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Grèce et Turquie : la balle orange du rapprochement

Dossier

Montage Une : Aurélien Sohard pour Basket Rétro

Les relations diplomatiques sont actuellement tendues entre la Grèce d’un côté et la Turquie de l’autre, sur fond de recherche d’hydrocarbures et de musées transformés en lieux de culte. Un nouvel avatar, sur la scène politique, des relations souvent conflictuelles mais historiques entre les deux voisins. Pourtant, depuis une quinzaine d’années, il existe une raison d’espérer un réchauffement certain : le basket. Focus sur les joueurs Grecs (et Turc) qui ont franchi le pas d’un pays à l’autre.

HISTOIRE COMPLEXE ENTRE DEUX VOISINS TURBULENTS

Lorsque l’on évoque le sujet, il apparaît clairement que Grecs et Turcs ne semblent pas être les meilleurs amis du monde. Si, à l’instar de certains pays tels que la France et l’Allemagne, il y eut une avancée majeure dans les relations de voisinage et diplomatiques, il en va autrement pour Athènes et Ankara, la capitale turque. Pas non plus de, pour reprendre les mots de l’ancien président français, Valéry Giscard d’Estaing, à propos de son ancien premier ministre, Jacques Chirac, de « rancune jetée à la rivière ». Non, dans l’histoire européenne récente, certains pays ont réussi à remiser au placard leurs conflits séculaires mais il en va autrement pour ces deux bouillants voisins.

En causes, plusieurs facteurs telle qu’une domination et une présence sur le sol grec durant près de quatre siècles de l’Empire ottoman. Jusqu’à la Guerre d’Indépendance dont le Général Theódoros Kolokotrónis sera une des figures de proue entre 1821-1829. Ce qui aboutira à la création du Royaume de Grèce. Près d’un siècle plus tard, à la fin de la Première Guerre Mondiale qui verra l’Allemagne et ses alliés, dont l’Empire ottoman agonissant, être vaincus, la Guerre d’Indépendance sera du côté turc. Menée par Mustafa Kemal, qui sera le futur Atatürk à partir de 1934, les Turcs libéreront une large partie du pays. Pour finir par vaincre et repousser à Izmir le 9 septembre 1922, sur la façade ouest du pays, les troupes du Général Papoulas. A partir de la proclamation de la République turque en 1923 qui faisait suite à l’accord du Traité de Lausanne signé par les parties prenantes signé la même année et qui définissait les contours actuels de la Turquie, les relations seront plus apaisées. Jusqu’en 1974 où le conflit chypriote éclatera entre les deux pays.

A l’origine, une île située au sud de la Turquie mais qui est considérée, pour la Grèce, comme faisant partie intégrante de ce qui sera appelée « Enosis », signifiant l’union de toutes les composantes grecques dont Chypre fait partie. Dès lors, entre exactions, assassinats et autres pogroms entre les deux parties, qui atteindront leur apogée en 1974, le Turquie interviendra militairement sous l’égide du premier ministre de l’époque, Bülent Ecevit. Ce qui entraînera une coupure, encore vive aujourd’hui, de l’île entre le sud qui est considérée comme acquise à la Grèce, et au nord, le K.K.T.C. soit la « République turque de Chypre du Nord », considérée, et seulement reconnue au niveau international, comme autonome par Ankara. Malgré l’intégration de la Grèce à l’Union européenne en 1981 et de Chypre (sans la partie nord) en 2004, de vives tensions éclateront entre les deux pays à ce propos. Tout prétexte étant utilisé pour s’invectiver comme à propos des îlots de Imia (pour les Grecs) et Kardak (pour la Turquie), des cailloux rocheux revendiqués par les deux pays.

Depuis, entre les demandes répétées d’intégration, jusqu’à récemment, de la Turquie à l’espace européen, refusées par les Grecs car il faut une unanimité entre les Membres de l’UE et les conflits ou provocations, la tension remonte d’un cran régulièrement. Dernièrement, le forage autour de Chypre de gisements gaziers a provoqué l’ire d’Athènes. Sans compter les récents décrets signés par le président turc Recep Tayyip Erdoğan, pour la réouverture en lieux de cultes et donc en mosquées de Sainte-Sophie et de l’Église de la Chora, temples byzantins et qui étaient des musées, considérées en Grèce comme intouchables et vecteurs de l’orthodoxie et les tensions deviennent de plus en plus vives. Rien n’est donc fait pour apaiser les tensions séculaires entre les deux voisins qui se tolèrent plus qu’ils se respectent entre deux provocations aux termes politiques, religieux et historiques.

