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ITW Laurent Sciarra – Part 2 : « L’équipe de France est la vitrine de ton sport »

Interview

Suite de notre entretien aujourd’hui avec Laurent Sciarra. L’ancien joueur de l’équipe de France nous a parlé de ses expériences dans les clubs étrangers et de coach en France, du championnat de France de Pro A, et de pleins d’autres thèmes en rapport avec la balle orange. C’est à découvrir dans cette deuxième partie.

Basket Rétro : Vous avez joué dans plusieurs clubs français (dont Montpellier, Le Mans, et l’Asvel) mais aussi en Italie (Trévise, Imola), en Espagne (Huelva), en Grèce (Panonios). Pouvez-vous nous parler de la différence de culture basket entre ces différents pays. Que retenez-vous de ces expériences à l’étranger ? (ambiance, entraînements, supporters)

Laurent Sciarra : Le terrain c’est du kif-kif. La seule différence, c’est que tu joues avec des top joueurs. L’intensité est maximale. T’as des entraineurs particuliers et tops. C’est le club qui fait tout pour le joueur. En France, on n’a pas bien compris. Au niveau professionnel, ça arrive. C’est des petits détails. J’ai joué à Trévise qui à mon époque était un des plus grands clubs européens. On fait le Final Four en 98 avec coach Obradovic. Tu ne t’occupes que du basket. On te loge comme il faut. On te file une voiture comme il faut. On s’occupe de toi. T’as des papiers ou pas, tu ne t’occupes que du basket.

En France, malheureusement, les joueurs doivent s’occuper de tout le reste. On s’occupe pas d’eux. C’est la merde. Ils arrivent. Les appartements ne sont pas prêts. Tu fais un sport de haut niveau. T’as des athlètes de haut niveau, pour certains, y en a c’est juste le nom, mais il faut s’en occuper. Comme ça, bizarrement, le joueur n’a pas de discussion. Le sportif de haut niveau, c’est un grand enfant. Si tu lui donnes une petite excuse, il va s’en servir. Y a très peu de joueurs qui prennent sur eux. Ils disent voilà j’ai pas été bon. Là y a des mecs qui disent « ouai tu m’as fait la passe dans les pieds, ouai le système il n’est pas pour moi, ouai le coach me fait sortir, je ne devais pas sortir, mon frigo, ma machine à laver marche pas ». A l’étranger, cela n’arrive jamais. En Grèce, je dis ça mais ils ne m’ont pas payé pendant 3 mois. Dans les vrais clubs estampillés Euroligue ou même maintenant Eurocoupe, il faut pas que le joueur ait des excuses. Plus tu lui en donnes, plus il va s’en servir.

BR : Et au niveau des entraînements ?

LS : J’ai joué en Italie avec coach Obradovic. J’ai joué pour le top. Il y a coach Yannakis pour qui j’ai joué au Panonios en 2001-2002. C’est l’ex-coach de l’équipe nationale grec. C’est le top. C’est tes coéquipiers aussi qui font que c’est le top. Quand tu t’entraines et que tu joues avec plus fort… Je vais te prendre l’exemple de l’équipe de France. Devant moi, j’avais deux tops joueurs : Antoine Rigaudeau, et Moustapha Sonko. Je me suis jamais occupé de savoir si j’allais être meilleur qu’eux. Moi je m’occupais d’être meilleur par rapport à ceux qui arrivaient derrière moi. Pour moi, ces deux joueurs étaient intouchables. Rigaudeau et Mous intouchables. Quand tu t’entraines avec plus forts… je te prends l’exemple de Trévise : Henry Williams ; Stefano Rusconi ; Riccardo Pittis ; Denis Marconato. Ce sont des tops joueurs. T’es obligé toi-même d’élever ton niveau. Et l’entraîneur bam, baguette. En France, dès que ca va pas, c’est la faute de l’entraîneur. Ok peut-être. Mais peut-être aussi que les joueurs doivent faire plus d’effort. Ils doivent s’entraîner plus durs.

Laurent Sciarra portrait (c) Eurosport

Laurent Sciarra (c) Eurosport

BR : En en terme d’ambiance par tous les pays dans lesquels vous êtes passé ?

