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Jean-Claude Lefebvre : A jamais le pionnier. Épisode 3 : Nul n’est prophète en son pays.

Long Format

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro

Dans la deuxième partie de ce long format (à retrouver ici) , nous vous contions les coulisses de l’arrivée de Jean-Claude Lefebvre à Gonzaga University. De la célébrité nationale à son départ en catimini, deux ans avant terme. Dans cette troisième et dernière partie, après un focus sur la fin de carrière de JCL en France, nous vous proposons d’approfondir la façon dont était perçu ce géant, grâce aux éclairages apportés par de grands témoins l’ayant bien connu (Jean Degros, Michel Rat et des amis proches). Alors, trouvez un bon fauteuil, prenez de quoi siroter et laissez-vous entrainer dans la machine à remonter le temps !

A son retour des USA en 1959, Jean-Claude participe à l’Euro 1959 à Istanbul. Dernier point d’étape avant ce qui doit être le pic de sa carrière : les Jeux Olympiques de Rome 1960. Cet Euro se termine plutôt bien pour les tricolores, ils accrochent une nouvelle médaille de bronze à leur palmarès. La première (et unique médaille) pour Lefebvre. Malgré les absences majeures des Beugnot, Antoine, Bertorelle et Degros, les français firent un dernier match sensationnel face à l’URSS durant lequel JC Lefebvre a pu faire admirer sa technique nouvelle : « Mis en confiance par un premier panier, Lefebvre risque ses bras roulés importé des Etats-Unis et souvent avec bonheur » notait Pierre Tessier, de L’Equipe.

Sa prestation lors d’un France/Belgique amical du 13 février 1960 (11 points) fait naître de beaux espoirs mais n’empêche pas le grand public de continuer de se déchirer autour du grand débat de l’époque : la prédominance des grands dans le basket moderne. En effet, trois jours après la rencontre, dans les colonnes de L’Equipe, Jacques Marchand convoque un énième débat avec Busnel, Wladimir Fabrikant et Pierre Tessier sur le thème « Le Géant est-il un mal nécessaire ? ». Le titre en gras est explicite : « J-C. Lefebvre : l’homme qui perd des balles et gagne des matches ! ».

13 Février 1960, FRA/BEL. JC Lefebvre au tir (DR)

Malheureusement, pas vraiment le temps de disserter sur le sujet car quelques mois avant l’échéance fatidique, Lefebvre contracte la tuberculose et voit ses rêves olympiques s’envoler. Les médecins de la Faculté lui ont ordonné d’observer un repos complet de plusieurs mois. C’en est fini du grand projet de Robert Busnel. Pour son poste de troisième pivot des J.O. derrière Jean-Paul Beugnot et Bernard Mayeur, l’entraineur André Buffière fera finalement confiance au vénérable Robert Monclar. Tandis que ses compères de l’équipe de France lui envoient des cartes postales de Rome (La France termine 10ème en jouant de malchance sur les matchs importants), Jean-Claude doit ronger son frein lors d’interminables cures (à Giron dans l’Ain en octobre 1959 puis dans une maison de repos à Bouffemont en mars 1960) entrecoupées de phases de repos dans la ferme familiale.

Pendant ce temps-là, à New York, se tient le 11 avril 1960 la 14ème draft annuelle de la NBA, alors composée de huit équipes seulement. Tandis qu’Oscar Robertson et Jerry West sont choisis aux deux premières places, les Minneapolis Lakers choisissent au 64ème choix du 9ème tour un certain « Claude Lefebvre ». Oh ! Pas de quoi s’enflammer, ce choix relève plus du gadget qu’autre chose, très peu de joueurs choisis aussi loin dans la draft  ont l’occasion de s’exprimer dans la grande ligue. Jean-Claude recevra par courrier la preuve de sa draft mais il ne pourra jamais tenter sa chance au camp de pré-saison d’une franchise qui vient de déménager à Los Angeles. Sa décision de rester en France était déjà irrévocable et, surtout, son état physique ne le lui permettait pas. L’info n’a aucun retentissement en France à l’époque, la NBA est quasi inconnue chez nous. Cette draft, la première d’un joueur européen,  restera totalement oubliée en France pendant près de 30 ans, avant que le journaliste Pascal Legendre ne dévoile l’info – que dire – le scoop dans le Maxi Basket n°59 de Janvier 1988.

Après trois mois cloué au lit et une saison blanche en 59-60, Jean-Claude reprend le basket au Racing Paris en deuxième division, il se refait la cerise à l’étage inférieur.  Ensuite, il mute à Antibes pour la saison 61-62 toujours en deuxième division, car on lui avait conseillé ce climat méditerranéen pour régler ses soucis de santé. Le basket ne nourrit toujours pas son homme en France,  il lui fallait tout de même trouver un travail sur place. Il a donc essayé de vendre des carreaux de faïence mais apparemment ce n’était pas brillant. Il avait eu ensuite l’envie d’ouvrir une boutique de sport mais cela n’avait pas pu se faire non plus… Il avait un appartement magnifique à Antibes, l’immeuble était situé sur le front de mer, une sorte de petite presqu’île qui s’appelait « L’ilette » en face d’une station Shell, en sortie d’Antibes. Martine Lefebvre se souvient : « C’était l’époque des stages préolympiques d’Antibes pour l’équipe de France, le début des années 60. Jean-Claude avait une 2CV, vous auriez vu la tête des gens quand on sortait tous de la 2 CV, mon frère et moi et d’autres internationaux de quasi 2 mètres! Il m’hébergeait chaque été alors que j’avais 13-14 ans. De chaque fenêtre, on pouvait y voir la mer ». La saison est réussie sur la plan collection car l’Olympique Antibes remonte en N1 pour la saison 1962-63.

Jean-Claude et sa Deudeuche... (DR)

UNE SAISON EN DENTS DE SCIE

C’est la saison du renouveau pour Jean-Claude, croit-on. En avril 63, ses prestations lors des matches amicaux de l’équipe de France sont remarquées. Il faut dire que cette triple confrontation contre l’URSS (à Lyon, Rennes et Tours) est à marquer d’une pierre blanche. Jean-Claude a été (pour une fois) plébiscité par ses coéquipiers qui ont ainsi témoigné leur confiance à son égard. Il faut dire que le coach Buffière (qui honorera sa promesse en plongeant nu dans le Rhône pour fêter la victoire 58-54 du 19 avril !) a maintenant redéfini le rôle exact du pivot géant, il ne sera plus l’homme autour de qui tout tourne mais désormais un joueur comme les autres. Lefebvre gagne sa place pour le Championnat du Monde de Rio d’août 1963. En préparation, il déclare au Miroir des Sports : « Je suis devenu un joueur. Il me reste à devenir un grand joueur. J’ai un an devant moi, avant les Jeux pour y parvenir… Je crois cependant que le plus grand problème a été résolu : celui de me donner des balles. Maintenant que mes camarades me considèrent comme un garçon de taille normal, qu’ils me font des passes à hauteur de la poitrine et non plus à 2m70 de haut, tout va beaucoup mieux… ». Malgré un bilan collectif mitigé (4v/5d), la France reviendra auréolée d’une très belle cinquième place de cette compétition, sur les ailes de l’ailier Maxime Dorigo, élu dans le meilleur cinq du tournoi.

