport roi ce n’est pas le basket féminin mais le foot. Dès qu’il y a une polémique équipe de France de foot, cela fait vendre. Voilà. Le problème c’est quand même que cela phagocyte tout le reste. Comme dans la presse aujourd’hui, il y a des restrictions dans la pagination, ce qui se vend est prioritaire. Mais c’est pareil à la télé ! Et ce qu’on appelle les sports annexes ou mineurs, eux ils trinquent parce que des arbitrages économiques et éditoriaux sont faits. Par exemple, on traite du badminton que pour un championnat du monde mais jamais autrement. Mais cela ne veut pas dire que L’Équipe est insensible à ce problème ! Au contraire. J’en prend pour preuve les problèmes de viols et d’agressions sexuelles dans le sport, L’Équipe s’en est pas mal emparé.
BR : Et puis la parole s’est libérée. Nous pensons forcément à l’article que vous rédigez et qui révèle que Paoline Ekambi est victime d’inceste.
LT : Il y a un temps, je ne suis pas certain qu’on aurait pu faire ce genre d’articles dans L’Équipe. Là, il y avait une grosse volonté de porter cela à la connaissance des gens. Pas le problème de Pao en particulier mais ces problématiques dans le sport de haut niveau. Non : tout n’est pas permis ! Et L’Équipe était à la pointe ce qui n’est pas évident pour un journal de sport.
BR : Vous avez vécu les grandes épopées des Bleus. Aux JO, aux Championnat du monde, etc… Être journaliste, c’est vibrer aussi ? Parce que vous avez déclaré avoir pleuré à Sidney…
LT : Oui, j’ai pleuré ! J’étais tellement engagée avec elles et je voulais tellement qu’elles aillent en finale. Quelle équipe ! Mais le style de jeu des Coréennes ne nous convenait pas. Elles sont toutes tombées par terre d’ailleurs à la fin du match. Les filles n’ont jamais pu s’adapter sur ce match. Oui j’avais les larmes aux yeux et c’est là que la frontière entre investissement professionnel et le côté humain est assez ténu parce qu’à un moment : je dois rester journaliste. Une fois les larmes séchées, il faut poser les questions même s’il y a la déception, même si cela fait mal. C’est très difficile d’aller parler aux athlètes de haut niveau quand ils ont pris une claque aussi monumentale. On est dans l’empathie parce qu’on comprend mais il faut aussi s’en dégager en tant que journaliste.
BR : Il y a des titres pour les bleus qui vous marquent plus que d’autres ?
LT : Je n’ai jamais fêté de titre avec les Bleus. Je veux dire avec les garçons. J’ai suivi les filles par contre qui sont deux fois championnes d’Europe. Le premier en 2001, au Mans. Quel souvenir extraordinaire ce match France – Russie qui est dingue. L’intensité était inouïe et à la fin l’équipe se réunit et chante « Les corons ». C’était leur hymne parce qu’elles étaient allées à la mine. Elles avaient tiré les wagonnets. Quel moment d’émotion ! Très émouvant. Il y a eu un autre titre mais ce n’était pas pareil parce que c’était en Lettonie. Après avec les garçons, je les ai vu en finale olympique. Ce n’est pas rien non plus…
BR : On aurait pu vous parler des titres des clubs français, aussi….
LT : Il y a une Leaders Cup (ndlr Tournoi des As) remportée une année par Mulhouse. J’ai vécu aussi des ambiances de folie en playoffs à Dijon. Il y a encore le titre du Mans contre Monaco (ndlr en 2018). Le Mans, c’est un club à l’état d’esprit sain. Économiquement, le club est raisonnable et proche de son public. J’ai regretté ne pas être allé Place des Jacobins fêter le titre avec eux. Comme j’ai tissé beaucoup de liens, ces histoires sont un peu spéciales mais j’aurais pu vous en citer beaucoup d’autres.
La dernière méga star que j’ai interviewé, c’est Kobe pendant la finale LA – Boston. J’ai parlé à Kobe Bryant à la fin d’un entrainement. Il était super dispo, bien plus que sur la session presse organisée par la NBA.