LS : Quand t’as joué en Grèce, pas un match de Coupe d’Europe, mais un championnat complet, tu peux jouer n’importe où. C’est tellement fou que tu ne crains même pas pour ta vie. Ca va tellement vite, tu te dis qu’est-ce qu’il m’arrive. Ca te choque le premier mois. Après ça devient une routine.

BR : Ya t-il des joueurs, des entraîneurs, des adversaires qui vous ont le plus marqué dans votre carrière ?

LS : Coach Obradovic. Pour moi c’est une référence. Jacques Monclar. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, j’ai joué 4 ans pour lui, c’est quelque chose Jacques dans tous les sens (rires). J’ai eu la chance de jouer avec de tels coéquipiers mais aussi contre des adversaires tels que Bodiroga, Carlton Myers, Jason Kidd. J’ai un profond respect pour tous ces mecs qui tout au long de leur carrière. Quand ils sont arrivés (étrangers ou français), on les a fait progresser dans leur jeu. Ils les ont faits un peu évoluer. J’ai un profond respect pour les mecs qui se cantonnent pas à rester sur ce qu’ils savent faire. Ils se servent de l’expérience des autres. Et c’est là que ça manque un peu dans le basket français. Les anciens qui devraient être des joueurs référents ne donnent pas suite. Ce que fait la génération de Tony en équipe de France, je trouve ça bien : rester et être les témoins et hop ça va enchainer derrière avec cette génération qui arrive. Je l’espère.

BR : Quelles sont les qualités/défauts que disaient vos coéquipiers, coachs pendant votre carrière ?

LS : Je pense « casse-couilles ». Je le suis. Je suis un pénible du matin jusqu’au soir. Je me suis toujours énormément entraîné. J’ai toujours fait en sorte, comme je l’ai dit, en étant capitaine, d’être un modèle et d’être quelque part irréprochable dans ce que tu fais. Après on a tous des caractères, des personnalités différentes. Tu vas pas me faire dire quelque chose si je n’ai pas envie de le dire ou de faire ce que j’ai pas envie de faire. On en revient à ce que je disais tout à l’heure. Moi, ce qui m’importe, c’est l’équipe et gagner. Rien d’autre. Les petites histoires ne m’intéressent pas. Moi je veux gagner des titres. Je voulais gagner des titres.

« Coach Obradovic est une référence. Jacques Monclar, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, j’ai joué 4 ans pour lui, c’est quelque chose Jacques dans tous les sens (rires). J’ai eu la chance de jouer avec de tels coéquipiers mais aussi contre des adversaires tels que Bodiroga, Carlton Myers, Jason Kidd. J’ai un profond respect pour tous ces mecs qu’on a faits un peu évoluer tout au long de leur carrière. Quand ils sont arrivés (étrangers ou français), on les a fait progresser dans leur jeu. J’ai un profond respect pour les mecs qui se cantonnent pas à rester sur ce qu’ils savent faire. Ils se servent de l’expérience des autres. Et c’est là que ça manque un peu dans le basket français. Les anciens qui devraient être des joueurs référents ne donnent pas suite ».

BR : Vous avez connu deux expériences d’entraîneur (Vichy 2011-2012 et Rouen 2012-2014). C’était la suite logique pour vous après votre carrière d’entraîner un club ?

LS : Non. Mais je m’étais toujours dit, après ce que j’avais vécu et surtout me connaissant avec ma personnalité, que ça allait être un peu compliqué d’être accepté. A la limite que les gars ne pensent pas comme toi, c’est pas grave. Mais qu’ils voient pas le basket comme toi, qu’ils vivent pas basket, dorment pas basket, mangent pas basket… Dans ma carrière et maintenant je n’aime que ça. Je peux te parler d’un championnat moins connu, je peux te donner le nom des mecs qui sont forts dans celui-ci car ça me plait. Et là maintenant, j’ai l’impression que pour certains le basket est devenu un moyen de gagner sa vie. Ce n’est plus je suis performant, je gagne des choses, j’ai l’oseille. C’est maintenant, je veux l’oseille, je ne fais rien mais c’est pas grave. C’est une façon de gagner ma vie. Et ça ça me rend fou.

