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(Témoignage) Coupe des Champions 1981 – Miracle à Strasbourg

Témoignage

Montage Une : Aurélien Sohard pour Basket Rétro

26 mars 1981. – Strasbourg abrite la 24° finale de la Coupe d’Europe des Champions entre le Maccabi Tel Aviv et la Virtus Sinudyne Bologne. Mais rien ne se passe comme prévu…

Combien étaient-ils ce soir- là dans l’antre de la première version du Rhenus à Strasbourg ? Officiellement 7 200. Mais en réalité ? 9 000 ? 9 500 ? Davantage ? On ne le saura jamais tant la confusion, la ferveur et la pression des supporteurs ont, à la stupeur générale, fait basculer l’ordre établi.

Rappel des faits : par la grâce de Robert Unterstock, le président de la Ligue d’Alsace, dirigeant alsacien influent tant à la FFBB qu’à la FIBA et d’un nouveau et vaste hall aux tribunes entièrement tubula

Le programme du match avait été dessiné par Dani Diebolt, basketteur vu à Strasbourg, au RC France et à Lorient. @dw

ires et modulables, Strasbourg, en mal de haut-niveau, avait hérité de l’organisation de la finale de Coupe d’Europe des clubs champions, après Nantes en 1974 et Grenoble en 1979. La Ligue d’Alsace prend l’organisation à son compte moyennant un chèque de 70 000 marks à la FIBA, la prise en charge des deux équipes et des officiels et, bien sûr, l’aménagement du hall en salle de basket selon le cahier des charges avec « revêtement synthétique, tableau de marque électronique et paniers en plexiglas ». Autant d’éléments inexistants sur place.

Lorsque l’accord tombe de la FIBA, le 18 janvier 1981, il est officiellement question de 4 952 places (et donc billets à vendre), soit la capacité des tribunes démontables du nouveau hall. Par ailleurs, les organisateurs apprennent alors qu’une expo « Réadapt 81 » consacrée au handicap monopolise la salle jusqu’au 23 mars au soir, la finale étant programmée le 26. Les billets sont tous réservés en quelques jours.

A J-15, Sinudyne Bologne se qualifie pour sa première finale face au tenant, le Real Madrid amoindrie par de nombreux blessés dont le capitaine, Wayne Brabender. Quelques jours plus tard le Maccabi, gagne à son tour son ticket. Finaliste malheureux la saison passée, l’équipe de Tel Aviv avait précédemment écarté l’ASPO Tours, champion de France en titre.

C’est alors que la machine s’emballe.

A J- 7, plus de 3 000 demandes de billets sont en liste d’attente. Les demandes affluent de toute part. D’Italie, d’Israël, mais aussi de France. Les fans des deux clubs grondent. Ils veulent élargir leur quota.

La municipalité de Strasbourg cherche une solution. La trouve finalement à Nantes qui consent à prêter une tribune, portant ainsi la jauge à 7 200 places. L’opération coûtera 105 000 francs additionnels aux organisateurs. Les places s’envolent, mais il reste beaucoup de grincheux.  « Nous aurions pu vendre plus de 12 000 billets » commente Robert Unterstock, surpris.

Le problème logistique devient scabreux : les organisateurs strasbourgeois doivent intégrer que les tribunes de Nantes sont encore utilisées le mardi soir sur place. Il reste donc moins de deux jours pour à la fois démonter la tribune, la transporter à Strasbourg et la remonter.

La pression monte.

LA REVANCHE DE RUDY D’AMICO

Rudy d’Amico : le retour en Alsace par la grande porte. @mbc

A J-2, le Maccabi arrive à Strasbourg en jet privé, via Bruxelles après un galop d’entrainement la veille au soir face au Royal Anderlecht. Une impressionnante batterie de pistolets-mitrailleurs les accueille. Les joueurs ont l’habitude, mais leurs visages sont tendus. Le coach, Rudy d’Amico, lui, rayonne. Pensez, quelques mois plus tôt, son management avait été jugé insuffisant pour continuer à entraîner le Mulhouse BC et le voici de retour en Alsace pour la palme européenne ! Successeur de Ralph Klein, en année sabbatique pour entraîner la sélection israélienne, il a déjà gagné, cette saison-là la Coupe intercontinentale, le titre de champion d’Israël, la Coupe nationale… « Le match sera très équilibré. Les Italiens, sont plus grands, les Israéliens plus rapides et plus pussants. Mon retour en Alsace ? Ce n’est pas vraiment une revanche, mais je suis heureux d’avoir pu faire mes preuves, ce que je n’ai pu faire l’an passé où le club n’a pas été juste avec moi. En tous cas, j’ai un assistant (ndlr : Zvi Sherf, vu à Limoges en 1995/96) et tout le monde nous laisse travailler. Aucune incursion dans l’équipe ». Suivez son regard et fermez le ban !

