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[ITW] Jacques Cachemire : « Le jour où je me casse la jambe contre Roanne, il y avait des scouts NBA dans la salle »

Interview

Montage Une : Aurélien Sohard pour Basket Rétro

La capitale économique et historique de la Guadeloupe, Pointe-à-Pître, a vu grandir Jacques Cachemire, sur ses quais. Cachou, c’est l’un des plus grands. L’alter égo dans l’histoire de Dub ou de Babac pour ne citer qu’eux. Jugez du peu… 248 sélections, deux titres de champions de France, sept sélections en équipe d’Europe, quatre fois meilleur marqueur français de notre championnat. Mais de cela, il n’en aurait presque cure. Parce que l’histoire de Jacques Cachemire, et pour reprendre ses mots, c’est celle : « d’un gamin des rues qui arrive en France, militaire, black, avec des ambitions et qui fait peur à beaucoup de gens ». Arrivé en Normandie Rouen puis à Montivilliers, façonné à Lyon, mûri à Antibes puis chambré à Tours, Cachemire est un parcours unique que Basket Rétro vous propose de (re)découvrir. Cachemire : zetwal filé ! (NDRL : l’étoile filante en créole)

Basket Retro : On dit de vous que vous êtes quelqu’un qui croque la vie à pleine dent. Suite à votre titre de champion de France avec Antibes, en 1970, vous défilez sur le port. Un défilé ouvert par des majorettes. Vous êtes en blazers, chemise blanche et cravate club juchés sur des Renault Caravelle décapotables ! Est-ce que vous vous souvenez de ce moment ?

Jacques Cachemire : Je me souviens très bien de ce moment. On était arrivé en bateau comme Antibes est une cité maritime et on a fait plein de photos ensuite avant de traverser la ville. C’était un moment sympa oui c’est vrai, assez exceptionnel même.

BR : On a une seconde anecdote vous concernant. Est ce que c’est vrai que vous apprenez votre première sélection en équipe d’Europe alors que vous êtes sur une plage à Antibes ?

JC : Je me souviens avoir été très heureux c’est sur d’apprendre cette nouvelle. On allait souvent à la plage avec Busnel et compagnie à l’époque mais je ne me souviens plus vraiment de la manière dont je l’ai appris. C’est tellement loin…

BR : La mer, la plage et le soleil : ce sont les paysages de votre enfance puisque vous êtes né en Guadeloupe, en 1947. Qu’est ce que vous voulez nous dire de vos premières années ?

JC : Mon enfance, c’est l’histoire d’une société divisée en catégories. Il y avait des enfants qui venaient de la première ou de la seconde génération sortie de l’esclavage. Ceux là occupaient leur temps comme ils pouvaient, le plus souvent dans la rue. Il y avait aussi des enfants de la classe intermédiaire qui se cultivaient aussi à l’école plutôt que de rester tout le temps dans la rue. Et souvent, tout ce monde là s’amusait ensemble. Moi, mon grand père était un ancien esclave. Il vivait encore sur le même terrain que pendant cet épisode : pour survivre. Mon père travaillait lui à l’hôpital mais il a eu un accident et je ne l’ai connu que 4 ou 5 ans. Alors je suis resté avec ma mère de nombreuses années avant qu’on déménage. Nous étions pauvres. On a vécu ensuite à côté d’une usine de canne à sucre où les enfants des ouvriers avaient le droit d’aller à la piscine ou de faire du sport. Les choses étaient liées à la fabrique. Il y avait un terrain de basket et l’usine avait également une équipe qui s’appelait l’ Amical Club Darboussier (notre photo. Source : collection Caillé) . Moi, ma mère n’avait pas assez d’argent pour me payer des chaussures. Elle n’avait pas d’argent tout court d’ailleurs. Alors pendant mon enfance, je naviguais dans ce monde. Soit dans la rue où parfois on mendiait des bananes pour manger, soit sur ces terrains de basket pour m’amuser avec les copains. On attendait d’être assez grand pour pouvoir monter sur la locomotive et aller bosser à l’usine de canne à sucre.

BR : Et le basket…. vous y venez comment ?