Jean Degros, interviewé en 2018 (DR)

Dans une interview accordé à l’auteur dans son fief nordiste d’Hellemes, son coéquipier en équipe de France Jean Degros  relate sa rencontre avec Jean-Claude, qui date de cette période-là : « J’ai un souvenir extraordinaire de Jean-Claude, c’est la première fois que je l’ai vu. C’était sur la Côte d’Azur alors que j’y étais pour des vacances. Il venait de signer à Antibes et il avait une 2 CV. Il avait transformé les sièges et il conduisait sur le siège arrière (NDA : en fait, il avait aménagé le recul de son siège conducteur) ! Ça, ça m’avait vachement marqué. On s’est salué car on ne se connaissait pas, on a discuté, puis on est allé se baigner. Je me suis dit « purée, quand je suis debout, il est à genoux et on est à la même hauteur »… C’était impressionnant car à l’époque moi j’étais gamin, j’avais 17 ans. Je me souviens aussi que quand il a essayé sa première paire de godasses, je crois que c’était des Adidas, moi je rentrais dans sa chaussure avec mes chaussures aux pieds ! Je me rappelle aussi qu’une fois en déplacement à l’étranger, comme il n’était pas toujours bien organisé,  il était parti avec deux chaussures du même pied. Eh bien, il a fait son match quand même, il était gêné mais il a joué comme ça ».

Jean Degros et JC Lefebvre, Nice été 1962 (DR).

L’EQUIPE DE FRANCE ET JCL : UN BILAN SANS APPEL

Michel Rat est une figure incontournable du basket français, il est légitimement l’un des mieux placé pour nous parler de Jean-Claude Lefebvre, ayant été tour à tour son adversaire, son équipier en équipe nationale puis son formateur à l’INS. Il nous offre le point de vue nuancé de la façon dont a été perçu l’arrivée de ce pivot en équipe de France, de l’intérieur : « Quelque part, c’est déconcertant parce qu’on n’est pas habitué, dans notre parcours habituel, à jouer avec des gens de cette dimension. Donc Il faut concevoir une autre façon de jouer par rapport à un élément qui arrive et qui a des caractéristiques différentes de celles qu’on a habituellement. Jean-Paul Beugnot avait beaucoup plus de mobilité, un peu plus athlète que ne l’était JC. Parce que Jean-Claude, bon c’est peut-être un peu péjoratif ce que je vais dire mais, c’était un peu le plantigrade qui ne courait pas vite, qui se déplaçait à la vitesse de la tortue, qui était un peu gauche dans ses mouvements et qui avait de la difficulté à avoir de la rapidité dans la gestuelle. Et il fallait jouer avec lui, c’est-à-dire que tout le jeu de l’équipe se trouvait alors transformé. Par rapport notamment à son exploitation et son utilisation dans le domaine offensif : pour l’utiliser, il fallait lui donner des ballons, attendre qu’il vienne se placer et qu’ensuite les conditions soient créés pour permettre les relations intérieurs/extérieurs. On peut dire qu’il y avait un jeu avec lui et un jeu sans lui, car l’ensemble de l’équipe devait adapter son rythme de jeu au rythme de Jean-Claude pour pouvoir l’exploiter dans le jeu intérieur, surtout dans l’aspect offensif. Et c’était pas toujours bien accepté.

Je donne mon point de vue personnel : moi, je viens d’un club (le Paris Université Club) où on était habitué à donner le ballon à l’intérieur, parce que cela faisait partie de la culture PUCiste. Mais vous avez des clubs ou l’importance de la relation intérieur/extérieur n’était pas la même. Et ces gens-là étaient un peu frustrés d’avoir à adapter leur façon de joueur habituelle à l’intention de quelqu’un de différent, ce qui leur posait problème. C’est incontestable que cela a aussi posé des problèmes à André Buffière, qui était l’entraineur. Il avait une certaine conception du jeu et l’intrusion, je dirais, d’un joueur de cette dimension-là a posé des difficultés».

Le mythique meneur de jeu à la coupe en brosse Jean Degros ne dit pas autre chose : «  c’est-à-dire que ça a fait une grosse tâche quand il est arrivé parce qu’on s’attendait pas à un mec comme ça. Enfin, il s’est vite rendu compte qu’il aurait des problèmes. Je vous dis ce que les gars en ont ressorti quand on l’a vu :  Sur le plan technique, c’était pas ça du tout ! Bon, Busnel y a cru, c’était l’époque de la chasse aux joueurs de grande taille et il en a fait un petit peu son joujou. Le  courant de pensée dominant, poussé par Busnel, était qu’on ne pouvait pas gagner sans les grands, il fallait trouver des grands. On en avait UN bon de grand, c’était Jean-Paul Beugnot (annoncé à 2m07 mais grandi de 3 ou 4 cm par le madré Busnel). Après Jean-Claude, il y a eu Jean-Baptiste Ré, 2m02 mais pas de jeu de jambes, un mec super sympa cela dit. Ensuite, il y a eu Roger Duquesnoy et les expériences baroques Jean-Marie Hamel, qui était employé à repeindre des plafonds puis Eric Degonse (que j’avais fait venir à Reims, je me suis rendu compte ensuite que j’avais fait une belle connerie !) ».

Selon Michel Rat, « Globalement, par rapport à l’équipe nationale, je pense que sa contribution a été certainement plus un frein aux résultats de l’équipe de France qu’un apport décisif. C’est mon opinion. Car, effectivement, il fallait s’adapter au rythme de Jean-Claude et tout le monde n’était pas prêt à la faire.  Et puis, même si les statistiques complètes que l’on connaît aujourd’hui n’existaient pas à l’époque, je ne pense pas qu’il ait eu un apport décisif lors de ses matches en équipe nationale.

Par exemple, au mondial 1963 à Rio, qui fût le pivot le plus sollicité ?  Le marseillais Jean-Baptiste Ré, qui culminait à 2m02 mais qui a davantage joué, il y avait aussi Bernard Mayeur au pivot. Le résultat a été honorable (on finit 5ème) mais la contribution de JCL n’a pas été importante. De même, à l’Euro 1959 d’Istanbul, il a dû être utilisé quand il y avait Jan Krouminch en face (le pivot soviétique dominant) puisque ces géants se contrecarraient mais sinon il n’avait pas un temps de jeu énorme. Ma mémoire est un peu confuse avec les années, mais j’ai vraiment le sentiment que Jean-Claude n’a pas été quelqu’un de décisif pour les victoires de l’EDF. Il a effectivement été boosté, propulsé et mis en avant par « Bus’ » mais cela ne s’est pas fait sans réserves de la part de certains coéquipiers voire même de l’entraineur.

