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[Portrait] Tito Maddox, Good Kid, M.A.A.D City

Portrait

Montage Une : Laurent Rullier por Basket Retro

Théodore, alias Tito, c’était le gamin du sud de L.A. qu’on voyait toujours un ballon à la main, les lacets défaits. Il jouait, encore et encore, chaque jour, comme beaucoup de gosses du quartier. Lui était doué, facile, rayonnant. Il ne s’inspirait de personne, ne regardait pas spécialement les matchs. Le jeu, il le sentait et le ressentait. Compton l’a forgé : dur, vif, lucide. Il n’avait pas le luxe de rêver trop longtemps. Alors il jouait.

Dans les années 90, Compton renvoie l’image d’une ville déchirée par la violence. Crips et Bloods s’y affrontent, sur fond de misère sociale. Les émeutes de 1992 y ont été particulièrement féroces dans cette ville à majorité afro-américaine à cette époque. Au milieu de ce chaos, souvent caricaturé, parfois exploité (RockStar dans son jeu phare GTA reprend ce quartier sous différents noms, entre autres …) émergent et émergeront un certain nombre de talents. Le monde de la musique est nourri par cette ville de Californie. Dr Dre, Ice Cube, The Game, Kendrick Lamar…. Le dangereux Suge Knight fait le lien entre l’art et la rue. Le rap résonne à Compton. Tout comme la balle orange. Notre adolescent, produit du cru prend cette option. Il grandit au milieu des rues de Compton avec ses trois frères et sœurs, élevés par leur mère célibataire.

Il intègre donc le lycée de Compton, pourvoyeur de joueurs NBA (7 au total). Un établissement qui aligne en même temps Jeff Trépagnier, futur arrière de la faculté d’USC et des Cleveland Cavaliers, avec Tito. Maddox y fait un passage solide, en finissant à plus de 20 points et 8 rebonds lors de son année senior. Il est appelé pour le Dada Classic Game lors de sa dernière année, regroupant les meilleurs lycéens du pays. Gilbert Arenas, Jamal Crawford, Kareem Rush et Kirk Hinrich sont de la partie. Maddox assure avec 13 points et surtout 10 passes décisives.  Les commentaires sont élogieux. Avec une intelligence de jeu rare, Tito a la capacité de lire les défenses avant qu’elles ne se mettent en place. Précis, fluide, il n’a aucun mal à déstabiliser son adversaire pour créer le décalage. Son physique lui permet de s’imposer aisément face à des vis-à-vis souvent plus petits et moins forts. Il dégage une sérénité naturelle, de celle qui ne s’apprend pas. Il ne connaît pas le jeu, il est le jeu.

Dans le top 100 des lycéens du pays, top 10 pour les meneurs/ arrières, les seuls doutes portent sur ses résultats scolaires et à raison. Les universités intéressées s’écartent au fur et à mesure que l’année avance. Maddox n’obtient pas les minima, et devra réaliser une année blanche …. Un homme flaire le bon coup. Tarkanian. Pas le père, Jerry, légende d’UNLV, ancien coach éphémère des Spurs qui a intégré les Bulldogs de Fresno State en 1995, mais Danny, le fils, ancien joueur d’USC et coach assistant de son père. Il s’engage donc avec la sulfureuse faculté qui évolue au sein de la WAC. On ne quitte pas la Californie.

Tony Benford, l’assistant d’Arizona State, déclare : « On avait hâte de le voir, mais c’est un sacré joueur. Je n’ai pas vu de meilleur meneur de jeu dans tout le pays l’été dernier. C’est un prototype de meneur de jeu avec ses 1,93 m et il rend tout le monde meilleur en poussant le ballon. »

L’ancienne fac du meneur Rafer Alston sort d’une saison à 21 victoires et 12 défaites. En l’absence de leur recrue en provenance de Compton, ils obtiennent un bilan de 24-10 lors de la saison 1999-2000 et se qualifient pour le tournoi NCAA en sortant au premier tour. Malgré cela, l’année est chaotique et difficile pour Jerry Tarkanian.

« Danny pense que Tito est le meilleur meneur que j’ai eu, je lui ai dit, tu ne peux pas dire ça ! Danny pense que le seul meneur meilleur que lui actuellement est Jay Williams de Duke ».

‘’Tout le monde sait que le meilleur meneur entraîné par mon père est Greg Anthony, à UNLV Je pense que Tito est meilleur que Greg. » précise Danny Tarkanian.

crédit : Associated Press

La couleur est annoncée. Tito lui, a observé de loin sa future équipe. Enfin observé, pas tant que cela. Un regard lointain, sans être particulièrement impressionné.

