[Portrait] Raul Lopez. Destin croisé(s)
Portrait
Capitaine et chef d’escadrille des « Ninos de Oro », la génération 80 espagnole championne du monde junior en 1999, Raul Lopez, jeune quarantenaire aujourd’hui, était promis à un avenir radieux. Drafté par le Jazz, le Catalan pétri de talent était censé prendre la relève de la légende de Salt Lake City John Stockton. Mais le Barcelonais a vu ses rêves d’Amérique se rompre en même temps que son genou. Maudit, il subi deux ruptures du ligament croisé antérieur, au moment le plus déterminant de sa carrière.
UNE FAMILLE EN OR
Le titre de champion d’Europe Junior est le premier fait notable des joueurs de la Roja nés en 1980-1981. Première médaille d’or masculine du basket espagnol. Ce titre, acquis sans aucun complexe après un parcours quasi sans faute peut même être considéré comme la première pierre d’un monument. Le début du chemin d’une génération qui a changé le basket ibérique pour toujours. Et dont les noms resteront à jamais dans l’histoire du « baloncesto » : Gasol, Navarro, Lopez…
Non rassasiés par une simple coupe continentale, les « Goldens Juniors », portés par un Juan Carlos Navarro XXL iront décrocher la timbale mondiale, l’été suivant à Lisbonne en allant gifler une Team USA (certes) un peu terne. Une sélection menée par le regretté Michael Wright décédé en 2015, et Keyon Dooling, qui comptera ensuite 13 saisons de NBA. Ces deux étés dorés auront permis au jeune Raul Lopez de se révéler au monde du basket. Meneur-driveur à la vitesse indécente, maitre dans l’art de la passe laser, le natif de Vic (dans la banlieue barcelonaise) illumine les deux tournois et se rend même décisif si besoin : il rentre sans trembler deux lancers cruciaux en demi-finale du mondial face aux Argentins.

« Los Ninos de Oro » se sont rués vers l’or lors du mondial junior 1999 (Photo Gigantes Del Basket)
IBERICAN NIGHTMARE
Lopez fait ses grands débuts en Liga ACB sous les couleurs de la Joventud Badalone, son club formateur. Sa première apparition en pro est une réussite. Lors de la dernière journée de la saison 1997/1998, face au Caja San Fernando, Alfred Julbe le lance dans le grand bain et décide de faire souffler Andre Turner son meneur vedette. Le Kid de Vic fait plus que répondre présent et rend une jolie copie : 10pts, 3/3 au «triplès » en 18 minutes. Lors de la saison 1999/2000, il est élu meilleur jeune du championnat par le mensuel de référence Gigantes. Le Real Madrid fait alors sauter la banque pour s’octroyer les services de la pépite. Le club madrilène paie sans sourciller les 300 millions de pesetas réclamés par la Joventud pour Lopez. Ce qui fait de son transfert le plus cher de l’époque, dépassant les 250 millions payés par le même Real à Estudiantes pour obtenir Alberto Herreros trois années auparavant. Il faut dire que le scouting report du jeune Raul n’augure que du bon :
« Ses points forts sont nombreux : sa vitesse, sa vision du jeu, son talent offensif pour générer ses propres opportunités de tir et surtout, il rend meilleur ses coéquipiers. Il doit beaucoup s’améliorer en défense et son tir extérieur doit progresser, mais comme il est un excellent manieur de ballon, les défenseurs ne devraient pas le jouer de trop près car il peut en profiter pour pénétrer ».
La maison merengue affiche alors une ligne arrière qui sent bon la Catalogne avec l’association du gamin de Vic et de Sacha Djordjevic.
Bien décidé à laver l’affront de la saison précédente (Le Real a remporté le titre en terre catalane). Le Barça ne fera qu’une bouchée des Madrilènes. Menés par un Pau Gasol inarrêtable, les blaugranas raflent le championnat et la coupe d’Espagne au nez et à la barbe de leurs ennemis de toujours.

