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ITW Blanka Journot-Tomsova : « J’étais le bébé du système communiste »

Interview

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro

Aujourd’hui, Basket Rétro vous propose de découvrir l’histoire d’une femme extraordinaire au parcours l’étant tout autant. Blanka Journot, sans doute connue par certains de nos lecteurs sous son nom de jeune fille, Blanka Tomsova, a en effet grandi et vécu pendant vingt ans en Tchécoslovaquie communiste, sous un régime où la balle orange était l’un des rares moyens de toucher la liberté du doigt, bien qu’elle ait parfois fait vivre aux joueuses des stages dignes d’un camp militaire…

Basket Rétro : Quand et comment avez-vous commencé votre carrière de basketteuse ?

Blanka Journot-Tomsova : C’est une question intéressante qu’on ne me pose pas souvent. J’ai commencé le basket à onze ans dans la ville où je suis née, avec le club du Sparta Prague. Mon premier entraîneur était Josef Ezr, un ex-international tchécoslovaque.

Blanka Journot-Tomsova @ Maxi-Basket

BR : Était-ce par passion ?

BJ : J’avais fait beaucoup d’autres sports auparavant. Cela peut paraître surprenant vu mon gabarit mais j’ai fait beaucoup de patinage artistique, j’étais dans un club d’élite, mais à l’âge de dix ans, j’ai grandi et on m’a « remerciée » parce que ça n’allait pas pour être professionnelle. J’ai également fait de la natation et de l’athlétisme. Je n’ai donc commencé le basket qu’à onze ans. Les sélections étaient intéressantes, elles se faisaient dans les écoles, parfois sur invitation d’une copine, c’est ce qui s’est passé pour moi quand j’étais en CM2. Elle a vu passer quelqu’un dans l’école et a retenu la date de cette sélection pour nous deux puis m’a demandé ensuite si cela m’intéressait. Je ne connaissais pas ce sport, mon père était athlète et courait des marathons, et moi je n’avais jamais pratiqué de sports collectifs. Mon père m’a d’ailleurs dit « non » quand je lui ai dit que j’allais à la sélection mais j’y suis allée quand même avec ma copine Eva.

Nous étions soixante petites filles de onze ans, de toutes les tailles. C’était à l’automne, on a commencé à courir partout dans la salle, ce qui ne me posait pas de problème, puis l’entraîneur a sorti les panneaux de basket. Il nous a demandé de faire des passes et quand ma copine m’a lancé le ballon, j’ai reculé par réflexe, je n’en avais jamais touché, j’avais un peu « peur » ! Quelques jours plus tard, Monsieur Ezr a pourtant dit à mon père qu’il souhaitait me garder car il allait faire de moi une championne. Franchement il était visionnaire car je ne sais pas comment il pouvait dire ça à ce moment-là ! Mon père a donc accepté et m’a dit de m’inscrire car il savait que Monsieur Ezr était sérieux… mais après ce premier essai et même durant toute la première année, le basket ne me plaisait pas du tout !

Seulement vingt des soixante joueuses sont restées, ma copine Eva n’avait pas été retenue, je me suis retrouvée un peu esseulée.

« Monsieur Ezr a dit à mon père qu’il souhaitait me garder car il allait faire de moi une championne. Franchement il était visionnaire car je ne sais pas comment il pouvait dire ça à ce moment-là ! »

BR : Comment se déroulait votre quotidien au Sparta Prague ?

BJ : Quand est arrivé le collège, nous nous entraînions deux fois par semaine avec Monsieur Ezr et son épouse, qui avait également été professionnelle et capitaine de l’équipe nationale tchécoslovaque ! Ensemble ils avaient une fille née comme moi en 1960, elle s’appelait Hana, comme sa maman, et est devenue une grande amie à moi. On ne s’est quasiment pas quitté jusqu’à mon départ. Au quotidien on allait au collège ; ce n’est pas du tout comme en France puisque là-bas, encore de nos jours, on commence à huit heures et on finit à treize heures, il n’y a pas de cours l’après-midi. Nos entraînements commençaient à dix-sept heures et duraient une heure trente. Très rapidement on a commencé les compétitions nationales, j’espère que vous allez me croire mais on les a absolument toutes gagnées ! On a été championnes de Tchécoslovaquie benjamines, minimes, cadettes et juniors !

