[Portrait] Au pays de Camby
Portrait
Être élu meilleur défenseur de l’année et ne pas avoir été All-Star : dans l’histoire de la NBA, seuls Michael Cooper et Marcus Camby ont réussi cet ‘‘exploit’’. Seulement, le sixième homme légendaire des Lakers possède également cinq bagues de champion sur son CV. L’ami Marcus ? Rien. Allez, une nomination dans la All-Rookie Team et quatre présences dans les All-NBA Defensive Team (deux fois dans la first, deux fois dans la second). Malgré ce palmarès très léger, Camby est un nom qui parle à toute une génération.
Marcus Dion Camby est né le 22 mars 1974 à Hartford dans le Connecticut. Un État qui le voit grandir, lui et son basket. Il faut dire que sa mère a pour idole un certain Julius Erving, autant dire qu’il a été biberonné au lait goût ballon orange. Très vite, il devient la star de l’État au lycée, et part pour l’université du Massachusetts (UMass). Le jeune pivot ne tarde pas à se faire remarquer sous le maillot des Minutemen. Première saison, il est élu freshman of the year de l’Atlantic 10 grâce à ses 10,2 points, 6,4 rebonds et surtout 3,6 contres par match. Le tout en vingt grosses minutes, ce qui étonne certains journalistes. John Calipari, son coach, s’explique sur la gestion du gamin : « Si Marcus faisait partie d’une autre équipe et qu’il devrait scorer, il pourrait en mettre 20 par match. Là, il joue 20 minutes, et pendant ces minutes-là, il peut marquer, prendre des rebonds et contrer plus de tirs que n’importe qui dans le basket universitaire. Et il n’est pas égoïste. Même s’il ne commence pas les matchs, il ne dit rien. »
UMASSTERCLASS
La March Madness arrive et UMass a de grosses ambitions dans la Midwest… mais les Minutemen tombent au deuxième tour face au Maryland d’un certain Joe Smith, à cause d’une seconde période difficile. Camby n’y est pour rien dans cette défaite. Avec 32 points (13 sur 20 aux tirs) et 10 rebonds, il a tout simplement effectué son meilleur match en carrière, en sortie de banc et en vain. Dans l’après-match, Calipari martèle sa déception mais valorise son crack : « Camby a été incroyable. Il n’avait jamais joué 30 minutes dans un match pour nous. Il est évident qu’il est l’un des meilleurs freshman du pays. »

Photo by Andrew Innerarity/AP/Shutte
La saison suivante lui donne raison, avec un Marcus qui augmente sa moyenne de presque 4 points (13,9)… sans jouer beaucoup plus (22,6 minutes). Calipari mise sur son joyau, dans un bon collectif où l’on trouve également le très bon Lou Roe. Tout se passe bien dans le tournoi jusqu’à la finale régionale : UMass se fait exploser en seconde mi-temps par Oklahoma State (41-22) et prend la porte (68-54). Camby a raté son rendez-vous (6 points à 2 sur 10, 4 rebonds, 4 contres et surtout 5 fautes) alors que personne n’a su arrêter Bryant Reeves (24 points – 10 rebonds). Nouvelle déception, qui a pour effet d’énerver le numéro 21 alors que sa saison NCAA 1995-96 est une référence : 20,5 points, 8,2 rebonds, 3,9 contres, 1,8 passes décisives et 1 interceptions. Et comme UMass termine avec 31 victoires et une seule défaite, ajoutez le titre de joueur universitaire de l’année. Les hommes de Calipari ne visent rien d’autre que le titre, et ils s’y attèlent avec talent : Central Florida, Stanford et Arkansas sont envoyés en vacances. Lors de la finale régionale, le Georgetown d’Allen Iverson est corrigé (86-62). Le match a tourné en seconde mi-temps. Camby a gagné son duel (22 points, 7 rebonds, 3 contres) à distance face à Ivy (23 points à 6 sur 21 aux tirs) et permet à son université de disputer le premier Final Four de son histoire. Et le défi s’annonce grand, très grand.
