Rex Chapman. Itinéraire(s) d’un enfant gâté
Portrait
Prédisposé pour le basket, star au lycée puis à l’université, joueur NBA pendant douze saisons, homme revenu des enfers de l’addiction et enfin personnalité des réseaux sociaux, la vie de Rex Chapman est un roman fait de très hauts et de très bas. Basket Rétro vous retrace le parcours de la merveille du Kentucky.
LE REGIONAL DE L’EPATE
Le basketball chez les Chapman est une affaire de famille. Wayne, le père, originaire du Bluegrass State, fait ses études à l’université de Western Kentucky. C’est pendant son cursus scolaire, le 5 octobre 1967, que sa compagne Laura donne naissance à un petit garçon prénommé Rex. Une fois diplômé, Wayne est la fois drafté par les Bullets de Baltimore de la NBA et par les Colonels du Kentucky de la ABA en 1968. Il choisit la proximité et l’équipe de l’American Basketball Association qui a tout juste un an d’existence. L’année suivante, lors d’un match à domicile des Colonels, le petit Rex, âgé de seulement deux ans, profite d’un temps-mort de l’équipe de son papa, pendant lequel l’arbitre a posé le ballon tricolore au sol, pour échapper à la surveillance de sa maman, pénétrer sur le parquet et se saisir de la grosse balle. Le garconnet ne veut pas se séparer de l’objet rond qu’il voyait passer de main en main et qu’il convoitait tant. Le destin est en marche et Rex ne va plus se départir de sa passion pour le basketball.
Rex passe son adolescence à l’Apollo High School, à Owensboro, dans le Kentucky évidemment. Le gamin est doué et c’est à partir de sa saison junior qu’il commence à affoler les compteurs. Devant la Rex-mania, qui trouve son paroxysme lors de son année senior, en mars 1986, un match de sa high school face au lycée Henry Clay, d’un autre enfant doué, Sean Sutton, est organisé au Memorial Coliseum, situé à Lexington dans le campus de l’université de Kentucky dont Eddie, le père de Sean, est l’entraineur. Devant 11 000 spectateurs déchaînés et les caméras de la chaîne de télévision régionale, Rex inscrit 37 points, capte 12 rebonds et inscrit un tir à six mètres décisif pour le gain du match.

Le « Boy Wonder » est certes doué de qualités techniques mais aussi de capacités physiques qui impressionnent les observateurs. Avec un mètre de détente sèche mesurée, il peut jouer au marsupilami et s’accrocher aux cercles de toutes les salles de l’Etat. À la fin de son cursus, en 1986, Rex participe à un concours de dunks en marge du match McDonald’s All American réservés aux meilleurs joueurs de high school. Il réalise pour la première fois la figure où il se passe la balle dans le dos de droite à gauche avant de claquer un dunk inversé. Le célèbre commentateur Dick Vitale s’époumone devant la performance qui prend le nom de « The Flip » et que le blanc-bec monté sur ressort réitérera lors du NBA Slam Dunk Contest de 1990. Rex croule sous les récompenses: Mr. Basketball of Kentucky, Associated Press Player of the Year, McDonald’s All American et Gatorade State Player of the Year, excusez du peu ! Le téléphone est en surchauffe chez les Chapman. Malgré des relations parfois tendues avec son père Wayne, à la carrière modeste en ABA et à l’éducation stricte avec son fils, Rex choisit de rester dans le territoire dont il est l’enfant chéri. Bercé par ses souvenirs adolescents, il est fan de l’université de Louisville, proche géographiquement, coachée par Denny Crum et championne NCAA 1980 avec « Dr. Dunkenstein » Darrell Griffith dans ses rangs, mais il a aussi été impressionné par sa visite des infrastructures de UK situées à Lexington et où il a joué la fameuse rencontre quelques semaines auparavant. Il choisit ainsi de devenir un Wildcat de l’université du Kentucky et rejoint l’équipe d’Eddie Sutton.

