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Jean-Claude Lefèbvre: A jamais le pionnier. Épisode 1 : La découverte

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Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro

Les aficionados du basket NBA connaissent, sans le vouloir, ce nom qui fleure bon la France des années 50. A chaque draft NBA, il n’est pas un article qui n’omet de rappeler que le premier français drafté par la toute-puissante ligue américaine n’était pas Olivier Saint-Jean (pas encore TAW) mais bien un obscur pivot de 2m18 dont les exploits remontent à l’ère glaciaire de la médiatisation du basket : Jean-Claude Lefebvre. Décédé dans l’anonymat en 1999, c’est une enquête en plusieurs parties que nous vous proposons. A l’appui de photos et documents inédits et grâce aux témoignages de personnalités l’ayant bien connu , partons sur les traces du premier géant du basket français…

LE CONTEXTE

En 1955, le basket français masculin se porte bien. Les résultats de l’équipe de France sont excellents sur la lancée de la médaille d’argent obtenue aux Jeux Olympiques de Londres en 1948. Depuis le début des années 50, les bleus sont portés par une génération exceptionnelle. Le sélectionneur Robert Busnel s’appuie sur le talent de joueurs confirmés tels le pivot du Racing Robert Monclar, René Chocat et l’arrière André Buffière ainsi que le virevoltant dribbleur Jacky Dessemme. On retrouve également à leurs côtés Justy Specker, le scoreur ch’ti Roger Haudegand, le roannais André Vacheresse, Jean Perniceni. La jeune garde est au diapason : la sélection peut compter sur Jean-Paul Beugnot, le pivot ardennais façonné par Robert Busnel est un joueur de premier plan européen, Henri Grange se révèle être un ailier de classe du côté de l’ASVEL, quant au PUCiste Roger Antoine, c’est un athlète de grande valeur. Enfin, les Baltzer, Bernard Mayeur et Louis Bertorelle ne sont pas en reste. Les résultats sont là : la France récolte une deuxième place à l’Euro 1949 puis deux médailles de Bronze aux Euro 1951 et 1953. Les bleus se distinguent également lors des Mondiaux de 1954 au Chili avec une belle 4ème place.

Le basket instinctif de Busnel, fait de relances et de cavalcades échevelées en contre-attaque, est l’héritier du fameux « ripopo » des années 30. Ce style français caractéristique fait souvent des miracles et passionne le grand public mais, dans les années 50, il devient de plus en plus anachronique ! Les portes des finales des grandes compétitions se refusent inexorablement aux français. C’est l’heure des constats : le jeu international a changé. Les adversaires sont de plus en plus grands, plus athlétiques et mieux organisés. Lors de la finale des JO 1948, la France ne pouvait opposer à l’entre-deux de départ que le mètre 91 de son pivot René Derency aux 213 cm du pivot US Bob Kurland… Et ça n’irait pas en s’arrangeant !

LE MENTOR

Robert Busnel fait et défait le basket français en ce temps-là. C’est le « radar du basket français », tout à la fois Directeur Technique National, Sélectionneur-entraineur-manager des sélections nationales masculines et féminines. Sans compter ses nombreux articles dans les journaux ou la revue fédérale, ses affaires lucratives grâce au développement de sa marque d’articles de sports à son nom (ballons, chaussures, etc..). Il faut s’imaginer le pouvoir qu’il a sur le basket. Pour le grand public, il EST le basket français. Ses détracteurs le disent madré, limite maquignon mais ils sont réduits au silence tant sa parole porte loin et fort !

Robert Busnel : « Pour l’équipe de France, je commençais la recherche de géants, qui faisaient leur apparition dans la plupart des formations étrangères. C’était l’époque de Krouminch, le géant soviétique ».

