Serge Tachtchian, pour l’amour de la transmission
Portrait
Disparu en septembre 2022, il a connu le goulag, a eu 1000 vies dans différents pays et a façonné bon nombre de joueurs et de joueuses à partir des années 70. Figure marquante du basket notamment dans le sud de la France, hommage à une personnalité qui a mis le travail en avant. Serge Tachtchian, un éducateur, un professeur au service du jeu et un passeur de savoir.
NAISSANCE AU LIBAN, L’ARCHIPEL DU GOULAG ET DÉCOUVERTE DU BASKET A LA SOVIÉTIQUE
Dans le basket, sa fonction est souvent celle qui donne le « la » dans une équipe. Par sa capacité à rassembler une équipe et agglomérer des joueurs. Sa science du jeu, sa capacité à mettre en œuvre une tactique et à appliquer une stratégie. Ainsi que sa volonté de gagner des rencontres pour continuer une dynamique. Une figure de proue essentielle qui existe par le jeu et pour le jeu. Mais une fonction également, et forcément, ingrate qui peut jeter l’opprobre sur sa personne et en faire le bouc-émissaire idéal en cas de défaite. Ce personnage central du sport en général et du basket en particulier est l’entraîneur, ce « parent-pauvre » du sport. Évidemment, lorsqu’une équipe a des résultats, c’est bien entendu par la volonté et la grâce de joueurs capables d’élever leur niveau de jeu et faire gagner leur équipe. Un certain manque de reconnaissance existe pourtant pour un poste essentiel à l’essence du jeu. Aujourd’hui, il est tellement facile de reconnaître de grands noms du basket, tels que les américains Gregg Popovich, Steve Kerr ou Phil Jackson, multi titrés en NBA ou aux Olympiades. Sans parler des Européens également avec, hier Aleksander Gomelsky, le « Tsar » du basket soviétique ou l’entraîneur Espagnol du Real Madrid, Pedro Ferrándiz, quatre fois vainqueur de l’Euroleague avec les « Merengue ». Mais également Sergio Scariolo, Champion d’Europe avec l’Espagne, Šarūnas Jasikevičius, ancien meneur de jeu de génie et colérique notoire, Ettore Messina qui fut assistant coach en NBA, Ergin Ataman, double vainqueur de l’Euroleague avec l’Anadolu Efes ces deux dernières années. Et, soyons chauvins et reconnaissants envers lui, Vincent Collet pour le basket français. Cependant, il existe également une catégorie de coachs peut-être moins visibles de prime abord mais tout autant mû par la passion et la volonté de faire progresser leurs ouailles.

Fanions des équipes rencontrées par Sergueï (prénom usité en URSS) Tachtchian, avec sa sélection soviétique, lors d’une tournoi au Moyen-Orient. @ Archives familiales
Dès lors, il faut rendre hommage et reconnaître que la vie de Serge Tachtchian est incontestablement inclassable dans cette lignée. Aussi bien dans sa carrière de joueur puis d’entraîneur que dans la richesse et la variété de son histoire personnelle et humaine. C’est aussi un parfait résumé des soubresauts de l’Histoire, de son cortège de guerres, de malheurs et d’exils qui font qu’une personne ne sent jamais en place très longtemps. Pour Tachtchian, tout commence par une naissance en 1945 au Liban au sein de la nombreuse communauté arménienne du pays, une des plus importantes au monde avec la ville de Marseille. Né au Liban donc mais citoyen de l’Union soviétique, sa vie s’apparente à un roman de John le Carré. Un prénom tout d’abord qui renvoie à l’Histoire puisque que selon le pays évoqué, le jeune Tachtchian est appelé selon les particularismes de sa nation d’accueil ou d’origine.