Le demi-finaliste a pour nom Kentucky, avec son armada de futurs noms de la NBA (Antoine Walker, Tony Delk, Derek Anderson, Walter McCarty, Ron Mercer). Après 40 minutes, les Wildcats de Rick Pitino décrochent le billet pour la finale. Malgré un excellent match sur le plan statistique (25 points, 8 rebonds, 6 contres, 3 passes), Camby s’en veut : « Je devais probablement être plus agressif sur les prises à deux. Ils m’ont forcé à prendre des tirs que je ne voulais pas prendre. » En effet, sa première mi-temps fut trop timide et les Minutemen ont couru après le score. Au mental, ils se sont rapprochés plusieurs fois, mais sans parvenir à passer devant. Kentucky a mieux géré la pression pour mettre fin aux rêves de Camby. Dorénavant, l’avenir du pivot est le sujet de discussion. Doit-il rempiler pour une quatrième année ou se présenter à la draft ? Après mûre réflexion, il opte pour la seconde solution : « Cette décision a été très difficile à prendre, mais je me sens prêt à poursuivre mon rêve de toujours, jouer en NBA. » Il arrête donc sa carrière universitaire sur un record, 43 contres en tournoi NCAA.
CANADAMN
Forcément, son profil de grand contreur va intéresser du monde. Les Raptors de Toronto surtout : la franchise canadienne sort d’une saison marquée par le titre de rookie de l’année de Damon Stoudamire. Quoi de mieux qu’un pivot prometteur pour accompagner un meneur annoncé comme un All-Star en devenir ? Rien, et Camby est donc sélectionné en seconde position de la fameuse cuvée 1996. Mais son début de carrière est mitigé. Il s’offre de jolies marques au scoring, mais en cumulant fautes personnelles et défaites collectives. Derrière, on enchaîne avec les DNP (Did Not Play). En janvier 1997, il se remet enfin à l’endroit. Le 1er février, il effectue 9 contres face aux Suns. Une performance qui symbolise sa montée en puissance et qui se confirme au mois de mars : 21,1 points (à 49,6% de réussite aux tirs), 9,1 rebonds, 2,5 contres et 1,8 passes pour obtenir le titre de rookie du mois. Mieux encore, Toronto atteint la barrière des 30 victoires et on se dit que l’avenir est prometteur au Canada… sauf que la saison 1997-98 sera un cauchemar grandeur nature. Après 20 matchs, les dinosaures présentent un bilan de 1V-19D. Camby est starter mais fait trop dans l’irrégularité et le DNP (encore). Le coach Darrell Walker perd logiquement sa place en février 1998, pour être remplacé par Butch Carter qui ne fait guère mieux (5V-28D). Au final, ça donne 16 petites victoires pour les Canadiens et un gros coup au moral. Camby se console avec le titre de meilleur contreur de la ligue (3,7 par soir), et une double-performance très notable en toute fin de saison : en l’espace de cinq jours, il combine deux triple-doubles aux contres (15 points, 12 rebonds, 11 contres face aux Nets et 13 points, 10 rebonds, 10 contres contre les Sixers)… sachant qu’il sortait d’un 11 points, 11 rebonds et 8 contres face aux Nets. Reste qu’il ne répond pas aux attentes. Trop souvent blessé, trop frêle face aux pivots adverses alors que les Raptors ont besoin de dureté. Le lendemain de la draft 1998, et après avoir acquis Vince Carter, la direction de Toronto tourne donc la page Camby en le transférant aux Knicks contre Charles Oakley, Sean Marks et du cash.
MC21, LE KNICKERBEAUCOEUR
À Big Apple, Camby est remplaçant attitré. Même lorsque Patrick Ewing est absent, coach Jeff Van Gundy opte pour Chris Dudley dans son cinq de départ. Pas pour une question de talent, mais parce que Marcus a son rôle dans la second unit. À moins de dix matchs de la fin, les Knicks sont à la bagarre pour le dernier spot en playoffs et peuvent compter sur lui pour gratter le billet. Cette saison du lockout est spéciale et logiquement, la postseason le sera tout autant. Au premier tour, New York élimine Miami à la surprise générale. Deuxième tour, les Hawks d’Atlanta se présentent et Camby se montre sous son meilleur visage lors du Game 2 (11 points, 13 rebonds, 2 contres) avec notamment un poster dunk mémorable sur Dikembe Mutombo.
Il fait encore mieux au Game 3 (15 points, 6 rebonds, 3 contres) et voilà les Knicks en finale de conférence. C’est officiel : avec cette escouade d’underdogs, Van Gundy a trouvé la bonne formule. Camby est parfait en sortie de banc et la série contre Indiana s’avère être celle de la révélation définitive : 13 rebonds / 3 contres / 3 interceptions (Game 2), 21 points / 11 rebonds / 4 interceptions / 2 contres (Game 3) et 18 points / 14 rebonds / 4 interceptions / 2 contres (Game 4). Seulement, à chaque rencontre, un évènement fait passer ses performances au second plan : le tir raté d’Ewing au buzzer, le fameux trois points de LJ et le succès des Pacers empêchent Camby de recevoir les louanges. Pas de souci, le Game 5 arrive : 2-2 dans la série, match on the road; voilà un script parfait pour faire parler de soi.