BR : C’est peut être plus difficile cette « neutralité » quand vous suivez une finale du championnat de France. Nous voulons dire comment vous mettez de la distance ? Parce que forcément, il y a des clubs que vous supportez plus que d’autres.
LT : Supporter, pas vraiment. Il y a des clubs avec qui cela s’est très mal passé mais j’ai toujours plutôt bien fonctionné avec les clubs qui me recevait. De part mon éducation et mon vécu, je suis assez proche de Strasbourg parce que c’est ma région. J’ai passé quinze ans au Mans donc le MSB est cher à mon cœur. J’ai encore vécu en 2013, l’épopée de Nanterre qui sort de nulle part. Je veux bien et je découvre un club avec des valeurs formidables. Comme d’habitude, je vais aux entrainements, je pose des questions et au final je sympathise avec Pascal Donnadieu. Quel état d’esprit ! Un basket jouissif, champagne, un état d’esprit magnifique voilà ! Et puis, il y a le contexte de Nanterre, parce qu’il y a des quartiers sensibles à Nanterre. Et le club a fédéré toute une ville derrière eux. Il y avait des vraies valeurs même si ça peut paraitre galvaudé de dire cela quand on pense au rugby. J’ai vraiment eu un énorme coup de cœur pour cette équipe qui gagne le championnat de France en 2013. Personne ne l’avait imaginé. Et du coup comme j’avais pris Nanterre, on m’a demandé de faire des doubles pages à tire larigot. Il y avait de la flamme dans ce club. Alors oui, c’est vrai j’ai plus d’affinité avec Nanterre qu’avec Boulogne-Levallois par exemple. Après j’adore aller voir Vincent Collet à Boulogne, j’ai fait un papier sur Will Cummings aussi dernièrement mais pour moi Nanterre c’est spécial. Après un de mes derniers papiers à l’Équipe, c’était à Bourg-en-Bresse et j’ai adoré Bourg. J’aime beaucoup le basket français des clubs et je trouve qu’il est mal défendu aujourd’hui. Et puis, il y a la concurrence de la NBA et cela aucun sport au monde n’a à la subir comme le basket français la subit.
BR : Revenons à la NBA. Vous avez interviewé ses plus grandes stars : Bird, Barkley, Magic, O’Neal, Olajuwon, etc, etc… Est ce que certains vous ont plus marqué, Jordan mis à part ?
LT : Magic c’était génial. J’ai fait un one and one avec lui dans le vestiaire des Lakers. James Worthy, un joueur que j’adore ! Clyde Drexler, je l’ai kiffé. Barkley, pas très aimable au départ, m’a fait beaucoup rire. J’ai toujours eu quelque chose avec chacun d’eux. A présent, je trouve les stars NBA très formatées. Quand je les voyais à l’époque c’était dans le vestiaire après un match, à la fin de l’entrainement donc c’est différent à présent je pense. J’ai jamais vu un mec lire une feuille en me répondant par exemple. C’est quelque chose que je ne pouvais pas imaginer. Toutes ces stars ont été très pros et très spontanées avec moi. Très curieux aussi, moi la journaliste française… Clyde Drexler vient jouer une année un McDonald’s Open à Londres. Je vais le voir à l’échauffement sur le bord du terrain et je lui demande si je peux le voir après le match. Il m’avait reconnu, on s’entendait bien. Il accepte. Je me pointe, on se dit deux trois mots avec Clyde et l’attaché de presse de la NBA Ray Lalonde arrive et il me parle de « cirque », etc… Ray était vexé que j’ai eu l’accord du joueur pour lui parler. Mais le problème, c’est que je connais les joueurs, alors j’allais pas passer par l’attaché de presse. Et puis je voyais pas ce que je faisais de mal. Et Clyde a tempéré les choses. Clyde m’a défendu et c’était un chouette moment de se faire défendre par une star NBA. Et puis, je faisais des interviews intéressantes à priori. Les mecs regardaient pas leurs montres pendant que je leur parlais. Et souvent, on dépassait le temps de l’interview. La dernière méga star que j’ai interviewé, c’est Kobe pendant la finale LA / Boston. J’ai parlé à Kobe Bryant à la fin d’un entrainement. Il était super dispo, bien plus que sur la session presse organisée par la NBA. Il m’a accordé plus de temps aussi.