Tachtchian (à gauche sur la photo) tenant le drapeau soviétique, en version patriotique, dans un gymnase avant un entraînement. @ Archives familiales
Né Srapion au Liban, dénommé Sergueï en URSS, appelé Serop en Arménie et, plus tard, Serge dans sa patrie d’adoption, la France, il cumule à son niveau les aléas d’une existence bouleversée. Une histoire personnelle très tôt déchirante puisque, après avoir quitté le « Pays du Cèdre » pour aller s’installer à Erevan, en Arménie en 1947, sa famille va subir une des plus grandes avanies qui puisse exister. Rien de moins qu’une déportation familiale, en Sibérie, en 1949 en raison des activités politiques de son père. Un « moyen » de s’attirer dès lors les foudres du pouvoir stalinien sur la famille Tachtchian dans cet état totalitaire qu’est l’URSS à cette époque. Ce qui entraîne surtout, au-delà de la politique, une vie dans des conditions atroces, avec une déportation pour la famille tenaillée entre la faim, le froid et une survie qui ne tient qu’à un fil. Une enfance martyrisée donc à même pas 4 ans pour le jeune Sergueï et qui va durer 3 ans. Jusqu’au jour où il réussit miraculeusement à fuir le camp dans lequel il se trouvait en compagnie de sa sœur de 12 ans alors qu’il n’a en même pas 8… Heureusement aidés en cela par des personnes réfractaires à l’ordre établi stalinien et qui va organiser leur fuite. Dès lors, cette fuite du goulag a été quelque part, par extension, « facilitée » par la mort le 5 mars 1953 de Joseph Staline, ce qui a permis de desserrer quelque peu l’étau pour l’URSS et ses satellites tant la présence tentaculaire du « petit père des peuples » était oppressante. Quoiqu’il en soit, pour Sergueï et sa sœur, l’exil continue puisqu’ils vont traverser l’immense Union pour aller retrouver l’Arménie. Aidés notamment par un professeur et des soldats, émus par leur sort. Par la suite, les deux enfants réussissent à retrouver leurs grands-parents et vivront avec eux jusqu’à la libération du reste de la famille un an plus tard.

Tachtchian (tout à droite) et ses coéquipiers sur la Place Rouge, à Moscou. @ Archives familiales
Cette arrivée en Arménie à l’âge de 8 ans est une période décisive qui va surtout être propice pour Tachtchian à la découverte d’un sport qui va radicalement changer sa vie. Le basket qu’il découvre et pratique à l’école et dont il est une des stars grâce à sa vitesse et sa rapidité d’exécution sur le terrain. Doué, surclassé, Sergueï Tachtchian appréhende de mieux en mieux son statut et se perfectionne dans un double cursus « sport-études ». Sur le terrain, grâce à l’équipe universitaire, il réussit à se faire repérer, à 20 ans, lors d’un tournoi international rassemblant les plus grands prospects de l’Union soviétique. Ce qui lui vaut d’aller jouer au Spartak de Minsk en tant que meneur de jeu. En parallèle, il poursuit ses études à la faculté section chimie et technologie à l’Institut de Minsk. Hélas, contraint par la maladie à revenir en Arménie, c’est désormais du côté d’Erevan qu’il poursuit sa carrière jusqu’à ses 28 ans. Durant ces années, Tachtchian découvre les joies du basket à la soviétique avec des équipes ultra-concurrentielle au sein des compétitions « inter Républiques socialistes soviétiques ». Une belle expérience qui en fait un sélectionnable au sein de l’équipe nationale arménienne et biélorusse et lui permet de voyager à travers toute l’URSS. Ce qui lui vaut d’avoir également des sélections avec l’équipe nationale soviétique et il sera même entraîné par le grand maître Aleksander Gomelsky. Sélection soviétique, biélorusse, c’est toutefois avec celle d’Arménie qu’il va décrocher son seul trophée en tant que joueur. Après un périple où son équipe rencontre celles d’Irak, de Syrie et d’Iran, il obtient un trophée remis en main propre par le Shah d’Iran « himself ».

Coupe du Shah d’Iran obtenue par Sergueï Tachtchian et remise par en personne par le monarque. @ Archives familiales
Cependant, le basket n’est pas la seule occupation des joueurs et notamment de Tachtchian à cette époque. En effet, une des caractéristiques du pouvoir soviétique était de former aussi bien des athlètes rompus à tous les sports que des « têtes pensantes » du jeu. Tachtchian, au-delà de son talent balle en main, se retrouve donc diplômé d’État à 27 ans, plus précisément en tant qu’entraîneur « d’État et Maître des Sports de l’URSS » en 1967 en y ajoutant un diplôme de professeur d’EPS trois ans plus tard. Le début d’une nouvelle vie, de nouvelles espérances et une carrière de coach qui s’ouvre à lui.
D’UNE GUERRE A L’AUTRE, DÉCOLLAGE DE CARRIÈRE DANS LES 70’S, RENCONTRE DÉCISIVE ET STRUCTURATION D’UN CLUB
Début des années 70, après avoir été donc diplômé, Sergueï Tachtchian fait son retour dans un pays qu’il a connu tout jeune, le Liban. Départ donc vers le « Pays du Cèdre » pour travailler avec l’Equipe nationale libanaise lors de la saison 1973/1974. Une première opportunité qui va en appeler d’autres plus tard mais qui se trouve interrompue prématurément en raison de la Guerre du Liban déclenchée en 1975. Ce qui contraint le coach à fuir le pays pour poser ses bagages en France cette même année. Terre d’accueil à travers l’histoire et grâce à l’entremise de membres de sa famille installée dans la région, Tachtchian débarque à Marseille pour ce qui sera une histoire d’amour, de jeu et de passion jamais démenties.