JC : Petit à petit, je suis aussi allé Place de la Victoire à Pointe-à-Pître (nos photos. source : collection jfmr.fr) qui était proche de chez moi. On se réunissait là-bas, mais il fallait y être dès 5 heures du matin sinon le terrain était pris toute la journée… J’ai intégré une équipe parce qu’avec l’Amical Club Darboussier ce n’était plus possible pour moi d’y jouer. Ma mère n’avait pas les moyens de me payer une licence. Alors cette équipe que j’ai intégré s’appelait la Solidarité Scolaire. On y jouait pied nus. C’était paradoxalement le club des intellectuels : moi qui n’était pas intellectuel du tout (il se marre). Et on s’est retrouvé en finale du championnat contre l’équipe de mon quartier… Je ne vous dis pas comment cela s’est passé parce qu’on a gagné. Dans le quartier suite à cela, ils voulaient tous me « tuer » (il se marre encore) parce que j’étais un peu responsable de cette défaite évidemment. Dans le quartier, on ne me l’a jamais pardonné ! Jamais ! Par contre avec les joueurs évidemment, on s’entendait bien mais comme j’étais un gamin de la rue, c’était particulier comme situation. Ce sont de très bon souvenirs. La misère permet aux gens de construire et de se donner des moyens de rêver, des ambitions.

J’ai bercé Vincent Collet et sa sœur le soir pour les faire dormir. Les Collets m’avaient donné une chambre chez eux. La semaine, j’étais à l’armée et le week-end chez eux.

BR : Vous arrivez en métropole pour quelles raisons ?

JC : J’arrive à Rouen pour le service militaire et je joue au basket lors de mes rares sorties avec l’ASPTT. Au 39ème régiment d’infanterie, en même temps, je fais un peu d’athlétisme et les gars se demandent qui est ce « machin » qui fait du 400 mètres, du saut en hauteur et qui court dans tous les sens (il se marre) ! J’ai dunké aussi à mon premier entrainement et le responsable me tend une feuille et me dit « Regardez en bas et signez ». Autant dire qu’ils voulaient que je joue avec eux…

BR : Vous jouez un moment à l’AL Montivilliers dans la banlieue du Havre. C’est assez incroyable parce que vous y croisez la route de Vincent Collet. Dites nous tout !

JC : Je n’ai pas pu jouer la fin de la saison avec Rouen. On jouait en Excellence Régional et le CTR de l’époque, Monsieur Pisan, entend parler de moi. Il vient me voir et me demande de jouer avec les moins de 21 ans de la Ligue de Normandie. Il savait que j’étais militaire. Je pars faire un match contre une équipe de Paris avec tous les cadors : Longueville, Tassin, etc… Une ossature de l’équipe de France. Bref. Le lendemain de ce match, la fédération me fait muter à Montivilliers et je vais vivre chez Monsieur Collet qui est à l’époque maire de la ville et aussi président du club de basket. Voilà comment c’est arrivé ! J’ai bercé Vincent Collet et sa sœur le soir pour les faire dormir. Les Collet m’avaient donné une chambre chez eux. La semaine, j’étais à l’armée et le week-end chez eux. Mais deux mois plus tard, André Buffière demande ma mutation au bataillon de Joinville pour participer au championnat du monde militaire.

BR : Parlons à présent du bataillon de Joinville, du SA Lyon où vous êtes coaché par André Buffière.

JC : Le bataillon … Force et courage … Je joue des coudes et je rentre dans l’équipe… Je ne me suis pas fait que des amis évidemment mais c’est le sport ! Mon service se termine après ce championnat du monde et André Buffière me propose de signer à Lyon. André Collet voulait tordre le coup à Buffière forcément de m’avoir débauché pour une saison de nationale, ma première.

BR : Dans quelles circonstances vous arrivez à Antibes ? Nous sommes en 1969.

JC : A Lyon, Buffière voulait faire du SA une équipe italienne comme Varèse ou Milan, des équipes sponsorisées. Son ambition était grande à l’époque. Il y avait alors Christian Petit, Bernard Fatien, Christian Lespinasse et d’autres mais le club s’est arrêté. On est tous parti alors qu’on avait une super équipe et c’est comme cela que j’arrive à Antibes. Je débarque comme cela sur la côte d’azur.

BR : Vous n’êtes pas pro à cette époque, vous êtes commercial ?

JC : A Antibes, je suis pro. J’ai comme on dit à l’époque un emploi de façade mais je m’entraine tous les jours, je suis pro. Mais officiellement, je vends des meubles au Vieux Chêne dans l’entreprise du président du club Monsieur Poirier. Mais mon travail, c’était m’entrainer.

