[ITW] – Charles Tassin « En 1967, Modestas Paulauskas, c’était le patron de l’équipe russe ! »
Interview
Charles Tassin est l’un des meilleurs joueurs de sa génération. Lucide et spontané, il a accepté pour Basket Rétro de revenir sur les EuroBaskets 1967, 1971 et 1973. Interview !
Tampere est coincée entre deux lacs, au Sud Ouest de la Finlande. En ce 28 août 1967, la foule ne s’est pas précipitée dans la salle pour la rencontre qui oppose les Bleus à la Grèce. Dans cette rencontre que remporte la Grèce de 9 points (78-69) Kolokithas (33 points) et Alain Gilles (22) brillent. Chez les bleus, un jeune arrière français de 21 ans fait ses débuts dans un grand championnat senior, à côté des expérimentés Gilles ou Degros. Il porte le numéro 5 et est un touche à tout. Né en 1946 au Congo Belge, il comptera à la fin de sa carrière 109 sélections et disputera 3 championnats d’Europe de basket. Son nom : Charles Tassin. La famille paternelle de Charles est originaire de Champagne-Ardennes. Son grand-Père, Charles reçoit la légion d’honneur en 1917, lors de la première guerre mondiale. Ses oncles Maurice, Bernard, Ferdinand et Roger reçoivent la légion d’honneur, eux, durant la deuxième guerre mondiale. Et, la famille Tassin très proche du Général De Gaulle, arrive en France le 14 juillet 1958, pour fêter le retour du général. C’est ainsi que Charles rentre au pensionnat à 12 ans, à Saint-Dizier, à quelques kilomètres du Château Tassin de Bar-sur-Aube. Il y découvre le basket, mais aussi l’athlétisme où il excelle au lancer du poids et du disque.
Tassin s’adonne également à la natation et au football. Nous vous avons dit que c’était un touche à tout ? Mais c’est au basket avec l’équipe de son école de l’Immaculée Conception qu’il est repéré par les instances puisqu’ il intègre l’équipe de Haute-Marne de sa génération. Mais, Monsieur Armand, Président de la ligue Champagne refuse que « ces gens-là » représentent « sa région ». Toutefois, Joe Jaunay sélectionneur de l’équipe de France, décide de le sélectionner dans la formation qui sera médaillée d’argent à l’Euro juniors disputé à Naples en 1964. Charles rejoint ensuite Charleville, puis le Racing CF où il devient entraineur joueur, à 21 ans. Au Racing, il prend la suite au coaching de Robert Monclar, pour un intérim qui, au final, durera 3 saisons. Après des passages à Bagnolet et à Caen, Charles devient meilleur passeur du championnat de France en 1976 et 1977, avec le Stade Clermontois. Entre 1967 et 1977, Charles est un pilier des Bleus ! Charles Tassin reprend ses études en 1976, sans abandonner le basket et obtient en 1977 un Diplôme de Commerce. Devenu PDG de société puis Directeur Export, il est élu en 2003 Juge Consulaire auprès du Tribunal de Commerce de Clermont-Ferrand. C’est donc un homme au parcours hors norme qui a accepté, pour Basket Rétro, de revenir sur les 3 euros auxquels il a participé. Interview !

Basket Retro : Pour l’Euro 1967, le magazine Basket Ball précise qu’il n’y a quasiment personne dans les salles. Le basket ne déplace pas les foules à Tampere, en Finlande ?
Charles Tassin : Oui, c’est vrai qu’au départ il n’y avait personne dans les salles mais quand on est arrivé pour les poules finales, cela a été tout autre chose. A Tampere, on joue les russes un matin à 10h30. Il y avait eu un événement politique important entre l’URSS et les occidentaux la veille ou l’avant veille et les Russes étaient « remontés comme des pendules ». Nous, on savait qu’on avait aucune chance contre l’URSS. Nous n’étions pas du tout dans le même état d’esprit que nos adversaires et de toutes les façons, la différence était énorme.