Serge Tachtchian qui donne ses consignes à ses joueuses. @ Archives familiales
Mais dans ce nouvel exil, il faut un point de départ et après avoir tâtonné quelque peu, Sergueï Tachtchian trouve une opportunité d’entraîner le club de l’USPEG filles. Soit « l’Union Sportives du Personnel Électriciens et Gaziers » lors de la saison 1975/1976, un club qui se trouve en Nationale 2 et qui va accéder à la Nationale 1 grâce au coup de boost de Tachtchian sur le banc. Une année dorée également sur le plan personnel puisque le coach rencontre également sa femme, Ingrid, cette année-là. Dès lors, après une nouvelle saison avec les féminines de l’USPEG, Tachtchian se dirige un peu plus de 400 kilomètres plus au nord. Direction l’Auvergne et plus précisément le club de Clermont Université Club (CUC) pour coacher lors de la saison 1977/1978, un club champion de France depuis… 10 saisons (depuis 1967/1968). Une sorte de « Dream Team » française avant l’heure avec sa pléiade d’internationales parmi lesquelles figurent la pivot Élisabeth Riffiod, 247 sélections, mère de Boris Diaw, ancienne membre de l’Équipe de France. Bon sang ne saurait mentir avec l’arrière Christine Dulac 107 sélections), également mère d’Aurélien Rougerie (arrière, centre et ailier de Clermont), autre ancien international renommé mais de rugby, lui. Notons également l’ailière Colette Passemard (209 sélections), l’arrière Irène Guidotti (205 sélections) et la meneuse Jacqueline Delachet (239 sélections au compteur).

Tachtchian qui redonne des conseils à ses joueuses du CUC, partie 2. On reconnaît également à droite Elisabeth Riffiod, mère d’un certain Boris Diaw. @ Archives familiales
Un sacré défi qui se présente à Tachtchian vu le pedigree des joueurs mais qu’il mène haut la main puisque l’équipe finie championne de France avec un ratio de 17 victoires pour une seule défaite et une élimination en Coupe d’Europe en quarts de finale. Après déjà trois ans en France, Tachtchian est auréolé d’une montée et d’un titre de champion de France mais la vie décide de lui régler sa dette en lui offrant bien plus. Plus précisément du côté de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône, à un niveau qui va dépasser les espérances des personnes qui vont lui faire confiance durant près d’une décennie.

