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1972-La révolution Title 9

NCAA

Montage Une ; Laurent Rullier pour Basket Retro

Si le premier match de basketball féminin a lieu en 1893 au Smith College, Massachusetts, deux ans seulement après l’invention du jeu, il faut pourtant attendre huit décennies avant que le basket féminin ne s’installe véritablement dans le paysage du sport nord-américain. Et cela par la grâce d’un article de loi voté en 1971, le Title 9.

Au crépuscule du XIXe siècle, les lycéennes et étudiantes apprécient beaucoup ce nouveau jeu de ballon qui se développe rapidement dans les établissements scolaires et universitaires. Mais ce n’est qu’en 1896 que Stanford et Cal dispute en Californie la première rencontre intercollège devant un public exclusivement féminin avec des jeunes femmes aux fenêtres et à la porte du gymnase pour repousser les hommes. Stanford l’emporte deux à un. Ce qui n’empêche pas trois ans plus tard les autorités de l’université d’interdire toute compétition contre un autre établissement. La même mesure est prise à CAL. Même l’initiatrice du match du Smith College, Senda Berenson, approuve cette décision. Elle, à qui l’on doit les règles spécifiques aux filles en1899 : interdiction de plus de 3 dribbles, 9 joueuses par équipes réparties dans trois zones auxquelles elles sont astreintes… Et veut limiter les rencontres aux interclasses. Reprenant à son compte les préjugés sexistes de son époque, Senda Berenson considère que l’intensité d’un match dans le cadre d’une compétition ne sied pas à la gente féminine. Le basketball doit rester un loisir récréatif bon pour la santé des demoiselles et rien d’autre. En 1908, l’Amateur Athletic Union prend fermement position, les femmes et filles ne doivent pas jouer au basket en public.

COMPETITION INTERDITE

Au début des années 20, La National Amateur Athletic Foundation crée une branche féminine, la WDNAAF, qui encourage certes la pratique du sport par les femmes mais décourage toute compétition avec son corollaire de déplacements et récompenses. En 1923, elle considère le basket et d’autres sports comme étant trop compétitifs et fait pression sur les ligues industrielles qui se sont créées un peu partout dans le pays, les lycées, collèges, et même les églises pour interdire les tournois. Pourtant les Favorite Knits de Cleveland sont déclarées championnes des USA, (par qui ? Comment ?), pour affronter les Canadiennes des Edmonton Grads dans la quête, vaine, de l’Underwood Cup, l’officieux titre de champion continental. Pourtant après moult tergiversations, l’AAU organise en 1930 un championnat national réunissant 28 équipes dont sort vainqueur l’équipe industrielle des Sunoco Oilers. Dans les lieux d’études, on est prié d’en rester aux rencontres interclasses. En 1936, Connie Mack Olson crée la première équipe féminine professionnelle, les rouquines des All American Red Heads qui affrontent dans des matchs de gala tout ce qui se présente, industrielle, fac, et même parfois des hommes.

Les basketteuses du Smith College en 1902.

LES ANNEES DE MISERE

C’est donc l’AAU qui gère le championnat national féminin de l’après guerre jusqu’à la fin des années 60. Y sont mélangées des équipes d’entreprises et de collèges. Pour ces dernières, il ne faut pas imaginer des teams d’étudiantes sportives bénéficiant de bourses spécifiques comme les garçons. Ces jeunes femmes ne sont pas les stars du campus. Ces écoles parrainent une équipe de jeunes femmes qui souhaitent juste continuer à jouer au basketball après le lycée. On ne leur demande même pas d’être étudiantes dans l’établissement et il n’y a aucune limite d’âge. Bien souvent le staff doit se débrouiller pour leur trouver un emploi en ville suffisamment souple pour leur autoriser les longs déplacements tassées dans des voitures qu’exige le calendrier. Les médias les ignorent et les fans se font rares. Les filles du Nashville Business College, onze fois titrées durant cette période dont huit fois d’affilé de 1962 à 1969, n’ont aucune salle attitrée pour s’entraîner. Cela se fait à la débrouille, souvent en profitant des installations de l’adversaire lors des déplacements.

La suprématie du Nashville Business College, (en blanc).

C’est pourtant en sélectionnant des joueuses de ce championnat de bric et de broc que les USA décrochent le premier titre de championnes du Monde en 1953 dans une épreuve réunissant huit nations du continent américain et deux européennes, la France et la Suisse. En 1957, ce sont trois pays d’Europe qui se déplacent au Brésil. Et si Team USA, avec quatre joueuses du Nashville BC, emporte une fois de plus la mise, l’URSS et la Tchécoslovaquie complètent le podium. On sait d’où viendra le danger dans les années à venir.

Absents en 1959, 4e en 1964, 11e en 1967, 8e en 1971 et 1975, les USA ne dominent pas le basket féminin mondial. Contre les ogresses soviétiques, les Américaines se prennent même deux violentes claques au score identique 71-37 en 1964 et 1967. Les résultats médiocres des filles de Team USA sont le résultat de la déconsidération et du manque total d’intérêt qu’elles subissent dans leur pays qui n’a d’yeux et de moyens financiers que pour ses boys.