En plus des deux entraînements par semaine lorsque nous étions en sixième et en cinquième, ce couple nous « réquisitionnait » tout l’été pour nous entraîner dans un endroit paradisiaque. Certaines de mes ex-coéquipières se sont d’ailleurs mariées sur ces lieux par la suite ! On peut quand même dire que nos entraîneurs étaient visionnaires car ils ont formé une équipe qui par la suite a gravi les échelons avec eux, ils nous ont suivies jusqu’à nos dix-huit ans. Il y a eu cinq joueuses internationales adultes dans ce groupe ! Pour moi, les premières sélections nationales sont arrivées en 1973, quand j’avais treize ans, pour préparer le championnat d’Europe cadettes de 1975.

BR : Jouer en équipe nationale tchécoslovaque était-il une fierté pour vous ?

BJ : Oui, c’était une très grande fierté, une super fierté pour nous toutes quand on recevait une convocation ! Cela a duré pour moi jusqu’à mes vingt-trois ans puisque je ne suis jamais sortie de l’équipe nationale. À l’époque des premières sélections, ce sont les parents et notamment ma maman qui cousaient les numéros sur les maillots ! J’étais toujours numéro 13 ! C’était toute une préparation familiale.

BR : Était-ce une fierté par patriotisme ou pour le fait d’être reconnue comme l’une des meilleures joueuses du pays ?

BJ : Franchement je pense que c’était les deux ! À treize ans, on n’a pas de recul sur le système, ça c’est plus arrivé vers dix-huit ans.

L’équipe du Sparta de Prague : Blanka, n°12, Ivana n° 6
@ Collection personnelles de Cathy Malfois

BR : Comment se sont déroulées vos premières compétitions internationales, notamment cet Euro « cadettes » de 1975 ?

BJ : On a fini 4e, c’était en Pologne. Ce fut une grosse déception pour la fédération et pour nous. On a perdu la médaille de bronze de quelques points (NDLR : c’était en fait en Aout 1976 à Szecsin (POL), défaite contre la Hongrie 55-45). Après le championnat, nous sommes arrivées au lycée, pour cela il fallait passer des concours, heureusement j’étais bonne élève et j’ai pu accéder à un lycée sport-étude de haut niveau, un établissement situé en face du stade du Sparta. Le lycée dure quatre ans là-bas. Nous avions chacune un plan individuel d’études. À l’époque, je m’entraînais plusieurs fois par jour, entre sept et huit heures du matin avant d’aller en cours, entre midi et quatorze heures, et en fin d’après-midi.

Il y avait les entraînements individuels le matin, les shoots et les lancers-francs le midi et les entraînements collectifs avec Monsieur Ezr pour finir la journée et préparer les matchs. Je disputais toujours les compétitions avec lui mais l’entraîneur de l’équipe A s’occupait aussi de moi et des joueuses prometteuses. On avait un prof d’EPS qui avait formé une équipe qui n’avait rien à voir avec le Sparta ni avec l’équipe nationale, même si c’étaient toujours les mêmes joueuses ! On participait et on gagnait chaque année le championnat national des lycées qui se déroulait à Prague, ce qui nous donnait l’occasion d’aller à l’Ouest pour jouer « L’Europe des Lycées ». Il s’agissait de mes premiers pas à l’Ouest, ça durait une semaine et nous étions hébergés dans une famille. C’est lors du premier voyage, en Hollande, que je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez nous. J’ai eu un choc ! Je ne comprenais pas pourquoi on vivait dans un système vraiment pas joyeux et je me suis dit que j’aimerais vivre comme les Hollandais. C’était chaque année un très bon moment. Ils étaient riches, ils avaient de belles maisons. J’ai ensuite été sélectionnée pour le championnat d’Europe junior de 1979.