BR : Dites nous tout de votre rencontre avec Michael Jordan. C’était à Paris.

LT : Michael Jordan ! Effectivement, vu comme je lui ai parlé soit il me collait une gifle, soit il m’engueulait mais bon finalement en une fraction de seconde on a créé une relation ensemble. C’est un grand Monsieur, il est intelligent, charismatique.
BR : Vous avez une relation particulière avec la ville de Chicago. Pourquoi ?
LT : Chicago, historiquement, culturellement et architecturalement : c’est tellement beau ! Et puis j’adore l’état d’esprit des gens. C’est une ville rude quand même parce que l’hiver peut y durer très longtemps et y être méchant. C’est la ville d’Obama mais je l’aimais avant je le précise. Je me suis lié d’amitié avec Sam Smith et donc j’ai un autre regard sur cette ville parce que je l’ai découverte autrement. J’ai beaucoup été à Chicago aussi parce que je connais très bien Tony Kukoc.

Tony aimait beaucoup Chicago aussi. C’est un grand coup de cœur Chicago et puis c’est la ville du blues. Alors qu’au niveau du climat… c’était rude. Je me souviens une année y être allée alors qu’ il faisait moins 25. Il y avait des congères partout et le vent y est parfois aussi horrible. C’est Windy City ne l’oublions pas.
Le mec ne triche jamais, il y a toujours de la flamme, du feu chez Joachim Noah. J’aime son regard sur la vie, sur les gens. Il a beaucoup d’humanité en lui. On a eu des conversations formidables sur la vie, la mort, la violence à Chicago.
BR : Dans un reportage que vous réalisez pour l’Équipe, on vous voit rentrer dans l’intimité de Joakim Noah. Qu’est ce que vous pouvez nous dire de ce moment ?
LT : Joakim cela reste une de mes plus belles rencontres. Il est tellement différent. C’est quelqu’un qui vit pour le feu, la flamme, la passion. Il ne fait rien à 80%. Il fait tout à 120%. Vincent Collet me l’avait dit d’ailleurs. Et j’ai aimé son tempérament d’électron libre. Parfois, cela peut être irritant, mais il fonctionne comme il a envie. Avec moi aussi, cela a été un peu difficile au départ. Une fois qu’on a mis ensemble les points sur les i, on a crée un lien. Il m’a fait confiance et c’était très émouvant. J’aime son tempérament de guerrier en tant que joueur. Le mec ne triche jamais, il y a toujours de la flamme, du feu chez Joakim Noah. J’aime son regard sur la vie, sur les gens. Il a beaucoup d’humanité en lui. On a eu des conversations formidables sur la vie, la mort, la violence à Chicago. Il est très actif dans les quartiers en allant voir notamment les gamins des gangs. Il achetait des places pour eux à l’United Center. Jo a une fibre très humaine et il aime la vie. C’est une très belle personne. Il a toujours été là quand j’ai eu besoin de lui. Il est papa à présent, il a trouvé son assise. Je l’adore ! Mais quel caractère ! Et sur le terrain, c’était le guerrier ultime.

BR : Plus globalement, vous avez arpenté les États-Unis. C’est un pays unique en ce qui concerne le basket ?