A la différence de bien des freshmen à leur arrivée au collège, Rex Chapman n’entre pas sur le parquet de la Rupp Arena (du nom du coach mythique Aldolph Rupp 1901-1977) sur la pointe des pieds mais sur un tapis rouge qu’on a déroulé devant lui. Le campus de Lexington est rebaptisté Rexington et les clés de l’équipe sont rapidement confiés par le coach Eddie Sutton au bondissant Rex. Le 27 décembre 1986, c’est le derby face à Louisville et s’il avait encore quelques remords de ne pas avoir rejoint les Cardinals de Denny Crum, les doutes sont vite balayés devant la rouste 85-51 infligée par UK à Louisville, pourtant champion en titre, avec 26 unités au compteur dont un cinq sur huit à trois points dans une Freedom Hall climatisée. Chapman est titulaire 28 matchs sur 29 et compile des statistiques impressionnantes pour un première année: 16 points à 44% de réussite, 2,3 rebonds et 3,6 passes décisives de moyenne en plus de 33 minutes par match. Classés huitièmes dans la poule Sud Est, les Wildcats chutent dès le premier tour du tournoi NCAA, 77-91, face aux Buckeyes d’Ohio State. La seconde année de l’arrière shooteur est encore plus aboutie avec 19 points de moyenne à plus de 50% de réussite. Lors du tournoi final dans lequel ils sont classés parmi les favoris, les Chats Sauvages se débarrassent 99-84 des Jaguars de Southern, 90-81 des Tortues du Maryland mais voient leurs griffes limées 80-74 par d’autres Wildcats, ceux de Villanova. Rex réalise un tournoi solide avec 23 points inscrits par match lors des deux premiers tours et 30 lors de la défaite au Sweet Sixteen (son plus haut scoring en université). « King Rex », tel qu’il est appelé par les fans, règne définitivement sur Rexington mais la vie n’est pas toujours rose sur le campus. Le beau gosse des parquets a parfois des petites amies noires et cela ne plait pas à certains étudiants et responsables universitaires dans cet Etat aux mœurs étriquées et au racisme latent. On lui demande de cacher ses relations, sa voiture est rayée et il fait l’objet de blagues obscènes. Rex passe outre, vit de la manière dont il veut, tout en se demandant si c’est ça l’Amérique, lui qui partage depuis son plus jeune âge la balle orange avec des copains noirs. UK est en outre en proie à des problèmes extra sportifs de recrutement de joueurs dont Rex ne fait pas partie. Ce n’est pas cela qui influe sur sa décision, le sang coule bleu dans ses veines, mais de bonnes ondes lui envoient qu’il sera un lottery pick et qu’il est temps d’aller se mesurer aux hommes de la NBA. La star universitaire s’inscrit à la draft 1988 en écourtant ainsi ses études de deux années.

1988, ce sont les grands débuts d’une nouvelle franchise, les Hornets de Charlotte. Carl Sheer, le general manager et Dick Harter, le coach, choisissent de composer un roster avec quelques vétérans tels Kelly Tripucka, Kurt Rambis, Robert Reed ou encore Earl Cureton ainsi que quelques jeunes joueurs prometteurs issus de la draft d’expansion, Dell Curry et Muggsy Bogues. Ce dernier, plus petit joueur de l’histoire de la NBA peut représenter l’image de l’équipe mais il faut aussi un rookie spectaculaire qui peut faire lever les spectateurs de leurs sièges et oublier les nombreuses défaites d’une saison inaugurale. C’est ainsi qu’avec le huitième choix de la draft, les dirigeants des Hornets sélectionnent l’étudiant vedette du Kentucky, 1m93 pour 84 kgs ! Rex Chapman passe du bleu foncé au bleu turquoise et d’une région folle de basket à une autre qui ne l’est pas moins, la Caroline du Nord. Le general manager Carl Sheer espère le nouveau Jerry West, rien de moins. La pression est énorme sur le kid de Bowling Green.