LE BASKET, UN VECTEUR DE RAPPROCHEMENT DES PEUPLES

Pourtant, par périodes, tout ne fut pas problématique pour autant entre la Grèce et la Turquie. Certes, comme précisé au niveau politique mais également sportif, dans les années 90, avec le développement à l’échelle européenne du basket, il y eut de nombreuses invectives voire des tensions importantes lors des déplacements entre Athènes-Le Pirée et Istanbul entre caillassages de bus ou envoi de pièces de monnaie sur les joueurs. Avec en ligne de mire de cette poésie à grandeur d’échelle, la bataille rangée entre les fans, pourtant vainqueurs (50-48) à Turin, de l’Aris Salonique en Coupe Saporta de 1993 contre les… joueurs d’Efes Pilsen. Ce qui entraînera d’autres mesures à l’encontre des Grecs en déplacements en Turquie dans un cercle infini.

Mais, avec le développement du basket donc et l’ouverture progressive des frontières, certains joueurs franchirent le pas et se mirent en ordre de marche en allant montrer leur talent chez le voisin à partir du mitan des années 2000. Parmi ces joueurs, quasiment tous grecs, Efthýmios Rentziás, Michaíl Kakioúzis, Strátos Perpéroglou, Níkos Zísis, Kostas Sloúkas, des entraîneurs tels que Dimítris Itoúdis ou Stefanos Dedas. A l’inverse, un seul joueur turc fera le chemin inverse : Ibrahim Kutluay. Tous apporteront leur écot à leurs clubs respectifs et montreront que le sport n’a pas de frontières. Tous laisseront sur leur passage, une trace, une personnalité, des victoires européennes ou locales et une certaine idée du professionnalisme entre deux pays voisins pas amis mais finalement pas si éloignés l’un de l’autre au niveau de la passion.

EFTHYMIOS RENTZIAS-MICHALIS KAKIOUZIS, LES PRÉCURSEURS DE COUPES

Ils furent les premiers joueurs grecs à avoir fouler les parquets turcs et stambouliotes pour l’occasion. Efthymios Rentzias fut même le premier à avoir cet honneur puisque dès la saison 2003-2004, le Grec sera transféré au sein du défunt club Ülkerspor. Sous la houlette d’Ergin Ataman et en compagnie du Macédonien Petar Naumoski, de la star locale Ibrahim Kutluay, de Serkan Erdoğan futur meneur au TAU Ceramica, en Espagne et de Kerem Gönlüm, le couteau-suisse turc, l’équipe finira deuxième du championnat turc derrière l’intouchable Efes Pilsen. Mais elle se consolera en remportant la Coupe de Turquie et ce qui sera le premier trophée d’un joueur grec sur les terres turques. Rentzias partagera le poste de pivot en alternance avec Gönlüm et l’autre pivot de la rotation, Fatih Solak (mot qui signifie gaucher en turc) et s’en ira en fin de saison à Sienne, en Italie, avant de mettre une fin prématurée à sa carrière en raison de blessures récurrentes, deux ans plus tard.

Dès lors, il faudra attendre près de quatre ans avant de voir un nouveau joueur grec intégrer une rotation stambouliote, encore une fois sous la houlette d’Ergin Ataman et en compagnie de Kerem Gönlüm, toujours. Une certaine forme de continuité dans le changement mais cette fois-ci, le club concerné sera Efes Pilsen pour Michaíl Kakioúzis, ancien pivot de l’AEK Athènes et cadre de la sélection grecque. En compagnie de Sinan Güler, un gaucher passé maître dans les ballons chipés aux adversaires, du puissant croate tatoué Mario Kasun, du serbe Milos Vujanic, du dragster, l’américain Bootsy Thornton, de Charles Smith et meneur international turc Kerem Tunçeri. Une armada pour le championnat local constituée pour dominer de sa force les adversaires. Ce que l’équipe, bien aidée par Kakioúzis fera sans coup férir en réussissant à remporter le championnat en finale face à Fenerbahçe (4-2) après avoir écrasé les adversaires les tours suivants (3-0 à chaque fois) et la Coupe de Turquie. Une nouvelle fois pour un Grec, ce qui constituait un beau doublé pour l’époque, après le titre remporté par Rentzias précédemment. Kakioúzis partira lui aussi après une saison, à Salonique (Aris) après une saison solide notamment au niveau européen pour l’Efes qui terminera premier de son groupe d’Euroligue et second le tour suivant mais malheureusement éliminé en raison du format européen donnant la primeur au premier de chaque groupe.