BR : Pour ce premier tour : 3 victoires (RDA, Bulgarie et Hongrie) et 4 défaites (Grèce, URSS, Italie et Israël) Quels souvenirs vous reste t’il de ces rencontres ? (Nos photos : Les Bleus de 1967 – Source : Revue Basket Ball)



CT : La RDA était relativement facile à jouer car leur jeu était très stéréotypé, très discipliné et sans imagination. On savait qu’ils allaient, à chaque possession offensive, utiliser tout le chrono. Alors après 20 secondes, je me souviens qu’on défendait dur mais pas avant. Il y avait à l’époque deux types de confrontations. Les matchs contre les pays satellites de l’URSS avec des arbitres de ces pays et les rencontres face aux occidentaux, si je puis m’exprimer ainsi. En 1967, j’avais 21 ans donc j’étais très jeune mais certains pays tendaient déjà vers le professionnalisme. C’était le cas de l’Italie ou de l’Espagne par exemple. La Grèce comptait déjà deux énormes clubs : le Pana et Olympiakos. Israël avait déjà des joueurs Israëlo-Americain et tous les joueurs du Maccabi Tel-Aviv. En France, on était amateurs, les autres pays beaucoup moins.
BR : Avec Andreev (2m14), les Russes, sont-ils vraiment injouables pour vous ?
CT : Oui sauf que quelques équipes occidentales commençaient aussi à se structurer sérieusement quand même. Mais oui, pour nous, c’était injouable ! Andreev était bon mais il n’était pas seul et a vite disparu de l’équipe nationale. A l’époque, il y avait aussi des Lituaniens, des Ukrainiens, etc… Modesto Paulauskas qui est Lituanien, je l’avais croisé en 64 aux championnats d’Europe junior mais en 67, j’ai eu du mal à le reconnaitre tellement il avait pris de masse musculaire. Paulauskas, c’était déjà le patron de l’équipe russe dans le jeu…
BR : Vous faites route commune en bus avec les Grecs pour le voyage vers Helsinki, lieu du second tour. Une Grèce que vous rejouerez 4 jours plus tard en match de classement… c’est assez particulier comme moment non ?
CT : A l’époque, c’était quelque chose de normal. Le pays organisateur mettait à disposition un car et puis c’était tout ! Sauf pour les équipes qui avaient d’autres moyens …
BR : Qu’est ce qui a manqué à cette équipe de France pour faire mieux que onzième ? Parce que vous battez les Bulgares qui finissent 4èmes mais vous perdez contre Israël, équipe plus faible.
CT : Il manque un peu de tout. De l’organisation, du professionnalisme et une bonne fédération également. J’ai retrouvé un papier de l’Equipe qui date de mai 1968. A l’époque, je disais déjà que si la fédération française était une entreprise, qu’ elle serait occupée ! A la suite de cela, le président Busnel m’avait téléphoné et à cause de cela, on est devenu très amis ensuite. J’étais intime avec Busnel malgré notre différence d’âge.
J’ai retrouvé un papier de l’Equipe qui date de mai 1968. A l’époque, je disais déjà que si la fédération française était une entreprise, qu’ elle serait occupée !
BR : Pour 1971, en Allemagne. Les bleus font une grosse préparation avec un tournoi en Italie, des rencontres contre la Bulgarie à Paris et un stage à Antibes. Les ambitions sont grandes à l’époque ?
CT : Oui c’est vrai, on avait fait une grosse préparation pour cet euro à Essen. 1971, c’est le changement de génération. Les juniors de 1964 arrivent à maturité et puis il y a des joueurs comme Claude Gasnal du Mans qui émerge également.