BR : Vous devenez champion de France en 1970 devant Vichy et Le Mans. Henri Fields y est pour beaucoup de ce titre ?

Antibes, champion de France 1970. Source : @lequipe

JC : Pas de chance : la première année avec Antibes on est champion (il se marre). Henri Fields voulait un alter égo. Lui était un super défenseur. Moi j’étais encore en apprentissage mais offensivement je me débrouillais. Alors on a fait en sorte que je sois son double en défense parce qu’en attaque il y avait déjà Guerin et Bonato.

BR : Dan Rodriguez et Jean-Claude Bonato, ce sont vos partenaires les plus marquants alors ?

JC : On jouait à 5 quand je suis arrivé et en fait ils m’impressionnaient tous. Moi, au départ, j’étais au bout du banc, j’étais l’inconnu du bataillon. C’était une équipe qui avait l’habitude de jouer ensemble. Moi, mon rôle c’est jouer pivot parce qu’à l’époque je n’avais pas la dextérité pour jouer 4. Mais j’ai beaucoup travaillé. Joë Jaunay m’a beaucoup guidé tactiquement avec l’équipe de France et cela m’a beaucoup servi avec Antibes. C’est Jaunay qui a voulu faire de moi un 3.

BR : Vous déteignez à l’époque parce que parfois, vous criez en match sur vos partenaires et que vous jouez dur à l’entrainement. Et cela ne passe pas avec tout le monde. » Vous déclarez en 1974 à Basket Magazine que vous le faites parce que : « Vous aimez la victoire ».

JC : Certains considéraient que c’était de l’orgueil. Moi, à l’époque je trouvais qu’on avait autant de qualités que les Italiens, les Espagnols ou les Russes pour ne citer qu’eux. J’arrêtais pas de le dire : « On a les moyens ». Alors j’ai accepté qu’on me prenne pour un orgueilleux parce que j’avais des convictions. Aujourd’hui, quand je vois les résultats de l’Équipe de France, cela remet les choses en perspective quelque peu. Je ne me suis pas planté. Je voulais que les stages soient plus durs et que les méthodes d’entrainements soient différentes. J’ai eu des problèmes avec des partenaires du PUC notamment qui mettaient le ballon à terre. Moi, je le voulais en l’air. Le basket : c’est aérien et cette évolution à l’époque était indispensable. Et puis je disais tout le temps qu’il fallait savoir attaquer et défendre. Il faut savoir aussi passer. J’étais à la bonne école d’ailleurs avec les roulettes de Rodriguez qu’il fallait savoir recevoir (il se marre). C’est Jaunay qui a ébauché ce travail. Il voulait des joueurs all around, des joueurs qui savaient tout faire. Avec Antibes on avait cette philosophie. Je me souviens de ce match de Coupe d’Europe à Athènes où il y a 100 000 spectateurs. Cette victoire contre l’AEK a déclenché des choses c’est certain. Le match est retransmis et les gens se rendent alors compte que le basket est spectaculaire et formidable avec du suspens en plus. L’évolution du jeu devait apporter plus de spectacle.

AEK Athènes – Antibes au stade panathénaïque d’Athènes. Source : PressReader.com

BR : Après 1970, Antibes est abonné ensuite aux place d’honneur derrière Berck, l’ASVEL ou Le Mans. Cela vous frustre ?

JC : On est pas descendu en dessous de la cinquième place avec Antibes. Mais on aurait gagné plus souvent si on avait pas joué qu’à 5 ou 6. Le président ne voulait pas investir dans un effectif complet. Donc je ne pouvais pas être frustré. On ne prenait pas des têtes d’affiches contrairement à l’ASVEL. Une année à Tours, pour expliquer ce que je dis, ils ont fait boite sur Guerin, double boite sur Bonato et double boite sur moi. Les autres étaient seuls. On a perdu.

J’étais « méchant » et attaque. A Vichy, les américains avaient même refusé de défendre sur moi en individuel et les boites ont commencé.

BR : Quels sont les adversaires qui vous marquent pendant votre carrière Antiboise ?

