La World Basketball League (1988-1992) : ce n’est pas la taille qui compte !
International
L’organisation sportive des Etats-Unis a toujours laissé une grande part d’initiatives aux promoteurs sportifs. Ceux-ci ont tenté de se faire une part au soleil malgré l’ombre plutôt envahissante de la NBA et ont rivalisé d’inventivité pour se démarquer de la Grande Ligue. Et en matière d’inventivité, l’éphémère World Basketball League, une ligue mineure d’été, ne fut pas en reste, avec une limite de taille maximale pour les joueurs. « Grandeur » et décadence d’une Ligue pas comme les autres.
« Certains puristes ont voulu surélever les paniers. Ces gars ont rétréci les joueurs. »
La description ironique du journaliste Jim Murray dans les colonnes du Los Angeles Times en 1989 démontre bien l’absurdité de la WBL. Fondée en 1988, la World Basketball League propose une règle simple : Aucun joueur ne doit dépasser 6 pieds et 5 pouces, soit 1,98m.

Parmi les autres règles proposées par la WBL, les matchs se jouent en quatre périodes de 10 minutes, l’horloge de tirs est réglée sur 30 secondes de possession par attaque, la ligne des 3 points est comme en FIBA à 6,25m et la défense de zone est autorisée. Enfin, pour ne pas être soumis à la rude concurrence de la NBA, mais aussi de la Continental Basketball Association (CBA), la WBL se positionne en Ligue d’été, de mai à août.
Son fondateur, Mickey Monus, est également le propriétaire de l’équipe des Youngstown Pride, en Ohio. Ce dernier est également patron de Phar-Mor, une enseigne de produits pharmaceutiques à prix discount basée dans la même ville. Pour inciter des investisseurs à se porter propriétaires de franchises, Monus propose un modèle économique un peu particulier : la WBL supporte le coût d’une franchise à hauteur de 60%, charge aux investisseurs d’apporter les 40% restants pour faire fonctionner l’équipe, pour un ticket moyen de 750 000 USD au total.
Afin de donner la dimension internationale vantée dans le nom de la Ligue, Monus intègre dès la première saison en 1988 deux équipes canadiennes, les Calgary 88’s et Vancouver Nighthawks. Les quatre autres équipes composant la WBL pour cette saison d’ouverture sont les Las Vegas Silver Streaks, le Chicago Express, les Fresno Flames et bien évidemment les Youngstown Pride.
Mais ce n’est pas tout, des tournois et autres tournées sont organisées avec des équipes européennes et des sélections nationales. Et les résultats comptent dans le classement WBL !
1988, C’EST L’INAUGURATION DE LA WORLD BASKETBALL LEAGUE. ET C’EST DEJA LE DEBUT DES GALERES…
Vancouver se fait remarquer avec le recrutement d’Andre Patterson. Celui-ci est annoncé à 6’8 », soit 3 pouces au dessus de la taille maximale autorisée… Afin de lever tout doute, il est mesuré devant la presse, pour vérifier que sa taille est bien conforme avec le réglement. Avant cela, il est aperçu en train d’essayer de contracter son cou, voire de porter des poids pour compresser sa colonne et passer le cut ! Il sera mesuré à 196,2 cms, soit 6’5 »1/4, trop grand pour intégrer la WBL… Mais il obtiendra toutefois l’autorisation de jouer cette saison-là. Le propriétaire des Vancouver Nighthawks abandonne au bout d’un mois, avec à peine moins de 100 abonnements vendus. Ce sont les cinq autres propriétaires (et la WBL qui détient l’équipe à 60%) qui financeront le reste de la saison avant que l’équipe ne mette la clé sous la porte. Pour les autres équipes, ce ne sera pas la même mésaventure, bien que le public ne réponde pas vraiment présent. Les affluences sont généralement en dessous des 1500 spectateurs en moyenne.