Michel Rat et JC Lefebvre, Euro 1959 à Istanbul, visitent le croiseur français De Grasse (DR).

UNE LENTEUR PENALISANTE

Il ne pouvait pas jouer, se remémore de manière définitive Jean Degros. « Je me souviens, c’était à Wroclaw (Euro 63), le plus mauvais souvenir que j’ai eu en Bleu mais bon cela a existé… On était sortis de la poule finale, on jouait le matin de bonne heure. C’était contre la Finlande, il devait y avoir deux balayeuses dans la salle. Pierre Tessier, le journaliste de L’Equipe s’était endormi dans les tribunes ! Je me souviens d’une situation sur un des rares rebonds qu’on ait pris du tournoi (car on en gobait pas une) : Lefebvre n’avait pas eu le temps de se replier sur une contre-attaque finlandaise, je récupère la balle et je file en avant car c’était ça notre jeu, je le vois tout seul devant, je lui fais une passe sèche à hauteur de poitrine. La salle était donc vide, on n’entendait que les bruits du jeu et là tout d’un coup, on entend un gros TCHAAK! Vu son temps de réaction, la balle lui était passé à travers ses mains et elle a claqué contre son torse… Et Buffière, le manager, qui lève les bras au ciel et fait « pfffffff »…  C’est un souvenir qui me reste encore en mémoire aujourd’hui (sourire). Au final, l’affaire était cuite dans cet Euro, il fallait qu’il joue un petit peu aussi… enfin, on l’a gagné ce match là quand même (61-59, le 11 octobre 1963).

Dans tout sa carrière, je l’ai vu faire vraiment ce qu’on appelle UN bon match. C’était contre les soviétiques, face aux pivots Petrov et Volnov (NDA : le 15 mai 1963, lors des championnats du Monde au Brésil). Moi, j’ai beaucoup appris avec les Robert Monclar, Roger Antoine, Christian Baltzer et compagnie, mes potes c’était Alain Gilles, Michel Leray et on avait une façon de jouer avec un rythme de jeu qui était très très très rapide et lui, il ne pouvait pas du tout s’adapter. On a tout fait pour l’aider mais bon, c’était pas facile. On n’avait pas les mêmes tempéraments, nous les Baltzer, Gilles, Leray, Bernard Mayeur, tout ça , on était des bagarreurs, des gars qui allaient au charbon. Lui, c’était plutôt «train de marchandises ! », on était sans arrêt obligés de l’attendre. On en a discuté longtemps avec l’entraineur André Buffière et ça ne marchait pas, on ne pouvait pas y arriver. Ou on jouait en marchant ou on jouait en courant. Quand il était sur le banc, on jouait le basket qu’on aimait bien, dès qu’il était sur le terrain, on était dans un carcan ». Lorsque l’on demande à Jean Degros comment avait été perçu le départ de Lefebvre pour les USA par les internationaux de cette époque, il n’élude pas le sujet et, fidèle à son habitude, se montre direct et péremptoire : « Je pense que c’était un coup de poker de Busnel, qui a vraiment fait tout ce qu’il pouvait. Bon, Jean-Claude n’a jamais vraiment réussi son école à Gonzague (Gonzaga). Il était très gentil mais il était très fragile. Fragile corporellement et fragile mentalement, c’était facile de le déstabiliser en tant qu’adversaire. Des regards, des attitudes parfois suffisaient et il comprenait. Et ça le tuait, parce qu’il voulait compenser et à ce moment-là, il forçait son talent…

C’est de la psychologie, ça… Et pourtant, j’étais pote avec lui. Mais en tant qu’adversaire, c’est normal d’utiliser les failles de l’autre, sinon c’est pas la peine de jouer ! Après le match, il ne nous en tenait pas rigueur, il faut dire qu’il n’avait pas la même vie que nous : après les matches, on aimait aller boire un coup et lui prenait du lait ou un jus d’orange, donc bon…

En fait, Jean-Claude c’était une pousse à laquelle on a mis de l’engrais pour qu’il grandisse plus vite mais lui a été dépassé par les évènements. Il était heureux d’être dans le basket mais il n’a jamais pu passer le cap. Et les journalistes qui l’ont monté en flèche au début, parce que c’était une opération publicitaire de Busnel, l’ont déglingué après comme c’est pas possible ! Il y avait pourtant des bons journalistes à l’époque : Louis Lapeyre, Jacques Marchand grande plume de l’Equipe, Pierre Maincent à la Voix des Sports, Henri Chapuis à But et Club. On n’hésitait pas à critiquer dans la presse sportive et les gens aimaient ça, ça faisait du bien au basket. Dans les gradins, ça n’avait rien à voir avec ce qui se passe maintenant. Aujourd’hui, on est parqué, tout est professionnalisé… c’est plus la vie de quartier».

Au crédit de Lefebvre, on peut tout de même mettre en perspective ces propos avec ceux de Marcel Hansenne, le grand reporter basket de L’Equipe et ancien recordman du monde du 1000m qui, dans son très recommandable ouvrage de 1963 « Le Basket » rappelait : « En Europe, nous ne savons pas encore très bien utiliser la taille de nos géants. Jean-Claude Lefebvre, par exemple, était bien plus efficace quand il portait le maillot de Gonzaga que lorsqu’il est revêtu de la tunique tricolore »

JE T’AIME, MOI NON PLUS

Au retour de Rio, JCL semble sur la voie de la rédemption. A 26 ans, il a enfin offert une prestation conforme à ce que l’on espérait de lui depuis si longtemps. Adoubé par Degros pour son duel face aux soviétiques Petrov et Volnov, encensé par Busnel et le coach de la sélection US Pinholster pour sa prestation face à son pivot Willis Reed, Lefebvre bombe le torse. Dans un câble de Pierre Tessier le 18 mai 63, envoyé spécial de L’Equipe à Rio, il déclarait : « Moi je veux bien, mais enfin j’ai déjà joué aussi bien quand je faisais partie de l’équipe américaine de Gonzaga. Si on m’accorde confiance, je sais que je peux bien faire ».

Le mentor Busnel déclare publiquement son respect envers son poulain, qu’il a si souvent bousculé par le passé. Pour ce faire, Busnel se fend d’une « lettre ouverte » (voir ci-dessous) à son pivot dans la revue fédérale – il est toujours directeur technique national, pas trop compliqué de se faire de la place dans les colonnes de la revue ! – Mais, entre les lignes, on peut aussi voir dans cette lettre une sorte de satisfecit personnel de Busnel, voulant ainsi prouver à tous ses détracteurs que son entêtement à croire en Lefebvre venait enfin de payer…



Extrait de la revue fédérale (n°370, Juin 1963
).