« Sur le terrain, c’était vraiment du « moi, moi, moi », dit-il. « Tout le monde ne s’entendait vraiment pas. Ils ont réussi à se qualifier pour le tournoi (NCAA), mais c’était juste grâce à leur talent brut. On aurait dit qu’ils n’écoutaient même pas les entraîneurs, qu’ils jouaient juste pour eux-mêmes. »

 C’est lors de la saison 2000/2001 que Tito Maddox intègre l’équipe. Et de quelle manière. Après avoir purgé une suspension de 8 matchs, Tito brille d’emblée. Chris Jefferies et Melvin Ely, futurs NBAers sont les autres stars de l’équipe à ses côtés. Lui fait ce qu’il sait faire, rendre l’équipe meilleure, en étant présent au scoring, aux rebonds et à la passe. Sous les ordres de Tarkanian, l’équipe tourne très bien au sein de la conférence. Tito Maddox est nommé joueur de basket-ball masculin de la semaine de la Western Athletic Conference en janvier 2001. Il marque 16 points, délivre 9 passes décisives, récupère 8 rebonds, réalise 5 interceptions et contre 1 tir lors de la victoire 108-56 de Fresno State contre UTEP jeudi. Maddox n’a joué que 27 minutes, absent pendant les 11 dernières minutes du match, et a shooté à 6 sur 11. Il a également été un élément clé de la défense des Bulldogs en contribuant à maintenir les Miners à 30 points en dessous de leur moyenne. Cette victoire de 52 points est la plus importante de Fresno State depuis 1959. Les Bulldogs affichent alors une série de 13 victoires consécutives, la deuxième plus longue du pays.

 Fresno State se qualifie pour le tournoi NCAA. Toutefois, la fin de saison est plus difficile pour Maddox. Son shoot est suspect, et les équipes adverses s’y adaptent en l’éloignant du cercle. Bilan, 28 % à 3 points et 39 % au final. . Face à California lors du tournoi NCAA, Tito passe 9 points, mais avec un vilain 1 sur 8 aux shoots. Il complète toutefois sa feuille avec 8 rebonds et 10 passes. Sa lecture du jeu découpe littéralement la bonne défense de California. De l’autre côté du terrain, il neutralise son vis-à-vis Shantay Legans, l’empêchant d’accéder au cercle. L’aventure s’arrête au tour suivant contre Michigan State. Toujours un affreux 4 sur 16 aux tirs, 6 passes, 6 rebonds, 11 points pour Maddox. Il est comparé à Jason Kidd, que ce soit pour ses forces mais aussi ses faiblesses.

L’année aura confirmé les prédispositions du jeune homme, mais aussi ses carences. Il fait quand même partie des 50 joueurs sélectionnés pour le Wooden Award All Américan. Elu meilleur Freshman de la conférence WAC, il termine meilleur passeur avec une moyenne de 8,7 passes par match, mais aussi top 5 passeurs à l’échelon national en NCAA. L’année suivante s’annonce prometteuse pour ce groupe.

« J’espère qu’il reviendra » déclare Maddox au sujet de son coach. « Et j’espère que tout le monde reviendra. »

« Si nous avions une chance d’atteindre le final four, ça serait fun. » déclare Tarkanian. « J’aimerais y aller une nouvelle fois. Si je pouvais y amener fresno State, ça serait la meilleure chose possible. C’est mon but ultime. »

Crédit : Fresno State

Si tout ce petit monde semble sur la même longueur d’onde, en sous-marin, certains œuvrent pour que Maddox se présente à la draft 2001. Et c’est ce qu’il annonce. Tarkanian n’est pas informé, mais Maddox prend le parti de se déclarer éligible. Rien d’étonnant finalement en ce début des années 2000, ou chacun tente de profiter de la hype pour se frayer un chemin vers les millions promis par la NBA le plus tôt possible. Les lycéens commencent à devenir monnaie courante à la draft, dans la droite lignée des succès que sont Kevin Garnett, Kobe Bryant et autres Tracy McGrady. Même démarche pour les joueurs de première année. Tito Maddox est lui freshman, mais avec une année de perdue entre le lycée et l’université, ne souhaite plus attendre pour mettre sa famille à l’abri. Son cœur balance toutefois avec ce qu’ils sont en train de créer à Fresno State, dont le potentiel est évident.  Le meneur des Bulldogs revient donc sur son choix et souhaite poursuivre avec Fresno State ! Un choix plutôt judicieux sportivement. Fresno a une belle carte à jouer, un effectif talentueux, et une seconde saison ne fera qu’appuyer les éclairs de génie entrevus cette année, tout en essayant de gommer les ‘’défauts’’ de son jeu. Oui mais … en coulisse, une autre histoire se joue. Un tournant. Le Los Angeles Times et la NCAA sont sur un sujet.

