De 1991 à 1993 : Challes-les-Eaux, quel tube !
France
Musicalement, les années 90 sont marquées par une émission aujourd’hui rentrée dans l’histoire, le TOP 50. Et, Challes-Les-Eaux, c’est l’histoire d’un tube du basket féminin français. Basket Retro vous propose aussi dans le cadre du centenaire du Championnat de France de revenir sur cette belle histoire. Récit.
Tout doucement, les bras levés sur la plus haute marche du podium, Yelena Kudashova ou Elena Koudashova en français pleure. Née un 10 juillet 1965 dans la plus grande ville de la Russie asiatique après Vladisvostok (Khabarovsk), ce pivot d’ 1m95 est en effet alors à son apogée sportive. Après avoir triomphé de l’ogre américain en demi-finale, la voilà à présent Championne Olympique avec son équipe de la Russie unifiée suite au succès face aux Chinoises. 1992 est une saison assez exceptionnelle pour Koudashova, puisqu’elle a également remporté avec son club le titre de Championne de France. Parce que oui, Elena joue en France. Mais contrairement à ce que vous pourriez croire, sauf pour les connaisseurs évidemment, son club n’est pas des plus connus. Ce club, il faut bien l’avouer constitue même une étrangeté dans notre palmarès national du sport collectif de haut niveau. Ici, pas question en effet d’évoquer Paris, Valenciennes, Bourges ou Clermont-Ferrand parce qu’ Elena joue pour les couleurs d’une bourgade de Savoie d’à peine plus de 2500 habitants. Une étoile des neige qui se trouve géographiquement à l’opposé du village breton d’Astérix, une station thermale située à quelques kilomètres de Chambéry, je vous parle d’une commune nommée Challes-les-Eaux ! Rapidement, pour poser Challes au travers de l’histoire, précisons que cette municipalité voit sa destiné bouleversée quand, en 1841, un certain Docteur Domenget découvre une source thermale avec des propriétés thérapeutiques. Ce médecin militaire de la famille royale de Savoie sera pendant des années, le défenseur enthousiaste de l’eau de Challes qui se voit baptisée « reine du soufre », du fait de sa teneur très élevée en soufre. Au début du 20ème siècle, une clientèle cossue vient prendre les eaux et se distraire. On peut ainsi rencontrer, Louis Jouvet, André Gide ou encore Michèle Morgan. C’est dans ce contexte qu’un maire de la ville décédé en 2015, Roger Dumollard, fonde le club de basket, en 1954. Masculin à ses débuts, l’association crée une section féminine en 1965. L’équipe fanion féminine atteint en 10 ans la Nationale 2 et en 20 l’élite du basket féminin national. En 1988, Challes remporte même face à Roquebrune ni plus ni moins que la Coupe de France.
BATTUES 10 MINUTES !
A l’aube de la saison 1990 – 91, et poursuivant une constante progression, les Savoyardes font même figure d’épouvantail au sein de l’élite du basket français. Avec 31 ans de moyenne, Challes possède alors le cinq majeur le plus âgé de l’élite. Coaché par Vladislav Lucic, Frederique Venturi, Corinne Benintendi, Laurence Marandin, Olessia Barel, Olga Soukharnova ou Ludmilla Janowska-Clanet semblent inarrêtables. Les principales adversaires des vertes et blanches se nomment Aix menées par Odile Santaniello, le Racing de Yannick Souvré et Mirande où Alain Jardel entraine notamment Valérie Garnier et Laetitia Moussard, triple Championnes sortantes. Durant la saison régulière, Challes ne s’est incliné qu’à une reprise, face au Bordeaux de l’illustre Paoline Ekambi mais sans Soukharnova, ni Clanet ! Après avoir remporté le premier tournoi de la Fédération de l’histoire du basket féminin devant Aix, Challes débute les playoffs face à Lyon qui est avalé en deux temps trois mouvements (94-77 puis 92-72). En demi-finale, face au Racing, les victoires sont plus difficiles à aller chercher car les intérieures franciliennes (Berkova, Soussi et Vivenot) gênent défensivement le duo Clanet – Soukharnova. Toutefois, Challes franchit l’obstacle grâce à deux victoires 71-64 et 59 – 57. Pour faire face au soufre, on retrouve alors Mirande. Située entre Pau et Toulouse dans le Gers, cette cité rassemble 3500 âmes en 1991. C’est donc une finale toute atypique qui débute. A la Poudrière, l’ailière Nathalie Etienne-Bergeaud – Championne de France sans discontinuer depuis 1983 – voit les siennes s’imposer 