La saison rookie de Rex, qui a gardé son numéro fétiche de UK, le 3, est plutôt réussie avec une sélection dans la All-rookie second team mais laisse entrevoir ses limites en passant dans la grande ligue. Certes le scoring est au rendez-vous avec 16,9 points de moyenne mais avec un pourcentage de réussite douteux (41,4%) et un apport peu conséquent dans d’autres catégories statistiques (2,3 passes décisives et 2,5 rebonds). Le jeune arrière est néanmoins un chouchou du Coliseum de Charlotte, l’antre bourdonnante des Frelons qui offrent à leurs fans douze victoires à domiciles pour vingt au total dans cette saison inaugurale. Blessé, Chapman ne participe pas à l’exploit du 23 décembre 1988 qui voit la jeune équipe terrasser les Bulls de Chicago et un Michael Jordan qui revient pour la première fois depuis ses années universitaires à UNC jouer dans sa région d’enfance.

L’exercice suivant est du même acabit pour Chapman mais un peu plus décevant sur un plan collectif avec une victoire de moins malgré l’apport dans la raquette d’Armon Gilliam et J.R. Reid, cinquième choix de la draft 1989. C’est le même choix de sélection dont hérite la franchise de Caroline du Nord en juin 1990. Les dirigeants choississent l’élégant shooting guard de l’université d’Illinois Kendall Gill. Cela confirme clairement les doutes portés sur les capacités de Chapman à être le franchise player de l’équipe. Le coach Gene Littles l’utilise dorénavant en deuxième meneur sur le terrain aux côtés de Muggsy Bogues afin de laisser plus de temps de jeu à Gill et à Johnny Newman. « King Rex » shoote moins mais mieux (15,7 points à 44,5%), passe plus (4 passes décisives de moyenne) mais avec aussi le super sixième homme Dell Curry, il doit partager les tickets shoots avec de nombreux joueurs extérieurs.
La deuxième et la troisième saison du bondissant kid du Kentucky sont aussi marquées par deux participations aux concours de dunk des All Stars Week-End. Quelque temps avant le film Les Blancs ne savent pas sauter (sorti en 1992), Chapman, précédé de sa réputation qui dément l’adage, est invité en 1990 à Miami et en 1991, à domicile, à Charlotte. C’est le deuxième joueur blanc, après Tom Chambers en 1987, à concourir. A Miami, Il est coiffé comme à l’époque universitaire, court sur le dessus et quelques mèches débordantes à l’arrière dans le cou. Il réitère sa création de 1986 en high school, »The Flip », et un autre dunk arrière, cette fois-ci après un rebond du ballon au sol. Les notes de 45.5 et 46.6 lui donnent une sixième place sur huit participants. C’est « The Human Highlight Film », Dominique Wilkins, qui remporte le concours. L’année suivante, devant son public, à Charlotte, Rex arbore cette fois ci une coupe hi-top fade, plus dans l’air du temps hip-hop. Son premier dunk ressemble au second du concours de l’année précédente mais il s’élance cette fois-ci à 45° au lieu d’en tête de la raquette et termine face au cercle. La note est légèrement inférieure avec 45.5. Une jolie variation du « Flip » lui offre un 49.7 et un qualification au tour suivant en seconde position avec un total de 95,2 points, derrière Shawn Kemp. Dee Brown crée la surprise en finale à 4 avec son dunk mythique les Reebok Pump gonflées et le visage dans le coude. Rex termine troisième de la demi-finale avec un dunk à une main après rebonds contre le parquet et le panneau (48) et un autre renversé après un rebond et course en ligne de fond (46). À travers ces deux concours réussis, Chapman conforte sa popularité auprès du public. Beau gosse portant le joli maillot turquoise Hornets, plébiscité par les fans du monde entier, le short court laissant dépasser un cuissard blanc tendance, les incisives légèrement écartées laissant présager le bonheur du jeune premier, Chapman est une figure populaire de la NBA, notamment auprès des jeunes. Le 10 août 1991, Rex se marie avec son amie Bridget Hobbs. Ils auront ensemble trois filles (Tatum, Caley et Tyson) et un garçon (Zeke).