Et pourtant la Ligue a quelques noms à faire valoir. Notamment un certain Jordan, qui évolue au Chicago Express et qui porte le numéro 23. Les similitudes s’arrêtent là, il ne s’agit bien évidemment pas de Michael, mais de son grand frère Larry. Et le statut de meilleur joueur de l’équipe ne lui revient pas, mais échoit à Alfredrick Hughes, ancien 14e choix de draft de San Antonio. Trop petit pour évoluer dans l’aile, et pas assez adroit pour compenser son manque de taille, il trouve en la WBL une Ligue où s’épanouir.
Le Chicago Express n’arrivera pas non plus à attirer les foules, jouant devant moins de 2000 spectateurs dans une salle à la capacité avoisinant les 16 000 places. Il y avait de l’écho…
Après avoir délocalisé un match au Prairie Capital Convention Center de Springfield, dans l’Illinois, et rassemblé 4000 spectateurs, les propriétaires ont fait le choix de baser leur franchise dans cette ville à partir de la saison 1989, pour tenter de rentabiliser leur investissement. Et pourtant les résultats n’étaient pas mauvais : qualifié in-extremis en playoffs, Chicago finira finaliste de cette première saison, échouant pour le titre face à Las Vegas.
L’équipe des Las Vegas Silver Streaks présente une ossature avec des anciens joueurs de UNLV : Freddie Banks, Anthony Jones et Mark Wade, mais aussi dispose du top-scoreur de la Ligue, de 1988 à 1991, l’ex-orthézien Jamie Waller.
1989, LE COUP D’ENVOI DELA DEUXIEME SAISON EST DONNE. ET LES GALERES CONTINUENT…
Avant même la présaison, les Fresno Flames déclarent qu’ils ne repartent pas. Alors qu’ils avaient réussi à drainer 1500 spectateurs de moyenne lors de la saison inaugurale, avec en figure de proue Scott Brooks (qui saura se relancer avec une belle carrière en NBA, de joueur puis de coach), ils n’arrivent pas à vendre 100 abonnements pour la nouvelle saison. La WBL ne présentera donc que cinq équipes sur la ligne de départ.
Youngstown, Calgary et Las Vegas sont toujours fidèles au poste. Chicago a déménagé à Springfield, à trois heures de route dans le même état. Vancouver a mis la clé sous la porte, mais est remplacé par Worcester, à l’autre extrémité du continent, dans le Massachusetts.
Les Counts de Worcester sont incarnés par l’assistant coach Norm Van Lier, ancienne légende des Bulls, et Keith Smart, qui deviendra coach NBA après avoir vadrouillé dans des Ligues mineures, et à travers le monde, dont la France (Proville en Nationale 2, près de Cambrai). On trouve également dans cette équipe Keith Gatlin, qui partageait sa chambre universitaire avec Len Bias, quand celui-ci fit son overdose après sa draft par les Celtics en 1986. Également connu dans l’hexagone, Gatlin déposera ses valises à Chalon-sur-Saône durant sa carrière professionnelle.
Las, Rob Shoemaker, propriétaire des Counts décidera de ne pas reconduire l’aventure WBL à l’issue de la saison, en raison d’affluences (et donc de recettes) trop faibles.
En dehors de ces péripéties, Yougstown Pride, avec en joueur majeur Tim Legler (CSP Limoges en 1991-92 et une dizaine d’années en NBA) va remporter le titre de la saison 1989 face à Calgary.

1990, DEBUT DE LA TROISIEME SAISON. LA FIN DES GALERES ?
Ne crions pas victoire trop tôt !
Si la Ligue présente à nouveau quatre des cinq équipes de la saison précédente, en dehors des Worcester Counts, celles-ci sont rejointes par trois nouvelles franchises, une canadienne et deux aux Etats-Unis, redonnant de l’élan à la WBL : Saskatchewan Storm, Memphis Rockers et Erie Wave.
Le General Manager et coach des Rockers, Tom Nissalke, n’est pas un inconnu du circuit professionnel américain. Coach NBA de l’année en 1977 alors qu’il était à la tête des Houston Rockets, il a su très vite composer une équipe compétitive en recrutant deux locaux ayant participé au Final Four NCAA en 1985 sous les couleurs de Memphis State : Vincent Askew et Andre Turner. Mais c’est surtout John Starks qui se fait remarquer lors son unique saison en WBL, avant de devenir un joueur majeur des Knicks et All-Star NBA en 1994.