80 à 77 dans le premier match de cette finale au meilleure des trois rencontres. Mirande profite des sorties prématurées de Venturi (10 rebonds / match !) et de Clanet pour porter l’estocade à Challes lors d’un final haletant où l’expérimentée Soukharnova manquera des lancers cruciaux. Pour le match 2, la bombonera savoyarde affiche sold-out avec 800 spectateurs. Un 14-0 leur permet de vite mener 30 à 12. A 62 – 38, Venturi prend sa 4ème faute, encore. Et Challes prend l’eau… A 5 minutes de la fin, Soukharnova et Venturi se sont noyées pour 5 fautes. Mirande égalise à 72 partout. L’horloge indique alors 5 secondes à jouer. L’ambiance est insoutenable, la balle est pour Mirande dans une atmosphère assourdissante. Alors que la foule hurle de tout son saoul, le shoot de Martine Campi trouve l’arceau. Bergeaud, la plus prompte au rebond envoie la gonfle au buzzer (ou pas) dans le panier. Anibal Castano accorde le panier, un temps, avant de l’annuler 10 minutes plus tard après de vives discussions avec la table de marque. Le second arbitre Astrid Schneider- pionnière de l’arbitrage féminin à haut niveau – n’a pas vu, ni entendu, concentrée sur les prises de position à l’intérieur et non sur le chrono. A la table, deux délégués déclarent ne pas savoir si le panier est valable. La préposée au chronomètre, elle, affirme timidement que le shoot est intervenu après la sonnerie et sa version envoie les joueuses en prolongation. Là, c’est une enfant du pays, Danielle Falcoz, qui écrit l’histoire en inscrivant 8 points lors du temps supplémentaire. Ce sont ces paniers qui permettent à Challes de s’imposer 86 à 85. La belle n’est qu’une formalité (110 à 77) et le club du mécène immobilier Robert Didier, un homme heureux, devient Champion de France de Basket. Dans Maxi Basket, Patrick Chaillou peut alors titrer Challes Heureux !

Venturi au rebond. Source Maxi Basket
MANGEURS DE SANDWICHES ET LECTEURS DE PROGRAMME…
Malgré la sécheresse et les orages, la France danse sur Saga Africa en cet été 1991. Claire Chazal présente son premier JT et le groupe Scorpions squatte le haut du Top 50 avec un tube qui pourrait faire office de seconde peau à notre club de Challes : Wind of Change. Parce qu’en effet, il y a du changement dans l’effectif des toutes nouvelles Championnes de France. Carole Force et Isabelle Fijalkowski, très convoitées, arrivent de Montferrand. Fija est ce qui se fait de mieux en France pour beaucoup. Elle choisit notamment Challes pour sa proximité avec Grenoble où elle poursuite ses études. En outre, pour palier l’arrêt de Barel et de Clanet , une nouvelle intérieure Russe achetée 100.000 euros à son club du Dynamo Volgograd (ex Stalingrad) débarque en Savoie. Elle est internationale depuis 1986 et peut s’écarter au besoin même si elle joue pivot. Elle a 26 ans, mesure 1.95, est Championne d’Europe en titre avec son pays. Son nom ? Elena Koudashova. Le trio Fijalkowski – Koudashova – Soukharnova qui culmine à 1m94 de moyenne est la force de l’équipe. La faiblesse réside plutôt dans la profondeur de banc de la formation savoyarde. Challes ne jouera en effet qu’avec 7-8 joueuses pendant une saison qui s’annonce gargantuesque en rencontres avec la Coupe d’Europe. L’objectif (raté) est d’atteindre le Final Four qui se tiendra fin mars à Bari. En France, en saison régulière, les protégées de Lucic survolent les débats comme en témoigne la victoire 94 à 58 face au Racing de Pao Ekambi, Souvré et de la Hongroise Judith Balogh. Les Parisiennes sont alors secondes au classement, autant vous dire qu’il y a un gouffre entre Challes et les autres. Si Odile Santaniello est sacrée MVP française de la saison, Venturi termine sixième aux votes, Fijalkowski cinquième, Force troisième et Benintendi seconde. Autant vous dire que les vertes sont partout en cette saison régulière. Toutefois, ces playoffs 1992 seront passionnants ! Challes se défait rapidement de Strasbourg en quart de finale (81-67 puis 99 – 88) mais il en ira tout autrement contre VA-Orchies en demi. Il faut dire que les nordistes sont la bête noire de Challes (1 victoire en saison régulière et une victoire lors du tournoi des As). C’est en défense que Challes va construire deux difficiles succès, passeports pour la finale .