BULLETS THE BLUE SKY
Les Hornets attaquent la saison 1991-1992 avec le numéro 1 de la draft 1991, Larry Johnson, le phénomène de l’Université du Nevada à Las Vegas (UNLV) et un nouveau coach, l’ancien general manager Allan Bristow. Alors qu’il a fait signer à Chapman une belle extension de contrat de huit millions de dollars sur quatre ans quelques mois auparavant, Bristow décide de s’appuyer sur un cinq majeur Bogues/Gill/Newman/Johnson/Gattison et c’est assez logiquement que Rex Chapman fait ses valises pour Washington D.C. le 19 février 1992, échangé contre le troisième année Tom Hammonds, qui réalise alors la meilleure saison de sa carrière et qui ne fera plus beaucoup d’étincelles ensuite. Rex, sans chercher d’excuses, fait une analyse lucide de son passage à Charlotte dans le Baltimore Sun.
« Les gens ne réalisent pas que le premier match NBA que j’ai vu était le premier auquel j’ai participé avec les Hornets, en 1988. J’ai du apprendre ce qu’était la NBA. J’ai rapidement découvert que presque tout le monde dans la ligue était plus rapide, plus fort et plus talentueux que les gars contre qui j’ai joué à l’université. J’ai pris beaucoup de coups et j’ai joué horriblement les vingt premiers matchs avant de commencer à me sentir à l’aise. Mais je crois que j’ai joué un basket solide mes deux dernières années et demie à Charlotte ».
John Nash, le GM de la capitale, est enthousiaste à l’idée d’accueillir le shooteur pourtant blessé à l’aponévrose plantaire depuis décembre.
« Nous aimons beaucoup Rex Chapman, même s’il est blessé…il est potentiellement un joueur all star. Avec lui faisant équipe avec Michael Adams, Bernard King, Pervis Ellison et Harvey Grant, nous avaons vraiment conclu cet accord en vue de l’année prochaine. Même s’il ne pouvait pas jouer pour le reste de la saison, nous avons pensé que c’était une excellente opportunité »
Chapman participe au dernier match de la saison des Bullets en inscrivant dix points dans une défaite 104 à 111 à Philadelphie le 18 avril 1992. Après avoir joué dans une équipe novice qui a terminé trois fois dernière de sa division, il est arrivé à Washington, avant-dernier de la division atlantique. Et cela ne va pas s’arranger puisque les Bullets vont récupérer le bonnet d’âne de la côte est trois ans d’affilée. En 1992-93, le premier match a lieu symboliquement à Charlotte. Malgré l’émotion du retour, Rex inscrit 25 points avec sa nouvelle équipe dans une défaite 119 à 126. Il participe cette année là à 60 rencontres mais seulement 23 dans le cinq. La légende des Bullets, Wes Unseld, titré en 1978, l’utilise essentiellement en pistolero, ce qui lui réussit plutôt bien, libéré de son statut d’ex-futur franchise player, mais malheureusement dans une équipe moribonde depuis plusieurs années et qui ne fait pas se déplacer les foules. Cette progression individuelle lui fait retrouver un poste de titulaire l’année suivante lors de laquelle il effectue ses plus belles moyennes offensives avec 18,2 points à 49,8% de réussite. Il est sélectionné au All Star Game 1994 de Minneapolis mais une mauvaise entorse de la cheville le 17 janvier face à San Antonio l’éloigne des terrains six semaines entre mi janvier et début mars et le prive de l’événement. Il réalise son plus gros carton avec 39 points le 20 mars 1994 dans une déroute à Denver 132 à 99. C’est encore un fait notable dans la carrière de Chapman. Ses meilleures performances au scoring se déroulent quasi exclusivement des soirs de défaites. Frustrant. Comme les blessures qui perturbent toutes les saisons de l’arrière. En 1994-95, il ne participe qu’à 45 matchs dont 29 en tant que titulaire et, malgré des statistiques en baisse mais toujours correctes, les Bullets se débarrassent de Rex (et de son contrat à 2 millions l’année) comme d’une vieille paire de chaussettes, le 28 juin 1995, en l’envoyant avec les droits de l’obscur Terrence Rencher (36 matchs NBA en carrière) à Miami contre ceux d’ Ed Stokes (4) et Jeff Webster (11), un trade indigne d’un tel joueur. Chapman, qui commence à perdre ses cheveux et le début de ses illusions, est en colère, lui qui affirme qu’une prolongation était dans les tuyaux, mais John Nash a besoin d’argent pour acheter un meneur et pense déjà aux éventuelles prolongations de ses jeunes pépites Chris Webber, Juwan Howard et Rasheed Wallace.