Pour autant, Memphis n’arrivera pas à se hisser en finale de la saison 1990, échouant face à Youngstown lors des demi-finales disputées au meilleur des trois manches. La finale oppose donc, pour la deuxième année consécutive l’équipe du fondateur de la WBL, Youngstown Pride, face aux Calgary 88’s. Et malgré la qualité de l’effectif de l’équipe canadienne, c’est encore l’équipe de l’Ohio qui s’impose. Et pourtant Calgary compte dans ses rangs Chip Engelland, joueur à l’adresse redoutable (au dessus de 50% à 3 points et 90% aux lancers-francs lors des saisons 1989, 1990 et 1991). Engelland deviendra par la suite un shooting coach, célèbre pour avoir aidé des joueurs comme Tony Parker à modifier leur tir et le rendre plus efficace. Mais Youngstown possède aussi un joueur marquant dans son effectif, en la personne de Mario Elie (trois fois champion NBA avec Houston puis San Antonio).
Une saison qui se termine sans trop de heurts, avec même un semblant de stabilité… Ce serait trop beau pour durer ?
1991, LA QUATRIUEME SAISON. UNE MONTEE EN PUISSANCE.
Quelques chamboulements se produisent dans les franchises, avec le déménagement de la franchise de Las Vegas vers Nashville, et l’arrêt de l’Illinois Express. Par contre ce ne sont pas moins de trois nouvelles franchises qui rejoignent la WBL, qui semble gagner en crédibilité. Les Halifax Windjammers complètent les équipes canadiennes de la Ligue, et sont rejoints par les Florida Jades et les Dayton Wings.
Alors que la saison 1990 s’était globalement passée sans heurts apparents, il s’avère que deux joueurs des Erie Wave, mécontents de la gestion de l’équipe (une des pires de la WBL) ont pris leur retraite, et décidé de monter leur propre franchise. C’est ainsi qu’est née dans une chambre de Motel l’équipe des Jades de Floride. Appuyés par un investisseur commercialisant des produits de beauté, les nouveaux propriétaires ont nommé leur équipe les Jades en relation avec une eau de Cologne commercialisée par ce généreux mécène… Pour rentabiliser l’investissement, 2500 à 3000 spectateurs sont attendus, mais une fois de plus le public ne suit pas.

En tant que nouvelle franchise, Dayton va marquer de suite la Ligue de son empreinte, avec des recrutements judicieux dont Perry McDonald (Georgetown) et Alfredrick Hughes, sans club suite à l’arrêt de l’Illinois Express. Dès sa première année d’existence, Dayton va dominer la saison 1991, et remporter le titre face à Calgary, malheureux finaliste pour la troisième année consécutive.
Bien que la Ligue semble avoir trouvé son rythme de croisière, c’est déjà le début de la fin…
1992, UNE CINQUIEME SYMPHONIE INACHEVEE. THE LAST DANCE.
On y est ! Dix franchises composent la WBL au début de sa cinquième saison, en 1992. Ça ne durera pas…
Deux nouvelles équipes canadiennes (Hamilton Skyhawks et Winnipeg Thunder) et les Jacksonville Stingrays intègrent la Ligue, et contrebalancent l’arrêt des Nashville Stars. Et la Ligue réhausse la taille maximale pour ses joueurs à 6’7’’, soit 2,04m.
Pour les équipes encore en lice au début de cette saison, ça ne fonctionne pas vraiment. Les Florida Jades doivent faire face aux départs des propriétaires et du principal investisseur, obligeant la WBL a assumer 80% des frais de fonctionnement de la franchise. De plus, en raison de la rénovation de leur salle, les Jades doivent passer 22 jours sur la route, jouant 15 matchs consécutifs à l’extérieur !
Comme chaque saison, les équipes canadiennes attirent du monde à domicile et ont une affluence moyenne acceptable, alors que les franchises aux Etats-Unis n’arrivent pas à attirer les foules. Et petit à petit, la WBL se retrouve exsangue. Le 15 juin 1992, les deux équipes floridiennes doivent fermer boutique. Les Stingrays n’auront eu que six semaines de vie. Alors que les autres franchises doivent payer leurs factures auprès des fournisseurs et les salaires, la WBL, possédant 60% de chaque franchise, n’est plus en mesure de financer comme convenu. Les propriétaires se retrouvent seuls face aux dettes qui s’accumulent. Alors que le All-Star Game est accueilli par la franchise d’Hamilton, le chèque de 48000 dollars émis par la WBL pour l’hôte de l’événement est rejeté. Et Mickey Monus, le fondateur de la WBL est introuvable…

