L’EPBL, l’éphémère ABA européenne
Europe
Bien avant les tensions Euroleague/FIBA, le basket européen a vécu une autre querelle, concernant les professionnels et les amateurs. En 1975, une ligue éphémère, portée par des investisseurs américains, a vu le jour sur le vieux continent, prenant modèle sur sa grande sœur, la American Basketball Asssociation (ABA). Une saison et puis s’en va. L’European Professionnal Basketball League : un OVNI du basket.
Traditionnellement, le basket pratiqué sur le vieux continent répond à une règle simple : les sportifs sont des amateurs. N’est-ce d’ailleurs pas la dernière lettre de l’acronyme FIBA (Fédération Internationale de Basketball Amateur) ?
Partant de ce postulat, nous allons voir qu’implanter du basket professionnel en Europe n’a pas été pas si simple que ça, et que la planche à billets ne suffit à pas à changer les habitudes.
L’ORIGINE DU PROJET
Petite sœur de la NBA, l’ABA a l’ambition de se développer. Pourtant instable sur la scène sportive américaine, l’American Basketball League lorgne sur le vieux continent pour étendre sa marque.
Nous sommes début 1974, Mike Storen, commissionner de l’ABA, se rapproche de Guy Van Den Broeck, entraineur de l’équipe nationale belge. Ce dernier fait aussi office d’agent de joueurs pour des américains à placer en Europe. L’opportunité est parfaite, Storen a trouvé son homme de main pour mettre son projet en œuvre.
C’est ainsi que commencent les tractations : on recherche des investisseurs, on implante des équipes dans des grandes villes (au moins 500 000 habitants), et chaque équipe drafte des joueurs.

La ABA prête à débarquer en Europe !
Mais attention ! N’oublions pas que si des joueurs européens souhaitent s’impliquer dans ce projet, ils perdent leur statut d’amateur et sont radiés de leurs équipes nationales !
Sur le principe, quelques pays se montrent intéressés, avec notamment l’Espagne (Barcelone et Madrid), l’Italie (Rome et Milan), la Belgique (Anvers et Bruxelles), les Pays-Bas (Amsterdam), et dans une moindre mesure l’Allemagne, l’Autriche, la Grèce et Israël.
Et la France dans tout ça ? Une réunion tenue en février 1974 à Tours a permis de mesurer l’intérêt de cette implantation du basket professionnel dans l’hexagone. M. Papineau, président de l’ASPO Tours, M. Fiolet, de Caen, un représentant de la ville de Paris sont notamment présents dans les échanges avec Guy Van Den Broeck. Plus surprenant, Marcel Leclerc, président de l’Olympique de Marseille (oui, oui, le foot) se positionne pour être le relais de cette ABA à l’européenne !
Le projet prend corps et est validé par les participants, qui souhaitent un démarrage à l’automne de la même année !
Ce ne sera pas si facile que cela, différents freins retardant la mise en place de cette ABA à la sauce européenne.
DES BATONS DANS LES ROUES
Tout d’abord, malgré le souhait de démarrer rapidement, Guy Van Den Broeck doit calmer les ardeurs des français : Tours, Caen, Paris et Lyon seraient des candidats potentiels pour accueillir une équipe. Cependant, huit équipes sont suffisantes pour démarrer ce championnat, et il est donc nécessaire de se concentrer sur les deux plus grandes villes françaises qui se positionnent, et compléter avec d’autres villes d’importance en Europe.
« La FFBB n’a pas les moyens de s’opposer à un championnat professionnel. Elle ne peut que mettre en garde les dirigeants et les joueurs qu’ils seraient radiés à vie de la Fédération s’ils passaient professionnels. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Secrétaire Général de la FFBB, Gilbert Gondal, n’y va pas par quatre chemins, poussé par Robert Busnel, le Président de la FFBB. Évidemment, la crainte est de voir succomber aux sirènes professionnelles les joueurs importants du championnat français (Ken Gardner, Alain Gilles, Jacques Cachemire, Pierre Galle…), ce qui affaiblirait son niveau. Sans parler d’une équipe de France amputée de ses meilleurs éléments, car ne répondant plus au critère « amateur ». Guy Van Den Broeck ne s’émeut pas plus que cela de cette contrainte :
« Sur le plan international, que peuvent espérer aujourd’hui des pays comme la France et la Belgique ? Ils seront toujours barrés des Jeux Olympiques et ne pourront se contenter que d’une modeste place dans les compétitions européennes. Pour ces pays le professionnalisme ne peut que promouvoir le basket en attirant des jeunes qui, au sein de leur club, voudront atteindre la perfection afin de pouvoir prétendre ensuite être admis chez les pros.
Et puis je pense qu’une compétition professionnelle ne mettrait pas en danger les équipes nationales. Prenons l’exemple des Etats-Unis. La plupart des joueurs professionnels ont plus de trente ans. Or, chez nous comme chez vous, on considère généralement qu’un joueur de cet âge n’a plus sa place dans une équipe nationale. Ainsi je pense que des joueurs comme Gilles et Degros, pour ne citer qu’eux, qui ne jouent plus dans l’équipe de France, pourraient faire encore une bonne carrière professionnelle, tout comme Steveniers et Dierckx en Belgique. »
Pour autant, malgré sa prise de position péremptoire, Guy Van Den Broeck va rentrer dans le rang, menacé par sa fédération d’être radié à vie à son tour.
Le projet trouve rapidement un autre chef d’orchestre, en la personne de l’homme fort de l’OM, Marcel Leclerc. Ce dernier crée l’EBA (European Basketball Association) et espère aller au bout de la démarche avec des investisseurs américains et européens lui permettant de lever suffisamment de fonds.