PERPERPOGLU-ZISIS, LA CONTINUATION DES ANNÉES 2010

Dès lors, tel un plan quinquennal bien huilé, en 2014 débarquera, toujours à Istanbul, le nom grec le plus turc qui soit. Après des expériences au sein des deux mastodontes du Panathinaïkos et de l’Olympiakos, Strátos Perpéroglou (lu en turc comme « Berberoğlu» soit « le fils du barbier ») traversera la frontière et aura sa première expérience hors de son pays. Comme pour ses deux illustres compatriotes, son équipe d’alors sera ambitieuse sous la direction du vénérable coach serbe Dušan Ivković avec comme coéquipiers, l’international français Thomas Heurtel, le pivot serbe Nenad Krstić et deux futurs prospects NBA, le turc Cedi Osman aujourd’hui aux Cavaliers, à Cleveland et le croate Dario Šarić à Philadelphie. Une nouvelle armada mise au point et qui n’aura malheureusement pas les résultats escomptés ni en championnat avec une défaite en finale (4-1) face à la surprenante équipe de Pınar Karşıyaka Izmir et de son entraîneur, Ufuk Sarıca, un ancien d’Efes Pilsen et son meneur Bobby Dixon (naturalisé turc aujourd’hui sous le nom d’Ali Mohammed) ni en Euroligue avec une élimination 3-1 face aux futurs vainqueurs, le Real Madrid. Comme pour ses prédécesseurs Rentzias et Kakioúzis, Perpéroglou se consolera avec une Coupe de… Turquie, la troisième pour un joueur grec.

Le plafond de verre grec-turc sera véritablement atteint avec l’arrivée de Níkos Zísis, un meneur de jeu multi-titré, lors de la saison 2014-2015. Lui aussi sera à Istanbul, en même temps que son compatriote Perpéroglou, ce qui n’est pas étonnant mais ira prodiguer la mène au sein de ce que l’on nommait alors, Fenerbahçe Ülker, après l’absorption par le « Fener » du club d’Ülker. Avec l’arrivée un an auparavant de coach Obradović, les « Jaunes et Beiges » auront une ambition européenne accrue et progresseront chaque saison vers l’objectif ultime. Si, comme pour Perpéroglou, la saison nationale sera vierge de trophées, l’essentiel sera bien au-delà pour Fenerbahçe grâce à son premier « Final Four ». Malgré deux défaites face au Real Madrid et pour le match pour la troisième place face aux Russes du CSKA Moscou, Fenerbahçe aura réussi à glaner sa place dans le dernier carré. Zísis aura donc participé à ce qui sera comme le début d’un règne aussi bien européen que national pour un autre futur compatriote.

