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Souvenirs d’Euro : Freddy Hufnagel : « Je pensais que le basket allait m’aider à monter un bar »

Interview

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Retro

Aujourd’hui retour sur l’expérience internationale de Freddy Hufnagel (102 sélections entre 1981 et 1989). Avant la professionnalisation en 1984, il n’imaginait pas faire du basket son métier … L’ancien meneur de jeu a participé à quatre reprises aux championnats d’Europe avec les A, voyageant avec le maillot bleu et un regard politique déjà bien affirmé. 

Basket Rétro : Quel parcours vous a mené à Orthez ?

Freddy Hufnagel : J’avais été repéré en 1977, c’est ce qui m’a permis d’aller aux championnats d’Europe des catégories jeunes. Ma mère voulait que je passe le bac avant de me laisser partir, donc je suis allé à Orthez en 1979. À l’époque on ne se posait pas de question, on allait dans le club le plus proche. Nous on était aquitains, donc on regardait les JSA de Bordeaux et l’Elan Bearnais d’Orthez. C’étaient des années d’insouciance, on ne se posait pas la question en termes de carrières. Ça a changé en 1984 avec le statut pro, c’est là qu’on s’est dit qu’on pouvait en faire notre métier. Mais moi j’avais 24 ans quoi, jusque là on était défrayés. J’avais vécu en communauté, j’étais payé 550 francs par mois … Je pensais que le basket allait m’aider à monter un bar, ou à reprendre des études. Moi je voulais juste jouer à Orthez. Et on restait dans le club, moi à Orthez, Dacoury à Limoges … Bon, il y avait des transactions mais c’était le fait des présidents. Après 1984, ça n’a pas arrêté d’évoluer, les clubs ont dû changer leur politique, trouver des ressources …

BR : Vous-mêmes vous êtes bien partis d’Orthez par la suite ?

FH : Oui, à 30 ans je suis parti à Paris. Cela faisait 12 ans que j’étais à Orthez, j’étais à un âge de maturité, j’avais envie aussi d’un changement de vie, je me posais pas la question en terme de carrière sportive. À un autre moment j’avais des propositions du Real Madrid, mais jamais de la vie je ne serais parti d’Orthez.

BR : Vous n’avez pas été tenté par l’Espagne, dont le championnat était nettement plus pro qu’en France ?

FH : Nous on était à 80 km de la frontière, donc on était fanas soit de Madrid soit de Barcelone. Mais dans la vie de tous les jours, je menais une vie « tranquille », et je ne voulais pas changer, même si ce n’était pas du tout la même chose qu’en Espagne. En France les clubs se professionnalisaient, mais ça a pris 10 ans. Les choses se sont construites progressivement. Même dans les années 1990-2000, la génération de Fauthoux a pris le relais à Orthez, mais on était encore dans le moule du club familial, les joueurs étaient inamovibles. Ça a vraiment changé dans les années 2000. Aujourd’hui d’autres clubs sont apparus, Chalon, Strasbourg Nanterre, mais tout ça c’est une affaire de génération.

BR : Votre premier euro c’était donc en 1981, avec Hervé Dubuisson, Jacques Cachemire, Eric Beugnot, Jacques Monclar … Vous étiez un très jeune joueur, qu’est ce que cela représentait de partager le maillot bleu avec eux ?

FH : Oui j’avais été pris en 1981 car il y avait eu des blessures. Mais de ma génération il y avait Richard Dacoury, Patrick Cham, Georges Vestris. C’était un peu à l’ancienne, on était les petits jeunes donc il y avait un respect des anciens. Bien sûr qu’on était contents d’y aller. C’était Pierre Dao qui avait intégré les juniors à l’équipe de France, on avait fait une tournée aux États-Unis, ça nous avait du bien car on avait déjà de l’expérience avec le groupe. J’avais déjà fait les championnats d’Europe en cadet et en junior, donc on enchaînait. C’était plus ou moins le même groupe, ça paraissait plus ou moins normal d’arriver en A. Enfin normal non, mais on ne se posait pas de question quoi. Il y avait pas de revendication particulière, il y avait une hiérarchie établie et on était contents d’être là

BR : Votre génération était assez ancrée dans une culture de clubs familiaux, régionaux. Comment se passaient les retrouvailles en équipe de France avec les rivaux ?

FH : Il y a toujours des rivalités, mais dans ma génération avec Richard Dacoury, Patrick Cham, Georges Vestris, Jean-Luc Deganis, Philip Szanyiel, on est toujours copains parce qu’il y a des souvenirs. Je pense qu’il n’y avait pas d’arrière pensée de se dire qu’on allait en défavoriser un au profit d’un autre, il y avait beaucoup moins d’argent donc ce n’était pas une motivation, on était contents d’en toucher, il ne faut pas cracher dans la soupe, mais on ne se disait pas qu’on allait en prendre le double en allant ailleurs. On est toujours copains avec Franck Cazalon, Jacques Monclar, Eric Beugnot. Il n’y avait rien de malsain. Bien sûr qu’il y a eu des histoires, mais c’était sur le moment, on a pas gardé de rancune. Et je pense qu’ils le voient pareil. Il y a eu des rivalités, c’est normal, mais le groupe a toujours bien vécu.

BR : Vous avez fait un euro en Grèce et en Yougoslavie en 87 et 89. Que pouvez vous nous dire sur ces pays réputés pour leur culture sportive singulière ?