JC : Chaque fois que je jouais, je savais que j’étais attendu. J’étais « méchant » et attaque. A Vichy, les américains avaient même refusé de défendre sur moi en individuel et les boites ont commencé. Dans toutes les équipes, j’ai passé de longs et bons moments avec le défenseur adverse. Je ne peux pas citer tous le monde mais j’ai croisé de nombreux adversaires qui m’ont marqué.

BR : Vous êtes quatre fois meilleur scoreur français du championnat mais en 1975, vous êtes devant tous les américains…

Jacques Cachemire sous les couleurs d’Antibes. Source : @FFBB

JC : C’est un évènement malheureux. Les Américains étaient là pour marquer et moi j’en mettais plus qu’eux donc beaucoup n’ont pas eu d’augmentation à cause de cela. Un français ne peut pas être meilleur qu’un américain pour l’époque ! Il ne faut pas oublier non plus que beaucoup de français à l’époque étaient des porteurs d’eau. Et moi, je ne voulais pas cela. On avait pas les meilleurs américains. Les meilleurs « ricains » jouaient en Espagne ou en Italie. Attention, les Américains qui jouaient avec nous étaient des supers joueurs mais c’étaient pas les meilleurs. Et quand Szaniel, Ostrowski, Dub ou Dacoury arrivent, on se rend compte qu’on progresse. Ces mecs là, ce sont les centres de formation qui les façonnent et j’étais content parce qu’enfin on arrivait au même niveau que les Américains. Mais en 75 c’est malheureux parce que c’est encore trop tôt. Mais j’ai servi à quelque chose !

BR : La NBA, partir en Europe, vous l’avez envisagé à un moment ? Vous aviez un agent ?

JC : Le jour où je me casse la jambe contre la Chorale de Roanne, il y avait des scouts NBA pour moi dans la salle. J’ai fais régulièrement des stages à Chicago. L’été, je suis allé souvent aussi à Louisville grâce à l’Américain de Mulhouse : Houston. Je n’en ai pas forcément parlé parce que moi ce qui m’intéressait c’était de travailler, pas de faire du bruit autour du fait que j’aille avec les Bulls ou à Louisville. Ce qui m’importait, c’était de travailler pour m’améliorer. Et puis de toutes les façons je n’avais pas besoin d’aller à la plage pour bronzer, j’en avais pas besoin (il se marre).

Dans les tribunes les gens hurlaient. Je me souviens aussi de ce journaliste qui discutait avec Michel Havenet. J’ai dit à tout le monde : « On joue ! » Suite à cela les mecs de Villeurbanne défoncent les vestiaires. Il faut en parler à Monclar de cela (il se marre) parce qu’il faut pas l’oublier. Ils ont défoncé les vestiaires ! J’avais désobéi par ce que je voulais pas rentrer dans ce genre de combines, dans ce genre de « merde ». C’était mon problème.

BR : Vous déclarez dans un article publié sur notre site que vous ne seriez jamais parti d’Antibes si vous n’aviez pas été « vendu » par votre président de club. Comment s’est arrivé ?

JC : Je n’ai jamais eu l’intention de partir d’Antibes. Après ma fracture du genou, j’ai travaillé encore plus dur pour revenir. J’ai eu la chance de rencontre le professeur Triard qui est un grand Monsieur. Il a fait une première au monde pour consolider ma jambe et cela a été une réussite parce que j’ai repris le basket 4 mois après au lieu de plus d’un an. Triard m’a redonné espoir. Il y avait aussi un médecin formidable Alain Messegue et un kiné merveilleux Jacques Guydonni qui m’ont accompagné. Ils ont fait un boulot fantastique pour que je revienne. On a de bons résultats mais Antibes est en difficulté financièrement suite à un changement de président. Brabender voulait que je vienne avec lui au Réal. Le Stade Français fait lui aussi une proposition à Antibes et là Tours perd LC. Bowen. Et à la place de prendre un Américain, ils prennent Cachemire. Mais moi, je pensais jouer avec Bowen pas remplacer Bowen.

BR : Avec Tours, c’est vous qui êtes décisif en demi-finale avec le panier de la gagne au buzzer contre l’ASVEL. C’est du au changement de règlement puisqu’une poule finale avec le Stade Français, Le Mans et l’ASVEL est organisée et que tout se joue lors de la dernière journée.