Photo by New York Magazine
Au buzzer, la ligne statistique de Marcus est fabulous : 21 points, 13 rebonds et 6 contres, avec un +/- de +20 ! Un chiffre déroutant, qui symbolise parfaitement l’impact de Camby dans cette équipe. L’energizer est précieux des deux côtés du terrain, en défense avec sa block mentality et utile en attaque par sa taille. Van Gundy l’adore, et les fans new-yorkais aussi. Cette hype se vérifie en finale NBA : malgré la défaite face aux Spurs, Camby a fait son boulot. Mieux, Van Gundy l’a propulsé dans le cinq de départ à partir du Game 4. Certes, face au tandem Tim Duncan – David Robinson, tout fut plus compliqué mais il est désormais indéniable que Camby est le successeur de Patrick Ewing.
C’est écrit. Il va juste falloir patienter un peu. Sauf que tout ne va pas se passer comme prévu, avec une fois de plus les blessures et une certaine irrégularité qui s’installe. Marcus est capable de se montrer dominant sous les panneaux le lundi avant de prendre 3 rebonds et d’enquiller les fautes sur commande le mardi. Avec le départ d’Ewing à l’été 2000, il devient titulaire et effectue sa première saison en double-double (12 points et 11,5 rebonds par soir). Mais de cette épisode 2000-01, on retient surtout son tiltage (raté) sur Danny Ferry.
Un coup de sang resté dans toutes les mémoires, et qui lui coûte cinq matchs de suspension et une perte d’environ 345 000$. La réaction de Van Gundy est savoureuse : « Hey, il a pris 5 matchs pour ne pas avoir frappé un gars. Personne n’a jamais eu 5 matchs pour ce genre de chose. » L’autre moment marquant de sa saison se situe en playoffs. Après le Game 1 face à Toronto (18 rebonds et 4 contres pour lui, histoire de compenser un vilain 3 sur 13 aux tirs), Camby vit un drame personnel : sa mère et ses deux sœurs sont prises en otage à leur domicile, avant que la situation ne s’arrange (l’une des sœurs termine à l’hôpital). L’évènement marque logiquement le pivot, qui n’est plus qu’un fantôme. Après avoir manqué le Game 3, il ne produit rien au Game 4 et voilà les Knicks embarqués dans un Win Or Go Home au Madison Square Garden. Ce Game 5 vire au cauchemar, avec un Marcus qui se retrouve fouled out à six minutes de la fin et laisse les siens pour un money-time qui s’avère fatal aux Knicks. Le genre de couac qui secoue un homme.
Ni une ni deux, Camby décide de pousser la fonte pour se faire respecter : « Autrefois, on me surnommait le cure-dent, mais désormais, il va falloir changer de ton. Cette année, j’ai pris du poids, du muscle. » Tu l’as dit Camby : de 102 kilos, il passe à 110 et nourrit de grandes ambitions. Durant l’été, Jeff Van Gundy lui rend visite pour constater le changement et se réjouit de la
transformation. Les deux hommes sont liés. Et comme par un curieux hasard, la fin de Van Gundy aux Knicks arrive au moment de la chute de Marcus. Nous sommes en décembre 2001, et Van Gundy démissionne après dix-neuf matchs. Il déclare ne plus se sentir aussi concentré qu’auparavant, incapable de donner le meilleur de lui-même. Pour lui rendre hommage, Camby réalise un gros match (18 points et 22 rebonds) face aux Pacers. Mais les problèmes de santé le rattrapent et il est out pour la saison en février. Pour lui, la raison est la prise de muscle trop importante durant l’intersaison. La vérité est ailleurs : Marcus Camby est un vrai injury prone player.