Sa dernière lubie est donc de partir à la chasse aux géants, pour le salut du basket français. Alors que des voix s’élèvent dans la presse pour signaler l’hérésie d’une telle chasse aux centimètres – on a peur que les « petits » ne puissent plus s’exprimer à terme – Busnel estime que c’est la seule voie de survie dans un contexte international de plus en plus concurrentiel. Alors qu’il parcourt déjà la France de long en large au moindre signalement reçu par son réseau de conseillers techniques sur un jeune joueur intéressant, La providence va lui apporter sur un plateau un cobaye de choix pour mettre son projet en pratique…

LA RENCONTRE

Nous sommes en Avril 1955, « Bus’ » reçoit un coup de fil du Docteur Michel Andrivet, un ami proche. C’est le médecin de l’Institut National des Sports (pas encore nommé INSEP) et également celui de l’équipe de France de basketball. « J’ai dans mon cabinet un jeune qui pourrait t’intéresser, Robert ! C’est un lanceur de poids du Stade Français, il a 18 ans et il est venu consulter pour des soucis au genou. Ah au fait ! Il mesure 2m18… »

Il n’en fallait pas plus pour exciter l’imagination du manager de l’équipe de France. Il pense directement tenir là son arme absolue en vue des Jeux olympiques de Rome en 1960. Après trois jours d’une attente interminable, Busnel déboule enfin au domicile du jeune homme. Il arrive dans une grande ferme à Epiais-les-Louvres, un tout petit village de Seine-et-Oise (du Val d’Oise aujourd’hui) de 100 habitants au nord de Paris, à quelques kilomètres de ce qui sera plus tard l’aéroport de Roissy.

Le Dr Andrivet n’avait pas menti, y’a de la taille dans la famille ! Le père est exploitant agricole et mesure 1m87 et la mère 1m85, le grand-père maternel faisait 1m98 tandis que la petite sœur de Jean-Claude, Martine, culmine déjà à 1m75 à 10 ans !

Jean-Claude est le second de 4 enfants, il est né dans cette ferme où on ne badine pas avec l’éducation. Depuis ses 4 ans et jusqu’au bac, il étudie à domicile avec l’aide d’une préceptrice jusque vers l’âge de 10 ans et une fois par semaine, il part en train soumettre ses devoirs au Cours Hattemer-Prignet, une école privée parisienne réputée du 8ème arrondissement (d’illustres élèves y usèrent leurs fonds de culotte : Jacques Chirac, Michel Polnareff, Christophe Dechavanne entre autres). A cette époque JCL était accompagné de sa mère ou de sa préceptrice, pour tester les connaissances acquises durant la semaine. Puis il est resté dans la même école mais avait des cours tous les jours. La gare étant à 7 kms, il ne pouvait pas rentrer tous les soirs. Il partait le lundi matin et partageait une chambre à Paris ″chez l’habitant″ avec son frère Michel et revenaient à Epiais-lès-Louvres chaque fin de semaine. Il n’y a pas de télévision à la ferme (elle arrivera en 1965) mais les Lefebvre sortaient et recevaient beaucoup la famille et aussi quelquefois des sorties plus ou moins culturelles (théâtre, visites de différents endroits de la région parisienne). La grande passion de Jean-Claude, c’est le vélo : il écoute religieusement les courses du Vél d’Hiv à la radio, il rêve de devenir l’égal des idoles Fausto Coppi et Louison Bobet, il se passionne pour les exploits de son héros, le facétieux Roger Hassenforder. Mais ses parents lui ont interdit d’en faire : c’est trop dangereux selon eux, pas question d’en faire en club. Alors Jean-Claude doit se contenter de jouer avec ses petits vélos en dessinant des parcours à la craie sur les rallonges de la table de la salle à manger pour jouer avec son frère et un ami… A 15 ans et déjà 2m04, il s’était bien essayé sur les terrains de sport mais ses parents mirent vite le holà. Priorité aux études. Pour l’émancipation, la vie sociale et l’estime de soi, vous repasserez !

Lors de son année de Terminale, le médecin de famille lui conseilla de pratiquer l’athlétisme, pour exercer son grand corps raide, dépourvu de souplesse et de détente. Les essais de JCL sur les terrains d’athlétisme ne sont pas un franc succès. Tout d’abord au CA Montreuil avec l’entraîneur M. Thibaut qui lui conseille le lancer du poids puis au Stade Français avec M. Richard. Son record : 9m90 au poids de 7kgs250, pas de quoi crier au génie. A 17 ans et 2m18, sans avoir jamais pratiqué d’activités physiques auparavant, il ne faut pas s’attendre à des miracles…

Busnel arrive à point nommé, son discours plait aux parents Lefebvre, pourtant très stricts. Selon Martine Lefebvre, la sœur cadette de Jean-Claude, « Busnel avait la priorité sur tous ! Tout ce que M. Busnel disait, c’était bien. Pour le basket, je sais qu’il a incité Jean-Claude à en faire, ça a été son mentor, mais vraiment ! Ce que maintenant on appellerait un coach. C’est lui qui a décidé qu’il pourrait partir aux Etats-Unis ».

