[Portrait] Willis Reed – Captain un jour, Captain toujours
Portrait
Demandez à n’importe quel connaisseur de basket d’établir le podium des Knicks All-Time, et trois noms reviendront incessamment : Patrick Ewing, Walt Frazier et Willis Reed. Le premier est iconique pour toute une génération, le second reste culte et en activité dans ses costumes délirants de commentateur. Et le troisième alors ? Moins connu. Beaucoup moins connu. Pourtant, il possède le plus gros palmarès des 3, et est une vraie référence à son poste.
Le bébé Willis naît à Dubach en Louisiane le 4 mai 1964, jour de draft au Madison Square Garden.
Reed est choisi en 10ème position (1er choix du deuxième tour à l’époque) par les Knicks… qui ont d’abord misé sur Jim Barnes (3ème choix). 80 matchs plus tard, la vérité tombe : Reed est le meilleur joueur des deux. Et de loin. Si New York reste dans le négatif (31V-49D), le débutant chiffre (19.5 pts et 14.7 rbds) et empoche logiquement le trophée de Rookie of the year, tout en étant All-Star. Seulement, Walt Bellamy débarque à Big Apple et ça change pas mal de choses : Reed délaisse le poste pivot, ses statistiques baissent (15.5 pts et 11.6 rbds) et les Bockers stagnent. Vient alors la troisième saison pour un changement radical. Reed est désigné capitaine, et dès le deuxième match de la régulière, un incident légendaire arrive.
THE CAPTAIN

Willis Reed se transforme en Apollo Creed face à Rudy LaRusso. @ballislife.com
18 octobre 1966, Lakers @ Knicks au Madison Square Garden. Une affiche qui sent la poudre et ça s’enflamme quand Rudy LaRusso entame un combat de boxe avec Reed : ni-une ni-deux, Willis répond direct, met un coup à Darrall Imhoff avant de s’en aller vers le banc des Angelinos pour taper sur tout ce qui bouge. La bagarre fait son effet, on ne plaisante pas à NY et Reed débute son prime. Il est élu dans la All-NBA second team pour emmener New York playoffs. En demi-finale de Division Est, les Celtics s’imposent 3-1 grâce à un Sam Jones en feu (51 points au Game 4) mais non sans difficulté. En effet, Reed a répondu présent (27.5 pts et 13.8 rbds) et son tandem avec Bellamy a fait mal aux Verts. Les Knicks sont sur le bon chemin et la draft 1967 va apporter le supporting cast qui manquait à Reed pour finir le travail : Walt Frazier et Phil Jackson sont sélectionnés alors que Bill Bradley les rejoint après avoir été drafté en 1965. L’effectif s’est étoffé alors Reed cartonne. Le 1 novembre 1967, il plante 53 points aux pourpres et or pour établir son record en carrière. Et comme Red Holzman arrive sur le banc fin décembre, les Knicks vont pouvoir écrire la plus belle page de leur histoire.
Si l’élimination face aux Sixers de Chamberlain ne surprend personne, elle démontre que le basketball collectif des New Yorkais a de l’avenir. Une marque partagée, qui va de l’intérieur à l’extérieur, grâce à un jeu de passe alléchant.
Willis entame la saison 1968-69 avec les crocs, et va mordre encore plus l’adversité après le départ de Bellamy pour les Pistons en décembre. De fait, il passe de 16.9 pts – 14 rbds avec l’ami Walt à 24.3 pts – 14.7 rbds quand il évolue seul en tant que pivot. New York joue bien mieux avec Dave DeBusschere et refait son retard au classement. De son côté, Reed s’éclate avec son tir mid-range, tout en défendant avec hargne. Sa « petite » taille (2,06 m) lui permet de jouer rapide et fin face aux pivots alors que sa robustesse lui autorise le combat physique face aux ailiers-forts. Reed fait un carnage et termine second du vote pour le MVP… derrière Wes Unseld, qu’il retrouve en playoffs. L’explication entre les deux cadors va pouvoir avoir lieu, et elle va mal tourner pour le joueur des Bullets.
Baltimore se fait sweeper, et Reed affole les boxscores (28.3 pts à 50% et 15 rbds). En finale de Division, les Knicks s’inclinent 4-2 face aux Celtics mais une fois de plus Reed a fait le travail. Une telle domination doit aboutir à un titre NBA et la retraite de Bill Russell arrive à point nommé.
WILLIS, AVEC W COMME W-I-N
Le New York de Red Holzman arrive à maturité pile-poil au moment où les Celtics perdent leur mojo. Interdiction de décevoir, et Reed le sait : meilleur bilan de la Ligue (60V-22D), trophée de MVP dans la poche (devant Jerry West) et une étiquette de favori à assumer. Les Knicks ne passent pas loin de la bavure face aux Bullets (4-3) pour mieux dézinguer les Bucks (4-1). Cette finale de Division voit Captain tenir tête à l’immense Lew Alcindor, rien que ça. Et pour finir, il faudra passer l’obstacle californien, et un certain Wilt Chamberlain.