BR : Quels souvenirs gardez-vous de cet Euro junior 1979 ?

BJ : C’était en Sicile, on a eu la médaille de bronze et on était trop contentes (derrière les habituées : Union Soviétique et Hongrie) ! Il faut revenir un peu sur la préparation de ce championnat… pour nous acclimater au climat très chaud de la Sicile, on a eu un stage en Corée du Nord ! Je ne connais personne qui y soit allé à part moi ! Quand je raconte cela, on me dit que je me trompe et que je dois parler de la Corée du Sud mais non, nous ne pouvions pas aller en Corée du Sud ! J’ai des photos pour le prouver ! On y a passé trois semaines, c’était horrible. Il y avait un tournoi préparatif avec l’URSS, la Pologne et les autres sélections qui pouvaient s’y rendre [les pays signataires du Pacte de Varsovie, ndlr].

« Pour nous acclimater au climat très chaud de la Sicile, on a eu un stage en Corée du Nord ! Je ne connais personne qui y soit allé à part moi ! »

Avant ce voyage-là, nous étions aussi allées à Moscou et avons fait face à des conditions horribles. Il y avait une bouffe dégueulasse, on sucrait notre thé imbuvable avec de la confiture. Il n’y avait pas de toilettes, ce n’étaient pas des latrines mais des trous dans la terre. C’est à ce moment-là avec les filles qu’on a commencé à réaliser ce qu’était l’Union Soviétique, qu’on nous racontait des conneries. C’était en fait un pays extrêmement pauvre avec des conditions de vie horribles. Mais à l’époque, c’était « marche ou crève » et si tu crèves ce n’est pas grave, il y a cent mille autres filles derrière toi. Cependant je n’aime pas mal parler de l’Union Soviétique car les gens n’y pouvaient rien, ils n’étaient pas responsables de ce que faisaient les aparatchiks. Puis nous sommes arrivées en Sicile, en Italie capitaliste ! C’est sûr qu’on était physiquement bien préparées ! L’une de mes coéquipières, très blonde, rendait les Siciliens fous ! Ils sifflaient sous nos fenêtres ! On a bien joué et fini troisième.

BR : Et qu’en était-il de vos études ?

BJ : J’ai eu mon bac L avec mention « excellent » ! Après l’Euro Junior de 1979, je voulais aller à l’université de journalisme mais mon père n’a jamais signé au parti communiste. Comme il a officiellement refusé, notre famille était pénalisée sur plusieurs points. On avait un tout petit logement, mon père était mal payé alors qu’il avait fait des études supérieures. C’était la misère économique mais il n’a jamais cédé. D’ailleurs, quand il a fini sa thèse et qu’il a été sollicité pour le métro de Prague, on lui avait dit « camarade, est-ce que vous voulez bien venir faire cette construction », il leur a dit « ne m’insultez pas, ne m’appelez pas camarade ». Aux menaces, comme « Vous êtes en train de mettre votre famille dans la misère », il répondait « Oui, mais je pourrai regarder ma femme dans les yeux jusqu’à ma mort ». Et c’est ce qu’il a fait !

Au niveau des études, la fille d’un homme qui avait refusé de rejoindre le parti ne pouvait pas être journaliste et écrire des articles, c’était vu comme une menace pour le régime. Même chose quand j’ai voulu devenir prof d’EPS. Du coup, malgré mon bac L avec mention « excellent », le système m’a trouvé une fac où j’ai souffert le martyre.

« Au niveau des études, la fille d’un homme qui avait refusé de rejoindre le parti ne pouvait pas être journaliste et écrire des articles, ce serait dangereux »

Finalement, aujourd’hui à soixante ans je me demande si j’avais été dans la filière que j’avais choisie, tout se serait déroulé autrement. J’ai donc été en fac d’économie alors que j’étais nulle en maths. J’ai galéré, je ne comprenais rien… mais j’ai quand même eu mon DEUG, je ne sais pas trop comment, avec de mauvaises notes. J’ai continué toutefois le basket en m’entraînant trois fois par jour avec l’équipe A du Sparta. C’était déjà comme mon boulot. Comme je faisais partie de l’élite, j’avais droit au plan individuel de formation, donc je me présentais aux partiels « à mon rythme », quand j’étais prête.