Il faut croire que la carrière en Bleu de Jean-Claude se résumera à une interminable séance de montagnes russes (et on ne parle pas là de ce bon vieux Jan Krouminch !) car aux louanges de Rio vont succéder bien vite les lazzis de Wroclaw.

Drôle d’année que 1963 ou la FIBA place un Euro en Octobre 63 alors qu’un Mondial vient de se dérouler en Mai… Il faut dire que Manille, ville initialement prévue pour le Mondial , s’était vu privée de compétition en raison du choix des autorités des Philippines de refuser d’accueillir les ressortissants des pays du Bloc de l’Est ; La FIBA avait dû trouver rapidement une solution de repli avec Rio, à des dates pas forcément évidentes pour les européens. Toujours est-il que la plupart des internationaux français, qui avaient soldés tous leurs jours de congés pour participer au Mondial, se trouvèrent fort dépourvus lorsque la bise (d’octobre) fût venue ! Comme l’expliquait Christian Baltzer dans la revue Maxi-Basket (n°188 de Juillet 1999) : « A l’époque, on cherchait à avoir un bon boulot grâce au basket et quand on l’avait, il fallait faire attention à ne pas avoir trop d’absences dans l’année ». La France, amputée de six de ses principaux joueurs dût présenter un effectif novice et très amoindri pour cet Euro polonais. Jean Degros, bien que blessé, accepta courageusement la sélection pour soutenir la troupe de Marie-Louise d’où émergeait les noms des très jeunes Alain Gilles et Jean-Claude Bonato. Au final, la France réalise un Euro catastrophique : 2 pauvres victoires en matchs de classement après une litanie de 7 défaites consécutives. Plus souvent sur le banc que sur le terrain, Lefebvre déçoit. Pas toujours utile, pas toujours utilisé. C’est la fois de trop pour lui : il déclare à l’issue de cet Euro raté qu’il met un terme à sa carrière internationale… à 26 ans et après 57 sélections A. Ce renoncement est alors perçu comme une dérobade à l’heure ou la retraite de l’autre grand pivot national, Jean-Paul Beugnot, est beaucoup mieux acceptée par les reporters car elle intervient au crépuscule de sa carrière.


Au sortir d’un Euro 63 raté, rien ne sera épargné à JC Lefebvre.
Nice-Matin, 7 novembre 1963.

EN FORMATION D’ENTRAINEUR

Il a fallu attendre 1960 suite aux mauvais résultats des JO de Rome, pour qu’il soit décidé de faire un effort particulier pour le rayonnement du sport français au niveau planétaire. Le Général De Gaulle viendra visiter les installations un petit peu plus tard (en 1965), il plaça le Colonel Crespin à la direction des opérations. C’est là qu’on lança l’école de formation des éducateurs sportifs (pour aider à la reconversion des sportifs de haut niveau), une formation en deux ans. C’était lié également à la décolonisation car dans le même temps, ces stages accueillaient les élites du sport africain qui allait constituer les cadres de demain de leurs fédérations (ou bien encore en exercice) et devenir les acteurs du développement du sport dans leurs pays. Les promotions étaient doubles, JCL a fait cette formation en deux ans avec les stagiaires africains vers 1963. Il y côtoya un certain Claude Costantino qui a été capitaine de l’équipe du Sénégal, première équipe africaine aux JO, a été formé à l’INS. Un autre, Bonaventure Carvalho, fût l’entraineur à succès de l’équipe féminine du Sénégal, cinq fois championne d’Afrique entre 1974 et 1984. Il y avait à la fois une volonté nationale et internationale : former des cadres qui deviendront des cadres techniques plus tard et servir de reconversion aux athlètes.

Michel Rat a eu Jean-Claude comme élève pendant deux ans à l’INS en 1963-64 : selon lui, « c’est quelqu’un à qui cette formation a été utile, ça lui a permis d’exprimer ses compétences (car il en avait avec le parcours international qu’il a eu). A l’INS, il a eu comme partenaire de promotion Claude Busnel (le fils de son mentor Robert Busnel) et Michel Moine (pivot du PUC, qui joua les premiers matches de Coupe d’Europe du club et qui fût ensuite cadre technique en Franche-Comté), un garçon extrêmement attachant, qui connaissait très bien le basket et qui a dû beaucoup apporter à Jean-Claude. »

UN BASKETTEUR LIMITÉ MAIS UN HOMME D’UNE GRANDE VALEUR

Echanger avec Michel Rat est une expérience d’une richesse incroyable ! Il est intarissable lorsqu’il s’agit de brosser le portrait de Jean-Claude l’homme et non le sportif. Pour les besoins de cet article long format, Michel Rat revient sur les problématiques des très grands gabarits comme Jean-Claude : « Ah, c’était quelqu’un de très très bien, Jean-Claude ! Du fait de sa grande taille, il était, comment dire, sur la réserve dans la relation aux autres et le fait d’avoir eu le basket, cela l’a amené à se libérer un peu. On soulignait l’apport que cela avait été pour lui d’être basketteur de haut niveau, cela a été pour lui une façon de s’épanouir au niveau de sa personnalité, au plan relationnel. Le fait d’être de grande taille, on est une cible, socialement parlant, c’est pas évident. Tous les joueurs de grande taille que j’ai eu (à l’INSEP) signalent la difficulté qu’ils ont eu surtout en primaire et au collège car l’entourage est souvent très moqueur, ces attaques sont perturbantes et donc bien souvent on voit des grands qui se voûtent car c’est une façon de se préserver des atteintes de l’environnement, des « grandes asperges », des « grands couillons ». J’ai souvenir d’une anecdote avec un élève de l’INSEP dont le père m’a expliqué que sa période scolaire avait été un martyre : il ne pouvait pas être au premier rang car sa stature gênait tout le monde derrière lui, alors il était placé au dernier rang, ce qui quelque part traduisait un désintérêt de la part de l’enseignant… donc c’était vraiment perturbant pour le gamin sur le plan du développement de sa personnalité… Tous les jeunes de grande taille que l’on a à l’INSEP nous disent à quel point c’est formidable pour eux d’être ici car ils trouvent des gens de leur taille… On en trouve aujourd’hui avec des qualités athlétiques que n’avait pas Jean-Claude à la fin des années 1950.

Michel RAT, interviewé en Janvier 2018 (DR).

A cette époque, la FFBB était en recherche constante d’amélioration, une recherche tout azimut, parfois même à l’excès : Busnel a fait venir des sauteurs en hauteur, par exemple. Je pense à Alain Hahn, qui était un athlète spécialiste de saut en hauteur et qu’on a fait venir en équipe de France (pour un match amical contre l’Argentine en Mai 1962) pour la seule raison qu’il avait des qualités athlétiques. Mais on voit rapidement les manques d’un joueur qui a des qualités athlétiques mais qui n’a pas de culture basket… L’exemple de Jean-Claude, qui, lui pour le coup, n’avait vraiment pas de qualités athlétiques : on a essayé d’élever son seuil de réalisation mais en réalité, par rapport au jeu de l’équipe de France, on n’était pas en déficit de taille par rapport aux autres équipes, même sans lui. A l’Euro 1959 à Istanbul, j’étais le plus petit avec mon 1m80. En taille moyenne, on devait tourner aux alentours de 1m92 quand même, on était dans les standards européens. Au niveau mondial non plus, Il n’y avait pas ce type de très grands joueurs par la taille. En 1963 à Rio, cela n’existait pas, Même Krouminch n’était pas là.