HEAT THE ROAD, REX
Rex Chapman débarque ainsi par la petite porte au Heat et quelques semaines plus tard il voit arriver la (déjà) légende du coaching Pat Riley qui entame son règne floridien, toujours d’actualité en 2021. Récupérant d’une opération chirurgicale au pied effectuée en début de saison, Chapman ne commence l’exercice que fin décembre et une fois de retour sur les parquets, « Gomina » utilise largement ses compétences en lui donnant plus de 33 minutes de temps de jeu par match. Le joueur ne tarit pas d’éloges sur son nouvel entraineur:
« Pat Riley est génial. Il est très professionnel. C’est certainement le coach le plus dur avec lequel je n’ai jamais travaillé. Et le Heat de Miami est une organisation de grande classe ».
Après des débuts timides, le shooteur monte en régime et attend le sommet individuel de sa carrière le 23 février en égalant son record en saison régulière avec 39 points lors d’une victoire de prestige 113 à 104 face à l’armada des Bulls qui écrasent tout lors de leur saison record.
Après deux cycles de près de quatre saisons chacun à Charlotte et Washington et l’intermède Miami, c’est le dernier chapitre de la carrière NBA de Chapman qui s’ouvre et il va durer quatre ans. Le début de saison 1996-97 des Suns est catastrophique avec treize défaites d’affilée. L’entraîneur Cotton Fitzsimmons, remercié au bout de huit matchs, est remplacé par Danny Ainge qui démarre sa carrière sur le banc, un an après avoir raccroché les baskets dans l’Arizona, et qui est très pote avec Rex. Les Suns progressent tout au long de la saison, accueillent le troisième année Jason Kidd fin décembre, et finissent en trombe avec seize victoires en vingt matchs pour accrocher une septième place de la conférence Ouest, synonyme de strapontin pour les playoffs 1997. Au premier tour, face aux SuperSonics de Seattle, Chapman hausse largement son niveau de jeu et devient le leader offensif d’un cinq composé aussi de deux meneurs, le véteran toujours alerte et meilleur scoreur de l’équipe en saison régulière Kevin Johnson, Jason Kidd, et deux intérieurs bourlingueurs ayant passé le trentaine, Wayman Tisdale et John « Hot Rod » Williams. Dans le Game 1 de la série, Rex prend littéralement feu dans la KeyArena de Seattle et inscrit 42 points avec un 9 sur 17 à 3 derrière l’arc pour la première victoire en playoffs de sa carrière ! Le premier mai, lors du Game 4, c’est l’action la plus célèbre du « Boy Wonder », le « One-Foot Miracle ». Alors que Phoenix est mené de 3 points à 4,3 secondes de la fin de la rencontre, il rattrape une remise en jeu trop longue de Kidd et tout en se retournant sur un appui sur le pied gauche décoche un magnifique shoot arc-en-ciel qui fait swish et se lever le public extatique de l’America West Arena. Les Suns craquent en prolongation et les Sonics empochent deux jours plus tard la dernière manche à domicile pour gagner la série 3/2 et passer au tour suivant mais cette action fait entrer définitivement Rex dans le coeur des fans de Phoenix. Un véritable Rex Appeal !