KOSTAS SLOUKAS ET FENERBAHCE, DES ANNÉES DE SUCCÈS

« Last but no least», le dernier arrivant en provenance d’Athènes ou du Pirée est là encore un meneur de jeu, gaucher, avec son fameux numéro 16 sur le dos. Lui aussi multi-titré avec l’Olympiakos avec notamment le fameux doublé en Euroligue en 2012 et 2013, il participera grandement à l’expansion européenne du géant turc, Fenerbahçe à partir de la saison 2015-2016. Sur le plan national, une razzia de championnats (3), de Coupes de Turquie et d’autres honneurs en tous genres. Mais ce qui restera surtout de Sloukas est sa participation à la conquête du titre européen avec des années d’échecs pour le basket turc, Fenerbahçe brisera la malédiction d’Efes et permettra au pays d’Atatürk de mettre sa puissance financière en adéquation avec les résultats. Lors de la saison 2016-2017, Fenerbahçe montera progressivement en puissance pour arriver à balayer le Panathinaïkos (3-0) puis éliminer en demi-final le Real Madrid (84-75) avant de remporter le trophée tant attendu face à… l’Olympiakos (80-64). Tout un symbole des duels turco-grecs avec en finale une prestation somme toute correcte de Sloukas qui offrira 5 passes décisives. Dans une équipe où l’on retrouvera le pivot américain Ekpe Udoh qui dominera la finale de sa prestance, le Macédonien Pero Antić, le génial et sympathique Serbe Bogdan Bogdanović, l’athlétique Tchèque Jan Veselý et classieux ailier-fort, l’Italien Gigi Datome, Fenerbahçe obtiendra son Graal et tout un pays fêtera le titre comme il se doit. Une équipe de copains, encore très liée, aujourd’hui par ces années à Istanbul et dont fait parti Kostas Sloukas.

Cinq saisons durant donc, Kostas Sloukas mènera le jeu du « Fener » et sera le Grec le plus complet et le plus titré du lot de ses prédécesseurs. Une bonne manière de boucler la boucle et de (re)partir cette saison vers son club d’origine, l’Olympiacos même si les deux dernières saisons et surtout la 2019-2020, amputée de finale européenne en raison du « Covid-19 » se terminera en dents de scie et entraînera le départ d’Obradović et de plusieurs cadres également . Quoiqu’il en soit, Sloukas, Kakioúzis, Perpéroglou ou Rentzias auront tous apporté leur écot à leur club et montrera que le talent n’a pas de frontières. Cependant, il n’y a pas que sur le parquet que les représentants de la Grèce seront reconnus en Turquie. Au-delà du jeu, les entraîneurs ne seront pas en reste, loin de là, et seront eux aussi impliqués dans leurs clubs qui, en retour, leur permettra de franchir des paliers.

PREMIÈRES EXPÉRIENCES EN TURQUIE POUR LES ENTRAÎNEURS GRECS

Au niveau des techniciens, outre les expériences éphémères et ratées à la mène d’Ilias Zouros et Vangelis Angelou (qui restera quand même deux saisons de plus en tant qu’adjoint de Dusan Ivković) à l’Anadolu Efes, deux hommes se dégageront du lot. Deux entraîneurs qui, bizarrement, traîneront leurs guêtres au-delà d’Istanbul. L’un pendant durant plus de cinq ans au pays d’abord à Gaziantep, au sud de la Turquie, d’abord en tant qu’assistant d’abord puis comme entraîneur principal du club local. Assistant donc un certain Jure Zdovc, le gaucher magique titré en 1993 avec le CSP Limoges et nouveau coach des Metropolitans 92 de Levallois, non seulement en club mais également lors du passage de de ce dernier au sein de la sélection slovène. Avant de prendre les rênes du Gaziantep Basketbol en tant qu’entraîneur principal et en réussissant la gageure d’obtenir des résultats probants en TBL, le championnat turc et en se qualifiant en Coupe d’Europe. Puis en passant deux saisons à Istanbul, cette fois, au sein du Bahçeşehir Koleji Spor Kulübü.

Le deuxième entraîneur est beaucoup plus connu et a dix dans de plus que Dedas (bientôt 50 ans contre 38). Un palmarès en tant qu’assistant et aujourd’hui coach principal aussi long que les deux bras réunis du pivot des Mavericks de Dallas, Boban Marjanović. Lui, ne passera qu’une petite saison au sein du club de Banvit Bandirma, dissous depuis août 2020, après son expérience de 13 ans avec le maître incontesté et incontestable du basket européen : Željko Obradović. Dimítris Itoúdis, l’homme qui sera aux premières loges durant le prestigieux passage de coach « Obra » au Panathinaïkos et qui partira en même temps que lui à la fin de la saison 2011-2012. Pendant que le Serbe prendra un break d’une saison pour se régénérer, Itoúdis, lui, ira à Bandırma, une ville située au sud d’Istanbul. Davantage connue comme étant une cité portuaire et sponsorisée une entreprise locale spécialisée dans la fabrication de volailles, Banvit obtiendra, là encore, d’excellents résultats sous la houlette du coach grec, pour sa première saison complète en tant que head coach. Premiers de la saison régulière, l’équipe ne sera éliminée qu’en demi-finale des play-offs par Galatasaray (3-1).

