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Munich 72 – La chute de l’Empire Américain – Partie 2

Jeux Olympiques

3 secondes ! Le temps d’une secousse sismique. Et c’est en effet un véritable tremblement de la planète basket qui secoue en ce 9 septembre 1972 le « Basketball hall » de Munich. Pour la première fois de l’histoire des Jeux Olympiques, les USA perdent un match de basket. Et quel match… la finale ! Une finale dantesque achevée dans le chaos qui voit triompher l’URSS de Sergueï Belov. A partir de ce jour, plus rien ne sera comme avant. Les Etats-Unis ne sont plus seuls.

9 septembre 1972. J’ai 13 ans. Pour rien au monde j’irais échanger un 33 tour des Doors ou de Donny Hattaway contre une galette vinyle de Vladimir Vyssotsky, un Levi’s râpé à boutons contre un col roulé caca d’oie qui gratte le cou, une séance de « Little Big Man » contre une de « Toi et moi », la chaleur d’un campus qui fout le bordel contre la froideur d’une Place Rouge qui courbe l’échine… Les articles de Jean-Jacques Malleval dans l’Equipe Basket sont mes évangiles. L’Amérique pop et cool, c’est mon fantasme d’ado. Alors forcément je suis pour les « Blancs » et contre les « Rouges ». Le résultat me dévastera.

TROISIÈME ROUND

9 septembre. Le Basketball Hall, (6500 places), est sold out. Ses majestés, Constantin de Grèce, le Grand-Duc du Luxembourg et leurs épouses n’ont pu trouver de places. On les imagine mal négocier des tickets au marché noir qui s’échangent à plus de 100 francs, (énorme pour l’époque), sur un trottoir de la Siegenburgerstrasse. Hors de l’enceinte, au delà de l’Atlantique, au delà du Mur, on se défie du regard. Le match Est-Ouest en est à la troisième confrontation de l’été. La première a vu l’Américain Fisher renverser le maître soviétique Spassky au bout de 21 parties d’échecs acharnées qui ont tenu la planète en haleine de la mi-juin à fin juillet. Les Rouges ont pris leur revanche une semaine seulement avant la finale de Munich. Leurs hockeyeurs ont fait mordre la glace aux stars canadiennes estampillées NHL. Une humiliation pour toute l’Amérique du Nord. Aujourd’hui, au cœur d’une Allemagne déchirée par le rideau de fer, c’est la belle. Le troisième round décisif du combat Cold War League. Deux arbitres, Renato Righetto, un Brésilien, (Ouest), et Artenik Arabadjan, un Bulgare, (Est). Entre-deux !

« Les Soviétiques ont joué près de 400 matchs ensembles. Nous, nous avions 12 matchs de préparation. » – John Bach, assistant coach des USA

D. Collins JO 72

Doug Collins s’élève au dessus d’Alexandre Belov.

VINGT MINUTES D’ENNUI

La première mi-temps est une purge. Mais une purge maîtrisée par les Soviétiques qui acceptent le jeu proposé par Iba. Après tout, ce sont eux qui ont été les chantres de cette tactique du jeu posé au service d’intérieurs dominants. Les défenses prennent le pas, les intérieurs se neutralisent, mais les Rouges disposent d’un atout que la logique aurait plutôt aligné dans le roster des Blancs. Un swingman capable de faire la différence à la périphérie et de prendre le jeu à son compte si nécessaire. Devant ses téléviseurs l’Amérique horrifiée découvre que le meilleur sur le terrain est dans l’équipe d’en face et porte le nom de Sergueï Belov. L’écart monte à 10 points, 19/9, avant de se réduire à 3 au coup de sifflet qui marque la fin de la mi-temps. 24/21 pour les Russes. Les Américains peuvent considérer que c’est un moindre mal.