La saison suivante, il entre pour de bon dans le cinq titulaire alors que ce n’était le cas qu’une fois sur deux l’année précédente. Il joue plus de 33 minutes par match, deuxième derrière Kidd et est le meilleur scoreur des Suns avec 15,9 points par match dans une répartition collective harmonieuse. Le bilan de la saison est excellent avec 56 victoires pour 26 défaites et une quatrième place devant San Antonio, aux mêmes résultats, mais avec l’avantage du terrain au premier tour des playoffs. Rex Chapman est diminué lors de cette série. Il ne participe qu’aux matchs 2 et 3. Le Suns, surpris 96 à 102 lors de la rencontre inaugurale, se rattrapent ensuite mais perdent les deux confrontations dans le Texas et pour s’incliner dans la série 3-1. Rex n’est que l’ombre de lui-même avec 18 points cumulés avec un triste 6 sur 23 aux shoots, aucun rebond et 4 passes décisives.
THE DRUGS DON’T WORK
Les choses ne s’arrangent pas entre 1998 et 2000. Seulement 38 puis 53 matchs joués avec un temps de jeu en baisse. Dix opérations chirurgicales, notamment à la cheville et au poignet, dont sept dans les trois dernières années envoient clairement le message à Chapman que sa carrière touche à sa fin. Lui le jumpeur fou, qui se rase maintenant le crâne, n’inscrit aucun panier sur dunk lors de son ultime saison 1999-2000 dans l’Arizona. Ses articulations sont meurtries par un jeu sans retenue physique depuis l’Apollo High School à Owensboro. En 666 matchs de saison régulière pour quatre équipes, il a tourné à 14,6 points, 2,7 passes décisives et 2,5 rebonds de moyenne. Le 20 novembre 2000, accompagné par son agent David Falk et le président des Suns Jerry Colangelo, il annonce officiellement sa retraite lors d’une conférence de presse. Malgré cette petit mort du basketteur professionnel, Rex a de l’humour. Avec le journaliste Tom Leander de l’émission Suns Gametime de la chaîne locale UPN 45, il organise une autre conférence, fake cette fois-ci mais avec des donuts Krispy Kreme gratuits ! Seul Leander est présent dans cette parodie dans laquelle Chapman se moque gentiment de lui avec beaucoup d’auto-dérision. Mais cette joie de vivre cache un mal et même des maux plus profonds. Rex est accro au jeu, notamment les paris sur les courses de chevaux, lui qui est originaire de la région du Kentucky Derby, la célèbre course hippique qui a lieu chaque année au moi de Mai à Louisville. Il doit participer à des réunions des parieurs anonymes. Plus grave, après une appendicectomie au printemps 2000, un médecin lui prescrit de l’OxyContin, un puissant antalgique de la famille des opioïdes. Si en France son utilisation est très réglementée et réservée à des cas précis, ce n’est pas le cas aux Etats-Unis et Rex Chapman, à l’instar de nombreux autres patients, va devenir complètement accro à ce médicament qui soulage mais créé une forte dépendance. Ses problèmes d’anxiété sociale et de dépression, sous-jacents depuis son adolescence, sont aussi masqués dans un premier temps par ce produit miracle mais rapidement, il lui en faut plus et tout le temps. Il entre une première fois en cure de désintoxication sur les conseils de son ami Danny Ainge mais quelques mois après sa sortie, il connait des douleurs abdominales et subit une opération du poignet entrainant une prescription cette fois ci de Vicodin (le médicament dont est accro le Dr House de la série télé éponyme). Nouvelle dépendance et retour en cure en 2002 avec pour traitement du suboxone, un subsistant aux opiacés, qui a pour effet d’entrainer fatigue et troubles de l’attention.
Chapman ne reste pourtant pas inactif et enchaîne différents postes professionnels. Entre 2002 et 2005, il est scout puis directeur des opérations basket pour les Suns. En 2004 et 2005, il est consultant lors des playoffs pour la chaîne TNT. Il quitte la chaleur de l’Arizona pour le fraicheur du Minnesota et un emploi de scout en 2005 mais ne reste qu’un an acceptant le poste de vice-président du personnel chez les Nuggets. Il reste quatre saisons dans le Colorado.