Avec les anciens, la coordination des deux époques n’avaient pas été prise en compte. Moi, meneur, je remplaçais doucement Jean Degros, mais les choses n’ avaient pas été établies clairement entre les anciens et les nouveaux. Et avec Alain Gilles, on avait dû poser les choses ensemble, même si lui est de la même génération que moi. Qui dirigeait vocalement ? Qui posait le jeu sur le terrain, etc…
BR : Finalement vous terminez 6èmes sur 6 en poule pour autant de défaites (Pologne, RFA et URSS). Comment expliquez-vous cela ? Il y a des joueurs comme Alain Gilles, Jacques Cachemire ou vous dans cette équipe …
CT : 1971, c’est une période de mutation or certaines équipes en 1971 ont déjà passé cette étape. Les Grecs ou les Tchèques par exemple sont très bien organisés. Pour Essen, j’ai du prendre des congés parce que je travaillais pour faire vivre les miens. Et dans les salles, parfois, j’entendais : « Trop payé ! ». En 1964, en junior on était plus forts que toutes ces équipes, sans Alain Gilles et sans Jean-Claude Bonato. En 1971, on était dépassés… Je ne me souviens plus vraiment des matchs mais par contre je ne pourrais pas oublier l’ambiance et l’état d’esprit du groupe de l’époque. Il y avait deux groupes : les jeunes et les plus anciens. Je pense que le lien entre les générations ne s’est pas fait. Et puis, notre retour en France, s’est fait en train couchette en deuxième classe et de nuit. On a voyagé avec les arbitres français qui étaient venus en stage d’observation. Je n’ai rien contre les arbitres, au contraire, nous avons passé une nuit à apprendre à nous connaître…. joyeusement ! Ce que je veux dire c’est qu’à l’époque l’Equipe de France n’était pas un objet qu’on mettait sur son buffet et qu’on polissait.
Ce que je veux dire c’est qu’à l’époque l’Equipe de France n’était pas un objet qu’on mettait sur son buffet et qu’on polissait.
BR : Le Magazine Basket Ball évoque une mauvaise gestion de la Zone 2-1-2 et des trous d’air pendant les matchs. Qu’est ce que cela vous fait dire ?
CT : Cette zone, je ne m’en souviens plus, mais déjà si on jouait en 2-1-2, cela voulait dire qu’on était en retard dans les duels. Toutes les grandes nations faisaient de l’individuelle, il n’y avait plus de 2-1-2. Certaines équipes faisaient même de la « press » dès le milieu du terrain. C’est le souvenir que j’en ai en tout cas.
BR : Qu’est ce qui vous reste de cet Euro pour lequel vous finissez 9èmes ?
CT : Je me souviens de choses un peu idiotes. A l’époque, je fumais une ou deux cigarettes par mois. Avec Claude Gasnal, parfois on allait aussi boire un verre mais vraiment très tranquillement. Il y avait un bar à côté de l’hôtel. Ce soir là, je fume une cigarette et je suis convoqué pour cela le lendemain comme un gamin. Mais certains dans l’équipe fumaient un paquet par jour alors j’allais pas aller me cacher ! Voilà ce dont je me souviens : des choses comme celles là ! Il y avait une ambiance de fin de règne en 1971.
BR : Pour 1973, et le Championnat d’Europe en Espagne, certains joueurs se sont trouvés des excuses « bidon » pour ne pas venir aux qualifications en Autriche. Vous confirmez ? En même temps, Pierre Galle nous disait dernièrement avoir parfois pris des congés sans soldes pour jouer avec les Bleus…
CT : Oui, je vous confirme. Certains travaillaient sans travailler mais attention, je n’ai rien contre cela. On peut comparer cela avec le rugby où les sponsors et les mairies qui engageaient des joueurs… pour jouer au rugby. Moi, j’ai toujours travaillé malgré tout ce que j’ai lu d’ailleurs. Marié à 19 ans, papa à 20, il fallait faire bouillir la marmite, même si à l’époque on disait que je savais à peine lire et écrire… Mais comme l’ami Pierre Galle, je travaillais. Je suis né d’un papa français et d’une mère congolaise. Mon père avait une grande plantation de café et d’hévéa au Congo mais à la maison : c’était la France ! Mon père avait été officier, mon oncle était compagnon de la libération. Au Congo, le 14 juillet, nous étions devant le drapeau pour hisser les couleurs Tout cela pour vous dire ce que représente le maillot de l’équipe de France pour moi. Quand j’étais convoqué : j’y allais ! « Ne laisse jamais personne te contester le fait que tu sois français ! » m’avait dit mon papa.