« L’Amérique a été offensée. Elle ne veut pas perdre en quoi que ce soit, notamment au basket-ball. » – Ivan Edeshko

DOUZE MINUTES DE TENSION

La seconde mi-temps démarre sur ce même faux rythme. Les Soviétiques se créent un nouveau petit matelas de 7 points, mais il peut paraître insurmontable tant le score est famélique, 34/27. Même pas un petit point par minute pour les USA, la honte monte aux visages de ses supporters. Puis le match s’anime enfin à la 28e minute. Un accrochage entre Korkya et Dwight Jones fait monter la tension d’un cran. Les deux garçons sont expulsés après avoir échangé quelques coups poings qui n’ont frappé que l’air du Basketball Hall. Sur l’entre-deux qui suit, Brewer se prend le coude d’Alexandre Belov sur la tête. Sonné, il s’écroule sur le parquet, avant de se relever à moitié groggy.

L’incident semble d’abord profiter aux Russes qui refont un break de 10 points. Mais Ratleff, Brewer et Bantom ramènent les leurs à 4 petits points. Les boys mettent enfin du rythme, de la vitesse, du jump… Presse tout terrain à 44/38, le musculeux Kevin Joyce fait fi des consignes frustrantes du coach et se prend pour Tazz, le diable de Tasmanie des Loney Tunes. Un drive dans la peinture et un shoot longue distance en première intention et voilà les blancs à moins deux. L’empire soviétique tangue mais résiste sur la ligne des lancers francs où l’envoie l’agressivité défensive de son adversaire. (Et les coups de sifflet suspects de M. Arabadjan diront certains). Kevin Joyce, encore lui, puis Doug Collins… 48/46. Sur le rebond qui suit le floater manqué de Collins, Bantom écope d’une faute.

Il reste 55 secondes de jeu. « Hank » Iba fait entrer les centimètres de McMillen, Kondrachine l’expérience de Volnov. Sergueï Belov ne convertit qu’un de ses deux lancers. 49/46. Possession USA. Forbes réclame la balle en tête de raquette. Ficelle ! 49/48. Défense individuelle avec prise à deux systématique sur le porteur du ballon. Les Russes ne trouvent pas de solution. Après 9 passes, Alexandre Belov hérite de la balle sous le cercle où il est contré par McMillen. Le Russe récupère la balle mais sa passe est dévié par Joyce dans les mains de Collins qui file coast to coast au lay up. Il est violement séché par Sakandelidze, la tête du meneur US cogne contre le plexi, il s’écroule sur la mousse protectrice au pied du panneau. Après des soins, Collins se présente sur la ligne des lancers. Le tableau d’affichage indique qu’il reste 3 secondes à jouer.

Collins ne tremble pas. Sa bonne bouille de gamin WASP ne trahit aucune émotion. Ficelle. 49/49. La salle explose. A la table de marque, Sergueï Bashkin, l’assistant de Kondrachine, hurle « Time out ! » Mais nul ne l’entend. Collins arme son shoot. Ficelle. 49/50. Alexandre Belov remet la balle en jeu, Serguei file en dribblant vers le panneau opposé. L’arbitre arrête le jeu avant même qu’il traverse la ligne médiane, pour chasser Kondrachine et Baskhin qui ont franchi les limites du terrain. Palabres, Iba furieux, exige des explications. Le temps-mort est accordé à Kondrachine qui réunit calmement ses troupes autour de lui pendants que les jeunes pousses américaines éparpillées sautillent comme des lapins mécaniques en surcharge.

1 seconde à jouer. A peine a-t’il reçu la balle, Sergueï Belov la jette aussitôt vers le panneau adverse. Elle traverse tout le terrain. Elle rebondit sur le plexi. Buzzer. Les Etats-Unis sont champions olympiques.

Non !

DREI SEKUNDEN !