BR : Les pays du Bloc de l’Est avaient la réputation d’être très durs envers les sportifs, comment le Sparta Prague préparait-il ses compétitions ?

BJ : Je me souviens du premier camp d’entraînement avec l’équipe A du Sparta Prague, quand j’avais dix-neuf ans et demi, au retour de la Sicile. Il a duré deux semaines et avait lieu en Roumanie. Nous étions quatre « jeunes » du groupe qu’avait formé Monsieur Ezr et les autres étaient plus « anciennes » et expérimentées mais tout de même très sympas avec nous. Mais les entraînements, c’était l’horreur. Avant le petit déjeuner, il fallait faire des footings dans les Carpates, les montagnes roumaines. Après c’était la préparation physique avec des sacs de sable sur le dos, avec des poignets et des chevillères en fer. L’une des coéquipières a même saigné du nombril. On surexploitait nos capacités physiques. Il y avait des jeunes filles qui vomissaient, une autre a fait une crise de tétanie…

« Les entraînements, c’était l’horreur. Il fallait faire des footings dans les montagnes roumaines. Après, c était la préparation physique avec des sacs de sable sur le dos, avec des poignets et des chevillères en fer. L’une des coéquipières a même saigné du nombril. »

BR : Quand avez-vous découvert la France ?

BJ : C’est justement à cette période-là puisqu’on partait en France en septembre pour faire la tournée de préparation, à Strasbourg, Mulhouse, Paris, Clermont-Ferrand – d’où ma rencontre avec mon amie Cathy Malfois ! –, Lyon Villeurbanne, Colmar, parfois Rodez… On partait pour deux semaines. Madame Ezrova, la femme de notre ancien entraîneur, nous accompagnait car elle était professeur de français et donc parfaitement bilingue. On était toujours bien reçu par les mairies, on dormait dans des hôtels, on était invité à des banquets immenses. C’était un nouveau séjour « à l’Ouest », on pouvait s’acheter des choses, des vêtements, des disques ou des cassettes qui étaient interdits chez nous. Il y avait beaucoup de rencontres avec les sportives, notamment les joueuses du CUC. Cathy Malfois jouait là-bas, Maryline Joly, Irene Guidotti, Elisabeth Riffiod, toutes ses copines. À Paris, c’était Paoline Ekambi avec qui je suis aussi toujours en contact. Mais toutes étaient plus vieilles que moi.

Blanka, n°7, avec l’équipe nationale tchèque @ Collection personnelle de Cath Malfois

BR : Pouvez-vous nous parler de vos réels premiers pas au sein de l’équipe A du Sparta Prague ?

BJ : On remportait le titre de Tchécoslovaquie tous les ans, nos rivaux étaient le Slavia Prague, où jouait mon amie Hana, mais aussi le club de Bratislava… C’était difficile de faire sa place. J’avais un problème de taille car je mesurais 1m83 mais j’avais été formée comme pivot. Aujourd’hui, les filles de cette taille jouent arrières ! J’étais très bonne à ce poste jusqu’à mes dix-neuf ans, je mettais beaucoup de points. Ensuite, j’ai donc joué 3 ou « faux 4 », ce n’était pas facile de s’écarter du panier et de ne plus jouer dos au panier. À vingt-et-un/vingt-deux ans, j’étais sélectionnée en équipe nationale B seniors, j’ai participé à des tournois internationaux avec cette équipe-là, et j’ai été présélectionnée en équipe nationale A pour les Jeux Olympiques de Los Angeles où finalement aucune sélection de l’Est ne s’est rendue (ndlr : en réponse au boycott des États-Unis lors des Jeux de Moscou de 1980, aucune sélection de l’Est ne se présenta à Los Angeles en 1984). De toute façon, c’est pendant cette présélection que je suis restée en France. Je n’ai donc jamais joué de championnats d’Europe ou du Monde avec l’équipe nationale A.