Quelque part, tu joues avec ça, cette passion. Il faut le garder comme une passion. Ce n’est pas un travail. Si tu le prends comme un travail, tu vas te faire chier, car c’est chiant de courir, de prendre des tartes, d’avoir un mec en costard ou en survêt qui te reprend car il t’a dit 10 fois qu’il ne voulait pas que tu fasses ce mouvement mais plutôt un autre. C’est chiant pour ta famille car tu la vois pas. C’est chiant physiquement car quelque part tu « manges » physiquement. Maintenant, j’ai l’impression que pour les gars c’est une façon tranquille de gagner sa vie : 3000-4000-5000€.

Mais putain non, non mon gars, faut pas perdre le truc, faut être ambitieux. Ambitieux pas pour être prétentieux mais ambitieux pour progresser. Tu joues en France en Pro A, tu as pas envie de jouer à l’étranger ? Peut-être pas envie de jouer en NBA ? Pas t’asseoir et donner la serviette mais jouer et être un joueur majeur d’une équipe. T’as pas envie ? (avec un ton insistant). L’oseille, ca viendra après. Si t’es bon, l’oseille vient après. Le bling bling ça vient après. Et les gonzesses viennent après. C’est logique. Pour certains, maintenant, ils veulent ça avant, bling bling, et après c’est pas grave. Non, c’est le faux calcul.

Laurent Sciarra, ex-coach à Rouen (c) Vincent Janiaud

Laurent Sciarra, ex-coach à Rouen (c) Vincent Janiaud

BR : Etes-vous plus un coach tourné vers l’attaque ou la défense ?

LS : Après ca dépend des joueurs que tu récupères. Si tu arrives dans un club en plein milieu de saison, tu récupères des joueurs et t’essaies d’adapter ta philosophie, ce que tu penses toi, au gars que tu as. Après t’essaies de recruter si tu as la chance de recruter à l’intersaison des gars qui correspondent au « basket » et que t’aimerais faire jouer. C’est surtout ça. Moi qui suis latin, je suis quelqu’un qu’on va me décrire de mèches courtes (ndlr : Ne pas être très patient, avoir un caractère bouillant). Forcément moi j’aime aller de l’avant. J’aime un basket où il y a un partage du ballon. Après il faut s’adapter énormément aux mecs dont tu disposes dans l’équipe.

BR : Vous êtes connu pour votre franc-parler, vos coups de gueule en conférence de presse. Vous n’hésitez pas à dire ce que vous pensez même si ça ne plait pas à tout le monde. Je revoyais la vidéo en conférence de presse suite à la défaite de Vichy. Avec le recul, ne regrettez-vous pas ces sorties médiatiques remarquées ?

LS : Pourquoi le regretter ? Pourquoi ? Parce que je dis des vérités ? Venant d’une société où on t’interdit quelque part de réfléchir, de t’exprimer car sinon tu sors du cadre ? Non. Moi je veux pas être en marge de la société. C’est pas ça mon but. On en arrive à ce que je t’expliquais juste avant. Ce soir-là, quelque part, on manque de respect aux gens, au public, au club et à plein de choses. Je suis dans mon droit de te dire que ça va pas. C’est tout. Après c’est pas faites comme moi. Non. Mais il y a une différence entre accepter certaines choses et… Moi j’ai la chance, je t’ai dit, grâce au basket, d’être ce que je suis grâce à l’éducation de mes parents. Je suis ce je suis. Mais je vais pas me taire si à un moment donné il y a quelque chose qui ne va pas. C’est pas dans mon éducation. Et parce que je n’en ai pas envie. Puisque sinon je vais le garder, ça va me gonfler. Ce soir-là, pour te rassurer, je leur avais dit en face aux joueurs ce qui allait pas. Mais ce n’était pas calculé. C’est un événement qui a fait qu’au bout d’un moment il faut arrêter de déconner.

BR : Les gens ne comprennent pas peut-être la manière dont vous avez formulé vos tels propos.