37pts/16rbds/5pds pour débuter la série, pas mal. Encore plus quand on sait qu’il s’est blessé à l’épaule sur un dunk en fin de première mi-temps. Mais la suite est moins réjouissante : défaite au Game 2 avec un Wilt qui contre le panier de l’égalisation de Willis. Les Knicks n’ont plus l’avantage du terrain, et doivent réagir. Reed le fait de façon XXL : 38 pts à 17/30 aux tirs, 17 rbds, 3 pds afin d’annuler le shoot mythique de Jerry West. Cette finale est à part, et ça se confirme avec le Game 4 qui termine une fois de plus en prolongation, par le succès des Lakers.
2-2 dans la série, Game 5 à New York, le décor est planté. Place à un match de bonhommes mais la soirée vire au cauchemar pour Reed : blessure à la cuisse, dehors en jouant seulement 8 minutes. Les Knicks ont beau s’imposer grâce un QT4 de folie, la suite s’annonce difficile dans leur meilleur joueur.
Game 6, Reed n’est pas là et Chamberlain se gave (45 pts – 27 rbds). Il reste un match à jouer, et Wilt déclare: « Willis a joué contre moi le meilleur basket que n’importe quel autre pivot que j’ai rencontré en playoffs. » Une pique déguisée envers Bill Russell, mais également un vibrant hommage à son vis-à-vis.
8 mai 1970, jour de Game 7. La tension est à son comble, le suspense aussi. Les deux équipes rentrent pour le shootaround, sans Reed. Et soudain, une apparition : « Quand Willis est sorti du tunnel, tout le monde s’est arrêté. Les Lakers se sont arrêtés, notre équipe s’est arrêtée. La foule est devenue folle. » Frazier ne ment pas. Le MSG est chaud, et fait exploser le thermomètre quand il marque un petit tir à mi-distance pour lancer la rencontre. Au final, il ne joue que 27 minutes pour 4 points, 3 rebonds… et une défense énorme sur un Chamberlain frustré. À la mi-temps, le #13 des Lakers est à 2/9 en étant défendu par Reed. Ajoutez-y les 23 points de Frazier et vous connaissez le champion après 24 minutes. Pour Holzman, la raison est toute trouvée « Il ne pouvait pas jouer son jeu normalement, mais il a fait beaucoup de choses ici et il compte énormément dans l’esprit des autres joueurs. » Frazier a beau sortir l’une des plus grandes performances de l’histoire des Finals (36 pts, 19 pds, 7 rbds), on retient avant tout la présence du MVP. Reed est le cœur de cette équipe : il respire, et tout repart. Malgré un petit dernier match, il est élu meilleur joueur de la finale. Fin d’une saison épique pour lui, qui avait calmement remporté le trophée de MVP du All-Star Game en janvier.
REED: AVEC LE TEMPS, IL GAGNE SUR TOUS LES FRONTS
Saison 1970-71, New York a un titre à défendre. Rapidement, le monde de la NBA comprend que cette année sera celle des Bucks, mais ne comptez pas sur la clique d’Holzman pour abandonner. Le 27 novembre 1970, les Knicks mettent fin à une série de 16 succès de suite des joueurs de Milwaukee et Willis jubile : « Nous avions besoin de celle-ci. C’est une victoire d’équipe, et cela prouve que nous sommes toujours un grand club. Nous avons eu du mal à démarrer la saison, avec des blessures et des petites choses à côtés, mais ce match nous a permis de nous mesurer. » Nouvelle démonstration le lendemain, avec encore une win face aux Bucks malgré un Reed à 5/20 aux tirs. Au final, les Bucks ne perdront que 16 matchs dans la régulière dont 25% contre les Knicks !!! Ce genre de statistique qui offrirait une finale NBA bien appétissante, encore faut-il faire le boulot dans sa conférence.
Contre Atlanta, ça passe (4-1). Contre Baltimore aussi, au début… avant de casser : New York mène 2-0, puis 3-2 mais ne parvient à conclure. Défaite au Game 7, au MSG. Une petite bavure, avec un Willis irrégulier tout au long de la série. Une grande déception pour celui qui le 2 février venait de prendre 33 rebonds face aux Royals de Cincinnati (record de franchise égalé).
On se dit alors que la vengeance va être terrible, mais Willis se blesse gravement au genou en novembre 1971. En capitaine courage, le numéro 19 a attendu pour revenir, avant de mettre fin à sa régulière. Sans lui, New York gagne moins de matchs (48) mais parvient à se glisser aux Finals pour perdre face aux fameux Lakers All-Time (69V-13D). La fin de cycle ne va pas tarder à Big Apple, alors il ne faut pas se rater.