Rappel des faits. 9 décembre 2000. Tito Maddox est suspendu 8 matchs pour avoir accepté des billets d’avion et des places pour un match NBA d’un ami qui entre temps est devenu agent NBA. Un homme originaire de Compton, comme lui, Rodney Guillory. Premier avertissement. La NCAA diligente par la suite une enquête, qui se révèlera édifiante sur les agissements de Maddox. Le 21 août Maddox est renvoyé de Fresno State. Scott Johnson, directeur sportif de l’université déclare :

« Il est regrettable que cette mesure ait dû être prise, mais c’est la deuxième fois qu’un problème lié à la perception d’avantages par des agents sportifs se pose », a déclaré Johnson. « Il s’agit d’une violation flagrante des règles de la NCAA et du code de conduite des étudiants athlètes de l’université. »

Crédit : Fresno Bee file photo

Jerry Tarkanian, qui s’est éloigné de Maddox après qu’il se soit déclaré éligible pour la draft parlera de nouveau d’un billet d’avion et de places pour un match que Maddox refusera de rembourser. Sur les faits, Tito Maddox avouera en décembre 2002 au journal Fresno Bee avoir bénéficié d’avantages des frères Delpit de l’agence Franchise Sports, à travers son ami Guillory, tels qu’une voiture pour sa mère Gloria et 1 500 dollars par mois pour sa famille …  Le retentissement est fort en NCAA. Fresno, coutumière du fait, se voit sanctionnée par la NCAA sur le recrutement après ces nouveaux aveux, et sera placée sous probation pendant 2 ans.  Tarkanian arrêtera la saison suivante, fatigué par des scandales à répétition, et très probablement déçu du gâchis qu’a représenté la perte de Maddox. Cette situation est malheureusement un lieu commun dans le sport universitaire des années 90 et 2000, qui porte aux nues certains jeunes athlètes, sans qu’ils puissent bénéficier de la moindre rétribution de l’argent qu’ils génèrent. Forcément, des personnes mal intentionnées peuvent être tentées d’approcher ces jeunes, qui sont des investissements sur l’avenir à moindre frais. Une voiture, quelques enveloppes de liquide, des avantages sans commune mesure avec les millions potentiels à venir à court terme.  Le film « He Got Game » illustre à merveille cette période.

« Il n’a plus de cours ni de devoir maintenant, il devrait intégrer la ligue de développement, tenter 500 shoots par jour, et s’il y parvient, espérer intégrer la NBA, » déclare revanchard, Tarkanian.

Tito Maddox se retrouve au sortir de l’été sans solution. A la date où l’affaire explose, les options sont plus que limitées. Impossible de jouer en NCAA, ni en NBA. Il reste la toute jeune NBDL, dont les perspectives sont inconnues, la CBA, ligue mineure américaine, ou éventuellement l’étranger. Maddox prend l’option retour à la maison, en attendant le NBA Draft Combine de l’année suivante pour tenter sa chance. Si ce choix peut surprendre avec le recul, il a tout son sens en 2002. Le chemin est alors étroit pour accéder à la NBA, et il est très facile de s’en écarter en jouant à l’étranger.

Après cette nouvelle année sans jouer, il se présente au NBA Draft Combine pour se rappeler aux bons souvenirs des équipes NBA. Maddox y confirme ses prédispositions physiques lui permettant de dominer son vis-à-vis, sa solidité défensive, sa vision de jeu rare, et sa capacité à finir au cercle. Les doutes sur son shoot persistent, que ce soit dans sa réussite, mais aussi dans la sélection effectuée. Son jeu flashy est à risque ; pour autant, Maddox va réussir à convaincre. Mais on est très loin de lottery pick qui lui était promis initialement.

Crédit : Joe Murphy

Encore annoncé en fin de premier tour, Il est sélectionné en trente-neuvième position au second tour par l’équipe phare de cette draft, les Houston Rockets. Hakeem Olajuwon parti, Houston a drafté la licorne Yao Ming en premier choix de cette draft 2002 pour soutenir son all star Steve Francis. Capable d’occuper les deux postes arrières, Maddox aura potentiellement une vraie chance derrière le duo Francis, Cuttino Mobley. Il se retrouve en concurrence avec Tierre Brown pour la place de troisième meneur derrière Moochie Norris. Il arrive à écarter Brown lors de la présaison. Il passe 9 points et 6 passes dans une victoire contre les Suns de Stephon Marbury. Déjà, il fait étalage de sa capacité à trouver les joueurs démarqués.