NUGGETS PAR BOÎTE DE DIX
Pour autant, ce profil n’effraye pas les Nuggets qui acceptent un trade en juin 2002. Après la première saison et vingt-neuf petits matchs joués, on se dit que tout était écrit d’avance et que son surnom, Marcus Can’t Be, est un des mieux trouvés de la décennie. Mais non, l’ancien de UMass en a encore dans le coffre et devient un élément majeur à Denver. Bien sûr, les blessures et autres pépins physiques l’empêchent de jouer tous les matchs. On est proche de la soixantaine, avec quelques pics (72 en 2003-04 et 79 en 2007-08). On est surtout face à un garçon qui enchaîne les saisons en double-double, tout en étant le roi du contre !!! Quatre saisons à minimum 3 contres par soir (dont 3,8 en 2007-08). Souvent cité parmi les meilleurs défenseurs de la ligue, Camby s’éclate dans les Rocheuses et obtient logiquement le titre suprême en 2006-07.

Photo by NBAE
L’année suivante, il bat de nombreux records personnels : plus de matchs joués (79), meilleure moyenne au rebond (13,1) et à la passe (3,3). Pour ne rien gâcher, il effectue quelques-uns de ses meilleurs matchs en carrière avec du chiffre en veux-tu en voilà. Le lendemain de Noël 2007, il noircit la feuille avec un triple-double (10-11-10) auquel il ajoute 5 caviars. Le 17 janvier, va pour un combo 20 points, 23 rebonds, 6 contres et 6 passes ! Trois jours plus tard, il participe à un des matchs les plus WTF de la saison : 8 points, 24 rebonds et 11 contres pour lui, pendant que Linas Kleiza en colle 41 alors qu’Iverson est adroit (9 sur 19) ?! Plus de doute, lui et les Nuggets ont trouvé leur cadence, et atteignent la barre des 50 victoires pour la première fois depuis 20 ans. Mais comme toujours, Denver est en vacances dès la fin du premier tour. Bien que Marcus ne soit pas le premier coupable et qu’il n’y a rien à redire sur sa présence aux rebonds, il n’a pas su apporter ce petit surplus offensif qui aurait bien soulagé les pépites.
TRISTE FIN
Pointé du doigt, il est transféré vers les Clippers en juin 2008, ce qui lui permet de manifester son mécontentement : « Je pensais avoir fait tout ce que je pouvais, et en essayant de le faire de la bonne façon » avant de souligner le manque de classe de la direction des Nuggets et en précisant qu’il a hâte de se lancer dans cette nouvelle aventure. Ça sera au poste d’ailier-fort, pour former une doublette avec Chris Kaman. Mais ce dernier se blesse, Zach Randolph débarque et retour à la case pivot. Le 17 décembre, il capte 27 prises pour un nouveau record en carrière. Pas mal à bientôt 35 ans. Les Clippers sont dans la galère, mais Camby finit l’exercice en double-double (10,1 points, 11,1 rebonds) avec des contres (2,1) et des matchs ratés (20), le tout en étant le mentor de DeAndre Jordan. La suite ? À peu près le même cocktail, moins relevé et toujours avec la même recette. De fait, à Portland puis à Houston, il rend de précieux services et amène son expérience… quand il est sur la feuille de match. Il termine sa carrière à 38 ans, sous le maillot des Knicks dans l’indifférence générale. Pour le clin d’œil, il foule le parquet pour la dernière fois contre les Pacers au Madison Square Garden. Clap de fin.
Ne pas oublier non plus les faits divers, là aussi nombreux et qui ont fait partie de sa carrière. De fait, en 1997, il est à l’origine du retrait de la participation de UMass au Final Four après avoir reconnu qu’il avait reçu de l’argent (et d’autres cadeaux) de la part de deux agents alors que cela était formellement interdit. Avril 2001, il est touché directement : sa mère et ses deux sœurs sont prises en otage à leur domicile, avant que la situation s’arrange. En 2011, il est arrêté en possession de marijuana au volant de sa Porsche. Beaucoup plus dramatique : en 2017, il est poursuivi en justice pour négligence suite à la mort de son neveu (mort noyé dans l’étang de sa propriété). Triste.
Au moment d’évoquer le bilan de sa carrière de basketteur, une certaine frustration apparaît. Par son gabarit, avec ses longs bras et son sens du contre, Marcus Camby avait tout pour plaire et se faire une place dans le gratin de la NBA. Il y est parvenu, mais pas autant qu’on l’aurait espéré. La faute à de trop nombreuses blessures, aussi récurrentes que différentes. Offensivement, son plafond était réel mais sa dimension physique et son attitude jouaient en sa faveur… même si parfois, il était incontrôlable. N’empêche qu’il a fait vibrer le public du Madison Square Garden et que les fans new-yorkais l’ont toujours dans le cœur près de vingt ans après. Et cela vaut bien plus que certaines lignes sur un CV.
Ecrit par Julien Mùller
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