LS : Quand tu ne dis rien, les gens te reprochent de rien dire. Quand tu ne fais rien, les gens te reprochent de rien faire. Je vais te donner un exemple. On a eu un président pendant 5 ans : on a vu que lui et entendu que lui. Il en fait des caisses. Là on en a un qu’on entend moins, on lui reproche de moins en faire. Il faut arrêter. Eh. Le français n’est jamais content. De nature, il n’est jamais content. Il est jaloux. Quand ça va bien, il se cherche des soucis. Quand ça va mal, c’est la faute de l’autre. Mon gars, arrête oh. Excuse-moi, pas à toi. Mais je suis comme ça. Je ne vais pas changer. Si ça va pas, ça plait pas à certaines personnes, je m’en fous.

Concernant ses colères en conférence de presse lorsque Sciarra était coach de Vichy. « Pourquoi le regretter ? Pourquoi ? Parce que je dis des vérités ? Je suis dans mon droit de te dire que ça va pas. C’est tout. Après c’est pas faites comme moi. Mais je vais pas me taire si à un moment donné il y a quelque chose qui ne va pas. Puisque sinon je vais le garder, ça va me gonfler. Ce soir-là, pour te rassurer, je leur avais dit en face aux joueurs ce qui allait pas. Mais ce n’était pas calculé. C’est un événement qui a fait qu’au bout d’un moment il faut arrêter de déconner. Quand tu ne dis rien, les gens te reprochent de rien dire. Quand tu ne fais rien, les gens te reprochent de rien faire ».

BR : Quelle différence faites-vous dans l’évolution du basket masculin au niveau du jeu entre votre époque à aujourd’hui ?  (Terme technique, tactique)

LS : Lors de ma génération, il n’y avait que deux étrangers. Trois quand tu avais un naturalisé. Ces étrangers-là pour la plupart ils prenaient 300-400-500 000 dollars la saison. On va dire que c’était des tops joueurs. T’avais des Français car quelque part dans les centres de formations, les générations qui arrivaient, tu avais des anciens qui quand ça allait pas te mettaient des grosses tartes dans la gueule. Quand tu commences ta carrière en équipe de France comme moi, un joueur que je côtoyais m’a marqué. C’est Hughes Occansey. Oh punaise ! Moi j’ai toujours adoré ce joueur, apparemment difficile, très talentueux. Quand je suis arrivé en équipe de France, il m’a pris sous son aile, on n’a pas été longtemps dans cette équipe. Il a tenu son rôle d’ancien. Il y a plus ça. Maintenant les mecs ils arrivent, il y a 5 étrangers dans la plupart des clubs. En plus, avec cette loi des JFL (=joueurs formés localement) où ça protège le français. Mais le français est surcoté. Pour moi, il y a 5 joueurs français actuellement qui ont le niveau pour jouer à l’étranger. Tous les autres, ils sont en première division, entre guillemets par défaut car il y a 5 étrangers. Je dis pas que le niveau a baissé. La France est le cinquième marché au niveau des étrangers. A part les 3-4 clubs qui ont quelques moyens et peuvent prendre des mecs à 200 000-250000 € la saison voire peut-être même plus, les autres sont obligés de faire avec le marché. On est le cinquième marché. Donc tu en as que pour le cinquième marché.

BR : En terme technique, notez-vous des évolutions ?

LS : Non. Je n’ai pas l’impression. Les règlements ont changé. Tu joues avec les 24 secondes. C’est censé aller plus vite, marquer plus de points. Vendredi soir, je suis allé voir jouer le Paris-Levallois contre Villeurbanne : 64-60 (ndlr : interview réalisée le 6 novembre dernier.  Lundi soir, tu vois les deux équipes du championnat de Pro A Strasbourg face à Limoges 56-65. Bon, c’est censé aller plus vite, marquer plus de points, avoir plus de possessions. Mais c’est des problèmes d’adresse aux tirs. Puis comparer ce qu’on a fait avant nous ma génération et celle qui arrive maintenant… ce qui m’inquiète moi c’est l’état d’esprit. On en revient à ce que j’ai dit tout à l’heure. C’est plus ça qui me pose soucis. C’est l’état d’esprit. C’est avoir l’envie de travailler plus, de rester après les entraînements. Là ce weekend je vais jouer contre tels ricains. Il est meilleur marqueur du championnat, « putain, je vais lui casser les reins, je vais lui casser les reins (d’un ton déterminé), je vais lui mettre à moins de 10 points, à moins de 5 points le mec. Les mecs, ils n’ont pas envie. Mais non. Ca ne se voit pas dans les stats ça. Eh non, c’est les stats qui te font becqueter. Ton « con » d’agent qui te dit «  voilà fais des stats, rien à foutre de l’équipe, fais des stats, tu auras de l’oseille ». Faut pas fonctionner comme cela. Mais ce sont certains agents. On n’est pas dans le mode NBA. On s’invente un mode. Ce n’est pas notre mode.