Renato

Renato William Jones

Car un petit homme aux cheveux blancs et aux lunettes épaisses a dévalé une travée du Basketball Hall pour se précipiter sur la table des officiels en hurlant « Drei Sekunden ! Drei sekunden ». On ne le chasse pas. Pire ! On l’écoute ce petit bonhomme au nœud papillon ridicule. Car il s’agit du secrétaire général de la FIBA, ce Renato William Jones qui s’était déjà fait tristement remarquer lors de la phase de poule, (voir Partie 1). C’est un drôle de loustic Renato. Agé de 66 ans au moment de son forfait, il est secrétaire général d’une FIBA dont il est l’un des cofondateurs. C’est à ce Britannique au look de surveillant général de public school que l’on doit l’introduction du Basketball aux Jeux Olympique de Berlin en 1936. Installé en Suisse durant la Seconde Guerre Mondiale, « on » soupçonne des activités d’espionnage au profit du MI5. C’est durant cette période, qu’ « on » sous-entend qu’il aurait noué des liens plus qu’amicaux avec les Soviétiques.

Corruptible Renato ? Pas vraiment, mais il est sensible à la caisse de pur malt 20 ans d’âge ou au beau modèle réduit de locomotive de collection que vous avez eu le bon goût d’apporter. «  On » prétend que les représentants soviétiques qui lui auraient rendu visite lors du tournoi pré-olympique de juin auraient fait preuve d’un goût exquis. Mais une chose est sûre, Monsieur Jones est un autocrate pour qui le règlement est modifiable à souhait selon sa seule volonté.  Autre chose de certaine, cet adepte de mondialisation du basket déteste les Américains qui confisquent le jeu. Il abhorre la suffisance de l’AAU qui le méprise en envoyant des équipes corpos ou militaires à ses championnats du monde mais écrase les jeux Olympiques de sa supériorité. Un jour, il leur fera payer.

Et ce jour est peut-être venu quand il voit le tableau afficher 1 seconde au lieu de 3. La chance est minime, mais il faut s’en saisir. C’est maintenant ou jamais. Alors il quitte son siège et fonce vers la table de marque : « Drei sekunden ! Drei sekunden ! »

«Eh bien, nous sommes foutus» – Richard Nixon

«Je sais maintenant qu’il y a un Dieu au-dessus. » – Leonid Brejnev

Outrepassant ses droits et sa fonction, le Britannique exige que l’on rejoue cette ultime séquence. Personne à la table des officiels, y compris le délégué technique, le seul a être habilité à prendre une telle décision, n’ose contredire le « boss ». On remet le chrono à moins trois secondes. McMillen se presse sur la ligne de fond adverse pour gêner la remise en jeu de Palauskas. Mais l’arbitre bulgare, Artenik Arabadjan, le fait reculer encore et encore. Mc Millen, de peur d’une faute technique, s’exécute ne sachant plus trop où se postionner. Paluskas a le champ libre pour lancer une incroyable passe de quarterback qui décrit une courbe parfaite sur toute la longueur du terrain. Alexandre Belov s‘en saisit sous l’arceau américain, un petit move, (marché ?), Bantom à terre, (faute offensive ?). Shoot ! 51/50 ! Les Etats-Unis d’Amérique viennent de perdre leur premier match olympique depuis 36 ans. L’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques est championne olympique. C’est un véritable séisme. Dans la confusion, démonstration de joie des Soviétiques, réclamation des Américains, le public est invité par le speaker à quitter la salle. La remise des médailles est remise à une date ultérieure.

Mic mac à la table de marque

La commission du jury d’appel est de composé d’un Italien, (Ouest), un Porto-Ricain , (Ouest), un Polonais, (Est), un Cubain, (Est) et de son président M. Hepp, un Hongrois… de l’Est. A 4h 30 du matin, R.W. Jones sort du bureau du jury et déclare aux nombreux journalistes encore présents : « Il y a beaucoup trop de monde ici pour que nous puissions prendre une décision. Nous allons manger une saucisse puis dormir. Nous vous informerons cet après-midi. » Quand verdict tombe, Hank Iba est déjà dans l’avion pour New-York. Au vu du rapport de force géopolitique au sein du jury, on ne s’étonne guère de voir la victoire soviétique validée par 3 voix contre 2. Le jugement est confirmé par la commission d’appel du CIO quelques heures plus tard. La cérémonie de remise des médailles peut enfin avoir lieu. La deuxième marche du long podium reste vide. Les Américains ont refusé de venir chercher leurs médailles d’argent. En 2015, celles-ci sont toujours dans un coffre à Lausanne.