FH : Les grecs ou les Yougos ils vont vous gueuler dessus pendant le match, mais vous sortez dans la rue, ils sont contents de vous parler. C’est comme en Espagne, c’est des afficionados. Le public que j’ai trouvé le plus dur, c’est en Israël, car il y a vraiment un sentiment nationaliste qui ressort. Cela va au-delà du sport. Ça m’est arrivé d’aller en Grèce 20 ans après, j’ai vu des gens qui se souvenaient de m’avoir vu jouer avec Orthez ou l’équipe de France. Après c’est un public dur. Mais le contexte actuel fait que le sport est dépassé, je vous parle des années 80. La politique malheureusement bouffe le sport à chaque fois. La Yougoslavie à partir des années 1990, ce n’est plus du tout la même chose, il y a eu une guerre, il y a eu des morts …

BR : En 89 on allait sur la fin du régime Yougoslave, Tito était mort depuis une dizaine d’années … Vous ressentiez ce contexte politique particulier en Yougoslavie ?

FH : En 89 on sentait partout dans les balkans que ça bougeait. Et après l’explosion du bloc communiste, ça a fait ressortir tous les sentiments nationalistes, et pas que dans les balkans. Moi ma vision politique je l’ai développée quand j’avais 17-18 ans, je n’ai pas attendu. Mais ensuite ça a été une explosion en Yougoslavie, c’était horrible parce que les joueurs étaient copains … Jurij Zdovc était slovène, Petrovic était croate, Divac serbe … Il y a eu des morts de chaque côté, ce n’était plus le même problème. On ne se rend pas toujours bien compte de ce qui s’est passé, il y a eu des milices, des meurtres. Dragan Lukovksi était marié à une croate, lui était serbe, il me racontait au quotidien ce qui s’était passé quand il a joué à Orthez (NDLR : entre 2001 et 2004), c’était pas de la rigolade, ça dépasse l’entendement. On pouvait se faire tuer pour des raisons de nationalité. Le sport malheureusement est victime de la politique.

Hufnagel (en bas à droite) et le groupe français des championnats d’Europe 1989.

BR : Pour revenir au plan sportif, il y avait un retard français sur les grands pays de basket. Il était déjà visible quand vous étiez en cadet ?

FH : Plus ou moins oui. Non, ce qui nous a un peu décontracté c’est la victoire de Limoges en Korac je pense, nous on s’est dit avec les clubs, on a commencé à jouer d’égal à égal avec des équipes comme le Réal Madrid. On a pris d’abord des branlées mais c’était pour se forger cette expérience.

BR : D’ailleurs à l’époque il y avait moins de joueurs qui partaient à l’étranger. Les oppositions qui naissaient entre clubs européens se poursuivaient à l’euro ?

FH : Oui, les meilleurs joueurs des clubs étaient tous à l’euro, que ce soit Gallis, Sabonis, Petrovic et j’en passe. Avec les victoires en club on s’est dit qu’on pouvait arriver à leur niveau en sélection, mais ça a pris du temps. Notre génération a commencé à gagner des titres en club, et c’est la génération suivante, celle de Rigaudeau et Sciarra qui ont commencé à performer avec l’équipe de France. Eux avaient aussi bénéficié de l’INSEP.

BR : L’INSEP a été un tournant pour la formation française ?

FH : L’INSEP avait commencé à réunir les meilleurs jeunes français à partir des années 1980, c’est Gérard Bosc, notamment, qui avait mis ça en place. C’était le projet horizon 80. Cela a pris du temps, mais, au bout de 10 ans, l’INSEP a commencé à sortir quelques pépites. La génération Rigaudeau a fait une finale olympique, et derrière ça a enchaîné avec la génération de Parker. L’idée de la formation à la française avait été une excellente idée. Ces bons jeunes qui jouaient ensemble et contre plus forts qu’eux ont été beaucoup plus aguerris quand ils sont arrivés aux championnats d’Europe, c’est un peu ce qui nous avait manqué.

BR : Finalement, les oppositions sur le continent ont permis de prendre conscience de ce besoin d’améliorer la formation …

FH : Bien entendu, mais il y a toujours des gens qui se sont battus pour ça, qui étaient d’abord des éducateurs avant d’être des entraîneurs. Aujourd’hui l’INSEP ça paraît normal, mais ça a été un long combat, notamment pour trouver un budget. Aujourd’hui les agents y vont directement. Et le maillage qui a été fait sur le territoire, ça c’est Jean-Pierre de Vincenzi qui a mis ça en place, est beaucoup plus important.

BR : Vous avez continué de suivre les équipes de France depuis votre retraite internationale ?

FH : Je les suit toujours à la télé, que ce soit la génération de Rigaudeau ou de Parker. Je jouais avec Rigaudeau durant ma dernière saison en pro, je voyais Laurent Sciarra. Je suivais l’équipe, j’avais de bons rapports avec Claude Bergeaud puis Alain Weis. Mais j’avais un regard d’afficionados, pas un regard de technicien, même si j’ai suivi tout ça avec attention.

BR : Il est maintenant temps pour nous de vous laisser le mot de la fin … 

FH : Eh bien je dirais à tout le monde de continuer à aimer le basket, et de s’investir à fond ! Là je suis avec un petit club en départementale, et je félicite et encourage tous les gens qui s’investissent au quotidien quel que soit le niveau, car c’est de là que part la formation, la découverte des pépites qui feront un bien fou au basket français. Tout part des petits clubs. Les grands clubs, eux ils ne font que de la gestion. Trouver des gens motivés tous les soirs pour entraîner, faire les sandwichs, expliquer à la maman que son fils ne sera peut être pas pro dans 20 ans … C’est compliqué, il n’y a pas de diplôme pour ça, que le cœur !

Propos recueillis par Antoine Abolivier

About Antoine Abolivier (85 Articles)
Tombé dans le basket en découvrant Tony Parker et Boris Diaw. Passionné par tout ce qui touche à son histoire que ce soit le jeu, la culture ou les institutions. Présent sur twitter, @AAbolivier

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