Serge Tachtchian posant devant ses joueuses lors d’une saison accomplie. @ Archives familiales
Dans cette optique, après avoir quitté Clermont, Tachtchian devient donc entraîneur du Frat (pour Fraternité) Fos sur Mer à partir de la saison 1978/1979. Entraîneur mais pas seulement car Sergueï Tachtchian que tout le monde va appeler Serge prend en charge l’ensemble des opérations basket du club jusqu’en 1986. A la manière d’un visionnaire qui chapeaute tout le royaume basket du club en créant notamment et en animant une école de basket. Tout en s’assurant de la formation des jeunes aussi bien des filles que des garçons. Le résultat produit est tout bonnement sensationnel pour un club de cet acabit. Des titres régionaux en pagailles chez les jeunes pousses du club, des accessions au niveau Nationale chez les hommes, de bons parcours en Coupe de France cadets, cadettes et minimes. Durant près de 10 ans donc, Fos sur mer Car l’aura de Serge Tachtchian est, au-delà de ses compétences de techniciens (de tacticiens diront les puristes) à chercher dans l’envergure de sa pensée.
« On meurt sur le terrain mais on gagne » Serge Tachtchian
A la manière d’un manager général aujourd’hui des opérations basket, le bonhomme réfléchit, grâce notamment à sa formation universitaire en URSS, sur l’ensemble de la structuration d’un club. En faisant travailler tout le monde et en impliquant toutes les parties prenantes afin de tirer le maximum des capacités des joueurs. Mais aussi des personnels encadrants dans le but de bonifier tout le monde. Le travail est un maître-mot chez ce formateur passionné qui est un passeur de savoir. Car en parallèle de Fos, Tachtchian devient champion de France en Nationale 3 avec les féminines du SMUC (le Stade marseillais université club). Dès lors, en 1986, après avoir laissé Fos sur Mer en Nationale 3, coach Tachtchian continue son travail de formation à travers la région et sera entraîneur des filles du SMUC jusqu’en 1988. Puis, chaque saison, un club de la région va profiter de ses talents. L’ASPTT Marseille lors de la saison 1989/1990, avec une accession en Nationale 4 pour l’équipe féminine. Puis, Istres lors de la saison 1991/1992, le club de Bengalis (section féminine) durant la saison 1993/1994 et Avignon (section masculine) la saison suivante avant de boucler la boucle en 1997 avec le SMUC (section masculine) en Nationale 3. Après avoir joué, coaché, dirigé, Serge Tachtchian, la soixantaine passée devient dès lors cadre régional à partir de 2007 tout en entraînant les espoirs régionaux et nationaux. Avant de créer une école de basket à Marseille durant deux ans, entre 2010 et 2012 puis de mettre fin à sa carrière d’entraîneur la même année.
L’HOMME DERRIÈRE L’ENTRAINEUR ET MAXIMES POUR LA VIE
Il est souvent coutume de caricaturer les techniciens venus notamment de l’ex Union soviétique pour leur sens aigu de la discipline, leur volonté de vouloir tout contrôler. Une main de fer dans un gant de « fer » qui leur permet de faire travailler jusqu’à plus soif leurs joueurs. Dans cette optique, un Dusko Ivanovic, actuel coach de l’Étoile Rouge de Belgrade résume parfaitement cet état de fait, maximisé par la dureté de l’entraîneur et le côté peu souple du bonhomme. Toutefois, même si pour Serge Tachtchian, le paroxysme a été poussé à son maximum puisque, en bon adepte des méthodes qui ont fait leurs preuves au-delà de l’ex-Rideau de fer, où la condition physique des joueurs était la vertu cardinale, l’homme a été apprécié partout où il est passé.

Tachtchian (à droite, N°10) qui se prépare à serrer la main d’un officiel. @ Archives familiales
D’une exigence rare dans un milieu où le coach peut parfois lâcher du lest sur certaines séances mais qui n’a jamais fait l’objet de « révoltes » de la part de ses joueuses ou joueurs. Une passion chevillée au corps et une volonté de toujours aller de l’avant qui entraînaient les personnes autour de lui. Homme de terrain, disponible pour faire-faire du rab, Serge Tachtchian s’est véritablement concentrée sur des sections féminines et des clubs amateurs ou régionaux. Avec toujours dans l’idée d’être dans la formation et l’apprentissage. Tout en ayant la volonté de transmettre ses connaissances aux plus grands nombres.
« Moi, je vous apprends mais je veux que vous donniez tout en retour !! »
Un apprentissage sans concession
Un homme atypique capable de jouer pieds nus dans sa jeunesse, d’utiliser des pièces de monnaies à la place d’ardoises ou encore de mettre en avant la dimension physique dans le jeu. Un homme de terrain que les cabinets de conseils d’aujourd’hui nommerait un « opérationnel », excessif, passionné mais juste et honnête. Tourné vers la jeunesse et l’apprentissage et un vrai dur au mal qui n’avait pas peur de programmer un entraînement en pleine neige. Tant il est vrai que lorsqu’on a connu la Sibérie, un petit zéro degré en France ne doit pas peur… Serge Tachtchian était également une personnalité avec un profond respect pour tout le monde, attaché au respect mutuel et qui avait une certaine idée de la vie. Tant et si bien qu’il coachait tirer à quatre épingles pour marquer ce respect à l’adversaire et au public. Une certaine idée de l’élégance et de la franchise, même à cette époque.
« Lorsqu’il est arrivé à Marseille, Serguei n’avait qu’une valise. Le premier club où il s’est présenté jouait en N3. On lui a demandé de venir à un entrainement. Il n’avait pas de basket, qu’à cela ne tienne, il a joué pieds nus à la grande stupéfaction des dirigeant. Ceci dit, ça ne l’a pas empêché de “faire le show”. Il était d’une adresse incroyable des 2 mains, et d’une très grande rapidité. Le club a fait le forcing pour le récupérer comme joueur mais lui a refusé. Il voulait entraîner. Il a continué à jouer pieds nus tout au long de sa carrière lorsque les circonstances le justifiaient. »
Ingrid, son épouse sur la capacité de son mari à jouer dans n’importe quelle condition
Un coach tourné vers un pressing constant, la course, l’intensité avec un volume de jeu au plus haut point. Autant dire que le cardio des joueurs devait être élevé pour pouvoir encaisser cette charge de travail mais tout aussi dur pour l’adversaire lors des rencontres. Cette volonté de faire vivre le jeu, la balle et être en mouvement tout le temps a fait que Tachtchian a fédéré autour de sa personne. Fédérateur et également quelque possessif, une sorte de chef de bande qui protégeait ses équipes. Ainsi qu’un précurseur puisque, pour jouer dans ses équipes, il fallait que la condition physique suive. Pour cela, en bon élève de l’est, il a mis en place un programme d’haltérophilie aussi bien pour ses joueurs que ses joueuses. Un choix surprenant mais qui est à mettre en perspective pour un homme qui savait innover et être un précurseur avec de nouvelles méthodes de travail.
« Un jour, l’équipe féminine était en déplacement dans un train. Dans le wagon, outre les dirigeants de l’équipe, se trouvait une équipe de football. Chemin faisant, les deux équipes se sont rapprochées lors du voyage et une discussion s’est engagée. Seulement, Serge n’a pas du tout apprécié et est allé voir les joueurs de l’équipe de foot et leur dit de but en blanc : « vous vous en allez !! Vous ne parlez pas à mes joueuses !! »
Anecdote d’Ingrid, épouse de Serge Tachtchian, qui ne rigolait pas avec la discipline, même lors des déplacements. Focus sur le match, même dans le train.
Dès lors, lorsque l’on vient d’Union soviétique en étant d’origine arménienne, on peut se retrouver dans une certaine dichotomie. Peu attaché à la personnalité de Staline, responsable de la déportation de sa famille, mais peut-on lui en vouloir sur ce point, Tachtchian avait malgré tout gardé une certaine nostalgie de l’URSS, « sa patrie » comme il le rappelait. Ce qui renvoyait pour lui à la perception de l’idée d’une société vivant en communauté et en collectivité face à l’individualisme occidental et l’égoïsme ambiant. Cette idée d’acculturation a toujours été présente en lui pour qui « on ne tourne pas le dos à son pays, à ses racines ». Lui dont l’idée d’accepter le statut de réfugié politique, alors qu’il y avait droit, n’a jamais effleuré l’esprit.