CHAMPION ET MVP DES FINALS? LES DEUX MON CAPITAINE.
1972-73, Frazier et DeBusschere s’activent sur le parquet pour remettre les Knicks tout en haut de l’Eastern. De son côté, Reed joue moins, pèse moins, chiffre moins. Mais il reste primordial pour cette équipe, et garde du jus pour les grands moments : « Un athlète n’est pas comme une voiture que vous pouvez régler avec un tour de vis et attendre à ce qu’elle fonctionne tout le temps. Après une blessure comme la mienne, vous devez vous attendre à ce que je sois bien parfois et moins bien d’autres soirs. Mais j’ai dit que j’avais l’intention d’être prêt pour les playoffs, et nous y sommes. »
Finale de conférence, New York mène 3-1 puis est forcé de jouer un Game 7 au Boston Garden : pas le plus simple des dossiers, mais les Knicks l’emportent dans une maitrise totale, et avec un Reed correct. Nouvelle finale face aux Lakers, et ça part mal avec une défaite. Pas de souci, New York est en mission et Reed encore plus. Face à Chamberlain, il enchaîne les bons matchs avec une grande efficacité : 22 pts (10/21) – 10 rbds au Game 3, 21 pts (9/16) – 11 rbds lors du Game 4 pour le break et 18 pts/12rbds/7pds pour plier le dossier au Forum d’Inglewood !!! Certes ce n’était plus le Chamberlain des 60’s. Certes ce n’était pas les grands Lakers de 1972. Certes les statistiques individuelles ne sont pas aussi folles que par le passé. Mais au final, ça donne une bague de plus au doigt et un nouveau titre de MVP des Finals pour l’ami Willis. Mieux encore, il n’hésite pas à lancer une réponse aux vaincus qui avaient publiquement affichés une préférence pour les joueurs de Manhattan en finale plutôt que les Celtics : « Eh bien, les Lakers nous voulaient, et ils nous ont eu vraiment. » Ces Knicks 1972-73 se sont imprégnés des frayeurs du récent passé. Chamberlain n’a pas pu se balader autant que face à Jerry Lucas en 1972, et New York a retenu la leçon face aux Celtics : « Nous avons appris da la série contre Boston. Quand vous menez 3-1, vous devez les tuer tout de suite. »
À bout physiquement, Reed retente l’aventure la saison suivante mais il n’est définitivement plus le même : blessures, longue absence (il ne joue pas de fin novembre 1973 à fin mars 1974) avant de faire de la figuration en playoffs. Incapable de tenir son rang, il met fin à sa carrière.
21 octobre 1976, Lakers @ Knicks en ouverture de la saison. Pour l’occasion, la franchise de Gotham retire pour la première fois de son histoire un maillot, ce que le président Mike Burke justifie facilement : « Il n’y a qu’un seul Willis. Il incarne les Knicks à leur meilleur, un homme à son meilleur. De toute évidence, le numéro du capitaine devait être le premier à être retiré. »
Reed est au plafond pour toujours, et reste un Bocker de cœur.
Il devient headcoach en 1977-78 pour succéder, et voilà que New York retrouve les playoffs. La belle histoire prend fin la saison suivante, et direction la NCAA. Entraineur de l’université de Creighton, il effectue un retour par la case NBA, en tant qu’assistant chez les Hawks… puis coach des Nets. Niveau résultat, pas de quoi fanfaronner. Par contre, en tant que General Manager, Reed se rattrape bien : si le choix de Derrick Coleman est logique, le trade qui fait venir Drazen Petrovic est un véritable bon coup, suivi de la draft de Kenny Anderson puis de l’arrivée de Chuck Daly. Du travail bien fait. Il reste dans l’organigramme des Nets, avant un bref passage aux Hornets en 2004.
Constamment oublié quand on évoque les grands pivots de l’histoire, Reed a le mérite d’être reconnu par les puristes et la Ligue. En 1997, pour les 50 ans de la NBA, il fait partie de la liste des 50 meilleurs joueurs de tous les temps, avec évidemment Walt Frazier à ses côtés. Se coltiner les meilleurs postes 5 de son époque, dont la plupart furent MVP, ça apporte forcément un peu de reconnaissance. Willis n’a peut-être pas la renommée qui devrait obtenir, mais son nom est associé plus qu’aucun autre aux deux titres des Knicks.
À de multiples reprises Wes Unseld a tout fait pour dégoûter son vis-à-vis (« Je voulais essayer de le faire abandonner »), et à de multiples reprises il a échoué (« mais je savais que Willis n’était pas un lâcheur »). TRY AGAIN.
SES STATS
Ecrit par Julien Mùller
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