BR : Des évolutions en terme tactique ?

LS : Forcément. On joue plus en 30 secondes. C’est toujours pareil. Quant à la tactique, ce sont les joueurs qui font le système. L’entraîneur met des systèmes en place ou du moins, il essaie de trouver des accroches avec certains de ces joueurs. Après c’est l’exécution que mettent les mecs. Puis le soir où t’es adroit… La semaine dernière, je regardais Pana- Fenerbahce, le coach du Pana Ivanovic a beau faire tous les systèmes que tu veux, les mecs ont fait 14/16 à 3 points. J’ai un profond respect pour le coach Obradovic qui entraîne au Fener mais là les mecs du Pana shootaient sur un pied. Là, on parle de la qualité intrinsèque du joueur, et on parle de l’Euroligue.

Laurent Sciarra, sa saison dernière saison en Pro A à Pau (c) Panoramic

Laurent Sciarra, sa saison dernière saison en Pro A à Pau (c) Panoramic

BR : On assiste à un championnat de France de Pro A irrégulier avec des champions différents en presque 10 ans. Quel est votre regard à ce sujet ?

LS : Comme je te le disais, la France est le cinquième marché au niveau des joueurs étrangers. Nos meilleurs joueurs français, à part 5-7 cas, sont tous à l’étranger. Tu fais un, deux, trois coups une année avec des mecs du cinquième marché. Forcément les gens du premier, second, troisième et quatrième marché vont s’intéresser aux mecs issus du cinquième marché et que toi tu as eu à 80 000 € ou 100 000 € l’année. Et les autres clubs des autres marchés vont lui proposer 300 000 € l’année. Le coup que tu as donc réussi une année, te propulse. Si tu ne réussis pas le même coup l’année d’après, tu baisses d’un cran. Et celui d’avant qui n’avait pas bien réussi, se fait devancer par celui qui a réussi. Comme la France est le cinquième marché plus ou moins, on n’arrive pas à garder des garçons financièrement. Le mec ne peut pas s’inscrire dans une durée. Mais tu peux pas lui en vouloir car chez toi il gagne 100K€ et arrive un club turc, grec, espagnol, ou russe proposant 250-300 K€. Et ba pour que le gars reste chez toi pour 100K€, c’est que c’est un sacré gars. C’est comme ça. C’est l’offre et la demande. C’est le business. A part Limoges qui a réussi à garder ses Français, et qui a dû changer beaucoup de joueurs étrangers, avant tu pouvais garder des gars. Ils s’inscrivaient sur une certaine durée. Tu avais l’Euroligue. Là tu ne sais pas qui va aller en Euroligue.

BR : Que faire pour que la France brille en Euroligue ? Les clubs ont du mal à atteindre le Top 16. On attend toujours un successeur à Limoges, vainqueur en 1996.

LS : On attend surtout d’un club qu’il aille au Final Four. Ce n’est pas arrivé depuis 2007. Il y a un aspect économique certes. Mais faut que les mecs travaillent plus. Il n’y a pas de secrets. Faut travailler plus. Faut qu’ils acceptent de travailler plus. Et pas commencer à regarder à coté. « Regarde ta gamelle » et pas à côté ce qui se passe. T’occupes pas d’à côté. On ne travaille pas assez. Faut pas se leurrer. Quand tu vas dire cela, les mecs ils vont bondir. « Ah qu’est ce qu’il dit l’autre encore ». Pas de problème. On a fait monter les JFL, et s’il n’y avait pas cette loi des JFL, certains resteraient en Pro B ou en Nationale 1. Il y a le même problème au football. Tous les meilleurs joueurs français ou du moins les top joueurs sont pas en Ligue 1 mais à l’étranger. Donc tu as pris des mecs du niveau en dessous et tu les fais monter au niveau supérieur. Mais à côté la fiscalité n’est pas la même. Comme j’ai dit tu gagnes 100K€, on te propose 300K€. C’est chaud de faire un choix après. Dis-moi si je dis une connerie. C’est comme les autres joueurs français, qui ont rien prouvé et à qui on leur propose des contrats garantis sur 3 ans en NBA : 1,5M ; 1,8M 2M. Et le mec sait déjà qu’il est millionnaire. Il s’en fout un peu de sa progression. Ce qui est dommage.