Erie se retrouve également sans finances et doit fermer à son tour, le 20 juillet. Seul fait d’armes de cette franchise ? Le nom des cheerleaders, les Eriesistibles. Puis c’est le champion en titre, Dayton, qui met la clé sous la porte le 31 juillet, à l’issue de leur match face à Saskatchewan. D’ailleurs les canadiens vont être bien embêtés pour rentrer, la WBL ne pouvant financer leur voyage retour !
Quoiqu’il en soit, c’est le lendemain que la sentence, irrévocable, tombe. La WBL, c’est fini. Il n’y a plus d’argent, les dettes se sont accumulées et aucun propriétaire de franchise ne peut assumer les pertes. Le championnat s’arrête en cours de route, pas de champion 1992.
Mais ce n’est pas tout !
Les enquêteurs ont découvert que Mickey Monus avait financé la WBL pendant des années avec des fonds détournés de la chaîne de pharmacie Phar-Mor, cachant ainsi les pertes qui s’accumulaient saison après saison. Phar-Mor a ainsi accusé Monus de les avoir escroqués de 10 millions de dollars au profit de la WBL, sans compter d’autres malversations et détournements, se chiffrant à près de 350 millions de dollars… Rattrapé par la justice, il a été condamné à 19 ans de réclusion dans une prison fédérale. Sa peine a été réduite à 10 après qu’il ait collaboré avec le FBI dans le cadre d’une affaire contre un autre fraudeur de Youngstown, sa ville natale.

QU’EN RESTE-T-IL ?
Après le démantèlement de la WBL, les clubs canadiens, forts de leur succès populaire à domicile, ont fondé ensemble la National Basketball League, qui ne dura qu’un an et demi.
Il ne reste de la Ligue que quelques vidéos qui circulent sur Youtube, où l’on voit la part belle laissée au jeu rapide et aux tirs extérieurs, avec peu de jeu posté. Une sorte de NBA 2020 avant l’heure finalement. En beaucoup moins fort toutefois.
D’ailleurs, sur ces vidéos on peut voir un ballon particulier, blanc et marron, représentant un globe terrestre. L’appellation « World » se trouve aussi dans ces petits détails. Cependant, un des responsables de la Ligue confessera qu’il n’y avait que quelques ballons avec ce motif, et qu’ils étaient envoyés aux franchises lors des matchs télévisés uniquement.
Enfin, pour revenir sur l’internationalisation de la WBL, il est important de noter que face à des équipes professionnelles européennes sans contraintes de taille, le bilan est plus que flatteur avec 25 victoires sur 31 matchs lors de tournois internationaux, et 138 victoires pour 17 défaites pour les matchs comptant pour la saison régulière !
Ces matchs ont montré l’avant-gardisme de cette Ligue, ouverte d’emblée vers l’extérieur du continent américain. C’est d’ailleurs Bob Morse, qui a évolué et Italie et à Antibes, qui a été le responsable des relations internationales de la WBL. Si certains matchs ont été joués face à d’obscures équipes européennes, il est à noter que d’autres adversaires plus prestigieux ont fait face aux All-Stars WBL ou aux franchises. Les Youngstown Pride, champions 1989 et 1990, ont notamment battu l’équipe nationale grecque à Athènes 102 à 90, malgré les 55 points du duo Nick Galis-Pannayotis Giannakis, et le CSP Limoges a perdu de 21 points face aux All-Stars.

De l’originalité, un jeu emballé et spectaculaire, une ouverture au-delà des frontières, mais un intérêt mitigé avec des affluences en berne et un escroc à la tête de la Ligue. C’est ainsi que la WBL s’est arrêtée au bout de quatre saisons et demi, rejoignant la longue liste des Ligues sportives américaines qui ne sont pas parvenues à prospérer face à la concurrence envahissante de la NBA.
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