Il faut bien voir que Jean-Claude avait une relation très étroite avec Bus’ (Robert Busnel) et Bus’ a beaucoup misé sur Jean-Claude, il l’a imposé et, en même temps, au travers de ce «pari», il espérait une justification de ce qu’il voulait prôner en matière de développement du basket de haut-niveau. Au final, on peut dire que le cas de Jean-Claude est un relatif échec quelque part de sa politique. Cela a été une bonne chose pour Jean-Claude, pour son épanouissement, mais c’est comme beaucoup de jeunes filles ou garçons que l’on a eu par la suite à l’INSEP : combien réussissent finalement ?

Prenons le cas de Vincent Pourchot, il y a des analogies avec Jean-Claude. Physiologiquement, il avait des rétractations liées à des contractures. Avec lui, Il a fallu faire un gros travail d’éducation/rééducation. Ça lui a permis de faire un parcours, mais cela ne lui a pas permis d’être en équipe de France. On a aussi eu des cas de filles que l’on a gardé 3 ans ou 4 ans à l’INSEP, mais pour qui cela n’a pas marché. Muresan est peut-être le dernier cas à peu près similaire. Il a dû tout ré-apprendre à Pau mais, par contre, on peut dire qu’il a réussi une carrière basket ensuite.

Quelque part, l’histoire de Jean-Claude est magnifique : tu as en même temps cet aspect de l’individu et aussi sa confrontation à des mondes sociaux différents et comment il se construit, comment il évolue là-dedans au plan individuel. Le psychologue Henri Wallon parle de cela : la construction de l’individualité au travers de l’échange avec le milieu. Parce qu’il n’y a pas une nature biologique, sociologique et puis un monde social, en fait c’est une construction dans l’interrelation des deux. En fonction du milieu familial, en fonction des expériences sociales, tu te construits. Ta personnalité, elle naît dans ces échanges… ».

A posteriori, l’entraineur national Bernard Grosgeorge considère que c’était une hérésie que de faire s’entrainer Jean-Claude tout seul une année entière avant qu’il n’arrive à Roanne en première division, « le basket est un jeu de relation sociale ! » dit-il. « Il aurait dû jouer dans un petit club pour commencer, cela a été sous-estimé à l’époque.. Maintenant, on recherche la coordination, la mobilité. On n’a plus ce fantasme du géant : aujourd’hui, les TGG (très grands gabarits) on en a et ils ne vont pas forcément jouer pivot, on leur apprend à jouer comme Nowitzki, on leur apprend le step-back ».

Après l’épisode antibois, Lefebvre part jouer à Charleville, il y travaillait en alternance pour apprendre le métier de kinésithérapeute dans un centre ou il rencontra celle qui allait devenir sa femme. Celle-ci y apprenait alors le métier d’ergothérapeute. Il a joué un peu au basket une dernière saison puis ensuite, il est rentré sur Paris pour finir ses études de kiné.

Sa carrière de basketteur s’est arrêté à ce moment-là, en 1965. Il racontera, lors de sa dernière interview pour le reporter de L’Equipe Magazine venu faire un sujet sur lui en janvier 1995, qu’il se sentait dépassé par l’évolution de son sport, « j’avais l’impression d’être un vieux con. Je défendais certaines valeurs que je ne retrouvai pas dans le jeu ».

RETOUR A LA FERME

Jean-Claude se marie l’année suivant sa retraite sportive, en 1966. A la retraite de ses parents, JCL abandonne ses études de kiné et reprend totalement l’exploitation de la ferme et la production d’œufs. C’est à cette époque qu’il est tombé malade, ce qui a causé l’arrêt de sa carrière et qu’il était devenu, de fait, dépendant de ses parents. Pour qu’il ait tout de même une activité, ils lui ont aménagé un élevage de poules, qui existait déjà auparavant, créé par son frère Michel. Au fur et à mesure Jean-Claude et Françoise ont développé cet élevage. Après le décès de son père, il se peut qu’il y ait eu une période où c’était Jean-Claude qui gérait toute l’exploitation. Il avait une voiture réaménagée à sa taille, une camionnette qui avait subi le passage aux mines pour valider les changements : volant renforcé, plancher surbaissé, rails pour reculer son fauteuil encore plus. Sa deuxième voiture a subi des changements également mais pour que sa femme puisse la conduire aussi (elle ne mesurait qu’1m60 !).

Un jour, dans les années 70, il a subi un accident de la route près de Roissy : Ils faisaient de l’élevage de poules pondeuses et JCL allait livrer avec sa 4L camionnette. Les ouvriers avaient chargé la camionnette et lui allait les livrer à Paris et juste à l’aéroport de CDG un car qui ne s’était pas arrêté lui a grillé la priorité et a percuté sa camionnette 4L. Sa 4L a culbuté, lui avec et tous les œufs aussi ! Avec la force de l’accident, le volant renforcé s’est complétement tordu en cognant sur la poitrine de Jean-Claude et sa tête a pris également, avec un nez cassé. Il était coincé dans la voiture puis Il a été emmené comme ça à l’hôpital. Toute la cargaison d’œufs était devenue invendable et je vous laisse imaginer  l’odeur car la voiture était restée longtemps indisponible en attente de l’expertise !

Au fur et à mesure de son enquête de terrain à Epiais, l’auteur de cet article est remonté jusqu’à Daniel Douy. Daniel a accepté de partager ses souvenirs du Jean-Claude Lefebvre qu’il connaissait depuis 1983. De simple voisin, Il est devenu l’ami fidèle. L’après-midi de ses jours de congés, il jouait aux cartes avec Jean-Claude. Cela lui faisait passer le temps, il aimait bien un jeu qu’ils appelaient l’ «ascenseur» dont Jean-Claude lui avait appris les règles. Avec la sœur et le père de Jean-Claude, ils jouaient aussi à des jeux de cartes tous les quatre. Jean-Claude lisait beaucoup, il s’occupait… Il aimait beaucoup les casse-têtes, il était très fort avec le Rubik’s Cube qu’il solutionnait en un temps record.

Daniel DOUY, l'ami des dernières années, tenant le maillot de JC Lefebvre en Novembre 2017 (DR).