Pourtant, la première discussion entre les deux hommes ne respire pas la grande exaltation :

Busnel lui demande : « Veux-tu jouer au basketball ? », Lefebvre répond d’un lapidaire « oui ». C’est tout mais c’est ainsi que l’aventure commence. Lefebvre semble méfiant, il l’expliquera en janvier 1957 au reporter de Miroir Sprint : 

AU TRAVAIL

Une fois obtenu l’accord des parents de voir Jean-Claude mettre l’école entre parenthèses, Busnel va s’atteler à faire de lui un sportif, à raison de 4 heures par jour à l’INS. Au printemps 1955, on part de très loin : la condition physique du jeune géant est déplorable. Premier test imposé par Busnel : « saute et cours ! », la réponse de JCL fuse « je ne sais pas, je n’ai jamais appris ! »… Jean-Claude a toujours été couvé, très peu endurant et ses lacunes sont criardes : « pas de muscles, pas de vitesse, pas de détente mais une réelle volonté de réussite malgré les ampoules et les courbatures » relate Gérard Bosc dans Une histoire du basket français. Pour son deuxième véritable entrainement, il a déjà droit à un article et une photo en couverture de l’Equipe, le 19 mai 1955. On y apprend que « Certes, tous les gestes ne sont pas encore parfaits, mais pour un débutant il ne se défend vraiment pas mal. Il a même étonné Monclar, Grange, Sturla et Gominon qui le virent à l’œuvre ». Alors que Busnel le convoque déjà pour une tournée en Afrique du Nord avec l’équipe nationale, pour le rôder, il devra décliner car s’en suivra une première période de maladie. Cette para-typhoïde le tiendra hors des stades durant 3 mois, mais le fera passer de 2m16 à 2m18 ! Busnel pense déjà avoir perdu son oiseau rare mais il réapparait début septembre 1955.

Robert Busnel a alors l’idée de sortir Lefebvre de ses habitudes parisiennes, il emmène sa trouvaille pour un stage au CREPS de Toulouse fin septembre 1955 où l’attend son collègue technicien René Lavergne. Ce sera l’occasion de créer un contexte stimulant pour Lefebvre, entouré de basketteurs. C’est la première fois qu’il doit courir et sauter. Il est timide mais intelligent, immense mais sans complexe : Busnel veut y croire ! Au premier entrainement sur le campus de Lespinet, Jean-Claude a les pieds en sang ! Il faut dire que ses chaussures ne sont pas vraiment à sa taille, il doit parfois les découper pour en faire sortir ses orteils.

Robert Busnel use alors de subterfuges pour tenter de motiver son joueur : il fait abaisser les paniers, en douce… et Lefebvre de réussir son premier smash (le terme dunk n’est pas encore à la mode !). Loin d’être bête, le joueur s’en aperçoit puis s’en amuse. Busnel module les séances et tente d’augmenter les difficultés, au fur et à mesure.

Le travail du coach est tout autant physique que mental. Durant ces stages au CREPS ou les cobayes sont des entraineurs en formation, JC Lefebvre expérimente pour la première fois la vie de groupe entre sportifs. C’est une vraie découverte pour lui que de recevoir des regards admiratifs et encourageants de ses coéquipiers plutôt que les habituels quolibets et autres blagues vachardes dès qu’il sortait dans la rue. Il ressort émerveillé de cette découverte du monde des sportifs !