LT : Le basket est partout. Le rapport au sport n’est pas le même que le nôtre en France d’ailleurs tout court. Le peuple américain mange du sport tout le temps. Les gamins américains vivent sport. Et puis, il y a ce patriotisme exacerbé, c’est trop d’ailleurs parfois mais bon c’est comme cela. Tout cela pour dire que cela génère une économie que l’on trouve nulle part ailleurs. Côté médias, c’est la même chose. Après sur les universités, le gros crédo c’est l’égalité des chances. C’est surprenant pour un pays qui régresse actuellement sur le droit des femmes par exemple. C’est un pays paradoxal. Les États sont très différents. C’est comme si il y avait une culture par État et ce pays est un patchwork.
BR : Dernièrement, la NBA vous a rendu hommage officiel, par un message twitter. Cela vous rend fière ?
LT : Cela m’a émue aux larmes. Dans le message, ils revisitent ma carrière. Quelle reconnaissance ! Une vidéo de la NBA. La NBA me remercie. Moi, Lilane Trévisan, j’ai apporté quelque chose à la NBA mais c’est juste génial. J’étais très émue. C’est Tom Marchesi que je connais bien qui est à l’origine de cela et donc je l’ai remercié. Je ne m’y attendais pas et quand j’ai écouté les message, je suis tombée de ma chaise. Extraordinaire.
BR : Liliane, vous avez vraiment raccroché ?
LT : Non pas tout à fait. La vie est un éternel recommencement puisque je continue à faire des papiers de basket pour Basket Europe. Pascal Legendre que je connais très bien et qui y est responsable m’a recontacté pour écrire de temps en temps. Pascal sait ce que j’aime faire et ce que je n’aime pas faire. Et puis, je suis encore passionnée puisque je vais encore voir des matchs. Géographiquement, je suis proche de Nanterre donc c’est là que je vais. C’est le plus simple pour moi. J’ai eu d’autres sollicitations dans d’autres sports et je vais voir ce que je vais en faire. Sinon, je pense que quand on est journaliste un jour, on est journaliste toujours en fait. Cela ne s’arrête pas comme cela même si j’ai arrêté ma carrière à L’Équipe. C’est fabuleux, plus de vingt-cinq ans… Bon maintenant j’ai 64 ans et j’ai commencé à 18 ans donc je crois que c’est suffisant.
BR : Avec le recul, quel regard portez vous sur carrière ?
LT : Un cavalier de l’équipe de France, que j’aimerais voir aux JO, m’ a demandé si j’étais satisfaite de ma carrière. Je lui ai répondu qu’on ne m’avait jamais posé cette question avant cela. A chaud, j’ai répondu que j’avais fait de choses que personne n’avait fait avant moi. Je suis allé dans des endroits extraordinaires, j’ai approché des gens extraordinaires, j’ai fait des papiers primés. J’ai écrit avec fougue et passion. J’ai fait des papiers moins bon mais au final j’ai vécu avec fougue. J’ai fait des finales de JO, j’ai rencontré des sportives, j’ai fait des enquêtes sur des violences sexuelles. J’ai contribué à faire rouvrir des enquêtes pour viol en natation. Donc globalement je suis très satisfaite de ma carrière.
BR : Le dernier mot, c’est une tradition chez Basket Rétro c’est pour vous ?
LT : Ce que je voudrais dire c’est que voilà nous parlons de Basket Rétro, on parle du basket d’aujourd’hui mais le basket reste le basket. Même si aujourd’hui beaucoup de gens ou les intérêts économiques l’amène à changer ou à s’organiser autrement, même si le jeu change, les acteurs évoluent aussi mais l’essentiel reste que le basket reste un sport extraordinaire. Et je voudrais que cette passion ne retombe pas. C’est un sport phénoménal. On peut aller en famille au basket. Moi j’ai amené des tas de gens au basket. Des gens qui n’y connaissaient rien et ils sont tous ressortis en disant que c’était accueillant et spectaculaire. C’est un sport qui mérite d’être aimé. Et le basket du passé est le socle sur lequel le basket d’aujourd’hui s’est développé.
Propos recueillis pour Basket Rétro par Guillaume Paquereau. Montage Une : Laurent Rullier.
Merci pour votre engagement, votre professionnalisme et votre amabilité. P. Jouvenet ex Sluc et Bordeaux
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