Il allait très rarement voir des matches sur Paris, surtout après qu’il a commencé à être malade. Il ne pouvait plus se déplacer comme il voulait, donc il avait de gros soucis de transport aussi. Il n’était plus motivé. Peut-être qu’il ne voulait pas non plus qu’on le voit dans un état pareil. JCL ne vivait pas spécialement dans son passé de basketteur, il n’était pas du genre à dire « moi, quand j’étais en équipe de France… », il en parlait de temps en temps car il avait encore des cassettes de matches qu’il regardait parfois mais il était encore un peu nostalgique quand même.

UN APRES-CARRIERE MARQUÉ PAR LA MALADIE

En 1965, JCL met un terme à sa carrière de basketteur à seulement 32 ans, il semble guéri de sa tuberculose, une maladie qui l’empêchait de bien respirer mais il faut reconnaitre qu’à partir du moment où il s’est marié (en 1966), on peut dire qu’il a été malade quasiment tout le temps, ce qui représente une trentaine d’années, jusqu’à la fin de sa vie.

En effet, à la suite de sa tuberculose, Jean-Claude a développé une tumeur hypophysaire à prolactine, a dû subir des saignées puis il contracta vers 1972 un syndrome de Hodgkin (qui est une forme de cancer du système lymphatique où l’on observe une prolifération anormale d’un certain type de globules blancs, les lymphocytes ; cela part des poumons qui se nécrosent). On lui a aussi enlevé la rate vers les années 1975. De ses soucis de santé, ses cousins en disaient «ouais, mais c’est parce qu’il était dopé, ils l’ont dopé aux Etats-Unis !». Ce que  Martine, sa sœur cadette, réfutait : « Moi, j’étais sûre que non, car il était contre toute forme de dopage. Ils étaient un petit peu intoxiqués par ce qui se disait dans les journaux pour d’autres sports ».

Dégouté du basket, Lefebvre ne fait plus parler de lui dans les gazettes, si ce n’est une photo en couverture de L’Equipe, un jour de Novembre 1969, soit 4 ans après sa retraite sportive. On le voit en gentleman-farmer, jetant du grain à ses poules ! On y apprend qu’il avait reçu depuis une proposition pour reprendre du service au Stade Français mais dit-il « j’ai pensé que je ne pouvais plus rien attendre du basket ». Un peu amer, il ne se sent plus concerné par les problèmes du basket (qui plonge en plein marasme à cette époque). Il est bien davantage préoccupé par les conséquences que pourra avoir sur son élevage de poules les décollages des avions « supersoniques » à moins de 800 m de ses poulaillers !

Son Hodgkin n’a jamais été vraiment guéri (pour les médecins il était guéri de ce Hodgkin proprement dit, mais il subissait encore les conséquences de la maladie), il a eu de graves séquelles au niveau de ses jambes, il faisait de la rétention d’eau : sa lymphe suintait par les jambes d’un liquide jaunâtre. Il avait les jambes toutes gonflées, on a dû lui faire des saignées. Il était obligé de mettre des serviettes sous ses jambes pour éponger ce qui coulait…Cela a duré très longtemps. Les derniers mois, il ne pouvait plus se lever de son lit. Alors qu’il était plutôt « fin » du temps de sa carrière de basketteur (il faisait 146kgs maxi), il pèsera jusqu’à près de 200kgs puis il maigrira jusqu’à 140 sur la fin de sa vie… Sa femme gérait alors l’entreprise. Quand il n’a plus été capable de suivre les gens qui exploitaient la culture et les champs, les Lefebvre délégueront l’exploitation de toutes leurs cultures à un cultivateur voisin.

LE PETIT RAYON DE SOLEIL

Madame Isabelle RUSIN, Maire d'Epiais-les-Louvres, interviewée en Janvier 2018 (DR).

Isabelle Rusin est Madame la maire de la commune d’Epiais-les-Louvres. Elle a bien connu Jean-Claude Lefebvre dans son après-carrière. Ayant conservé une grande affection pour la personne, elle a accepté de se replonger pour nous dans ses souvenirs d’adolescente pour mettre en lumière une autre facette du personnage qu’était Jean-Claude : l’entraineur. « Je l’ai connu à une période de sa vie où il ne sortait quasiment plus de chez lui. Il le vivait quand même très mal et ça a été justement en ayant cette idée de revenir au basket que cela lui a permis de sortir de la ferme. De mémoire, il arrivait à un moment de sa vie où il a dû se poser des questions et il s’est dit « J’aimerais pouvoir rendre au basket tout ce que le basket m’a apporté ». Il a dû se renseigner sur les clubs alentours ou peut-être qu’il a croisé des joueuses, par son commerce d’œufs, qui lui ont dit qu’il manquait un entraineur à Moussy-le-Neuf (un village situé à 5km de la ferme d’Epiais) et voilà comment cela s’est fait. Jean-Claude a d’abord entrainé à Othis, mais c’était le club de Moussy-le-Neuf et après, il a commencé à entrainer à Puiseux-en-France, près de Louvres en 1979. Moi, je n’ai joué qu’au club de Moussy. Il entrainait des seniors féminines, j’avais 16-17 ans mais on avait aussi des femmes de 30-35 ans dans l’équipe, vers 1982 à 1985».

[JC Lefebvre expliquera ce choix à L’Equipe Magazine en 1995 : « Les équipes féminines sont plus disciplinées et tentent de construire le jeu. Chez les hommes, c’est devenu un basket qui passe en force. Rien de bien gracieux ».]

« C’était quelqu’un de très intelligent, très réfléchi, il cherchait tout le temps des explications. Il notait toujours beaucoup de choses, des tactiques, des tableaux, il avait acheté un tableau magnétique pour nous montrer des combinaisons. Il pouvait s’emporter pour un rien mais il était d’une patience infinie dès qu’il s’agissait de nous expliquer comment il fallait tenir la balle, avec tellement de douceur, de gentillesse… Il marchait déjà avec difficulté, dès qu’il faisait quelques pas, il était essoufflé, il devait s’arrêter pour reprendre plusieurs fois sa respiration.. C’était un coach râleur ! Il ne s’en prenait pas aux arbitres, seulement à ses joueuses. Au moindre petit truc, vous n’aviez pas le temps de vous rendre compte de quoi que ce soit et il partait dans ses accès de colère ! Ça montait très vite mais une fois que c’était retombé, c’est comme si de rien était. On se faisait remarquer car il gueulait tout le temps, pour ça il avait toujours du souffle ! Il avait une grosse voix. On supportait ça car ça pouvait être quelqu’un de très gentil avec nous ».

« Quand il avait repris cette activité d’entraineur dans les années 80, on sentait cette envie de s’ouvrir et de rencontrer d’autres personnes. Ce qui n’était pas le cas de sa femme. Alors, je pense qu’il y avait aussi une forme de jalousie de sa part parce que Jean-Claude entrainait des filles et des femmes… Elle n’était jamais venue voir un match. Elle n’acceptait pas très bien et elle ne comprenait pas très bien qu’il replonge dans le basket, cela ne lui faisait pas plaisir, assurément. Pourtant c’était son oxygène à lui. Il me disait qu’il aurait aimé nous recevoir à la maison, nous inviter toute l’équipe ensemble mais sa femme ne voulait pas. Je sais que c’est quelque chose qui lui manquait parce que c’est quelqu’un qui aimait parler, avoir du monde avec lui ».