JC se révèle être un excellent camarade, fait des blagues, rend service, il ne cesse de poser des questions, il veut sans cesse connaître le pourquoi des choses. Certes, il est limité physiquement mais il en veut, clairement ! C’est la première fois de sa vie que quelqu’un lui fait confiance et lui offre une perspective. Une vraie alternative au sillon tracé qui aurait pu faire de lui un paysan reprenant la ferme de ses parents. Sur le trajet du retour de Toulouse vers Paris, Busnel fait comme à son habitude une halte à Roanne ou il est certain de faire bombance chez le grand maitre cuisinier Troisgros. Il en profite également pour montrer à Jean-Claude ce qu’est un véritable entrainement de club au gymnase de la Chorale Roanne, le club de l’international André Vacheresse. Il y fera organiser un stage pour Jean-Claude.

Pendant toute la saison 1955-56, il suit des cours de commerce et il a commencé à travailler sur Paris chez M. Fouasse. Celui-ci dirigeait une entreprise de stores qui était situé au 120 Avenue Ledru-Rollin dans le 11ème arrondissement de Paris et qui existe toujours à l’heure actuelle. En plus de ce premier emploi dans la vie active, Lefebvre va s’astreindre à un entrainement de damné à l’INS : à raison de deux heures chaque jour, il doit travailler muscles, détente, vitesse tout en s’accommodant d’un matériel jamais adapté à ses mensurations hors normes. Pour l’entrainer, il a fallu tout créer, tout imaginer : les espaliers étaient trop bas, les cordes à sauter trop courtes, la balance qui n’indique que 120kgs… Il fait 500 sauts par jours dont cinquante sauts lestés, il saute des haies, Il court des 1000m, il apprend le tir en suspension avec une échelle en guise de défenseur, on tente de lui débloquer les épaules à l’aide d’une barre…Ses pieds le font horriblement souffrir mais Lefebvre serre les dents et souffre en silence. Le Dr Andrivet le surveille de près avec un check-up toutes les 3 semaines dont les résultats confirment les progrès du géant. Mais ces progrès se font par à-coups, aux périodes d’euphorie succèdent des trous d’air où le duo manque plusieurs fois d’arrêter les frais. Début février, on le retrouve à s’entrainer avec les joueurs du Racing emmenés par Robert Monclar. Busnel finit par lui fixer un ultimatum pour Pâques 1956 : s’il n’est pas jugé apte physiquement à cette période, on arrêtera les frais et retour à la ferme. « Si à Pâques, vous me renvoyez, ce sera la plus grande déception de ma vie ! » lui dira JC Lefebvre.

Cette saison entière de travail attire l’attention, certains clubs français réclament déjà celui qui n’a encore jamais joué une seule rencontre officielle. Un entraineur lui écrit pour lui expliquer qu’il a tort de rester avec Busnel car il n’est pas intéressant, un autre lui propose de le faire jouer immédiatement !

Fait incroyable, son premier véritable entrainement collectif, il le fera avec l’équipe de France ! Certes, cela est facilité par le fait que le Manager de l’EDF est qui-vous-savez (Busnel). C’est une prise de contact pour le moment, juste pour voir. Les internationaux sont circonspects mais accueillent le grand avec gentillesse. Busnel l’emmène dans ses bagages pour une rencontre amicale des bleus à Groningen (Pays-Bas) à Pâques. Il n’est pas sélectionné mais « partenaire d’entrainement » d’une sélection dont les meilleurs joueurs ne sont pas du déplacement (rappelons qu’il n’y a aucun professionnel, tous les meilleurs joueurs français ont des emplois et doivent jongler avec leurs congés payés en priorisant les JO de Melbourne de septembre 1956). Ce voyage au pays des tulipes, c’est son cadeau, l’ultimatum est réussi, bon pour le service !

Tout va très vite pour JCL, trop vite peut-être et en ce 14 avril 1956 il en prend plein les yeux en voyant de près les Roger Antoine, Baltzer, Sturla, Grange atomiser les néerlandais 100 à 43 dans une rencontre ou le meilleur marqueur français sera Jean Luent, le regretté entraineur d’Orthez et des Bleus.