L’expo « Réadapt 81 » est démontée dans la soirée et les tribunes sur site sont mises en place. Le tableau d’affichage (c’est celui qui avait servi au Tournoi de Paris à Coubertin en décembre) est installé, de même que les dalles synthétiques vertes à même le bitume du sol, qui serviront de terrain. Les lignes sont tracées, l’intérieur de la raquette et le rond central sont peints en blanc. Moshé Dayan, « l’ami du Maccabi » est annoncé, mettant les services de sécurité israéliens et français sous tension. Il ne viendra finalement pas…

A J-1, Arrivée de Bologne, en Fooker, parti à Milan. Le coach, Renzo Ranuzzi, nous confirme le forfait de James Mc Millian, alias le « Duc Noir », une des grandes figures du championnat italien, touché la semaine précédente à Brindisi. « Avec ou sans Mc Millian, nous sommes venus pour gagner. Notre jeu, plus réfélechi avec ce joueur très intelligent et fort adroit, gagnera en vitesse. Son absence ne fera que décupler notre motivation ». La tribune nantaise arrive. Il faut la monter. Le soir, les deux équipes s’entrainent alternativement sur site. Elles se plaignent du terrain, jugé très dur et potentiellement glissant.

C’est le Jour J.

Dès 9 h, des centaines de supporteurs de Bologne, arrivés en bus au petit matin, se pressent devant la salle à la recherche d’un billet. Le marché noir débute. Le billet se négocie entre 500 et 1 000 francs. Pendant ce temps un pont aérien entre Tel Aviv et Strasbourg-Entzheim achemine des milliers de fans du Maccabi. Pour certains, une mauvaise surprise les attend. Venus par l’intermédiaire d’agences de voyages, ils pensaient trouver à leur arrivée les billets qui leur semblaient destinés. En vain. Ils tombent de haut. Et manifestent, amers, également devant le Rhenus. Des fourgons de CRS arrivent en renfort.

L’après-midi, une alerte à la bombe fait évacuer le hall et retarde les derniers tours de vis. A la reprise, en recomptant les places, les organisateurs s’aperçoivent qu’il manque une centaine de places vendues, bien entendu. Les services de la ville rapatrient en toute urgence une centaine de chaises, et les installent autour du terrain derrière les panneaux publicitaires, seul endroit disponible.

Shmuel Zysman, avec le Trophée. @mta

Dehors, des supporteurs des deux camps en quête de billets introuvables exhibent des liasses de billets en diverses devises – francs, marks, dollars – pour corrompre les premiers spectateurs qui arrivent sur place. Certains font affaire…

Le syndic de presse, chargé de distribuer les accréditations aux 200 journalistes attendus est assailli par les fans. Il est protégé par les forces de l’ordre venues en force.

A 16.15, démarrent les matches de lever de rideau (Alsace-Bretagne cadettes puis Alsace – Champagne cadets). Les premiers spectateurs munis du précieux sésame, entrent et, rapidement, les chants à la gloire des deux équipes montent et se répondent.

A 19.30, la tension monte, lorsque les spectateurs des premières rangées dans les gradins voient s’installer devant eux – sur les fameuses chaises – des supporters du Maccabi munis de drapeaux israéliens et de banderoles et qui n’ont aucune envie de s’asseoir…

Un basketteur alsacien (valide), muni d’un billet, arrive en fauteuil roulant, pour être tout près du terrain, à l’emplacement réservé aux handicapés. C’était un pari. Il l’a gagné dans l’hilarité de ses coéquipiers…

A 19.45, les joueurs des deux équipes prennent possession du terrain pour l’échauffement dans un vacarme incroyable. Quelques minutes plus tard, le terrain est envahi par quelques fans. Intervention rapide et ferme des services de sécurité.

Les grandes portes métalliques se ferment.

Mais dehors, il reste 2 à 3 000 fans italiens et israéliens, frustrés, car sans billets. Ils tambourinent avec force contre les portes. A l’intérieur, malgré le vacarme, on entend distinctement le bruit sourd.  Les escadrons de CRS tentent de les calmer. En vain.

Les autorités se concertent.

A 20h30, le match démarre. Très vite la chaleur de la foule, la condensation et la sueur des joueurs rendent le terrain plastifié très glissant, occasionnant de fréquents arrêts pour éponger le sol, bridant le jeu, renforçant la dramaturgie d’une finale indécise d’un bout à l’autre.

Et, soudain, le manque d’aération, l’atmosphère étouffante, la pression bruyante des supporteurs sans billets et la crainte d’incidents sérieux firent évaluer le risque aux autorités. Qui prirent une décision qui nous paraît incroyable à notre époque : l’ouverture complète des portes !

