Championnat d’Europe 1963 – Le naufrage de Wroclaw
Championnat d'Europe
L’équipe de France était rentrée plutôt guillerette de ses championnats du monde à Rio en mai 1963. Sa 5eme place était de nature à la réjouir. Mais voilà que, cinq mois plus tard, se profilent déjà les championnats d’Europe de Wroclaw. Ils vont tourner au cauchemar.
L’encombrement du calendrier international de cette année-là s’explique par le décalage de plusieurs mois des championnats du monde, initialement prévus à Manille six mois plus tôt et finalement rapatriés au Brésil (Belo Horizonte et Rio).

L’affiche officielle des championnats d’Europe de Wroclaw.
L’enthousiasme envers les championnats d’Europe si rapprochés est, en France, très modéré. Les clubs s’insurgent, les employeurs mégottent, les joueurs déclinent leur sélection les uns après les autres pour des raisons jugées plus ou moins valables. Il semble d’ailleurs que, pour les joueurs invoquant leurs obligations professionnelles, André Buffière, le sélectionneur, ait laissé en amont le choix entre Rio et Wroclaw.
Très vite, on sent venir le piège. « Tous les efforts du secrétariat d’Etat en matière de crédits ne peuvent rien face à l’indisponibilité de nos éléments dont les activités ne permettent pas les absences de plus en plus longues exigées par les compétitions internationales. » explique Robert Busnel, le Directeur Technique National, pas le plus enthousiaste.
En septembre, soit trois semaines avant le début du rendez-vous européen, l’équipe de France fourbit ses armes aux tournois de Genève et de Moscou. En Suisse, un jeune échalas lorrain de 17 ans et demi, Jean-Claude Bonato, fait ses grands débuts en bleu. Si elle bat la Suisse, l’équipe de France perd contre la Tchécoslovaquie et, par deux fois, contre l’URSS. Rien de dramatique, mais rien d’encourageant non plus, puisque les défections s’enchainent : Maxime Dorigo, le meilleur Tricolore à Rio (au point de susciter la convoitise de grands clubs italiens et de la fédération qui voulait le naturaliser), Henri Grange, Bernard Mayeur, Michel Leray.
SEULS CINQ RESCAPES DE RIO
Craignant une déroute, André Buffière est partisan du forfait. Il ne sera pas suivi par les instances.
Au final, il ne reste que cinq joueurs de l’équipe qui avait disputé le Mondial : le Manceau Christian Baltzer, promu capitaine, le Denaisien Jean Degros, le Puciste Michel Rat, l’Antibois Jean-Claude Lefèvre et le jeune Roannais Alain Gilles, 19 ans, qui s’était révélé au Brésil.
Robert Busnel fait « confiance » à cette jeune équipe, estimant qu’elle peut décrocher une place dans les cinq premiers. Soit dans la lignée historique au palmarès européen pour les Bleus qui restent sur une 3eme place en 1959 à Istanbul et une 4eme deux ans plus tard à Belgrade.

La poste polonaise a édité une série de six timbres pour l’occasion.
Toujours est-il que le DTN semble ouvertement se défausser en préférant se rendre à Tokyo pour repérer des installations possibles pour les Bleus aux JO plutôt que soutenir les Tricolores en Pologne.
Il fait déjà froid entre le 4 et le 13 octobre au Palais des Sports à Wroclaw, quatrième ville polonaise, située en Basse Silésie. La FIBA avait réduit à 16 le nombre d’équipes, passant par des tournois de repêchage pour qualifier quatre équipes (Espagne, Finlande, Italie et les Pays-Bas) aux côtés des douze pays qualifiés d’office. Les championnats d’Europe sont également l’occasion d’appliquer, pour la première fois en Europe, la règle des 30 secondes de possession, lancée avec succès aux Mondiaux de Rio.
DEROUTE D’ENTREE FACE A LA RDA

Un junior de 18 ans est sélectionné pour sa première compétition internationale : Jean-Claude Bonato. @Getty Images
Pour l’équipe de France, le premier match, contre la RDA, donne d’emblée le ton pour la suite de la compétition. Dès l’ouverture, les Bleus plient contre la RDA qu’elle n’a rencontré qu’à une seule reprise jusque-là. C’était aux championnats d’Europe 1959 avec un score sans appel : 77-35. Or le 4 octobre 1963, cette même RDA, jusque-là très modestement classée (14eme et 12eme) s’impose face à la France, faible en attaque, malgré les 16 points de Baltzer : 63-49. De plus, Jean Degros se donne une entorse au genou.
L’EQUIPE DE FRANCE DEMARRE DE TRAVERS
Le lendemain, les 19 points de Baltzer ne suffisent pas davantage face aux Tchèques (79-72). L’entame difficile tourne à une désastreuse reproduction quotidienne les jours suivants : face à l’Espagne, jusque-là très loin dans la hiérarchie européenne (86-70), la Pologne (98-65), la Roumanie après un jour de repos, (59-51), et enfin l’URSS, le tenant et futur champion (77-59). Les Bleus se montrent totalement impuissants, s’épuisant au fil des jours face aux armadas adverses.
SIX DEFAITES. DU JAMAIS VU !
André Buffière ne mise guère sur Jean-Claude Lefèvre, pourtant bien noté à Rio, lui préférant le Marseillais Jean-Baptiste Ré (2,02 m) plus mobile mais sa carrure est largement insuffisante pour masquer les lacunes de son équipe où Jean Degros démontre tout son courage, jouant malgré sa blessure au genou et une fracture du nez, de même que Michel Rat, Christian Baltzer également touchés.