BR : Pourquoi avoir décidé de fuir votre pays à l’occasion du voyage du Sparta en France en 1982 et comment cela s’est-il passé ?

BJ : Je pense que mon choix s’est fait dans mon inconscient à partir de mes quinze ans et mes premiers voyages en Hollande. J’avais le désir de vivre autre chose autrement. Personne ne pouvait prédire à l’époque, en 1982, la chute du Mur et du bloc communiste. Je voulais avoir une certaine aisance économique, avoir une belle maison, faire ce que je voulais, lire ou écouter ce qui me plaisait… Quand en décembre 1982, on s’est rendu à Clermont-Ferrand pour un match de Coupe d’Europe, l’une de mes coéquipières du Sparta, Ivana, m’a dit qu’elle voulait rester en France à l’occasion de ce voyage et m’a demandé si je voulais faire pareil. Moi je ne voulais pas car je souhaitais d’abord finir ma licence dans mon horrible fac. Elle m’a tout de même demandé un peu d’aide, de cacher son argent, ce que j’ai accepté. Elle a donc préparé son départ en prenant ses papiers et sa carte d’identité.

D’habitude, nous étions toujours accompagnées par quelqu’un du parti, on leur montrait nos passeports, ils les gardaient et nous les rendaient à la fin du séjour. Moi je n’avais pas ma carte d’identité, uniquement mon passeport, et je n’aurais donc rien pu faire s’ils me l’avaient pris ce jour-là. Moi je crois en Dieu, et le destin d’une vie ce jour-là nous a permis de garder nos passeports. Normalement, il y a aussi des bergers allemands qui viennent renifler les affaires à la frontière, qui sont aussi dressés pour renifler l’argent, mais ce jour-là ils ne sont pas rentrés dans le bus. Ni fouilles, ni chiens…C’était vraiment le destin.

« Moi je crois en Dieu, et le destin d’une vie ce jour-là nous a permis de garder nos passeports.»

À l’arrivée, Ivana m’a demandé d’appeler Cathy Malfois, que tout le monde connaissait, pour savoir si elle pouvait l’aider. Cathy ne jouait pas, elle était convalescente et elle n’était donc pas à Clermont-Ferrand mais chez ses parents près de Saint-Etienne. Je l’ai eue au téléphone, nous pouvions nous comprendre parce qu’elle parlait polonais, et elle est venue.

Elle a contacté Madame Edith Tavert, qui était présidente de l’ASM, et c’est elle qui a tout organisé avec le ministère de l’Intérieur français. Elle a demandé et obtenu une protection policière pour nous ainsi que l’asile. Je dis bien pour nous puisqu’entre temps, Cathy m’avait demandé si je voulais rester ici également. Je lui ai dit que je n’avais rien prévu, que je n’avais pas un sou, aucun papier hormis mon passeport, que je n’avais que deux culottes et deux paires de chaussettes ! Ivana m’a dit de bien réfléchir, que c’est ce que je souhaitais depuis toujours et qu’en plus les gens connaissaient notre proximité, que je serais donc suspectée de l’avoir aidée et que je ne serais jamais autorisée à revenir dans l’Ouest. Cela m’a convaincue et je l’ai dit à Cathy Malfois. J’avais vingt-trois ans… Aujourd’hui, j’ai un fils de cet âge-là et je suis heureuse qu’il n’ait pas à faire un choix comme celui-là. La liberté prime sur tout. C’est la pire des choses lorsqu’un système nous arrête lorsqu’on a des compétences, comme ce fut le cas lors de mes études.