D’un seul coup 2 à 3 000 personnes s’engouffrent dans le hall en courant. Elles se posent là où ils peuvent : dans les escaliers, debout juste derrière les panneaux publicitaires entourant le terrain, quelquefois assis à même le sol. Du coup, les spectateurs des premières rangées des gradins se lèvent également, tapant du pied, faisant trembler les tubulures…

Bref, toutes les mesures élémentaires de sécurité sont balayées. On est encore loin des drames du Heysel (mai 1985) et de Furiani (mai 1992).

MICKEY BERKOWITZ SIGNE LA VICTOIRE 

Dans une tension absolue mais contenue, le match qui a davantage valu par son intensité dramatique que par sa qualité technique, reste toujours en équilibre mais d’une correction exemplaire à la faveur, notamment, de la maitrise des arbitres. Bologne, avec ses trois jeunes médaillés d’argent des Jeux de Moscou (Renato Villalta, Marco Bonamico, Pietro Generali), joue au millimètre, prend la mesure et file à 17-26. Mickey Berkowitz, l’âme du Maccabi, rameute ses troupes (25-28). Mais la Virtus repart (25-34). Le Maccabi change de système défensif, et revient pressant Bologne au repos, malgré Bonamico, auteur de 20 des 39 premiers points de son équipe (37-39).

Le tableau d’affichage. @mta

La suite est très serrée.

Toute la salle est désormais debout.

A 2’20 du terme, Mickey Berkowitz signe un panier qui semble donner un léger ascendant au Maccabi : 76-73. Mais Marco Bonamico, auteur de 10 lancers francs sur 10, rectifie (76-75).

Il reste 40 secondes à jouer.

Berkowitz, en bon capitaine, pousse à 78-75, Francesco Cantamessi marque sur la possession suivante 78-77. Pressé, le Maccabi perd la balle à 14 secondes de la fin. Possession Bologne.

Temps mort.

Les CRS en profitent pour ceinturer le terrain. Du pied, ils bloquent les panneaux publicitaires. La tension est à son comble.

Le jeu reprend. Bonamico, balle en mains, renverse Boatwright et se voit siffler un passage en force.

Il reste 9 secondes à jouer. C’est le tournant. Palabres. Possession Maccabi. Bologne se jette en défense, mais Berkowitz se dégage. Il perce sur l’aile droite et, d’un lay up, signe le panier de la victoire (80-77), malgré un ultime rush et panier italien : 80-79.

La Coupe d’Europe vient de choisir le Maccabi !

Le grand chelem 1981 pour le Maccabi : après la Coupe intercontinentale, le championnat et la Coupe d’Israël, voici la Coupe des Champions ! @mta

LA COUPE D’EUROPE VIENT DE CHOISIR LE MACCABI !

Accréditation. @dw

Dès le coup de sifflet final, les supporteurs israéliens, joyeux et heureux, renversent les panneaux publicitaires, débordent un service d’ordre ahuri et envahissent allègrement le terrain pour porter leurs joueurs en triomphe. Une véritable marée humaine.

Les officiels éprouvent le plus grand mal à remettre le Trophée, finalement transmis à la sauvette et à la hâte aux champions, happés par leurs fans.

Bref, une ambiance surréaliste et totalement inimaginable en 2020.

Au fait : il n’y eu aucun incident à signaler. Les joueurs et les arbitres ont été exemplaires, les supporters, dans leur rôle, passionnés, démonstratifs mais bon enfant…

Les miracles, ça peut arriver…

LE MATCH EN VITESSE

Maccabi Tel Aviv – Virtus Sinudyne Bologne : 80-79. Mi-temps : 37 -39. Arbitres : MM Van de Willige (Pays-Bas) et Kotleba (Tchécoslovaquie).

Tel Aviv : 29 paniers pour 61 tirs, 22 lancers francs réussis sur 35, 24 fautes, Perry (35’) et Silver (38’) éliminés. Les points : Berkoviz (20), Williams (19), Perry (18), Boatwright (12), Silver (6), Aroasti (5), Scwartz, Keren, Zysman, Hershkowitz.

Bologne : 32 paniers pour 70 tirs, 15 lancers francs réussis sur 22, 31 fautes, Generali (30’), Caglieris (36’), Marquinho (39’), Bonamico (40’) éliminés. Les points : Bonamico (26), Villalta (19), Marquinho (13), Gablieris (7), Cantamessi (4), Generali (4), Valenti (4), Martini (2), Porto, Possemato.

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L’AMBIANCE DE LA FIN DU MATCH

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About Dominique WENDLING (57 Articles)
Ancien journaliste, joueur, entraîneur, dirigeant, président de club. Auteur en 2021 de "Basket in France", avec Laurent Rullier (I.D. L'Edition) et en 2018 de "Plus près des étoiles", avec Jean-Claude Frey (I.D. L'Edition).

1 Comment on (Témoignage) Coupe des Champions 1981 – Miracle à Strasbourg

  1. Excellent travail. Merci !

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