erge Tachtchian a toujours participé à des camps d’entraînements notamment dans le sud de la France. Ici, en pleine discussion avec Jean-Michel Sénégal. @ Archives familiales
Décédé en septembre 2022, Serge Tachtchian a été un résumé à lui seul des bouleversements qu’a connu le 20ème siècle. D’une naissance ballotée au gré des guerres, du goulag et des exils pour si un jeune garçon. Une vie que peu de personnes auraient finalement soupçonné être autant accomplie mais qui, grâce aux études et la découverte du basket a été accompli et de belle manière. Un personnage à part dans sa façon d’être mais qui ne s’est jamais caché et a évolué, avec humilité, pour le bien d’autrui. En construisant petit à petit, pas à pas, en se mettant des objectifs de progression pour tout le monde et en permettant l’accomplissement des joueurs (dans les clubs et camps d’entraînements de Jacky Chazalon, à Istres) et de joueurs (notamment Edwin Jackson dans une interview à un magazine de basket) qui lui ont toujours été reconnaissants. Du Liban à l’Arménie en passant par l’Union soviétique et la France et après avoir lutté sans concession contre la maladie, ce détecteur de potentiels et de talents laisse derrière l’aura d’une carrière accomplie et l’image d’un professionnel. Dur souvent, caractériel parfois mais attachant. Une certaine idée de l’entraîneur que l’on peut rapprocher des Compagnons du devoir pour qui la formation, la transmission et l’accompagnement sont les éléments les plus importants dans la réussite. Serge (Srapion, Sergueï, Serop) Tachtchian a été ce que peu de personnes peuvent se targuer d’être, un personnage haut en couleur, compétent et toujours en mouvement. Comme un ballon de basket qui rebondi toujours malgré les contretemps. Un ballon et un sport qui l’auront accompagné tout au long d’une vie aussi riche que foisonnante et qui mérite que l’on se rappelle de qui il était. Serge Tachtchian, le « Monsieur » basket le mérite amplement.
Un grand remerciement à Ingrid, son épouse et Boris Tachtchian, son fils, pour leur aide et photos.
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