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[ITW] Ouliana Semenova : « Avec le boycott des États-Unis, nous savions que nous allions gagner la médaille d’or. »

Interview

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro

Pour notre livre « L’Histoire du Basketball aux JO », Basket Rétro a eu la chance d’échanger avec la grande Ouliana Semenova. Internationale soviétique de 1968 à 1986, la Lettone a remporté deux médailles d’or aux Jeux olympiques. Elle est revenue sur son parcours et nous a livré un témoignage exceptionnel sur l’organisation du basket en Union soviétique.

Basket Rétro : Comment avez-vous commencé le basket-ball ?

Ouliana Semenova : Je suis née à la campagne dans une famille qui avait déjà 5 enfants. En 1960, la fédération lettone de basket a commencé à rechercher activement des filles de grande taille et à organiser des compétitions tous les ans. En 1965, quand j’avais 13 ans, mon beau-frère, Pavel Kosenko, m’a parlé de ça. Les coachs ont finalement convaincu mes parents, Ilaryon et Natalya, d’autoriser leur fille de 13 ans à déménager à Riga pour commencer à jouer au basket.

C’était une grosse décision parce que je ne voulais pas aller à Riga et être si loin de ma famille. Riga était à 250 km de chez nous et mes parents étaient très pauvres. Ils n’avaient pas de voiture. Je n’avais jamais été si loin de chez moi avant. J’ai réalisé que j’allais être seule à Riga sans voir mes parents pendant un long moment.

La première fois que le représentant de la fédération est venu de Riga, je me suis enfuie à travers bois ! Je ne suis rentrée à la maison qu’après son départ. Pour me convaincre, mon frère m’avait dit qu’à Riga, je pourrais avoir une manucure, que je pourrais aller au théâtre et au cirque. J’étais très impressionnée. Évidemment à 13 ans, je n’avais aucune idée de ce que jouer au basket-ball signifiait. Toutes ces promesses étaient alléchantes et finalement j’ai commencé à rêver d’une vie en dehors de ma campagne. Dans ma famille, nous parlions russe et ma mère a insisté pour que j’apprenne à parler letton avant d’aller à Riga.

Semenova face à Stefania Passaro en 1982.

Finalement, je suis arrivée à Riga le 30 août 1965. Le 1er septembre, je commençais à étudier et apprendre les bases du basket. A cette époque, je mesurais déjà 1,92m. Nous étions 16 dans une chambre et parfois nous devions aller dans la salle de bain pour étudier. Mon premier coach était Ansis Raubens. C’est lui qui m’a vraiment fait aimer le basket-ball. Je lui en suis reconnaissante. Il m’a emmené voir des matchs. Je n’avais jamais vu de basket féminin avant. C’est lui qui m’a appris les règles et la manière de jouer au basket.

Au bout d’un an, j’ai été invité à faire partie de l’équipe lettone junior. J’ai participé à ma première compétition sérieuse à 15 ans, le championnat de Lettonie. Au fur et à mesure, j’ai développé mon basket avec les coach du Daugava Riga, appris à utiliser ma taille (2,10m) en attaque comme en défense. J’ai beaucoup travaillé après les entraînements. Je suis de nature perfectionniste.

BR : Comment était organisé le basket-ball en Union soviétique à cette époque ?

OS : En Union soviétique, l’organisation des sports étaient centralisée et financée par l’État à tous les niveaux, des jeunes jusqu’à l’élite. Le développement des sports était supervisé par le comité des sports d’URSS, qui avait un département par sport y compris pour le basket-ball. Chaque république de la fédération, Lettonie, Lituanie, Ukraine etc avait son propre comité des sports sous la houlette du comité des sports d’URSS basé à Moscou. Le comité des sports était en charge des activités sportives aux côtés des comités nationaux dans le développement des jeunes et l’organisation du sport de haut-niveau. En basket, les adultes comme les jeunes concourraient dans leurs championnats nationaux respectifs. Les meilleurs formaient une équipe nationale qui à son tour concourrait pour le championnat d’URSS et dans d’autres tournois. Gagner à ce niveau de compétition équivalait presque à gagner un championnat d’Europe tellement les joueurs d’Ukraine, de Lituanie ou de Lettonie étaient parmi les plus forts du monde. Le top des joueurs de chaque république, y compris la Lettonie, était intégré au sein des équipes d’URSS et concourraient dans les différentes compétitions sous le drapeau de l’Union soviétique.

Après l’occupation de la Lettonie en 1940 et son intégration dans l’Union soviétique (jusqu’à son indépendance en 1991), le basket letton était pleinement intégré au système sportif de l’URSS.

BR : Est-ce que vous vous souvenez de votre premier match avec l’Union soviétique et comment s’est-il déroulé ?

OS : En 1968, comme membre de l’équipe d’Union soviétique, j’ai gagné mon premier championnat d’Europe. J’ai représenté l’URSS pendant 18 saisons, de 1968 à 1986. J’ai débuté à 15 ans, lors d’un championnat junior en Italie. C’était ma première fois à l’étranger. Quand je suis arrivée là-bas, je ne pouvais pas marcher dans les rues. Je crois que les Italiens n’avaient jamais vu une fille aussi grande ! Ils s’arrêtaient et me regardaient comme si j’étais un animal fantastique. Ils venaient me voir et voulaient me toucher. C’était très embarrassant au début puis je m’y suis faite.