16 ANS POUR APPRENDRE LA LEÇON

Bill Walton et John Wooden ont-il esquissé un sourire ironique en voyant ça ? Faudrait demander au grand Bill. Les basketix d’outre-Atlantique, eux, s’étranglent d’indignation, c’est un vol éhonté, un véritable scandale. Ils accueillent les gamins de Munich comme des héros bafoués. Les vrais connaisseurs savent qu’une victoire aurait été un hold-up qui n’aurait pas forcément rendu service à la cause du basket à travers le monde. Il faut se rendre à l’évidence, on sait aussi jouer hors des frontières de l’Union. Pourtant les Etats-uniens persistent à couvrir la balle orange de la seule bannière étoilée. NBA et ABA demeurent encore des années durant le domaine réservé des joueurs yankees.

En 1976, à Montréal, une équipe presque aussi anonyme que celle de 72 récupère son bien en ne laissant que le bronze aux hommes de Kondrachine qui en perd sa place. Les deux Olympiades suivantes sont des rendez-vous manqués. Les Américains posent un lapin pour cause de boycott à Moscou en 1980 et les Soviétiques leur rendent la politesse en 1984 à Los Angeles. C’est donc à Séoul en 1988 que la réplique du tremblement de terre de Munich se produit. Et là, en demi finale, Dan Majerle, Danny Manning, David Robinson et leurs collègues doivent admettre qu’en face … C’est plus fort. Ce qui était un doute en 72 se transforme en certitude en 88. L’Amérique ne peut plus rester en autarcie. Deux des membres de l’équipe soviétiques, Sabonis et Marciulionis fouleront les parquets de la Grande Ligue. Cinq… prêt de la moitié de l’effectif yougoslave vaincu en finale, feront de même, (Kukoc, Petrovic, Divac, Vrankovic, Radja). Puis le CIO ne peut maintenir cette hypocrisie de l’amateurisme bidon. La règle d’airain, exigeant des sportifs « amateurs » pour les joutes olympiques est frappé d’obsolescence. La suite, on la connaît tous… 1992, Bird, Magic, his Airness, Chuck Barkley… La terre entière connaît déjà les noms et surnoms de ces joueurs qui débarquent à Barcelone sous les feux des projecteurs.

De la joie au désespoir

ÉPILOGUE

Munich 72 c’est le Séville 82 des Américains. Le défaite qui revient toujours sur le tapis, celle avec laquelle on aime se faire mal, celle qui vous a marqué à vie. Plus de 20 ans après, les plus âgés friment devant les gamins : « J’étais devant mon poste. Je l’ai vu en direct. » Depuis ce 9 septembre 1972, des documentaires, (dont le « 3 seconds of chaos » d’ESPN classics), des dizaines, des centaines, d’articles dans la presse écrite, sur le web, des réunions commémoratives et même des thèses conspirationnistes n’ont cessé d’être produits sur les trois secondes les plus célèbres de l’histoire du sport. Si à 13 ans, elles m’ont infligé une véritable blessure, aujourd’hui je pense que… finalement… Je suis plutôt content que mes idoles aient perdu, de cette manière, avec ce scénario insensé. Merci à Iba, Kondrachine et leurs boys d’avoir été les metteurs-en-scène et les acteurs d’un match pourtant vilain. Merci à Wooden et Walton d’être crédités au générique sans jamais apparaître à l’écran. Merci à cette canaille de Renato William Jones d’avoir été un parfait « Ugly » d’Hollywood.

Quel est l’imbécile qui a dit que seule la victoire était belle ? On s’en fout de la victoire du moment que l’histoire est passionnante.

LA CHUTE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN EN INFOGRAPHIE

Photos © Equipe Magazine Basket – Internet

Montage Une et Infographie : Laurent Rullier pour Basket Rétro

About Laurent Rullier (78 Articles)
Le premier match de basket que j'ai vu en live était un Alsace de Bagnolet vs ASVEL. Depuis la balle orange n'a pas arrêté de rebondir dans ma p'tite tête.

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