JC : Je m’en rappellerais jusqu’au dernier jour de ma vie. J’avais tenté le même tir contre Villeurbanne l’année d’avant. C’était le même adversaire et j’en ai entendu des vertes et des pas mûrs : Antibes – Villeurbanne et Tours – Villeurbanne. L’idée, c’était que soit moi soit Jean Michel Sénégal ait le ballon en main et après il fallait faire quelque chose avec. Je suis dos au panier, je pivote et je lâche mais j’avais confiance pour que cela aille dedans. Ce match là il fallait le gagner quoi qu’il ait pu être dit pour aller en finale. Mais c’est aussi le début des déboires Tourangeaux. Martin Luther King a dit un jour : « Si jamais on vous invite un jour à commettre des fautes, vous avez le droit de désobéir. » Il se passe quelque chose entre Dao et Gilles quand ils apprennent que Le Mans et le Stade sont à égalité. Dans les tribunes les gens hurlaient. Je me souviens aussi de ce journaliste qui discutait avec Michel Havenet. Pondexter dit à tout le monde : « On joue ! » Suite à cela les joueurs de Villeurbanne défoncent les vestiaires. Il faut en parler à Monclar de cela (il se marre) parce qu’il faut pas l’oublier. Ils ont défoncé les vestiaires ! J’avais désobéi par ce que je voulais pas rentrer dans ce genre de combines, dans ce genre de « merde ». C’était mon problème.

BR : Vous avez 33 ans. Et le 22 mars 1980, au Palais des Sports de Beaulieu à Nantes, vous redevenez champion de France avec Tours.

JC : La finale, on la joue à Nantes et on gagne de 5 ou 6 points. C’est une bagarre rangée, un match dur. Le Mans voulait se venger du comportement de Dao. A la remise des médailles, Beugnot et compagnie passent devant Dao avec leur médaille enroulée dans un truc et lui balance dans la tête.

Tours champion de France 1980 ! Source : @FFBB

BR : A Tours, vous êtes coaché par Pierre Dao. Il y a aussi Jean Michel Senegal ou Cliffton Pondexter. Qui vous marque à Tours ?

JC : Pondexter, c’est lui qui me marque à Tours. A Tours, on est en demi de la Coupe d’Europe face au Maccabi Tel Aviv. J’avais la cheville cassée à l’aller mais à Tours, on m’avait dit que c’était qu’une entorse. Bref. Au retour, je marque 36 points je crois. Et c’est le fameux match, où Moshe Dayan descend des tribunes et part de la salle pour ne pas voir perdre Israël. Cela fait partir de l’histoire. Pondexter a fait tout le boulot à ce match. Tout le boulot pour moi : écrans, passes, etc… Et le coach, Michel Bergeron pète les plombs et demande un changement. Il reste peu de temps et Michel me sort pour Howard. Il commet une faute : deux lancers. Sur le deuxième lancer, Le Maccabi récupère le rebond marque et on perd la dessus. J’étais fou ! Et suite à cela ils sont champions contre Bologne à Strasbourg. Le propriétaire du restaurant de Chenonceaux, Claude Jeudy, était dans la salle à l’époque et on en a reparlé ensemble plusieurs fois. On aurait jamais dû perdre parce que c’était plié.

BR : En 1980, l’ambiance dans les salles avait l’air d’être très chaude, voire trop chaude (avec trois incidents majeurs conduisant à des suspensions de salle) dont à Caen où les arbitres sont pris à parti. C’est contre Tours….. Vous nous en parlez de ces ambiances ?

JC : Ces ambiances, c’était pas méchant. Au même moment, en Europe, il m’arrive de recevoir des pièces dans la tête ou des pierres même. On m’a craché dessus aussi. Aujourd’hui les choses ont évolué.

BR : Dans quelles circonstances vous devenez coach de Tours ? Nous sommes en 1984.

JC : Ce panier que je mets en demi puis la victoire ruine le club. Parce que Tours doit payer les contrats qui sont faits et cela en fait des primes. Je pense qu’on avait tous des clauses : Pierre Dao, Jean Michel Sénégal, tous ! Et le club est ruiné. J’avais un an de plus de contrat mais à l’époque je montais un restaurant pour ma reconversion donc cela ne m’intéressait pas trop d’être entraineur joueur. Il y avait des jeunes dans cette équipe et deux américains.

Je me souviens que l’entrainement de Christophe Soulé commençait quand l’entrainement collectif terminait.