Les matchs en Italie se déroulaient sur des terrains en asphalte à l’extérieur sous un soleil de plomb. Les spectateurs venaient me voir pour s’assurer que j’étais bien comme eux, un être humain…

En 1968, j’ai participé à la fois aux championnats d’Europe junior et senior comme membre de l’équipe d’URSS.

En 1977, Françoise Quiblier contre Semenova @ Cathy Malfois

Avant le championnat d’Europe, nous avions fait un camp d’entraînement à Soukhumi (ndlr dans l’actuelle Géorgie). C’était mon premier camp. Mon intégration a été facilitée par la présence de Skaidrīte Smildziņa-Budovska qui venait aussi de Riga.

BR : Vous avez gagné deux médailles d’or aux Jeux olympiques. Quel est votre meilleur souvenirs des Jeux ?

OS : En 1976, l’expérience olympique a commencé dès le village. C’est une rare opportunité de voir tous les sports réunis en un même lieu. La première médaille d’or gagnée par l’Union soviétique l’a été par un cycliste, Vladimir Kaminski (ndlr en contre-la-montre par équipes). Au déjeuner, nous l’avons rencontré avec mes coéquipières et il était fier de nous montrer sa médaille d’or. Quand j’ai vu sa médaille, j’ai eu des frissons sur toute la colonne vertébrale ! Je m’en souviendrai toute ma vie. Je voulais aussi gagner une médaille d’or et nous l’avons fait sans grande difficulté.

A Moscou, j’avais 24 ans et j’étais au pic de ma forme. Avec le boycott des États-Unis, nous savions que nous allions gagner la médaille d’or. Cette médaille ne m’a pas apporté autant de satisfaction que je l’espérais.

Je voudrais parler des conditions de vie à cette époque. Les magasins étaient vides en Union soviétique. Les jeux de Moscou ont été « une fête dans un temps de famine ». Les meilleurs chefs du monde entier ont été invités. La commission médicale contrôlait la qualité de la nourriture et parfois ils fermaient les restaurants et jetaient la nourriture. Nous n’étions pas autorisés à garder la nourriture dans les réfrigérateurs de nos chambres. A 6 heures, les restaurants ouvraient avec des produits frais. A Montréal, le menu changeait tous les 5 jours et la qualité était excellente. Ce que je veux dire, c’est qu’à Moscou, l’Union Soviétique a voulu se montrer beaucoup plus belle et meilleure que ce qu’elle était vraiment.

BR : Vous êtes la première joueuse non-américaine introduite au Basketball Hall of Fame. C’était en 1993 dans la même promotion que des grands noms comme Julius Erving, Bill Walton ou encore Ann Meyers, votre adversaire à Montréal en 1976. Comment avez-vu vécu cet honneur ?

OS : Quand j’ai appris que je pouvais être au Hall of Fame, je ne pouvais pas le croire. Il y a tant de joueurs exceptionnels. J’étais extrêmement contente et honorée. J’étais très surprise de l’énorme intérêt des fans pour moi. Même des décennies après la fin de ma carrière, je reçois des lettres de fans et des demandes d’autographes !

Ouliana Semenova au shoot face aux japonaises aux Jeux de Montréal en 1976.

Je ne peux malheureusement pas partager directement mes souvenirs parce que je ne parle pas anglais mais des amis en Lettonie m’aide pour ça. En 2002, j’ai été invité à l’inauguration du nouveau Basketball Hall of Fame. J’ai pu échanger avec mes homologues américaines. J’ai beaucoup de respect pour toutes ces joueuses.

J’ai appris qu’elles s’étaient préparées psychologiquement à nous battre, à battre Semenova et que l’équipe d’Union Soviétique était surnommée « l’équipe Semenova ». C’est dommage pour notre sport parce que nous nous sommes rencontrés qu’une fois aux Jeux Olympiques à cause des différents boycott.

« Notre Ouliana joue ! Elle passe à la télé ! »

BR : Traditionnellement à Basket Rétro, nous laissons le mot de la fin à la personne interviewée…

OS : Je voudrais, pour finir, évoquer mes parents. Ils m’ont toujours soutenu et pris soin de moi. Je me souviens quand je jouais la première coupe d’Europe avec le Daugava, le match avait été diffusé à la télévision. Mes parents n’avaient pas de télévision chez eux mais un voisin oui. Mon père et ma mère ont laissé en plan ce qu’ils étaient en train de faire pour se dépêcher de rentrer et aller chez le voisin regarder le mach. Ce fut un grand moment pour mes parents.

Merci à Ouliana Semenova pour sa disponibilité !

Propos recueillis par Julien Hector avec le concours d’Aija Erta.

About Julien Hector (52 Articles)
aime les vieux grimoires surtout quand ils parlent de basket et de l'ALM Evreux Basket !

1 Comment on [ITW] Ouliana Semenova : « Avec le boycott des États-Unis, nous savions que nous allions gagner la médaille d’or. »

  1. Félicitations aux auteurs de cet article qui contribue à améliorer la connaissance de cette fabuleuse histoire du Basket pour les plus jeunes et met admirablement en lumière un personnage incontournable du basket mondial.
    Félicitations

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