« Je n’ai pas joué depuis un moment, genre un an et demi », a déclaré Maddox. « J’ai besoin de temps pour me mettre dans le rythme. Je sens une grande rouille. Il faut s’habituer aux arbitres, à l’attaque, à ses coéquipiers. Mais la dernière fois que j’ai joué au basket, c’était en 2000-2001. C’était il y a longtemps, et c’est un grand pas vers la NBA. »

Crédit : Photo by Barry Gossage

Ne nous lançons pas dans un suspense sur sa saison. Une blessure au pied contractée dès le mois d’octobre va l’handicaper toute la saison le privant de 45 matchs potentiels. Tito n’eut jamais réellement sa chance.  35 maigres minutes à répartir sur 9 matchs, 3 shoots sur 12, 11 malheureux points et 5 passes. Il en est ainsi de sa première année, couronnée par une sanction suite à un vol manqué lors d’un voyage en mars à San Antonio.

« Nous avons appelé quatre ou cinq fois hier soir et ce matin », a déclaré Keith Jones, membre du coaching staff des Rockets. « Nous avons eu des nouvelles de l’agent. Il lui a obtenu un vol. Mais il (Maddox) n’a jamais pris l’avion. On craint d’abord qu’il lui soit arrivé quelque chose. Mais il a appelé pour dire qu’il allait bien. J’ai dit qu’on se préparait pour un match et qu’on se parlerait aujourd’hui. »

Les Rockets ne prolongent pas l’aventure à l’été 2003 malgré une invitation en summer league et il est coupé après un test par les Cleveland Cavaliers.

Retour en Californie. Pas de seconde chance, pas de carrière européenne. C’en est terminé des rêves de basketteur pour l’enfant de Compton qui a mal vécu l’éloignement avec sa terre natale. Tito Maddox utilise cette expérience malheureuse pour la mettre au service de sa communauté. Dans une période où sortir de cette ville relève du parcours du combattant, Maddox travaille autour de projets éducatifs sur le sport. Il y est vu comme un homme talentueux, qui a touché du doigt le rêve de la NBA, une finalité en soi, mais fut un dommage collatéral de cette NCAA au comportement schizophrénique.

Crédit : 2002 SAGE card

Son nom réapparaîtra lors de l’affaire O.J Mayo, en 2008, victime lui aussi du fameux Guillory. « Même histoire, même homme » déclara Maddox qui n’en revenait pas qu’on laisse cette personne tourner autour d’athlètes avec de tels antécédents. Propriétaire d’une modeste maison à Carson avec sa femme et ses deux enfants, Tito Maddox se remettait alors doucement d’une tumeur cérébrale cancéreuse, avec l’espoir de revenir dans le basket. Il n’en sera rien.

Alors que reste-t-il de cette histoire, unique et si commune à la fois ? De témoignages d’inconnus sur les réseaux sociaux à Gilbert Arenas sur son podcast à succès, tous sont unanimes sur le talent de Maddox, sa discrétion et sa dureté dans le jeu. Reste aussi la triste réalité d’un alignement des planètes nécessaire pour réussir, et probablement encore plus quand vous venez d’un endroit et d’un milieu aussi dur que Compton, porte étendard de la rue sur la côte Ouest avec ce qu’elle a de plus beau mais aussi de plus sombre. Tito Maddox a payé ses choix et ses erreurs au prix fort. Si rien ne vous prépare au succès, de nombreuses choses peuvent vous en écarter. Il reste le son d’un nom, et les actes d’un homme fidèle aux siens. Straight outta Compton.

25 matchs NCAA :

13,5 points, 5,8 rebonds, 8 passes, 1,6 interceptions en 32,4 minutes

Meilleur Freshman de la conférence WAC en 2001

Meilleur moyenne de passes décisives dans l’histoire de Fresno State

Drafté en 39ème position, draft 2002, 9 matchs NBA avec les Houston Rockets

Highlights Fresno State SMU 22/02/2001

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About Valentin Wiktor (15 Articles)
Dream Team 92, puis l'euphorie des années Jordan... . Rien de bien original mais une passion est née, toujours présente et particulièrement mordante !

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