Christian Baltzer : le meilleur tricolore en Pologne.
L’équipe de France termine 7eme (sur 8) de sa poule après une première victoire acquise à l’arraché face à la modeste Finlande (61-59). Elle bascule ainsi dans le groupe de classement pour l’attribution des quatre dernières places de l’épreuve. Elle donne toute l’ énergie restante pour battre la Turquie (80-61) et à nouveau la Finlande (60-50) et boucler à la 13eme place, soit le classement le plus modeste jusque-là.
« LE WATERLOO DU BASKET FRANCAIS »
Christian Baltzer, qui évoque la souffrance qu’il a endurée, termine meilleur marqueur des bleus avec 12 points en moyenne, devant Jean Degros, Michel Rat et Alain Gilles qui confirme tout son potentiel. Il évoque également une « atmosphère détestable autour de l’équipe », un avant-goût du tournoi préolympique où le jeu trouble de Robert Busnel (« c’était quand même mieux avec moi ») sera étalé au grand jour.

En 1964, Jean Degros et Christian Baltzer ont été désignés meilleurs basketteurs français. @Françoise Timkov
Les journalistes français parlent volontiers de « Waterloo du basket français ». Une attaque mal vécue par les joueurs présents qui s’étaient battus avec leurs armes, insuffisantes, certes, mais n’oublions pas qu’il manquait six joueurs cadres en Pologne. Sans doute mieux eût-il valu renoncer à prendre part à ce championnat d’Europe. Le basket français n’a pas le réservoir pour disputer deux compétitions majeures dans la même année. André Buffière explique que « s’il était possible de nous défendre sur un match, nous ne pouvons pas le prétendre aussi bien dans des tournois où la résistance physique est aussi importante que la valeur basket. »
En fait, la compétition a mis en évidence les carences physiques des Bleus. Elle confirme la nouvelle dimension athlétique prise par le basket largement entrevue au Brésil quelques mois plus tôt. « Wroclaw a confirmé Rio et tout ce que l’on savait sur les qualités que réclame le basket moderne. La taille n’est pas tout. » écrit le technicien reconnu René Lavergne, assistant de Buffière, qui poursuit : « les entraineurs doivent se pencher sur l’évolution du basket et résoudre le problème de la formation physique des joueurs. »
DEUX MONDES

Emiliano Rodriguez, le joueur du Real Madrid, est désigné meilleur joueur de ce championnat d’Europe. @As
Mais c’est surtout la confirmation de deux mondes. « Le vrai problème, poursuit Lavergne, c’est l’opposition entre deux conceptions du sport dans le monde moderne : sport état et sport amateur. (…) Comment ne pas être soucieux pour l’avenir quand on sait que tous les joueurs de l’équipe de l’URSS ont le basket comme occupation principale (sept joueurs, notamment, font partie des cadres de l’armée à Moscou), et que les Polonais se sont entrainés cinq mois durant ? »
Tous deux terminent en tête, en effet. Les Soviétiques, avec Jan Krouminch et Gennadi Volnov, signent leur quatrième titre de suite, les Polonais, révélations de la compétition, possèdent en Mieczyslaw Lopatka un artilleur hors pair et les Yougoslaves, troisièmes, un joueur d’exception avec Radivoj Korac.
Les pays de l’Est occupent les six premières places, devant une étonnante Espagne, portée par le brillant Emiliano Rodriguez, sacré meilleur joueur européen.
Quant à l’équipe de France, elle reporte tous ses espoirs vers le tournoi préolympique de juin 1964 à Genève. Remplumée par les Mayeur, Dorigo et Grange, elle vivra une nouvelle désillusion et sera privée des Jeux Olympiques pour la première fois de son histoire.
Pire, elle entre dans une phase de récession qui durera deux décennies.
L’équipe de France aux championnats d’Europe de Wroclaw en 1963 : Michel Audureau, Christian Baltzer, Jean-Pierre Goisbault (SCM Le Mans), Philippe Baillet, Jean-Claude Bonato, Jean-Claude Lefèvre (Ol. Antibes), Jacques Caballe (AS Villeurbanne), Jean Degros (AS Denain), Alain Gilles (Chorale Roanne), Claude Marc (RCM Toulouse), Michel Rat (PUC), Jean-Baptiste Ré (S. Marseille UC). Entraineur : André Buffière.
Le classement final : 1. URSS, 2. Pologne, 3. Yougoslavie, 4. Hongrie, 5. Bulgarie, 6. RDA, 7. Espagne, 8. Belgique, 9. Israël, 10. Tchécoslovaquie, 11. Roumanie, 12. Italie, 13. France, 14. Finlande, 15. Turquie, 16. Pays-Bas.
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