En 1969 , l’ICAW, Intercollegiate Athletic for Women, organise un tournoi national sur invitation dont sont exclues les équipes de l’AAU. West Chester State remporte ce Championnat.

LE TITLE 9, TRENTE-SEPT MOTS POUR CHANGER L’HISTOIRE

« Aucune personne aux Etats-Unis ne peut, sur la base de son sexe, être exclue de la participation, se voir refuser les avantages ou être soumise à une discrimination dans le cadre d’un programme éducatif ou d’une activité bénéficiant d’une aide financière fédérale. »

C’est par ces 37 mots, (42 en français), que la face du sport féminin aux États-Unis est bouleversée par une loi promulguée en 1972, le Title 9. En 1969 et 70, s’appuyant sur un décret publié en 1967 par le président Johnson interdisant la discrimination dans les contrats fédéraux, l’activiste du Women’s Equity Action League Berenice Sandler dépose 269 plaintes contre des universités et des collèges concernant l’embauche ou la promotion de personnel féminin dans le corps enseignant et administratif. C’est sur ce travail de sape que s’appuient les représentants démocrates Edith Green et Birch Bayth pour faire adopter par le sénat la loi Title 9 interdisant toute ségrégation fondée sur le sexe dans un programme éducatif financé par l’état. L’impopulaire président républicain Richard Nixon y voit là une belle occasion de redorer son image auprès de la jeunesse et de l’électorat féminin en signant l’adoption de la loi le 23 juin 1972.

Le sénateur Birch ouvre la piste aux étudiantes

Si cette mesure législative ne vise pas particulièrement le sport mais tous les domaines que ce soit pour les enseignantes et les étudiantes, c’est dans les enceintes sportives qu’il a les effets les plus spectaculaires. Les établissements ont six ans pour se mettre en conformité. Cela implique donc d’équilibrer les budgets alloués au sport de manière équitable et offrir autant de chances aux filles qu’aux garçons de pratiquer une activité physique en loisir ou en compétition. Il en va de même pour les bourses sportives.

« Les taux de participation des femmes ont explosé chaque année depuis l’adoption du Title 9. Nous voyons comment la participation sportive des femmes est devenue plus acceptable culturellement, mais aussi comment elles sont devenues plus compétitives. » Karen Hartman – Professeur à Idaho State U.

En 1978, six fois plus de lycéennes pratiquent un sport qu’en 1970. La demoiselle dans un stade n’est plus cantonnée au rôle de pom pom girl. Aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, seulement 90 femmes étaient présentes dans une délégation de 428 athlètes. A Rio en 2016 elles sont 292 pour 263 hommes.

Les basketteuses profitent pleinement de cette soudaine évolution. Désormais lycéennes et étudiantes bénéficient des mêmes infrastructures que les garçon

s. Les facs commencent à scouter dans les highschools, on offre des bourses aux plus prometteuses et les filières de sélection s’affinent peu à peu. Team USA remporte le championnat du monde 1979, mais sans la présence des soviétiques et des pays de l’Est. La défaite contre l’URSS de deux points seulement, 84-82, en finale de ceux de 1983 au Brésil marque la fin d’une époque. Le triomphe aux JO de 1984, puis de 1988, montre à la face du monde que même chez les filles, le basket américain règne en maître.

LA NCAA KIDNAPPE LES ETUDIANTES

Géré par l’AIAW, Association for Intercollegiate Athletics for Women, à partir de 1972, le championnat national universitaire peine pourtant à trouver ses marques. Mais tel un grand requin blanc tournant autour de sa proie, la NCAA attend son heure. D’abord réticente, pour ne pas dire hostile, au Title 9, la puissante organisation en charge du sport universitaire masculin depuis des décennies passe à l’attaque en 1981 en organisant un tournoi féminin. L’AIAW résiste une saison entière en maintenant le sien avant d’être dévorée et dissoute dans l’estomac de l’impitoyable prédateur. A l’ouverture de la saison 1982/83, la NCAA à l’exclusivité des intercollegiates à l’échelle nationale. Elle applique la même organisation que celle des garçons, avec ses trois divisions, ses conférences, sa March Madness. La machine est lancée, plus rien ne pourra l’arrêter.

Caitlin Clark, star des réseaux sociaux et d’Iowa State en 2023.

La finale 2023 opposant LSU à Iowa devant les 19 000 spectateurs de l’American Airlines Center de Dallas, est suivie par 9,9 millions de téléspectateurs. Jamais aux États-Unis un match de basketball féminin n’a réuni autant de monde devant les écrans.

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About Laurent Rullier (91 Articles)
Le premier match de basket que j'ai vu en live était un Alsace de Bagnolet vs ASVEL. Depuis la balle orange n'a pas arrêté de rebondir dans ma p'tite tête.

1 Comment on 1972-La révolution Title 9

  1. Merci pour cet excellent travail de recherche !

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