Pas le temps de tergiverser pour Itoúdis puisque la saison suivante, en 2014, il prendra les rênes du CSKA Moscou et continuera de glaner quantités de titres. Parmi ceux-ci, cinq titres de champions de Russie et deux titres européens en Euroligue en 2016 et 2019, respectivement face au… Fenerbahçe de son ami Obradović et à l’Anadolu Efes. Il convient également d’ajouter pour compléter le panorama la présence d’entraîneur grec chez les féminines de Fenerbahçe avec le double passage de George Dikeoulakos qui aura tout autant de succès en championnat comme en Coupe d’Europe sur le banc du « Fener ». Des techniciens reconnus désormais et qui ont fait leurs armes sous les couleurs turques, des joueurs dont l’apport fut déterminant à tous niveaux et des résultats obtenus chaque fois, la Grèce a toujours été bien représentée quantitativement et qualitativement. Mais côté turc, alors ?

IBRAHIM KUTLUAY, l’INSTINCT DU CHAMPION

Ibrahim Kutluay dont le nom signifie en version originale « lune heureuse » est une star du basket turc et porte bien son patronyme. Un nom qui résonne encore aujourd’hui auprès des jeunes générations pour son talent sur les parquets, ses titres obtenus, sa spécialité aux trois-points aux moments cruciaux, sa coupe de cheveux fluctuante et ses amours auprès de mannequin et chanteuse. Bref, une véritable gloire nationale qui aura été présent lors des moments les plus importants du basket turc aussi bien en club qu’en équipe nationale. Fan absolu de Fenerbahçe, capitaine de l’équipe également, le bonhomme aura passé sa carrière professionnelle entre Istanbul, Athènes et Salonique avec un passage éclair en NBA au Seattle SuperSonics au côté de Ray Allen. Si en Turquie, son aura sera au firmament avec Fenerbahçe, tout d’abord, puis ce que l’on nommait alors, Efes Pilsen ensuite, Kutluay prendra une décision aussi radicale que courageuse pour l’époque : l’exil en… Grèce.

Fin de la saison 1999-2000, après une nouvelle saison sur ses terres à la poursuite du titre perdu pour Kutluay, cette fois-ci face à Tofaş SAS Bursa du génial David Rivers, « Ibo » prendra la meilleure décision de sa vie : partir et quitter Istanbul vers de nouvelles aventures. Mais pas très loin non plus puisqu’il traversera la Mer Égée et se retrouvera à Athènes, à l’AEK. Si le choix pouvait paraître étrange et surtout risqué, ce fut un bon calcul pour Kutluay car un homme aura été déterminant dans cette décision. Le coach serbe Dušan Ivković saura trouver les mots et aura le charisme suffisant pour permettre à Ibrahim de se dépasser et s’adapter à la situation. Une situation toutefois très problématique car la Turquie n’était pas spécialement bien vue dans ces années-là en Grèce. Tant et si bien qu’avant même de fouler le sol d’Athènes, des protestations s’élèveront non seulement du public mais également du syndicat des joueurs présidé par Fragiskos Alvertis, capitaine emblématique du « Pana ». Le motif incriminé étant la place prise par un extra-communautaire ne convaincra personne et Ivković intégrera l’arrière turc lors de la saison 2000-2001 dans la rotation de l’AEK. Ironie de l’histoire, là encore, l’AEK étant un club fondé par des personnes ayant fui la Turquie lors de la Guerre d’Indépendance turque, tout était donc réuni pour que Kutluay soit bien « reçu ».

Dès lors, lorsque l’on est un grand champion, doublé d’un orgueil démesuré, rien ne sera impossible pour le turc. Première saison grecque et une Coupe de Grèce dans la besace au sein d’une équipe composée alors du meneur Macédonien Vrbica Stefanov, qui sera un habitué du championnat turc, du pivot Britannique Andrew Betts et des internationaux grecs Michaíl Kakioúzis et Dimos Dikoudis. Belle performance pour Kutluay dans une équipe où sa spéciale, le tir à trois points en extension, tête en arrière, sera très utile pour étirer les défenses. Surtout, après cette saison remarquable, le terrain aura parlé et permettra au champion turc de se faire accepter par ses performances et non sa nationalité. La saison suivante, même continuité, même ville, même nationalité pour son entraîneur mais un club différent. Transféré au Panathinaïkos, un des clubs les plus prestigieux au pays de Níkos Gális, sous la houlette de coach Obradović, le Turc donnera la plénitude de son talent durant deux saisons.