BR : Parlez nous à présent de cette belle histoire avec Toulouse et de la Coupe de France 1986.

JC : Suite à des incidents à Tours, je suis licencié. Le responsable du basket à Toulouse m’appelle parce que le maire, Dominique Baudis, veut faire de sa ville une ville sportive autour du rugby, du foot et du basket. Et j’accepte parce que le projet me plaît.

BR : La finale a lieu le même jour que la finale Stade Toulousain / Agen au rugby… C’est incroyable et vous battez St Quentin emmené par Chris Singleton. Vous scorez 26 points… à 39 ans !

JC : Mais je suis fait pour ces moments-là (il se marre) ! Au départ, c’était des gamins à Toulouse. Les gars fumaient, buvaient, sortaient, heureux de vivre. Je propose un deal ensemble pour quatre ans et je mets de l’ordre dans tout cela parce que le projet de départ c’est 4 ans. On commence en Nationale 4 et on arrive en nationale 1 avec les jeunes anciens. Je me souviens des fins d’entrainements de Christophe Soulé. Il recommençait quand l’entrainement collectif terminait. On faisait toujours du rab ensemble, une demi heure, une heure. C’est comme cela que ce petit arrive en équipe de France. Il en voulait, il travaillait « hard ». Identique aux gamins du centre de formation à l’île Maurice. Fin de la quatrième année, le CTR de l’époque, Monsieur Gendron, nous impose des joueurs de son CREPS. Le président ne voulait pas se mettre la fédé à dos et accepte. Mais Gendron arrive comme entraineur et c’est la fin pour moi. Monsieur Gendron il aurait dit au président : « On peut pas avoir un nègre à la tête de Toulouse parce que le club revient en première division ». Vous pouvez l’écrire. Je peux lui dire devant lui s’il revient demain matin à Monsieur Daniel Gendron. Le président revient le lendemain matin me voir et me dis comprenez Jacques : « Moi je peux pas faire autrement donc j’accepte sa proposition. ». L’année suivante, il gagne un match sur la phase aller. Le président me téléphone et me dit : « Excusez moi Monsieur Cachemire, mais je crois que je me suis trompé. ». Il me propose de reprendre l’équipe. Et ils ont viré Daniel Gendron, un lundi à 17h. Et moi, derrière, je fais 11 victoires sur 12…

BR : Évoquons à présent votre grande carrière en Équipe de France. Vous vous souvenez de votre première sélection, c’était à Madrid contre l’Espagne en 1969 ?

JC : Je m’en souviens oui. Ce sont les Jeux de l’amitié ! Je crée l’événement parce qu’on est loin dans la hiérarchie et on bouge l’Italie et l’Espagne. A partir de ce moment là, je ne quitte pas l’équipe. Mais quel travail ! J’en ai vu des entraineurs en bleu. Et tout n’était pas très bien organisé. Parfois certains joueurs refusaient de venir ou ne venaient parce qu’il y avait le travail ou les études. J’en ai vu aussi des joueurs. La fédération n’avait pas d’argent et on n’avait pas encore compris qu’il fallait mettre le paquet pour faire progresser l’équipe nationale. Parce que la France, si elle a de bons résultats, c’est toute la société qui en bénéficie. Regarde Tony Parker au début, il passe par le basket et c’est un homme d’affaire à présent. Maintenant, on est vice-champion olympique, champion d’Europe, etc mais personne ne voit les étapes par lesquelles on est passé. C’était difficile de construire. J’étais à Porto avec la fédération dernièrement pour voir le 3X3, les structures sont formidables. C’est du professionnalisme mais à l’époque cela n’avait rien à voir.

BR : Alain Gilles, Charles Tassin, Jean Pierre Staelens, Pierre Galle : ce sont vos premiers partenaires en équipe de France.

JC : Oui oui c’est cela et puis il y a Ledant, Bonato ou Longueville. Alain Gilles, c’était lui qui prenait les responsabilités à l’époque. C’était un gagneur et les journalistes ont tout de suite voulu nous mettre en opposition parce que moi aussi j’étais un gagneur.

BR : Qu’est ce que cela représente pour vous de porter le maillot de l’Équipe de France ? (nos photos. Source : @FFBB)

JC : Moi je dis que c’est le maillot de l’équipe nationale et ce maillot je l’ai dans le cœur. Quand on met le maillot on devient caméléon et on a des responsabilités. J’ai aimé l’équipe de France.