C’est toujours douloureux à dire, mais en arrivant, ça a été vraiment très difficile. J’avais vingt-deux/vingt-trois ans, je ne savais dire que « bonjour » et « au revoir » en français, et j’étais prise en charge par un système depuis l’âge de onze ans ! Quand je me levais le matin, mon petit déjeuner avait été préparé par ma Maman, toute ma famille était très unie, très soudée, et pour l’anecdote, ma Maman bénissait le repas en cachette. Puis j’allais au lycée où je faisais partie de « l’élite », même chose au sein du Sparta Prague, j’avais droit à des massages et des soins médicaux totalement gratuits. À partir du moment où je suis rentrée dans mon lycée sport-étude, mes repas étaient gratuits, bref, j’étais vraiment le bébé du système communiste, même si je rêvais d’autre chose. Tout changeait subitement pour un idéal né petit à petit. J’ai peut-être réfléchi à cela plus que d’autres, j’avais aussi un père qui avait refusé de rejoindre le communisme et une maman très croyante, qui m’avait fait baptiser au fond d’une église malgré l’interdiction, en se cachant de la police qui surveillait les lieux ! En France, on a obtenu l’asile politique en 48 heures.

BR : Comment s’est passée cette transition entre la Tchécoslovaquie communiste et la France pour la jeune femme que vous étiez ?

BJ : Un jour, à dix-huit ou dix-neuf ans, j’ai dit à mon père que je vivrais à l’Ouest, il m’a répondu quelque chose qui a été vrai pendant longtemps mais qui ne l’est plus aujourd’hui, je vous rassure : « tu ne seras jamais chez toi là-bas ». J’ai effectivement vécu la galère pendant des années en France. On peut résumer ce qui s’est passé après mon arrivée en quatre chapitres. Il y a d’abord eu l’euphorie d’arriver dans un pays qui représentait la liberté. Cela a duré entre le 15 décembre 1982 et le mois de septembre 1986. Tout était beau, tout était neuf pour moi et pour les autres, j’étais bonne basketteuse, on m’invitait à manger…

Mon premier entraîneur à Clermont-Ferrand, Michel Bourdelier, un monsieur super, me faisait jouer et me faisait confiance. Mais moi j’avais eu l’habitude de m’entraîner trois ou quatre fois par jour dans un système ou j’étais chouchoutée. Là, j’étais dans un appartement – payé par le club, c’est vrai – mais je ne savais pas me faire à manger, je ne savais pas qui aller voir, quels médecins fréquenter, je ne savais pas qu’il fallait un chéquier. J’étais en état de choc face à tout ça, j’étais en état de choc le soir lorsque je me couchais seule dans mon petit studio alors qu’auparavant j’avais une famille très unie. Certes, Cathy Malfois a été très présente et a joué son rôle de grande sœur, tout comme sa propre famille, mais elle avait sa vie en dehors de moi, ce qui est normal. La solitude affective a été la première claque que j’ai reçue. La famille est quand même le pilier d’une société et d’un être humain ! Ce fut malgré tout de belles années grâce au basket, grâce à Michel Bourdelier ou à Pierre Galle, qui m’adoraient et me faisaient confiance même si mon niveau n’était plus aussi bon, puisque je ne faisais plus qu’un entraînement le soir au lieu de trois.

Puis est arrivée la période où les clubs français ont commencé à engager de grandes joueuses afro-américaines qui sautaient haut, qui couraient vite. Je commençais à être petite pour un poste 4 ! Les nouveaux entraîneurs n’avaient donc plus trop besoin de moi et n’essayaient pas de m’utiliser autrement sur le parquet. Tout a changé pour moi quand Cathy Malfois a quitté Clermont-Ferrand.

Debout, troisième en partant de la gauche : , Blanka Tomsova sous les couleurs du Stade Clermontois (source : lamontagne.fr )

BR : Vous avez donc connu de grandes difficultés ?