Quand j’étais convoqué : j’y allais ! « Ne laisse jamais personne te contester le fait que tu sois français ! » m’avait dit mon papa.

BR : Comme en 1971, votre parcours s’avère similaire en 1973 : 9ème. La France est sa place ?
CT : Oui oui elle est à sa place ! Bien sur qu’elle est à sa place et on ne pouvait pas faire beaucoup mieux. En France, nous étions dans un « autre monde ». L’Espagne, l’Italie, la Yougoslavie étaient déjà quasiment professionnels, eux. Dans les pays de l’Est, les sélections étaient organisées autour des clubs. Dans les pays de l’Est, les sélections étaient organisées autour des clubs militaires comme le Spartak ou le Lokomotiv.
BR : Un euro marqué par la victoire des Yougoslaves, une première depuis 1947. Cosic et Dalipasic sont vraiment « spéciaux » ?
CT : Les Yougoslaves avaient un basket très américanisé déjà pour l’époque. Je me souviens très bien de Barcelone. D’abord parce que j’adore cette ville et ensuite parce que j’ai toujours eu le regret de ne jamais avoir joué pour les Picaderos de Barcelone alors qu’ils m’avaient contacté par l’entremise de Robert Monclar (ma bonne fée). J’aimais beaucoup le jeu Yougoslave par ailleurs, un jeu athlétique fait d’adresse. Leurs ailiers étaient très grands et puis Kresimir Cosic c’était la NBA ! Les Espagnols avaient des américains naturalisés, et la fédération Espagnole cotisait pour les retraites des joueurs internationaux . En France, nous étions dédommagés de 2 $ par jour de présence !!
Les Espagnols avaient des Américains naturalisés, et la fédération espagnole cotisait pour les retraites des joueurs internationaux . En France, nous étions dédommagés de 2 $ par jour de présence !!
BR : Est ce que lors de ces trois compétitions, il y a des joueurs qui vous ont marqué plus que d’autres ?
CT : Bien sur ! On parlait de 1973 alors forcément je suis obligé d’évoquer Cosic. Quel joueur ! Avant 1973, il y a Paulauskas. On en parle pas beaucoup de ce joueur, mais c’était était une « mécanique ». Pour la Grèce, Yorgos Kolokithas était très fort également. Il a été le meilleur marqueur de la compétition en 1967 en Finlande devant les meilleurs Russes. Je me souviens aussi de Barry Leibowitz, l’Israélien. C’était un meneur qui venait des Etats-Unis avec un passeport Israélien. On a beaucoup discuté ensemble. Korac était très bon aussi. Je pourrais aussi citer Francesc Buscato l’espagnol. Tous ces joueurs étaient proches du professionnalisme. Il y a également Dino Meneghin, le père. Que Belo Dino !
Pour la Grèce, Yorgos Kolokithas était très fort également. Il a été le meilleur marqueur de la compétition en 1967 en Finlande devant les meilleurs Russes.
BR : Est ce qu’une anecdote vous reste de ces Euros ?
CT : Non pas particulièrement. A Barcelone, je ne pense pas que nous étions la meilleure équipe de France du moment. Avec les adversaires, c’était sympa parce qu’après les matchs on pouvait prendre du temps ensemble et échanger sur nos carrière.
BR : Que peut-on attendre des Bleus aujourd’hui ?
CT : C’est difficile comme question. Disons que la France a de très très bons joueurs. Nando de Colo et Evan Fournier m’impressionnent, je les aime beaucoup. Je trouve d’ailleurs Fournier très incorrect (il se marre). Avant je croyais être un bon basketteur, mais là quel manque de respect ! Il est beaucoup plus fort que moi (il se marre encore). Il m’a ringardisé grave ! Nando De Colo est de la même veine ! Je connais un peu l’entourage de Nando ,une maman de rêve !! À mon époque, seuls Alain Gilles et Jacques Cachemire avaient le même talent puis il y eut Dubuisson : aïe aïe aïe !
Merci à Charles Tassin pour sa disponibilité. Montage Une : Laurent Rullier
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