A son départ de Denver, rien ne va plus dans la vie de Rex. Il divorce en 2012, enchaîne les différentes expériences de consultant sans lendemain et se brouille avec ses parents et sa sœur. Le 19 septembre 2014, il touche le fond. Il est arrêté par la police de Scottsdale. Sur la photo prise après l’arrestation, Chapman est bouffi, hagard, les pupilles dilatées. Il n’est que l’ombre de lui-même. Il est accusé d’avoir volé pour 14 000 dollars de marchandises dans un Apple Store, vidéos à l’appui, avant de les revendre à un prêteur sur gage.
KING REX EST MORT, VIVE LE REX
Direction la troisième et dernière cure de désintoxication, cette fois-ci à Louisville, et au delà d’une remise à niveau physiologique, Rex Chapman entreprend une psychothérapie qui lui fait prendre conscience de la cause de ses addictions en tout genre et son mal-être depuis son adolescence.
« Je me suis toujours senti un peu comme une fraude depuis mon plus jeune âge. Les gens avaient une opinion sur moi ou je pensais qu’il avaient cette opinion du parfait gamin blanc américain et j’ai agi toute ma vie en fonction de cet idéal, sachant que ce n’était pas qui j’étais à l’intérieur. Je suis un mec imparfait, je n’ai aucune patience, j’ai toutes sortes de verrues, je suis déprimé. Mais c’est la première fois de ma vie que je le pensais. Maintenant la facade est partie. Je peux être juste moi mais je dois aller mieux ».
En 2015, un an après le vol à l’étalage, Chapman plaide coupable au procès. Il rembourse l’Apple Store et effectue 750 heures de travaux d’intérêt général. Il est temps de quitter ses démons et aller de l’avant. Désintoxiqué et armé de sages résolutions, Il retourne habiter Lexington où il effectue un rééquilibrage alimentaire et pratique la natation qui épargne ses articulations meurtries. Le forme physique et le mental reviennent au galop d’un cheval du Kentucky Derby. Rex anime une émission d’avant-match des Wildcats.

Étonnamment, c’est par les réseaux sociaux, plus spécialement Twitter, que Chapman trouve une nouvelle voie. La couleur de Twitter n’est pas le bleu Kentucky mais un bleu ciel qui convient bien à la nouvelle philosophie de celui qui compte aujourd’hui plus d’1 180 000 abonnés. Se refusant d’être un influenceur, Rex se veut passeur de bonnes vibrations à travers notamment la diffusion de vidéos humoristiques dont la série à succès des « Block ou Charge » qui reprend les termes entendus sur les parquets « Faute ou Passage en Force ». Il réalise une levée de fonds pour les fragilisés durant la pandémie de la Covid-19, anime une émission sur le site adultswim.com, développe les podcasts The Rex Chapman Show avec Josh Hopkins et Charges, témoigne de l’enfer des addictions auprès des étudiants. Le 27 mars 2020, ESPN consacre un documentaire au parcours cahotique de l’ancien enfant prodige du Kentucky «Being Rex Chapman». Rex s’y met à nu, n’éludant aucun épisode de sa vie ou de sa carrière de basketteur. L’émission est la dernière étape de l’effet de catharsis recherché.
L’histoire de Rex Chapman est le reflet de ce que vivent de nombreux sportifs professionnels et notamment les basketteurs de la NBA : une mise sur un piédestal à l’étage du lycée ou du collège, une carrière fort honorable mais qui ne répond pas aux grandes espérances initiales du public et des observateurs, les blessures qui perturbent un talent fou, la petite mort de la retraite des parquets, la dépression, des addictions qui remplacent la passion du jeu, la ruine. Dans le cas de Rex Chapman, la renaissance est au rendez-vous après une troisième phase de soins réussie et un succès médiatique étonnant et inattendu mais c’est loin d’être toujours le cas. Le « Boy Wonder » a lui fini par rejoindre le bon itinéraire d’un enfant gâté.
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