Dans les couloirs de cette salle de Groningen, il ne le sait pas encore mais l’avenir de JC Lefebvre est en train de se jouer. Les contacts internationaux de Busnel sont très nombreux et l’un d’entre eux, présent dans les tribunes, a immédiatement ciblé l’immense stature de ce jeune homme en civil en bout de banc. Il s’agit d’un coach américain, un véritable aventurier qui, en rupture de ban(c) dans le système universitaire NCAA, s’en est allé depuis quelques saisons porter la bonne parole du basket à l’étranger. L’ami américain s’appelle Jim McGregor.

LE MARCHAND DE BONHEUR

Mc Gregor est un personnage incroyable, il a vécu mille vies, fut un Marines durant la seconde guerre mondiale, a dirigé 9 sélections nationales différentes en Europe, en Afrique ou en Amérique du Sud durant les années 50/60. En même temps qu’il coachera durant 15 saisons en Italie, il fut le pionnier du métier d’agent de joueurs. Il théorisa et développa un concept d’équipes itinérantes sponsorisées par des firmes américaines et composées de jeunes joueurs US non draftés, à placer dans les clubs européens ou ils jouaient leurs matches exhibitions.

En 1956, il vagabonde déjà depuis 3 ans autour du monde, depuis la fin de son contrat de coach au Whitworth College (NCAA D1, entre Portland et Seattle), son contrat actuel est celui d’entraineur de l’équipe nationale d’Italie. Il nourrit depuis cette éviction une certaine rancœur envers le système NCAA mais conserve de nombreux contacts parmi les coaches US.

Busnel a un plan pour « son » JC Lefebvre et il a besoin de McGregor pour cela (à moins que cela ne soit l’inverse…). Le deal est le suivant : on place Jean-Claude une saison dans un club français ou il pourra apprendre les rudiments du jeu collectif puis on tente un coup totalement inouï pour l’époque, envoyer Jean-Claude dans une université américaine ! Autant dire, envoyer un homme sur Mars pour l’époque… Tout cela, vous l’aurez compris, dans le but ultime d’en faire l’arme atomique des Bleus en vue des JO 1960. Busnel à le bras long, certes, mais pour ce qui est de placer un joueur aux USA, il a besoin de l’appui de ce bon vieux McGregor, un madré/malin de la même espèce que lui.

Le projet US est entériné entre les deux dirigeants sur le sol batave, d’ailleurs on ne sait si Jean-Claude en a été informé à ce moment-là. Mc Gregor doit trouver l’université et Busnel, lui se charge de trouver le point de chute pour la première saison officielle de JC en tant que joueur. Ce sera Roanne, cela tombe bien : le joueur y a apprécié l’esprit d’équipe lors de son court passage et surtout cela permettra à son mentor de venir se régaler chez Troisgros à chaque fois qu’il viendra prendre des nouvelles de son poulain (une explication cocasse que nous devons à un autre personnage marquant du basket français de cette époque : Jean Degros !)

Pour se préparer à cette première saison en tant que « vrai » joueur (en division Nationale directement !), JCL s’astreint à un entrainement plus intense : 4 à 5 heures par jour à l’INS. Il est dégrossi mais ne sait encore rien des subtilités techniques, tactiques de son nouveau sport. Busnel le trimbale partout : il participe aux stages préparatoires de l’équipe nationale avant France/Hongrie (le 5 novembre 1955), avant France/URSS (le 18 février 56), on retrouve Jean-Claude le 8 juin 1956 au Palais des Sports au premier rang d’une exhibition des fameux Harlem Globe Trotters ou il en prend plein les yeux pour ce qui sera son premier contact avec le basket américain, Busnel l’envoie ensuite en stage à Montpellier puis l’emmène avec lui au stage préolympique de Nice où il l’héberge pendant les vacances d’été.  Surtout, JCL reste très dépendant de son mentor « Vous partez trois jours ? Mais que vais-je faire sans vous ? » lui dira-t-il alors que Busnel partait pour l’un de ses multiples voyages…