TURC CHAMPION D’EUROPE POUR LA PREMIÈRE FOIS ET HISTOIRE D’AMOUR CAPILLAIRE

Chez les « Verts » d’Athènes, Kutluay écrira une des plus belles années de sa carrière sportive et qui atteindra l’acmé en mai 2002 lors du « Final Four » à Bologne. Face aux Italiens du Kinder d’Antoine Rigaudeau, Marko Jaric et de Manu Ginobili dirigés par Ettore Messina, le « Pana » du capitaine Alvertis remportera l’Euroligue pour la troisième fois de son histoire. Le Turc sera aux premières loges d’ailleurs en tant que meilleur marqueur de la rencontre avec 22 points et permettra avec le génie serbe, Dejan Bodiroga, de mettre le Panathinaïkos, sur la plus haute marche du podium. Ce titre lui permettra d’être à jamais le premier turc à avoir jamais remporté l’Euroleague. Une bien belle manière de montrer à tout un peuple sa qualité pour un joueur qui montrera, même des années après, son amour au « Pana » lors de ses interviews. Une bien belle leçon de persévérance pour l’arrière sous la houlette de Fragiskos Alvertis, celui qui avait milité deux ans auparavant contre… l’arrivée du Turc dans le championnat grec. Dès lors, sa collection sera complétée en 2003 par un titre de champion (enfin !!), le premier de sa carrière en club et Kutluay alternera, hormis sa demi-saison en NBA, les allées-retours entre Grèce (au « Pana » après son retour de Seattle, au PAOK) et Turquie (feu Ülkerspor qui sera absorbé par Fenerbahçe et pour finir à l’ITU, le club de l’Institut Technique d’Istanbul). Tout en continuant d’aider l’équipe nationale turque à atteindre au passage la finale de l’Eurobasket à Istanbul en 2001 avec Hidayet Türkoğlu, Mirsad Türkcan et Mehmet Okur, futur vainqueur avec les Detroit Pistons du championnat NBA en 2004. Finale perdue 69-78 face à son ami, Dejan Bodiroga.

Le destin et la politique seront également au rendez-vous lors du quart de finale d’Euroligue en 2005. Opposant Efes Pilsen au Panathinaïkos de Kutluay, en trois rencontres, pour l’attribution du billet qualificatif du « Final Four », la confrontation tournera au pugilat et à la provocation systématique. Défaits après prolongations (102-96), Efes Pilsen et ses fans réserveront un accueil houleux à leur ancien joueur lors de la revanche à Istanbul. Non seulement celui-ci aura droit à un menu d’insultes et de sifflets copieux mais il aura également droit à la mise en avant de son ancienne histoire d’amour sur la place publique. Car au-delà de son talent au basket, Kutluay était également une gravure de mode et reconnu pour ses différentes coupes de cheveux. Alternant les cheveux longs ou courts mais toujours en version gominée, le bonhomme tournera même une publicité pour une célèbre marque de shampooing. Dès lors, le beau « Ibo » sera toujours mis avant par la presse, à scandales, et ses histoires d’amour avec les deux « Demet » (prénom signifiant bouquet en turc) seront au centre de l’attention. Tout d’abord, Demet Akalın, une chanteuse de pop-dance, genre très prisé à Istanbul, dont la légende raconte qu’elle aurait flashé sur l’arrière lors d’un reportage effectué pour le compte d’un magazine à sensation. A la question du journaliste de savoir qui elle trouvait « beau », elle répondra : « celui qui fait ses lacets devant moi », qui n’était autre que Kutluay. S’en suivra une histoire passionnée et passionnelle jusqu’à leur rupture au début des années 2000. Ibrahim trouvera dès lors l’amour auprès de l’ancien mannequin Demet Şener jusqu’à leur divorce en 2018. Mais oublions la gazette des cœurs revenons en 2005 et au match entre Efes et le « Pana ». Entre une équipe turque qui échouait régulièrement à atteindre son objectif de début de saison chaque année et une équipe grecque plus expérimentée et solide, les trois rencontres furent au couteau. A Istanbul, dans l’ancien salon Abdi Ipekçi, lors d’un temps-mort grec, la sono lancera une chanson intitulée « Unuttum » (« J’ai oublié » en V.O.). Jusque-là, rien d’anormal sauf que le titre en question était celui chanté par l’ex-fiancée de Kutluay et qu’il fut lancé devant Demet Şener qui était déjà en couple avec Ibrahim et présente dans les tribunes. Ce dernier sortira donc complètement de son match et le « Pana » perdra la rencontre (75-63) avant de remporter la « belle » une semaine plus tard à Athènes (84-76). Ce qui était reproché à Kutluay par les fans d’Efes ? Un passage mitigé au club et son amour, quelque peu démesuré, pour son club d’Athènes. Amour néanmoins non feint et réel mais qui sera au cœur d’un imbroglio à l’époque où les négociations d’adhésion à l’UE était revenu sur le devant de la scène mais qui restaient bloqués en raison de la Grèce pour la question… chypriote. Quoiqu’il en soit, le Turc représentera au-delà des espérances, l’adaptation et la bonne réception locale envers un joueur et un homme en raison des ses qualités sportives et humaines et aura même l’insigne honneur de voir son implication reconnue par le club. Notamment avec sa proximité avec Dimitrios Giannakopoulos, le sulfureux président du « Pana » dont Kutluay se disait très proche du père et de l’oncle, décédés depuis, et d’Alvertis, la légende locale, ce qui ne fut pas une mince affaire rétrospectivement parlant pour le « Rudolph Valentino » turc.  