 » La France est le cinquième marché au niveau des joueurs étrangers. Nos meilleurs joueurs français, à part 5-7 cas, sont tous à l’étranger. Tu fais un, deux, trois coups une année avec des mecs du cinquième marché. Forcément les gens du premier, second, troisième et quatrième marché vont s’intéresser aux mecs issus du cinquième marché et que toi tu as eu à 80 000 € ou 100 000 € l’année. Et les autres clubs des autres marchés vont lui proposer 300 000 € l’année. Le coup que tu as donc réussi une année, te propulse. Si tu ne réussis pas le même coup l’année d’après, tu baisses d’un cran. Et celui d’avant qui n’avait pas bien réussi, se fait devancer par celui qui a réussi. On n’arrive pas à garder des garçons financièrement. Le mec ne peut pas s’inscrire dans une durée. Mais tu peux pas lui en vouloir car chez toi il gagne 100K€ et arrive un club turc, grec, espagnol, ou russe proposant 250-300 K€. Et ba pour que le gars reste chez toi pour 100K€, c’est que c’est un sacré gars. C’est comme ça. C’est l’offre et la demande. C’est le business.

BR : Quel regard portez-vous sur les récentes performances des équipes de France : les champions d’Europe 2013 médaillé de bronze en 2014 et les vice-championnes olympique 2012 ? Pensez-vous que la France va dominer sur le plan européen voire mondial sur les cinq années à venir ?

LS : J’en sais rien. Ce qui est sûr c’est que l’équipe de France est la vitrine de ton sport. L’équipe de France ne se négocie pas. Quand tu es sélectionné ou présélectionné en équipe de France, tu viens. Je te parle pas du maillot, du coq, de la cocarde. C’est un honneur d’être en équipe de France. Et tu te bats pour venir en équipe de France. Tu « joues » pas avec l’équipe de France. Savoir si on va dominer, j’en sais rien. On a une génération qui a fait le métier depuis bien 8-10 ans. Elle a toujours été là. Elle a eu des fois dans les compétitions, le petit truc qui n’a pas réussi. Là le prochain euro tombe chez nous. Mais dans deux ans, cette génération va s’arrêter. Moi je suis surtout un petit peu sceptique dans celle qui arrive. Est-ce qu’elle va garder les mêmes valeurs d’investissement, de sacrifices pour venir en équipe de France tous les étés ? Et ne pas t’occuper toi. La priorité, c’est l’équipe de France. Quant aux filles, je suis comme ça. Tu fais vice-championne d’Europe, vice-championne olympique, auparavant tu as été deux fois championnes d’Europe. Y a pas matière à parler plus. C’est plus que respectable.

BR : Quels conseils donneriez-vous aux garçons et filles qui veulent effectuer une carrière comme la votre ?

LS : Travailler. Travailler. T’as fait un bon match, c’est bien pour ta famille, ton petit ego. Tu te mets sur le toit le soir. Tu t’amuses. Le lendemain, tu travailles. Si t’es en Pro B, tu fais le maximum pour venir en Pro A. Si t’es en Pro A, t’essaies le maximum d’être dans un club qui joue une Coupe d’Europe. Quand t’es en Coupe d’Europe, t’essaies  d’aller jouer le Top Euroligue. Et t’essaies de rester en Euroligue. Et t’essaies chaque année de regarder les mecs qui sont en rotation avec toi, qui sont meilleurs que toi, et d’être meilleurs qu’eux au quotidien. Il faut travailler et gérer sa carrière le mieux possible et son argent. Mais surtout ayez le plaisir de faire ça. Et gagner des choses. C’est des choses qui restent à vie pour toi et dans les clubs dans lesquels tu joues. Y a que comme ça que tu fais un palmarès.