A partir du milieu des années 90, il avait commencé à avoir des problèmes de santé très sérieux, il avait du mal à se déplacer. Donc il a arrêté d’entrainer les féminines de Moussy-le-Neuf mais les filles venaient régulièrement le voir chez lui. Elles restaient en contact et ils se téléphonaient pour connaître le résultat des matches ».

UN PHILOSOPHE…

Marqué dans sa chair, Lefebvre expliquera en 1995 sa façon de voir la vie : « La maladie et la souffrance m’ont appris à savourer les moments de bonheur. J’ai compris également qu’il fallait donner aux autres sans espérer quelque chose en retour ».

Isabelle Rusin reste marquée par les discussions entretenues avec JC Lefebvre : « Quand je passais dans son bureau, je voyais une ou deux photos de lui du temps de sa carrière de joueur. Je disais « oh mais c’est vous ! », mais on sentait qu’il n’en parlait pas avec passion. Il m’en parlait un peu de sa période basket mais j’ai l’impression que ce n’était pas une période qui lui laissait un souvenir formidable. Moi, en tant qu’ado, je disais que ce devait être génial, fabuleux de vivre cela et lui me répondait « Faut pas croire que tout est génial. Tout cela est sans importance, il y a d’autres choses plus importantes dans la vie. Il ne faut pas chercher que le côté star, le basket pouvait apporter d’autres choses qui comptent dans la vie ». Du haut de mes 16-17 ans, il essayait de me faire comprendre que ce n’était pas l’essentiel et le plus important et qu’au contraire, pour lui, ça lui apportait bien plus de nous entrainer, d’être là avec nous. Cette convivialité qu’on avait entre nous toutes était peut-être pas plus mais au moins aussi importante pour lui que cette vie de star du basket.

Au-delà de sa grandeur, Jean-Claude était quelqu’un d’exceptionnel et quand on avait la chance de passer cette carapace, il était vraiment génial. C’était quelqu’un qui pouvait paraître pas très agréable mais quand on avait la chance de pouvoir le connaître un petit peu mieux, quand on avait pu dépasser cette carapace, on découvrait quelqu’un de très doux. Je sais qu’avec moi, à 18 ans je voulais arrêter les études et il me disait « non, non, non, Isabelle. Il ne faut pas que tu arrêtes », il m’avait donné de bons conseils avec beaucoup de diplomatie, en m’expliquant tous les enjeux qu’il pouvait y avoir derrière. Il me disait qu’il m’emmènerait lui-même à la Faculté. Vraiment, un très bon conseiller, avec beaucoup de gentillesse et de tendresse. Quand il me parlait de sa maladie, cela lui avait fait comprendre l’importance de voir d’autres aspects de la vie, à comprendre d’autres choses. Pour dire que c’est quelqu’un qui avait une certaine sagesse, quand même. Il réfléchissait vraiment sur tous les points de vue, c’était intéressant.

Autant il pouvait se mettre en colère et avoir un côté très primaire, pas réfléchi ; autant quand on abordait certains sujets, on sentait que c’était très réfléchi, avec une grande ouverture d’esprit. Par exemple, je me souviens avoir parlé du racisme avec lui. On pouvait vraiment parler des heures et des heures avec lui, il écoutait sincèrement (car j’étais quand même très jeune par rapport à lui). C’était très intéressant pour moi car il était capable de se mettre à ma portée dans l’échange, de m’expliquer son point de vue mais en sachant se mettre à mon niveau. Sa grandeur, sa différence, je pense que cela lui a permis de beaucoup réfléchir, de beaucoup se poser de questions. De prendre beaucoup de recul par rapport à son handicap. Il faisait ça tout seul, je ne pense pas qu’il parlait de cela avec sa femme ».Je crois que Jean-Claude est resté à Epiais parce que, vraiment, il ne savait rien faire d’autre, il n’avait pas d’autre choix. Après sa maladie, il s’est retrouvé, par la force des choses, dépendant. Il s’occupait de l’administratif et sa femme allait faire les livraisons, elle s’occupait de l’élevage, du triage avec un employé. Il vivait de l’élevage industriel des poules (ils vendaient aussi des poulets prêts à mettre au four, des pintades et des dindes selon les périodes). Je sais qu’il souffrait beaucoup de ne pas pouvoir s’habiller. Non pas qu’il était radin, même s’il ne roulait pas sur l’or mais s’habiller par exemple lui revenait très cher, ses baskets devaient être importées des USA.


Septembre 1965, fiançailles de JC Lefebvre et Françoise (DR).

Ils n’ont pas eu d’enfants, cela a manqué à Jean-Claude (il m’a parlé plusieurs fois du fait qu’ils n’ont pas pu avoir d’enfants car sa maladie l’en empêchait). La maladie de Hodgkin touchait l’hypophyse et il avait un traitement à vie pour tenter de le soigner et cela était incompatible avec la fertilité. Je pense qu’il est décédé, non pas directement de sa maladie, mais de tous les problèmes cardiaques qui y étaient liés, la mauvaise circulation du sang. Il étudiait beaucoup sur ces sujets-là, il m’expliquait que vu sa grandeur, son cœur, qui était comme une pompe, n’avait pas assez de puissance pour irriguer tout le corps.

PARFOIS IRASCIBLE

« Jean-Claude n’avait pas un très bon contact avec les gens du village, beaucoup avaient travaillé avec lui à la ferme et ils ne l’aimaient pas ! Il était assez rapidement colérique, son ton était assez sec. Même si après, il allait revenir et s’expliquer ou reconnaître qu’il avait eu tort. C’était surtout sa manière de dire les choses qui n’allait pas. Mais c’était quelqu’un de très juste. Il en faisait trop mais s’il vous engueulait, c’était trop mais c’était justifié ! »

JCL déclarait « Le basket, c’est pas un sport pour les petits, ils n’ont qu’à faire autre chose ! », Lefebvre avait du caractère. Il ne se laissait pas marcher sur les pieds et ne mâchait pas ses mots : « quand il a fait l’agrandissement de sa maison, ils se sont pris le bec plus d’une fois avec l’entrepreneur », nous raconte son copain Daniel Douy !

Madame Rusin poursuit : « On discutait beaucoup ensemble tous les deux, il avait une grande sagesse et un côté très pédagogue. Mais d’un autre côté, il s’emportait parfois dès qu’un petit truc le contrariait ! Moi, ça me choquait beaucoup qu’il soit comme ça, je ne comprenais pas pourquoi il se mettait en colère pour si peu alors on en discutait souvent tous les deux. Il en avait conscience mais ça n’empêchait qu’il recommençait quand même… c’est comme ça, c’était son caractère ».