UN GEANT TACITURNE

Dépendant de Busnel, certes, mais JCL a reçu une excellente éducation ; sa tête, même si elle culmine dans les nuages pour le commun des mortels, est bien pleine. Jean-Claude Lefebvre est pleinement conscient des débats qui secouent le basket français en cette période. Nous sommes en pleine campagne de presse « anti-géants ». A la radio puis dans la presse française, des éditorialistes accusent les géants d’être la cause de la régression du basket, affirmant que tous les jeunes n’ayant pas une taille de deux mètres se découragent de pratiquer un sport où cette taille parait indispensable. René Chocat, illustre finaliste olympique de 1948 rédige un article en Novembre 1956 titré « Non… Le basket n’est pas uniquement un sport de géants ». Busnel, pas à une contradiction près, signa même en Novembre 1955 une tribune dans la revue fédérale titrée « il est peut-être regrettable que les géants déforment l’esprit du basket » … Lefebvre est taciturne, c’est un trait de caractère qui le définira toute sa vie, et Busnel en sera pour ses frais. « Savez-vous ce que c’est d’être trop grand ? » lui dira un jour Lefebvre ; « C’est plus terrible que d’être petit, c’est trainer avec soi un spectacle permanent, c’est supporter sans cesse les réflexions, toujours les mêmes, c’est ne pouvoir désirer quelque chose sans soulever mille problèmes, n’avoir jamais un lit à sa taille, une place à sa mesure, une compagne à sa hauteur ». Et ce soir-là, avant de quitter Busnel, il lui dira ce qui le tracasse : « Pourquoi êtes-vous venu me chercher, puisque vous ne voulez pas que les géants jouent au basket ? »

D’où lui vient ce caractère taciturne ? Faisons un flashback sur le contexte familial pour tenter d’y trouver une explication.

Jean-Claude Lefebvre est né à la ferme à Epiais-les-Louvres, comme ses trois frères et sœurs. Il y a eu tout d’abord Michel né en 1935, puis Jean-Claude deux ans après en 1937, en 1939 il y a eu Annick qui est morte à un an de bronchopneumonie et en 1947 il y a eu Martine, la petite dernière. Les parents se sont mariés en 1932. La mère mesurait 1m85 et le père 1m87, ce qui n’est pas si mal pour l’époque. Le grand-père maternel faisait 1m98. Jean-Claude n’osera pas remonter l’arbre généalogique plus loin encore, « de peur de trouver des ascendants qui seraient plus grands que lui ».

Fait marquant supplémentaire, les parents sont cousins germains, ce qui n’arrange rien ! le père a été orphelin à neuf ans, il a été recueilli par ses grands-parents et passait ses vacances chez l’autre grand-mère mais il allait assez souvent chez son oncle. Et, de fil en aiguille, à force de fréquenter la cousine germaine… voilà, ce qui n’a pas forcément plu à ses frères et sœurs. Cela pouvait arriver à l’époque, dans les familles rurales, mais là c’était tout de même assez inhabituel. Ce genre de mariage interne à la famille au sens large permettait aux propriétaires terriens de garantir que l’ensemble des terres ne partirait pas aux mains d’« étrangers » avec la dot du mariage… Martine, la sœur cadette de Jean-Claude nous confie : « Maman m’a dit qu’elle avait demandé au médecin si elle aurait des enfants normaux, il lui a répondu qu’à priori il n’y avait pas de soucis. Cela m’a fait rire parce que, à l’époque en 1932, je ne sais pas ce qu’il aurait pu lui répondre parce qu’on ne savait pas encore beaucoup de choses sur ce sujet ! Sur la génétique, est-ce que notre gigantisme est lié… Forcément c’est lié parce que des deux côtés de la famille, il y avait des grands. La mère de Papa devait mesurer au moins 1m70 (donc pour l’époque c’était quand même grand déjà) et mon grand-père 1m98 ».

 Isabelle Rusin, Madame le Maire de la commune d’Epiais-les-Louvres aujourd’hui, a bien connu Jean-Claude Lefebvre dans la seconde partie de son existence, alors qu’il était revenu au pays après sa carrière de basketteur. Elle nous éclaire sur cet héritage familial : « Il reprochait des choses à ses parents : déjà, sa grandeur. Il le vivait mal, il pensait qu’il était grand du fait que ses parents se soient mariés entre cousins. Ses deux parents étaient grands et il me l’a clairement dit que c’était un reproche qu’il leur faisait. Et une maman très autoritaire, très possessive, (NDA : deux affirmations que réfute Martine Lefebvre) qui gérait tout d’une main de maître, plus que le père ».