BR : Malheureusement, les résultats aux championnats d’Europe ne sont pas folichons… Si on met de côté 1983, votre meilleure place c’est huitième en Italie en 1979. Il manque quoi aux bleus des années 70 pour performer ?

JC : En 1983, on finit cinquième. Dao me demande de rester sur le banc au cas où les jeunes ne tiennent pas. Cela n’a pas tenu mais c’est pas pour cela qu’il me fait rentrer. Bref. Mais oui ces compétitions évidemment, j’aurais voulu qu’on fasse mieux. Il manquait du professionnalisme, comme en club, même si j’ai senti et vu pendant ma carrière internationale de grands changements.

BR : Les JO, c’est un regret ?

JC : J’avais le cœur fendu quand on apprend qu’on part pas à Moscou. A présent, certains joueurs NBA disent que les résultats avec les bleus sont plus importants que ceux de leur clubs. La France a quelque chose de contaminant. Le maillot bleu, c’est mieux que les clubs même si c’est différent. Alors oui bien sur je regrette de na pas avoir fait les JO.

A l’époque Marius Trésor représentait le foot, Roger Bambuck l’athlétisme et le basket n’était pas vraiment représentatif. Personne n’avait envisagé qu’un Guadeloupéen reste aussi longtemps en équipe de France.

BR : Contre une sélection composée de joueurs universitaires dans le cadre de la Coupe intercontinentale pour la première fois de son histoire, la France bat les USA. Nous sommes en 1979 à Lyon devant 10.000 personnes.

JC : Il y a eu une interview télévisée avant. Bill Sweek qui accompagnait les Américains dit avant le match que même si c’est des jeunes, il y a 20 points d’écarts avec l’Équipe de France. Dans ma tête, cela m’a fait péter les plombs. Dao a fait tourner sinon les 20 points : c’est dans l’autre sens. Et les Américains n’ont pas digéré cette défaite.

BR : Hervé Dubuisson, Richard Dacoury ou Jean Michel Senegal. Ce sont vos derniers partenaires en équipe de France. Vous comptez 248 sélections… Dans l’histoire, entre vous, il y a Dub et Boris Diaw. Il vous reste quoi de votre carrière en bleu ? C’est une fierté ?

JC : J’étais avec Boris Diaw la semaine passée. Il a fait le même nombre de sélections que sa maman. J’ai accompli ce que le destin a voulu pour moi. Alors, c’est pas forcément une fierté même si évidemment je suis content de mon parcours. Quand je me casse la jambe par exemple, je voulais revenir très vite avec l’équipe nationale. « Un homme blessé n’est pas mort »… mais ce n’est pas vraiment une fierté. Cela vient aussi certainement de mon éducation parce que je sais d’où je viens. On sait pas toujours où on va mais mes racines sont ancrées et m’ont fait prendre conscience de ce que j’ai fait sur le terrain. En Guadeloupe quand je dis je veux être joueur pro, les gens m’ont pris pour un dingue. A l’époque Marius Trésor représentait le foot, Roger Bambuck l’athlétisme et le basket n’était pas vraiment représentatif. Personne n’avait envisagé qu’un Guadeloupéen reste aussi longtemps en équipe de France.

BR : Le grand public ne se rend pas compte. Vous avez marqué plus de points que Tony Parker avec l’équipe de France. Il n’ y a d’ailleurs que ce sacré Dub qui fait mieux que vous (LOL) ! C’est une fierté pour vous quand vous regardez en arrière ?

Le maire de Pointe-à-Pître qui a donné une rue à mon nom m’a dit : « merci d’avoir été l’éclaireur ». Cela me fait plus plaisir que le reste. C’est cela qui me touche. Arriver en France, militaire, black et avec des ambitions cela faisait peur à beaucoup de gens. Sur le principe, certains auraient certainement préféré que je porte le maillot de l’équipe de Guadeloupe mais le Guyanmar n’est pas représenté. Donc que je représente la France a permis aux gens de savoir que j’étais Guadeloupéen. Moi, j’ai ce maillot dans le cœur. Et j’ai accepté beaucoup de choses. Mais ce dont je suis fier c’est mon chemin. Je me suis battu contre la peur, le rejet, les critiques et tout ce bordel (il se marre). Parfois les jeunes me disent mais oui mais c’est facile pour toi le basket : « Tu mesures deux mètres et tu es noir. » Alors là, je leur réponds : « non à l’époque ce n’était pas facile du tout ! »

La rue Jacques Cachemire. Source : Ville de Pointe-à-Pitre

BR : Vous êtes sélectionné en Équipe d’Europe de basket à trois reprises (1974, 1975 et 1979). Cela consiste en quoi ces sélections ? Et quels souvenirs en gardez vous ?