Renato Jones et Marcel Leclerc en pleine discussion (l’Equipe Basket Hebdo)
Mais ces équipes constituées quasi-uniquement de joueurs américains vont se heurter à un autre problème : l’identification et l’esprit « clocher » du vieux continent. Si le spectacle promet d’être au rendez-vous, les USA possédant de loin à ce moment-là les meilleurs joueurs au monde, le public risque de déserter les salles une fois les premières rencontres passées.
Face à l’ampleur des obstacles à surmonter, Marcel Leclerc jette l’éponge. Mort-né le projet ? Pas tout à fait.
Fin avril, John Coburn, un homme d’affaire américain basé en France annonce la création de l’International Basketball Association (IBA), qui prend le relais de la déjà défunte EBA de Marcel Leclerc. Pas de temps à perdre à négocier avec les instances fédérales, il ne prend pas de gants et avance tel un bulldozer. Grâce à son fonds d’investissement composé de capitaux à 70% américains et 30% européens, il développe le système de franchises dans plusieurs villes. Une draft permettant aux équipes de composer leur roster est mise en place dès le mois de septembre, avec 90% joueurs américains. L’objectif est d’attirer les européens à N+1, grâce notamment à des salaires alléchants (entre 15 000 et 20 000 dollars par an).
Face à ce passage en force, la FIBA tente bien de s’imposer, tout d’abord par l’intermédiaire de Renato William Jones, son Secrétaire Général. Il rédige un courrier à l’attention des fédérations nationales concernées par l’implantation d’une équipe professionnelle dont voici la teneur :
« La FIBA s’oppose par tous les moyens à l’installation de telle ligue en Europe. Notamment, elle confirme la disqualification immédiate et irrévocable de toute personne (dirigeant, arbitre ou joueur) qui donnerait une aide quelconque en faveur de l’installation de cette ligue. Cela comporte aussi l’interdiction d’employer les salles et les terrains qui sont employés par les clubs amateurs lors de rencontres des championnats nationaux ainsi que des rencontres internationales (Coupes d’Europe, championnats) »
Restant malgré tout maître sur son territoire, la FIBA ralentit les velléités du consortium de l’IBA avec des contraintes réglementaires. Ainsi l’équipe de Lyon-Grenoble qui devait représenter la France dans cette compétition professionnelle abandonne avant le début de la saison, les taxes demandées pour la tenue d’un match de basket non organisé par la FFBB allant être prohibitives.
Justement, pour pérenniser la future ligue européenne, l’IBA mise sur un revenu de 500 000 dollars par club. Pour atteindre cette somme, chaque équipe va devoir enregistrer une moyenne de 6000 spectateurs par match, payant entre 2 et 6 dollars l’entrée. Il est prévu que chaque équipe joue 62 matchs, donc 31 à domicile par saison. Sur le modèle de l’ABA et de la NBA, les équipes se jouent plusieurs fois par saison, ce qui n’est pas coutumier en Europe… Ce point de détail n’est pas à négliger !
DU REVE A LA REALITE
Finalement, l’IBA est bien obligé de composer avec la FIBA, et négocie avec la Fédération Internationale pour pouvoir déployer sa ligue professionnelle sur le vieux continent. Dans la négociation, il est convenu que la FIBA supervisera la Ligue portée par l’IBA, et qu’elle travaillera avec cette dernière pour préparer la reconversion de joueurs européens amateurs vers le circuit professionnel.
De même, l’IBA a du lâcher un certain nombre de points : 40 matchs au lieu de 62 initialement prévus, 1000$ à verser à chaque match à la fédération du pays hôte, aucun européen en dessous de 30 ans ne pourra signer.
Les matchs auront lieu le mardi ou le vendredi, afin d’éviter d’entrer en concurrence avec les championnats domestiques et les Coupes d’Europe. Il est toujours possible de jouer le week-end, à condition de reverser 40% des revenus des entrées au club amateur résident…
Face à toutes ces concessions, John Coburn est « démissionné » pour laisser place à un nouveau Secrétaire Général, Dick Davis.