Jean-Claude et Martine se ressemblaient énormément. Selon Martine, « Bien que nous ressemblions à notre Père, Notre théorie, quand on était petits, c’était qu’on avait été adoptés tous les deux ! Physiquement, on se ressemblait beaucoup (on était les seuls blonds) et c’est drôle qu’on ait eu chacun, à dix ans d’intervalle, cette même idée dans la tête ! On s’entendait très bien tous les deux, quand il y avait des bêtises à dire, c’était nous deux, ce n’était pas Michel, le grand frère ! Ma belle-sœur disait toujours qu’on était comme deux larrons en foire, tous les deux. Michel était beaucoup plus sérieux ». L’élément majeur qui tend à expliquer ce caractère sombre, c’est bien évidemment le regard que lui renvoyait les autres sur son « anormalité ». Sa sœur confirme : « Ah bin, c’est Busnel qui l’a aidé à s’émanciper. Même dans la famille, les gens le regardaient bizarrement. Je ne sais pas trop comment les gens réagissaient parce que j’étais grande aussi. Ils n’osaient pas me dire mais je sais qu’ils se fichaient de nous. Aujourd’hui, notre taille passerait mieux mais à l’époque… A 10 ans, je mesurais 1m75, ce n’est quand même pas mal ! Lui à 10 ans, je ne me souviens pas mais ce que je sais ce que nous avons été tous les deux les seuls à faire notre communion en avance, à cause de notre taille. J’ai fait ma communion à 10 ans, on avait dû demander une autorisation spéciale à l’évêque de Versailles pour une question de taille de robe et costume par rapport aux autres enfants ! Et comme on ne trouvait pas de chaussures à ma taille, on a dû me couper le bout des chaussures ». Les railleries étaient continuelles : « Alors que j’étais ado, j’allais en cours Rue de Londres, dans la rue d’Amsterdam une voiture s’arrête avec 4 jeunes à l’intérieur. Ils sont sortis tous les 4 pour crier « aah, la girafe !» et ils sont repartis. C’était malin, hein… et ça, ça fait mal. Les remarques dans les magasins quand on cherche un article et qu’on nous répond « mais vous croyez qu’on a votre taille ?! … encore une fois, la bêtise des gens, vous ne pouvez pas imaginer… ». Jean-Claude dit n’avoir pas souffert du complexe du grand au sein du cocon familial car il y était traité comme tout le monde, ses camarades de classe ne le voyaient pas différent des autres non plus.  Par contre dès qu’il sortait dans la rue, le constat est le même que celui de sa sœur : il se heurtait à la stupidité des réflexions.

Toute sa vie, à l’instar d’une autre géante du basketball la lettone Ouliana Semenova, Jean-Claude devra lutter et faire avec cette idée reçue selon laquelle parce que physiquement il n’est pas comme tout le monde, on croirait qu’il ne pense pas comme tout le monde, que son anomalie physique s’accompagnerait d’une autre, mentale. Rien de tout cela avec Jean-Claude, c’est un ado (presque) comme les autres, qui aime les films de Fernandel et lire des biographies de grands sportifs.

A L’ASSAUT DES PARQUETS

Au retour du stage de Nice, c’est un tournant qui s’amorce dans la vie de notre jeune géant : Robert Busnel obtient l’autorisation des parents Lefebvre pour le faire signer à Roanne. En fin diplomate, Busnel réussit à gratter finalement un petit oui, du bout des lèvres ; C’est un grand ouf de soulagement pour l’adolescent Jean-Claude, qui ne « se serait jamais pardonné de les avoir contrariés ».

Septembre 1956, Lefebvre découvre un nouveau monde. Le voici, seul dans son petit appartement à Roanne, une cité qui vit alors de ses usines de traitement du coton et de la soie. En revêtant la tunique du Groupe Sportif Chorale Mulsant de Roanne, il bascule en pleine lumière. L’attente est énorme dans la presse nationale. Il devient très vite le nouveau phénomène dont tout le monde parle et pas seulement dans la sphère sportive ; Les observateurs impatients oublient bien vite qu’ils ont à faire à un novice complet en terme de vécu basket et ne voit Jean-Claude que par le prisme de sa taille hors-norme.