L’ANECDOTE QUI DÉNOTE : ANTONIS FOTSIS EST DÉSORMAIS TURC !!

La Grèce et la Turquie sont des voisins qui se supportent et se tolèrent en fonction des années ou de l’agenda politique de leurs dirigeants. Même si à la lumière de la crise économique qui frappa le pays, la Grèce ne fera pas grand cas durant une dizaine d’années de son voisin qui sera en plein boom économique, à l’instar du développement du basket local. Mais malgré toutes les avanies, les provocations intentionnelles ou non et le chauvinisme de part et d’autre, en 2016, une nouvelle est venue montrer que l’histoire savait faire un clin d’œil aux peuples. En effet, les journaux turcs se languirent d’une nouvelle étonnante.

Un des membres les plus éminents de l’équipe nationale grecque et du « Pana », Antónis Fótsis, trois fois champion d’Europe, prendra la nationalité… turque. Par un incroyable concours de circonstance et une tragédie pour le Grec suite au décès de sa mère, née à Istanbul, et suite à ses dernières volontés, le joueur ira faire les démarches auprès des instances consulaires afin d’obtenir un passeport turc. Une anecdote douloureuse mais qui résume une situation bien réelle et un symbole. Malgré les convulsions de l’histoire et les tragédies subies par les populations à travers les échanges qui eurent lieu après l’Indépendance turque (les Grecs de Turquie iront en Grèce et les Turcs de Grèce feront le chemin inverse, les Grecs utilisant même le terme de « Grande Catastrophe » pour désigner ce mouvement de populations), chacun a une part de l’autre dans son histoire. Et le basket et la balle orange seront là pour rappeler qu’un rapprochement sportif aura toujours plus de poids que n’importe quelle autre décision se rapportant aux destinées d’hommes et de femmes. Une des légendes de l’équipe de Fenerbahçe n’était autre que le regretté Lefter Küçükandonyadis, dont les parents étaient grecs et qui, lui, fut un des meilleurs joueurs turcs de l’histoire. Si loin mais finalement si proches, les Grecs et les Turcs et c’est tant mieux ainsi.

About Volkan Ozkanal (30 Articles)
Fan de basket européen, d'Anadolu Efes, de Fenerbahçe du KK Partizan Belgrade et du CSKA Moscou, je voue un culte à l'immense Željko Obradović ainsi qu'à Petar Naumoski, grâce à qui j'ai appris à aimer la balle orange. Passionné également d'histoire, j'essaye de transmettre ma passion à travers Basket Retro.

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