Fraichement drafté par le Jazz. Photo Gigantes Del Basket
L’été suivant, Lopez est sélectionné par le Jazz d’Utah en 24ème position de la Draft 2001, il est le premier meneur choisi lors de la loterie. Devant Jamal Tinsley et un certain Tony Parker. Mais contrairement au jeune meneur du PSG Racing et à son compatriote Pau Gasol, draftés aussi en 2001, le Catalan décide d’attendre encore un peu avant la grande traversée. Un choix Win-Win, puisque si l’Espagnol peut continuer à s’aguerrir dans son pays, dans l’Utah John Stockton, 38 ans est toujours là pour tenir la baraque. Il repart donc avec le Real à l’aube de l’exercice 2001-2002.
La saison sera courte. Le 4 novembre, face à Valladolid le genou droit du meneur lâche.
«J’ai tourné mon corps, et j’ai senti mon genou partir. Je me suis retourné, mais mon genou ne l’a pas fait »
L’IRM confirmera quelques heures plus tard le « Torn ACL » (rupture du ligament croisé antérieur), une blessure dont on ne revient que très rarement à 100%. Surtout pour un meneur comme Raul, pour qui les changements de rythme et de direction sont essentiels.

En couverture de la version espagnole de NBA Live 2004. Preuve des espoirs placés en lui
LE JAZZ SANS LA JAVA
Après une opération et une année de rééducation, Raul débarque dans l’Utah pour la saison 2002-2003 afin d’y apprendre le métier avec Stockton. Le Dream Teamer qui raccrochera les baskets à la fin de l’exercice a prévu de passer une année avec le jeune espagnol. Dans le but de lui laisser en douceur, les clés de la boutique.
Mais la partition imaginée par le staff du Jazz ne se jouera malheureusement pas comme prévu. Juste avant le début du Training Camp, lors d’un match de la Roja face à la Russie, Lopez s’écroule. Son ligament antérieur, fraichement réparé, vient de relâcher. Une nouvelle rupture synonyme de nouvelle saison blanche. Une année qu’il passera sur le banc du Delta Center, d’où il y regardera avec un grand privilège, la tournée d’adieux de Stockton.

Face à Allen Iverson. Photo Gigantes del Basket
« Strictly Business » d’EPMD, est probablement l’un des plus grands albums de l’histoire du Rap US. Ce bijou de Hip Hop « East Coast » a probablement vu sa version Jazz se jouer dans l’Utah lors de l’été 2003 : Après ses deux saisons blanches l’espagnol ne fait plus vraiment partie des plans. La franchise de Salt Lake City a jeté son dévolu sur le meneur Porto Ricain Carlos Arroyo. Et Lopez n’en sera que la doublure. Après deux opérations en un an et deux saisons sans jeu, l’explosivité et la vitesse du Catalan ne sont plus ce qu’elles étaient. Celui qu’on imaginait reprendre le flambeau du meilleur passeur et intercepteur de la ligue présente des statistiques juste honnêtes (6,5pts, et 3,8 passes). Très loin des espoirs de ses dirigeants. En août 2005, il est transféré aux Grizzlies dans un trade qui est encore à l’heure actuelle le plus gros de l’histoire de la NBA (13 joueurs et 4 équipes impliquées).
Le staff du Jazz souhaitant retenir la leçon de cette mésaventure dans sa future recherche de « point guard » décide alors de ne plus s’orienter vers des meneurs trop petits et frêles et rehausse ses critères physiques pour le poste 1. Un bruit de couloir du Delta Center affirme ainsi que c’est le gâchis vécu avec le jeune espagnol qui aurait influencé le choix de Deron Williams (1m91-91kg) plutôt que Chris Paul (1m85 79kg) lors de la draft 2005.
COOL RAUL
L’embouteillage au poste de meneur des Grizzlies (Bobby Jackson, Damon Stoudamire, Chucky Atkins) porte malheureusement préjudice à Lopez qui n’entre pas réellement dans les plans de Jerry West et Mike Fratello. Dommage, tout de même, car il faut bien avouer que voir se reformer l’axe 1-5 des « Ninos de Oro » en NBA avec Pau Gasol aurait été bien excitant.
De retour au pays, « la Magia » s’engage dans un premier temps avec Gerone, avant de retourner au Real pour trois ans. Il y réalise trois belles saisons ou il forme avec Kerem Tunceri, l’un de ses anciens rivaux en compétition internationale jeune un excellent backcourt. Ils y font ensemble le doublé Liga-Coupe ULEB en 2007. De 2009 à 2011, il passe deux saisons en Russie, au Kimkhi Moscou où il rafle un titre de champion de VTB. Lopez prendra sa retraite en 2016 après avoir passé cinq saisons avec la tunique noir et blanche de Bilbao. Les succès sportifs de Raul lors de sa seconde partie de carrière sont intimement liés à sa force mentale et à une grande clairvoyance. Car le Kid de Vic a su réinventer son jeu. Terminé, les accélérations fulgurantes et les slaloms dans les défenses. Plus calme, moins « foufou », Raul a réussi à se métamorphoser en un excellent gestionnaire de tempo lors de la deuxième partie des années 2000.
UN FIASCO EN ESPAGNE
Blessures oblige, la carrière en rouge et jaune du « Nino de Oro » n’a pas été ce qu’elle aurait dû. Dans la foulée du titre mondial junior, Lopez est enrôlé par Lolo Sainz pour disputer les JO de Sydney. Il y réalise sa performance la plus aboutie face au Canada de Steve Nash (9pts, 4passes). Il est aussi du voyage l’année suivante lors de l’Euro turc. Blessé, il manque le titre mondial de 2006, mais participe au « plus beau match de tous les temps » à Pékin en 2008 face à Team USA, son apport lors de l’olympiade chinoise sera relativement anecdotique (4,7 pts 2,7passes).