BJ : Oui, ce fut le début du « deuxième chapitre », entre 1987 et 1990, celui des galères noires. Je ne souhaite cela à personne et je prie pour oublier cette période. Mes parents ont joué leur rôle de parents. À 1500 kilomètres, ils m’écrivaient une lettre par semaine, je les ai toutes gardées. Mon père m’a suggéré de reprendre des études et c’est ce que j’ai fait. J’ai commencé par un DEUG de langue slave, puis un jour, alors que j’étais dans la salle d’attente d’un dentiste, j’ai lu une revue que je n’achetais jamais, « Femme Actuelle », et j’ai vu un article qui proposait divers métiers dont assistante sociale, ce qui m’a intéressée. Je me suis lancée dans le concours qu’il fallait. J’avais pu faire traduire mon bac tchécoslovaque par la Sorbonne, ça m’avait permis d’entrer dans l’enseignement supérieur. J’ai bossé mon français avec une dame qui s’appelait Edith. J’ai eu mon concours. Là vient le « chapitre 3 » avec une nouvelle euphorie, tant au niveau du basket que des études puisque j’ai obtenu mon diplôme d’état d’assistante sociale. J’en suis très fière !

BR : C’est à cette époque que vous avez rejoint Nancy ? Le SLUC a-t-il un lien avec cette nouvelle période d’euphorie ?

BJ : En 1990, beaucoup de clubs m’ont contactée, notamment Istres, Dunkerque, Brive… Mon amie fidèle du basket Sandrine Andrada, qui avait été présente pendant mes années noires, a fait un essai à Istres et je l’ai suivie. Elle y est restée, elle s’y est mariée, mais moi je lui ai dit qu’il faisait trop chaud ! Deux semaines après, je suis montée à Nancy, ville que je ne connaissais pas, il pleuvait, on m’a invité à manger une pizza avec une chope de bière et je me suis dit que j’étais chez moi, que ça me convenait très bien !

J’ai signé au SLUC Nancy Basket, en National 3, avec Isabelle Barre, je mettais trente ou quarante points par match. J’ai rejoint le conseil départemental que je n’ai jamais quitté. C’était aussi plus près de Prague, et puis avec la chute du Mur c’était de nouveau possible pour mes parents et moi de nous déplacer et de nous voir ! Hélas, mon genou a « pété » après deux années au SLUC, je me suis fait opérer mais j’ai mal récupéré. J’ai senti que je ne pouvais plus mettre les baskets. Je pense qu’Isabelle, qui est toujours une amie, m’en a un peu voulu puisqu’elle m’a fait sans doute venir pour que je reste plus longtemps dans le club mais je ne pouvais plus. J’ai connu l’overdose du sport de haut niveau. Je l’ai annoncé au club en leur demandant pardon.

« Je suis montée à Nancy, ville que je ne connaissais pas, il pleuvait, on m’a invité à manger une pizza avec une chope de bière et je me suis dit que j’étais chez moi »

BR : Avez-vous conservé un lien avec le basket à l’issue de votre carrière de joueuse ?

BJ : En tant qu’assistante sociale, j’ai voulu passer mon diplôme d’entraîneur pour rendre un peu ce qu’on m’avait donné. J’ai entraîné une équipe masculine dans la banlieue de Nancy pendant deux ans, ce n’était pas facile mais ce furent de très belles années. C’est pendant ma deuxième année que j’ai rencontré mon mari, Emmanuel Journot, et là j’ai vraiment voulu dire « stop » au basket. Je voulais connaître autre chose, je voulais connaître l’amour. Je n’avais jamais connu un week-end avant mes trente-quatre ans, je n’avais jamais passé une soirée sans penser au basket. Commence donc « le quatrième chapitre ». Je me suis mariée en 1996 à Nancy, mes deux enfants sont nés en 1997 et en 2000. Désormais nous avons une belle maison, un beau chien, comme Lassie, c’est la poursuite des rêves. Les études des enfants se passent bien et mon mari m’aime toujours. C’est une « happy end » !

Propos recueillis par Alexandre Taillez pour Basket Rétro

Merci infiniment à Blanka Journot pour sa gentillesse et pour avoir accepté de nous raconter son histoire, y compris les épisodes les plus douloureux.

Toute l’équipe de Basket Rétro souhaite à la famille Journot une bonne continuation

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