Source Maxi Basket

Source Maxi Basket
Et c’est une finale comme personne n’en voudra plus jamais qui va avoir lieu. Je ne parle pas des débats mais de l’organisation. Le match 1, se déroule en effet en lever de rideau du match masculin qui oppose le Racing Paris à Lyon à Coubertin. D’abord vide ou quasiment vide au tip in, la salle Coubertin se remplit à mesure que les mangeurs de sandwiches et les liseurs de programme pénètrent dans l’antre francilienne ! Résultat d’une rencontre ni à organiser, ni à réorganiser, un match moche avec 54 pertes de balles (27 de chaque côté) …. Force termine la rencontre avec 0 points et 6 balles perdues, Benintendi perd 9 ballons. Seule Fija surnage avec 20 points côté Challes mais le Racing s’impose grâce notamment à Souvré et aux 33 points de Balogh. Ekambi et Soussi côté Racing, Koudashova et Soukharnova côté Challes semblent avoir lacés leur chaussures à l’envers. A qui la faute ? Pour le match 2, les formations se retrouvent dans les alpages. Les planètes semblent alors vouloir s’aligner pour Paris. Stéphanie Vivenot rejoint ainsi le Racing suite à la défaite de sa fac NCAA de Toledo. Kouda qui s’est blessée à la cheville est elle forfait, la faute à une vilaine entorse à la cheville. Nous sommes le 5 avril et Elena pleure de douleur d’être infiltrée à son articulation meurtrie, déclare Jean-Claude Clanet dans Maxi Basket ! Le titre de Queen : « The show must go on » envahit les ondes des radios françaises alors que la guerre éclate en Bosnie Herzégovine. Challes, de son côté, vacille. Lucic mise alors sur 5 joueuses (Venturi, Fijalkowski, Soukharnova, Bénintendi et Force) qui jouent les 200 minutes de cette rencontre couperet et Challes l’emporte 80 à 68. Le titre se jouera avec Koudashova de retour dans le match 3. Une rencontre à la vie à la mort, win or go home… Ce troisième match de la Finale se joue 17h30 après le match 2 ! Soyons plus précis 16h30 après le changement d’heure…A la mi-temps, le Racing mène de 3 points (38 – 41). La défense de zone des savoyardes et l’adresse dans le money time de l’inusable Soukharnova font la différence. La petite histoire ne dit pas si Pierre Lemarchal, responsable du centre de formation du club et papa chanteur de Gregory Lemarchal brandit la coupe ce soir là à la salle polyvalente. En tous cas, les Force et Khudashova (15 points), Venturi 14, Sukharnova 13, Lehideux 4, Benintendi 2, Fijalkowski 2 et D. Falcoz peuvent hurler victoire. Nous sommes le 6 avril, et alors que le Dauphiné titre Happy end, Euro Disney pourra ouvrir ses portes le week-end suivant. Challes, lui, a doublé !
AMUSANT, NON ?