Médaillé d’argent à Pékin. Photo Gigantes del Basket
Lopez n’étant à Pékin que pour faire souffler de temps à autre Rubio et Calderon. Il entre plus sérieusement dans les plans de jeu de Sergio Scariolo qui reprend l’équipe lors de l’Euro 2009, remporté par la Roja. Il termine second passeur de l’équipe.
Sa dernière apparition internationale, a lieu en Turquie, lors du mondial 2010. Petit pied de nez au destin, il y remplace au dernier moment José Calderon, blessé. Ce même Calderon qui avait pris sa place en 2002 lorsque lui aussi était à l’infirmerie.
RICKY OU LA BELLE VIE
En 2016, Raul intègre le staff de Quin Snyder et s’occupe du développement des joueurs extérieurs. Il devient le mentor privilégié de Ricky Rubio, fraichement débarqué du Minnesota. Un Rubio sur lequel les Wolves avaient placé de grands espoirs et dont la première saison pleine de hype laissait présager le meilleur… Avant qu’une rupture du ligament croisé antérieur lors d’un choc avec Kobe Bryant ne viennent le faucher. Une histoire qui en rappelle une autre.

En mentor de Ricky Rubio. Photo : Marca
Il entame alors un marathon de la rédemption avec Lopez. Et ça fonctionne. Lors de ses premiers playoff en carrière, Rubio anesthésie Russell Westbrook dans une série qui restera pendant longtemps dans le cœur des fans de l’Utah. L’année suivante Rubio atteint son graal personnel en carrière en devenant MVP du mondial 2019. Un accompagnement qui aura été une vrai réussite pour « Tricky » , qui ressort grandi de l’expérience :
« C’était très positif. Techniquement et tactiquement, bien sûr, car pour moi, il a été le plus grand talent jamais sorti d’Espagne. Mais aussi pour voir que mon idole m’a fait confiance et m’a donné confiance. Il m’a fait croire en moi, et c’est l’une des choses que j’apprécie le plus. »
Si pour beaucoup d’amateurs de basket, Raul Lopez reste un joueur relativement lambda, il est et restera une vraie légende pour tous les amoureux espagnols du ballon orange. Pour preuve, le monument ibérique de la presse basket Gigantes lui a carrément consacré un numéro spécial en 2016, lors de sa retraite. Un honneur que le mensuel ne réserve habituellement qu’aux plus grands (Drazen Petrovic, Juan Carlos Navarro…). Une preuve parmi tant d’autres de la place du « Nino de Oro » dans le cœur des fans de son pays.
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