BR : Pour revenir sur votre carrière, ça ne vous a pas tenté une expérience dans une fac américaine ?

LS : Dans ma génération, on a découvert la NBA grâce à Canal Plus. J’étais plus en train de lire le magazine Maxi Basket à l’époque. Ma mère me l’achetait tous les mois. Moi j’étais très basket français. On avait la chance de voir quelques matchs en direct à l’époque sur Antenne 2. Après, on a eu des épopées  de certaines équipes en Coupe d’Europe. Non non ce n’était pas du tout mon truc la fac aux Etats-Unis. Puis tu sais pas si tu vas réussir. Des fois il faut des circonstances, de la chance, un club qui compte sur toi, un entraîneur qui t’impose et te fait confiance. Je suis souvent arrivé au bon moment car on m’a fait confiance. Et quand c’est le cas, la moindre des choses c’est de rendre la confiance aux gens qui t’ont fait confiance. Je suis joueur majeur, et je dois plus rien à personne ? Mais non mon gars, t’es pas là par hasard. Sans tes coéquipiers, t’es rien. Il y a qu’un joueur qui a été capable de gagner des choses, du moins au départ qui pensait pas comme ça, c’est Michael Jordan. Ce garçon est le parfait exemple. Il a gagné mais à un moment il s’et  dit «  Oh, meilleur marqueur, meilleur marqueur 35-40, 35-40 points, je gagne rien. Bon ba maintenant on va voir différemment. Le gars a pris six titres. Sans coéquipiers au basket, tu n’es rien. Tu peux estimer, peut-être que toi tu peux faire la différence, mais tu es rien sans les autres.

BR : Vous êtes consultant Eurosport pour les matchs d’Eurocoupe. Vous n’avez pas hésité à accepter cette proposition ?

LS : C’est ma troisième année.

BR : C’est quelque chose que vous vouliez faire après votre carrière ?

LS : Non non, ça s’est proposé comme ça. Et puis ça me plaît. On parle basket.

BR : Comment vous vous préparez à commenter un match ?

LS : Je regarde énormément de matchs. J’ai la chance de pouvoir en voir pleins. Il y a des sites appropriés. Il y a le fait aussi que j’aime ça. Je reconnais des joueurs que j’ai déjà vus évoluer à droite et à gauche. On me demande d’intervenir sur quelque chose que je pratique depuis 25 ans. « Putain, quel bonheur ». Je suis bien traité ici honnêtement. Ca se passe bien. J’habite à trois minutes. Cette année, on passe un cap avec une émission en direct avec Lionel Rosso et Thomas Morel où on fait l’avant-match. Puis on discute même de l’Euroligue après les matchs. En plateau, c’est une émission qui dure une grosse demi-heure. C’est extra et une chance incroyable. C’est bien. C’est bon. Tu vois d’autres équipes évoluer. Tu suis les équipes françaises. Lors de la dernière journée, on est à plus de 50% de victoires. C’est plaisant. Tu vois ce qui se fait, des joueurs. Peut-être que si j’ai l’opportunité de pouvoir réentraîner un jour, il y a des mecs qui peuvent m’intéresser. Ca permet pas que de rester dans le milieu, ca permet…. Basket.

BR : Eurosport vous laisse une liberté de ton ? Ils ne vous disent pas de faire attention à vos propos.

LS : Ah non.

BR : Si vous devez descendre un joueur et dire qu’il est mauvais, vous en avez le droit quand vous commentez le match en direct ?