JC : Ma première sélection en équipe d’Europe j’ai eu la chance de rencontrer mon frère. Cela me fend le cœur d’en parler parce qu’il est mort l’année dernière. C’est Sergei Belov. On était toujours ensemble. J’ai appris beaucoup à ses côtés : l’entrainement, la stratégie, les techniques d’entrainement. Lui, le Russe, il m’a appris sur ce que sont les rapports humains et la valeur du sport. Pour moi, l’équipe d’Europe c’est Sergei dont j’étais la doublure. A mon poste, il y avait Damir Solman aussi, le Yougoslave. Vous vous doutez bien qu’avec des joueurs comme cela j’ai pas beaucoup joué. On a fait Europe / Amérique à Rio mais sinon je crois que je n’ai pas joué. J’ai voyagé par contre en Israël, en Tchécoslovaquie et pour la notoriété c’était intéressant. On a battu les Américains quatre fois de suite. Cette équipe, c’était pas des faire- valoir. J’étais très heureux de participer à cette aventure.

Sergei Belov. Source : LBN.fr

BR : Vous êtes académicien du basket depuis 2007. C’est important pour vous cette distinction ?

JC : Ce qui est après le basket n’a pas vraiment d’importance pour moi. On m’a donné aussi la médaille du mérite et j’avais déclaré à l’époque que cela marquait un instant. Mais moi, je vois plus les résultats et les moments importants comme ce panier avec Tours en demi. Alors oui, c’est bien d’être académicien mais bon… Je pense que le plus important : c’est l’instant. Là par exemple, j’ai encore en tête la chaleur que je reçois quand j’ai serré mes partenaires à ce moment là. Je ne peux pas oublier cela. C’est fantastique. Ces moments là m’appartiennent et je préfère cela à toutes les médailles du monde. Avec Antibes quand on est champion. Sur la dernière action à Villeurbanne, je finis dans les tribunes à la fin du match parce qu’un joueur me « fracasse ». J’étais à terre. Je lève la tête et je vois tous mes coéquipiers courir vers moi parce qu’on avait gagné ! Je ne peux pas l’oublier. Les reconnaissances ok mais les moments forts : c’est magique.

BR : Jacques Cachemire : le mot de la fin, c’est pour vous…

JC : Longue vie au basket français. J’espère qu’on va pas s’arrêter en chemin parce que ma prédiction c’est qu’on sera champion olympique, un jour. Cela a failli quand même. Les Américains ont eu chaud quand même parce que si on avait pas perdu ces quatre ballons…. Mais cela prouve qu’on est pas encore prêts et qu’il y a encore des détails à régler. Après il faut regarder comment ce chemin a été construit. Si un jour ce titre arrive, je me dirais que mon passage a servi à quelque chose. Et j’espère que le basket français aura un avenir radieux. Ce qui me ferait plaisir, c’est que nous la France, on y arrive. Ensemble. Pour le bien de la société, car le sport c’est important, ce n’est pas que de l’argent.

Propos recueillis pour Basket Retro par Guillaume Paquereau. Merci à Jacques Cachemire pour sa disponibilté !

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Amoureux de Gozilla depuis mon plus jeune âge, je suis devenu fan des Suns ! De Sir Charles à Dan Majerle en passant par Nash, via Stoudemire pour aller jusqu'à Devin Booker : PHX a le monopole de mon coeur. Je veux du soleil !

1 Comment on [ITW] Jacques Cachemire : « Le jour où je me casse la jambe contre Roanne, il y avait des scouts NBA dans la salle »

  1. Jacques CACHEMIRE avait raison…..Ses performances l’ont prouvé ! Mais, qu’il devait (très ?) difficile de le coacher…. Marc PEIRONE, entraîneur éphémère de l’Olympique d’Antibes Juan-les-Pins aurait pu le confirmer….

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