A ce titre la légende accompagnant sa première photo de presse parue au lendemain de son premier match de championnat de Nationale (le 22 septembre 1956 à Coubertin pour une rencontre face au CO Billancourt) est éloquente :

RECORD DE FRANCE (DE GRANDEUR) BATTU, AUX CHAMPIONNATS DE FRANCE DE BASKET-BALL

Les championnats de France de basket-ball ont pris le départ hier soir, au stade de Coubertin. La vedette revenait incontestablement à un jeune joueur dont c’étaient les débuts devant le panier, Jean-Paul Lefebvre, 18 ans, 2m18, de l’équipe de Roanne. INTERPRESS-Photo montre : Le nouveau géant du basket français fait paraître bien petit ce photographe de taille pourtant normale…

Autour des expérimentés Jean Chaptard, Maurice Marcelot, Max Bouchet, Roger Guillaume et l’entraineur-joueur André Vacheresse, JCL va apprendre le métier. Côté coulisses, le dirigeant principal, Mr Rhodamel l’engagera comme employé dans son entreprise de bonneterie à Riorges où son patron n’est autre que.. Vacheresse, son entraineur. Malgré un début de saison canon (8v/0d), ses performances individuelles sur le terrain ne sont pas transcendantes, il n’arrive pas à s’exprimer et certains spécialistes estiment qu’il y perd une année. C’est tout le drame de la vie de Jean-Claude qui se joue là : ultra exigeant envers lui-même mais incompris par ses coéquipiers, ses adversaires, le public qui ne lui pardonnera jamais une erreur, ni son « anormalité ».

Hors des parquets, cela fait déjà deux ans que Jean-Claude joue, bon gré mal gré, le jeu des médias. La presse ne fait pas dans la dentelle à cette époque, on l’a photographié en long et en large (et plus en long qu’en large) en recherchant la plupart du temps le sensationnel, en ironisant sur le gigantisme avec beaucoup de scepticisme sur ses capacités sportives.

Pourtant, pas besoin de critiques, Jean-Claude est tout à fait lucide sur ses performances, il commente ainsi son début de saison : « lors du premier match contre Billancourt, j’étais contracté, j’avais peur, je n’ai pas touché une balle. Je sentais que mes équipiers n’avaient pas confiance en moi. Cependant, tous, notre capitaine Vacheresse en tête, étaient d’une extrême gentillesse. Allais-je me débarrasser de mes complexes ? Oui. Le dimanche après, contre Mulhouse (des internationaux Baltzer et Reck), je marquais 27 points. Ça y est, le public m’avait adopté ». Apprécié à Roanne, il doit à l’inverse supporter les agressions verbales du public à l’extérieur, comme ce match de Mulhouse où une partie du public l’avait pris en grippe. « Doit-on en vouloir à quelqu’un parce qu’il est grand ? Le public pourrait-il considérer qu’il doit être plus sévère parce que je suis plus grand que les autres ? Mais il y a les avantages et les inconvénients. J’abandonnerai bien 10 centimètres pour acquérir certaines qualités des autres basketteurs » se demande-t-il en janvier 1957.

On le voit, le basket est en train de transformer Jean-Claude. Baigner dans ce monde sportif le débarrasse progressivement de sa timidité et de ses complexes. Il ne se retourne plus pour voir si on se moque de lui, il ne rougit plus à la moindre remarque. Le basket l’a sauvé du quasi-isolement qui lui était destiné et, comme tout ce qui lui arrive en ce moment se déroule en accéléré, c’est la scène internationale qui va bientôt découvrir le nouveau « phénomène » …

(A suivre)

About Vincent Janssen (6 Articles)
Passionné de l'histoire du basket, du basket-ball, du basketball et même du baskett. Passion inavouable : les arbitres.

2 Comments on Jean-Claude Lefèbvre: A jamais le pionnier. Épisode 1 : La découverte

  1. Remarquable travail de recherche et de synthèse.
    Félicitations à M. Janssen

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  2. Passionnant !

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