LS : Ce n’est pas le but non plus. Après les matchs où tu te fais un peu chier, t’as droit de dire que c’est pas jojo. Après descendre un mec non. Tu peux avoir un soir sans. Etre mauvais entre guillemets, c’est pas ce qui me dérange. Ce qui me dérange, c’est l’attitude. Ça ça me dérange. C’est le genre de truc qui me dérange même quand je vais voir mon fils jouer au volley. Quand je le sens pas être prêt à mourir pour ses coéquipiers, ça me rend fou. Quelque part, je suis comme ça. Pour quelqu’un d’autre, peut-être que ça va pas le choquer. Moi ça me choque. Si t’es malade, tu joues pas. Si t’es blessé, tu joues pas. Par contre, si tu décides de venir dans l’aire de jeu, t’as 5 petites pistaches à donner, t’as  5 fautes à faire. Donc déjà tu t’investis pour tes coéquipiers et l’équipe. Y a rien de plus fort que l’équipe.

BR : On va conclure cette interview avec votre mot de la fin ?

LS : A partir du moment où on me permet de parler de ma passion comme avec toi, on peut en parler pendant des heures.  Et j’aime ça. Parler de soi-même n’est pas le truc qui me fait rêver le plus. On n’est peut-être jamais logique par rapport à ce qu’on est nous. C’est aux autres de parler de toi.  Je peux pas reprocher à certains mecs que j’ai entraînés de pas vivre, dormir et manger basket. Mais moi si j’ai match à 20h30, j’arrive sans avoir pris de notes, je sais même pas quels sont les mecs de telles ou telles équipes, moi ca me viendrait pas à l’idée. Quelque part, dans ce cas, je fais pas ce que j’aime. Je ferais pas ce que j’aime. J’aime le basket tout simplement.

On remercie grandement Laurent Sciarra (voir son palmarès ci-dessous) d’avoir accordé de son temps à Basket Rétro pour parler basket dans cette longue interview. Il a laissé un message de sympathie à l’équipe de Basket Rétro et ses lecteurs (voir ci-dessous).Envie de lire d’autres entretiens ? Cliquez ci-contre : Interviews.

Sa carrière en club:

  • 1978-1983 : Gazelec Nice
  • 1983-1989 : ASPTT Nice
  • 1990-1993 : Hyères-Toulon (Nationale 2 puis N 1 B et N A 2)
  • 1993-1997 : PSG Racing (Pro A)
  • 1997-1997 : Ciudad de Huelva (Liga ACB) (11 matches)
  • 1997-1998 : Benetton Trévise (Lega A) (24 matches)
  • 1998-2000 : PSG Racing (Pro A)
  • 2000-2001 : ASVEL (Pro A)
  • 2001-2002 : Paniónios Athènes (ESAKE)
  • 2002-2004 : Paris BR (Pro A)
  • 2004-2005 : BCM Gravelines (Pro A)
  • 2005-2008 : JDA Dijon (Pro A)
  • 2008-2010 : Orléans (Pro A)
  • 2010-2011 : Pau-Lacq-Orthez (Pro A)

Son palmarès :

  • Champion de France en 1997
  • Coupe de France en 2001, 2005, 2006 et 2010
  • Participation au Final Four de l’Euroligue en 1998

Dans l’histoire de la Pro A :

  • Meilleur passeur avec 2894 pds
  • 31e meilleur marqueur avec 3430pts
  • 30e rebondeur avec 1294 rbds

Équipe de France : 

  • Senior : médaille d’argent, Jeux olympiques Vice-champion olympique aux jeux Olympiques de 2000
  • Espoir : médaille d’argent, monde Vice-champion du monde Espoirs en 1993
  • Junior : médaille d’or, Europe Champion d’Europe Junior en 1992

Récompenses individuelles :

  • MVP Français 2003 ; MVP de Pro A en 2005
  • Meilleur passeur de Pro A en 1995, 1996, 1999, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007
  • MVP du All Star Game 2008 au POPB devant plus de 14000 personnes
  • Recordman du monde de lancers  francs : 63 lancers francs réussi en 2 minutes, inscrit dans le Guinness des records

Entraîneur :

  • 2011-2012 : : JA Vichy (Pro B)
  • 2012-2014 : : SPO Rouen (Pro B)

Affiche BR Laurent Sciarra

 

Propos recueillis par Richard Sengmany

Montage Une : Gary Storck

About Richard Sengmany (354 Articles)
Découvrant le basket dans les années 90 grâce à la diffusion des matchs NBA sur Canal+, je rédige depuis plus de dix ans des articles sur la balle orange, sur d'autres disciplines sportives et la culture.

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