Trouvons un nom à l’équipe Belge ! (L’Equipe Basket Hebdo)
Qu’à cela ne tienne, l’IBA officialise la mise en place de l’European Professionnal Basketball League dont la draft a lieu à New-York le 19 novembre 1974. 166 joueurs sont sélectionnés par les 8 équipes annoncées pour cette première saison : Tel-Aviv Sabras, London BICs, Swiss Alpines, Belgium Lions, Madrid Superstars, Catalans Estels (Barcelone), Lyon-Grenoble et Munich. Ces deux dernières n’ont pas encore de surnoms à ce moment-là.
Et entre la draft et le début de la saison le 17 janvier 1975, ça va bouger !
Londres abandonne tout d’abord, la salle prévue pour accueillir les matchs n’étant pas prête, et propose de repousser son entrée à la saison suivante.
Pour garder un nombre pair d’équipes, il est demandé aux deux équipes espagnoles, les Catalans Estels et les Madrid Superstars de ne composer qu’une équipe, au moins pour cette première saison. Ce seront donc les Iberia Superstars qui se présenteront sur la piste de décollage.
Puis Lyon-Grenoble jette l’éponge, en raison de taxes trop importantes et de l’hostilité de la FFBB et de son Président Robert Busnel (amusant quand l’on sait qu’il est considéré comme le premier « pro » français), mais aussi du Secrétaire d’Etat aux Sports, Pierre Mazeaud.
Finalement, ce ne seront que 5 équipes qui disputeront cette saison inaugurale de l’EBPL : les Belgium Lions, les Munich Eagles, les Switzerland Alpines, les Iberia Superstars et les Israël Sabras.