Madame Lefebvre était très effacée, complètement soumise à sa famille et à son mari. Je pense malgré tout qu’ils s’aimaient beaucoup mais c’était une relation très particulière. Jusqu’à la fin, elle s’est toujours occupée de lui, elle avait beaucoup d’admiration pour Jean-Claude. Mais lui avait parfois des accès colériques avec sa femme, à lui crier dessus pour des broutilles. Alors, parfois je lui demandais pourquoi il était comme ça avec Mme Lefebvre ? Il me répondait « roooh, mais c’est parce qu’elle m’énerve », qu’il en avait assez du fait qu’elle ne réponde jamais, qu’elle s’écrase tout le temps. C’était devenu pour elle une habitude, cela lui passait au-dessus… Il était capable de lui dire n’importe quoi, juste pour la contredire. Elle disait « oui, Jean-Claude, c’est vrai tu as raison » et puis elle me regardait en haussant les sourcils du genre « on le laisse avoir raison, de toute façon »…


Le seul moment de paix intérieure de JCL : en rando sur son vélo. (DR)

« Une anecdote me revient pour dire à quel point il vivait mal sa grandeur : « il me racontait qu’un jour, un gamin marchant sur le trottoir d’en face le regardait tellement fixement qu’il s’est pris un poteau en plein figure. Eh bien, Jean-Claude me dit « j’étais content, c’était bien fait pour lui ! » avec tellement de hargne. J’ai essayé de lui expliquer que si on regarde quelqu’un aussi fixement, ce n’est pas forcément par méchanceté, c’est le fait de la différence, que cela attire… C’est quelqu’un qui souffrait, c’est sûr, quelqu’un qui n’était pas bien, qui souffrait de tout ce qu’il avait vécu depuis sa jeunesse, d’avoir cette grandeur. Ça, il m’en a parlé, c’est certain qu’il en souffrait. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais le fait qu’il le vivait mal, ça lui a ôté de la joie de vivre. Tout cela était toujours ramené à sa grandeur».

ABANDONNÉ

Selon Martine Lefebvre, quand Jean-Claude était tombé malade, le monde du basket l’a délaissé. « C’était bizarre. Au moment de sa tuberculose avant les JO de Rome, ils ne se sont pas vraiment occupé de lui, pas vraiment soutenu. Bon, il faut bien reconnaitre qu’il avait pas mal coupé les ponts également. A part Philippe Baillet, un de ses copains dans le basket, JC aimait beaucoup Max Dorigo, il avait été à son mariage. Il aimait aussi Robert Monclar et parlait également pas mal de Michel Rat, de Jean-Claude Vergne. Il n’a pas voulu retourner aux USA non plus, il n’avait plus envie. Il n’a pas gardé de contacts ensuite avec les joueurs de Gonzaga, il correspondait seulement avec le Père jésuite (Frère Dussaux), la femme de Jean-Claude aimait beaucoup ce Frère Dussaux donc cela a aidé ».

JCL décède le vendredi 13 août 1999 à Epiais. Il n’y eut que très peu de personnes du monde du basket à ses obsèques, se rappelle Martine Lefebvre. L’information était passé en matinée sur les ondes nationales de RTL. Françoise, l’épouse de Jean-Claude décédera en 2012, elle avait contracté la maladie d’Alzheimer. Daniel Douy et sa femme  accompagneront également cette ancienne maire du village jusqu’à son dernier souffle, 13 ans après le décès de Jean-Claude. Il se confie : « Quand une personne est malade, plus personne ne vient la voir après… moi, j’habitais juste en face de chez eux. Tout le monde se connaît ici, c’est un petit village de 100 habitants. Mais seulement, il y en a beaucoup qui lui ont fermé la porte une fois qu’elle a eu cette maladie… c’est écœurant (sourire jaune)».


Basket Hebdo 134 du 18 Août 1999. Bruno Loukan croque l’envol de JCL

Au moment de conclure, Isabelle Rusin rejoint l’avis recueilli auprès des deux joueurs internationaux Jean Degros et Michel Rat : « Si je devais vous donnez un avis par rapport à tout ce que Jean-Claude m’a raconté, je pense qu’il n’était pas très bien perçu par ses coéquipiers car je n’ai pas souvenirs qu’il ait gardé de bonnes relations avec des joueurs de son époque, ses copains. Je pense qu’il est très reconnaissant envers ce Mr Busnel car il avait su le sortir de ses complexes, il avait retourné ses handicaps car Jean-Claude vivait très mal son handicap. Mais effectivement, je ne suis pas sûre qu’il ait vraiment très bien vécu cette exposition, il est conscient que ça lui a apporté plein de choses, mais que c’était son « anormalité », son côté « bête de foire » (qu’il vivait mal) qui lui a permis d’accéder à tout ça. Donc je pense que pour lui, c’était un peu contradictoire. Content d’avoir vécu tout cela, mais conscient que ce n’était peut-être que par sa taille… ».

Au moment de clore cette Story Jean-Claude Lefebvre, on peut dire de lui que s’il a été un précurseur, découvrant le basket américain 40 ans avant le prochain drafté français ; il est aussi, dans son malheur, né dix ans trop tard. Au temps du jeu statique, il aurait été une arme absolue. Il aurait fait un malheur avec un passeur tel qu’André Buffière pour l’alimenter près du cercle, « à la Krouminch »… Malheureusement, il a dû se battre pour tenter d’exister dans un basket qui était déjà devenu bien trop rapide pour lui…

Comme le fait remarquer très justement l’auteur Thomas Berjoan dans son livre « American Dream » paru en 2016, « la réussite sportive n’est pas qu’une question de moyens ou de talent. Il faut aussi avoir l’état d’esprit, le mental. A la fin des années 50, ce fils d’agriculteur de région parisienne n’était pas prêt psychologiquement à sortir du rang ».

Quoique l’on pense de son apport, joueur hors normes à défaut d’être « énorme », Jean-Claude Lefebvre restera pour la postérité « à jamais le pionnier ».

Vincent JANSSEN. Pour Basket Rétro.

 

Sources : Miroir-Sprint, Miroir des Sport, Sport & Vie, L’Equipe, L’Equipe Magazine, Maxi Basket, revue fédérale, Gonzaga Bulletin, The Spokesman Review, The National School Newspaper,  Life, Sports Illustrated.

Remerciements : Martine Lefebvre, Isabelle Rusin, Michel Rat, Jean Degros, Daniel Douy, Xavier Colombani (L’Equipe), Pascal Legendre, Laurent Rullier, Frank Cambus, Daniel Champsaur, Patrick Parizot (Basket Rétro).

About Vincent Janssen (6 Articles)
Passionné de l'histoire du basket, du basket-ball, du basketball et même du baskett. Passion inavouable : les arbitres.

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