C’est déjanté, c’est déglingué, c’est tout ce que vous voudrez mais en cet automne 1992, Challes voit arriver en Nationale 1 les formations des minuscules communes de Lunac et Jallais. Lunac, village de 320 âmes et Jallais de Valérie Garnier (mais qui joue pour Aix) et Eric Girard disent que le basket français paye une inflation démesurée par rapport aux moyens (PTT Lyon, Racing, Montferrand et plus tôt le Stade Français). Elsa pourra chanter tant qu’elle voudra « T’en va pas », Challes laisse filer Force à VA et Fija à Clermont. Rose-Marie Scheffler, Florence Neveu (NCAA) et une nouvelle pépite de la fratrie Falcoz (Sabine) rejoignent quant à elles les Alpes. Lucic laisse sa place sur le banc à l’adjoint des toutes nouvelles Championnes Olympiques Russes : Vadim Kapranov. Et même si avant coup, Nielsen et IPSOS donnent VA et Aix comme favorites mais le président Clanet (l’avenir lui donnera raison) y croit dur comme soufre et déclare à la presse :
On sera aussi bon voire meilleur que l’an passé. Et avec un million de budget en moins ! Alors le titre, j’y crois…
« Dur dur d’être bébé » chante alors Jordy ! Un refrain qu’a du entendre le nouveau né Evan Fournier, alors que de l’autre côté de l’Atlantique, Clinton devient le 42ème président des Etats-Unis. Fredérique Venturi, elle, dans sa 13ème saison en vert et blanc, réalise un début de saison canon comme en attestent ses cartons contre Tarbes (23 points, 15 rebonds et 7 interceptions) ou bien contre Jallais (30 points, 6 rebonds et 9 interceptions). Après 10 journées (8 victoires – 2 défaites). Elle est la meilleure intercepteur de ce national en plus d’être la joueuse française la plus complète de l’élite et ce à 32 ans ! Benintendi est elle considérée comme une des meilleures meneuse d’Europe tant et si bien que Challes accède au Final Four européen. C’est une première dans l’histoire du basket hexagonal ! L’histoire s’écrit toujours à Challes qui termine la saison régulière en tête du Championnat, encore. Elena Koudashova termine meilleure marqueuse de la saison régulière avec 23 points de moyenne. Cela plane pour Challes qui remporte le tournoi de la fédération en corrigeant VA (61-48). Il y a toujours des anecdotes à raconter en ce qui concerne le basket féminin de haut niveau de cette époque dont je ne sais s’il faut en rire ou en pleurer. Le tournoi, organisé à Grenoble, voit un des deux panneaux de la salle Hoche sembler « branlant » le samedi. Le dimanche, un ruban adhésif vint renforcer l’attache du cercle à son vérin. Les stats des quatre équipes qui shootent sur ce panneau ce samedi là sont : 8/32 pour Mirande, 13/31 pour Challes, 7/32 pour VA et 11/34 pour Aix. Amusant,non ? …. Quoi qu’il en soit, la formation du président Didier n’a peut être jamais été aussi forte qu’en ce printemps 1993. Capitaine non-abandonnée, Venturi peut déclarer à la presse :
Nous savons que notre principal adversaire c’est nous même. Et cet adversaire là, il faut le battre à chaque fois. Avec Lucic, nous avons appris la discipline, la rigueur, la solidarité. Ce que nous faisons cette année, nous le devons à Kapranov. Il nous a bien préparées et données envie de jouer et de gagner.

Koudashova balle en main. Source : Maxi Basket
Et là, tout s’accélère. Pour l’entrée en playoffs, le promu Rouen est renversé en deux rencontres (64-58 et 80-64). En demi, pour l’acte 1, Clermont ne résiste pas à l’armée verte de Soukharnova et compagnie (72-59). Le 24 mars, et alors que Jordy (toujours lui !) pousse la chansonnette en numéro 1 avec « Alisson, c’est ma copine à moi », Challes perd contre Valence en demi-finale du Final four européen. Le 25, Koudashova-and-co décrochent le bronze en battant Ruzemberok. Le 27 (merci la fédération pour cette belle organistion)a, Challes renverse Clermont dans le match 2 de la demi finale (80-75). Tarbes marche sur une équipe à bout de souffle dans le match 1 de la finale (66-58). Chez les violettes, le coach-trésorier est un bénévole sorti de maths-spé ! Son nom ? Jean-Pierre Siutat, actuel président de la FFBB qu’il dirige depuis 2010. A Challes, Venturi a le genou en compote, Soukharnova (38 ans) le mollet en feu, la mobylette Benintendi n’a plus de mélange dans le réservoir tant et si bien que Challes s’en remet à Lehideux, Scheffler, Neveu, Falcoz et à sa pépite russe Koudashova pour arracher une belle (64-60). La belle est joué après 24 heures de repos, c’est un progrès… et Challes s’impose dans une ambiance de folie. Le public pris la belle initiative à la sirène, d’ envahir le parquet de la salle polyvalente et d’hurler sa joie. Peter Kingsbery pouvait lui chanter « Only the very best ». Quant aux larmes, ce soir là, ce n’était plus à Elena Koudashova de les verser mais au mécène Robert Didier et au président Clanet, tout deux sur le départ. Maxi Basket pouvait titrer « Challes..la..la..la », Challes avait triplé. Ainsi s’achevait la belle aventure d’un tube qui trôna tout en haut des charts du basket féminin français au début des années 90. Salut, les p’tits clous !
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