Les Swiss Alpines (Journal Confédéré)
Et malgré les difficultés de mise en œuvre, les 60 joueurs retenus par les franchises ont quand même un beau pédigrée pour la plupart.
Beaucoup d’entre eux ont eu un parcours intéressant en ABA, voire quelques passages en NBA. Certains sont en fin de carrière comme Roger Brown, qui fut un des piliers des Indiana Pacers en ABA (son numéro 35 est d’ailleurs retiré) ou en pleine force de l’âge comme ML Carr, qui rejoindra la NBA à Detroit puis Boston après son passage européen.

Les Munichs Eagles de Joe Hamilton face aux Israël Sabras de Roger Brown (L’Equipe Basket Magazine)
Parmi les curiosités, Munich se distingue avec la présence de Bob Rosier, 2,23m sous la toise, drafté par les Bulls en NBA mais qui n’y aura jamais trouvé sa place mais surtout avec Larry Jones, un vrai bon joueur de ABA et NBA qui sera joueur et coach de l’équipe basée en Allemagne.
Finalement 60 joueurs composent les équipes d’EPBL en 1975. 59 américains, 1 belge. C’est Willy Steveniers, surnommé « l’Empereur du Basket Belge », qui prend le risque d’être radié par sa fédération. Il devient ainsi le premier « pro » officiel du basket européen.
Pour faciliter l’acclimatation des pros US, l’EPBL américanise le jeu et l’ambiance, en proposant notamment les règles ABA : 4 périodes de 12 minutes, 6 fautes personnelles, une ligne à trois points. Chaque équipe joue contre les 10 autres, et les publicités sont interdites sur les maillots, pour laisser apparaître le nom le l’équipe à hauteur de la poitrine et les numéros ne sont pas limités comme auparavant de 4 à 15.

Le 17 janvier 1975, Renato William Jones lance l’entre-deux initial du match Munich Eagles-Israël Sabras, devant un public clairsemé de 400 ou 500 personnes. On est loin de la jauge de 6000 spectateurs espérée pour rendre l’EPBL rentable…
UNE SAISON INACHEVEE
La saison n’arrivera même pas à son terme… Au bout de 30 matchs, l’EBPL décide de stopper son championnat et annule les phases finales prévues en Israël, seul endroit où le public répond présent.

Swiss Alpines – Iberia Superstars (Nouvelliste et feuille d’avis du Valais)
C’est la faillite pour la ligue pro américano-européenne, qui aura coûté beaucoup plus qu’elle n’aura rapporté (un déficit global de 2,5 millions de dollars).
Quelles en sont les raisons ? Selon Jean-Jacques Maleval, dans l’Equipe Basket Hebdo, les investisseurs américains n’ont pas tenu compte de la culture et des spécificités européennes, et ont fait un vulgaire copié-collé de ce qui marche peu ou prou outre-Atlantique. La communication et le marketing n’ont pas été suffisamment développés et malgré un niveau de jeu de bonne facture, une ligue à 5 équipes manque de crédibilité. Enfin il est difficile pour le public de s’identifier à des équipes 100% US.
Finalement, les Israël Sabras seront sacrés champions, par forfait ! Il était prévu de finir cette saison raccourcie à Tel-Aviv, où les locaux auraient affrontés dans une triangulaire les Belgium Lions et les Swiss Alpines, respectivement 2e et 3e du championnat. Prétextant la crainte d’agressions ou d’attaques terroristes en Israël, les suisses et belges ne se déplaceront donc pas. Évidemment, on penche surtout sur des caisses vides et des propriétaires souhaitant arrêter les frais au plus vite.

Israël Sabras, seuls et uniques champions de l’EPBL (L’Equipe Basket Magazine)
L’EPBL ne repartira pas pour une seconde édition, et tombera dans l’oubli. Le professionnalisme attendra encore quelques années pour prendre sa place sur le continent européen (1987 en France), ce report ne sera pas pour déplaire à Renato William Jones, le Secrétaire Général de la FIBA qui a défendu bec et ongles le basket amateur.
L’EUROPEAN PROFESSIONNAL BASKETBALL LEAGUE EN INFOGRAPHIE

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