Artis Gilmore, l’épopée italienne (1988-1989)
Italie
Lors de la saison 1987/1988, après seize années passées au plus haut niveau, le légendaire pivot Artis Gilmore cherche avec difficulté sa place dans la ligue. Il est en quête d’un baroud d’honneur, ce qu’il ignore, c’est que cette dernière danse n’aura pas lieu en NBA mais en Italie.
NO COUNTRY FOR OLD MEN
Nous sommes en 1987, Artis Gilmore a désormais 37 ans. Il vient de passer cinq saisons sous le maillot des San Antonio Spurs où il totalise 380 matchs avec des moyennes de 16 points, 10 rebonds et 2 contres .
Lorsqu’il arrive à San Antonio en 1983, les Texans viennent de perdre en finale de conférence face aux Los Angeles Lakers de Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar. Sa venue dans l‘effectif doit permettre d’apporter la touche de jeu intérieur susceptible de passer l’obstacle pourpre et or. Les Spurs menés jusque-là par le duo composé de George Gervin et Mike Mitchell voient en Gilmore l’arme parfaite pour aller chercher une bague.

Si son parcours avec les Spurs commence bien avec une finale de conférence face aux Lakers. Sa présence n’empêche pas un remake de la défaite de la saison passée. Les années à venir vont se montrer bien plus compliquées. Puisque lors de l’exercice suivant il ne participe même pas aux playoffs, avec seulement 37 victoires au compteur. Après cela, c’est deux éliminations au premier round face aux Denver Nuggets et aux Los Angeles Lakers. Enfin, pour sa dernière saison sous le maillot noir et argent, Gilmore, qui joue l’intégralité de la saison avec des moyennes de 11 points et 7 rebonds, se voit encore une fois écarté des phases finales avec un maigre résultat de 28 victoires. Un bilan décevant pour un joueur venu chercher une bague.
Il est néanmoins persuadé d’en avoir encore sous la semelle et reste convaincu que malgré son âge il peut être utile à une équipe en quête de titre. Il se tourne alors vers une franchise qu’il connaît bien, les Chicago Bulls.
« Je vais jouer encore deux ou trois saisons, je pense que je peux aider l’équipe de Chicago à aller chercher un titre. J’ai la possibilité de finir ma carrière là où je l’ai commencée et de le faire en jouant avec Michael Jordan. »

Doug Collins, le coach des Bulls, en fait son titulaire, mais, au fil des matchs, son temps de jeu se réduit comme peau de chagrin au profit de joueurs au talent bien moindre comme le besogneux Dave Corzine. Le temps a fait son œuvre et désormais Artis Gilmore, 38 ans, peine à peser sur les performances de son équipe. Un constat qui le pousse à prendre une décision radicale.
Après une défaite face aux Dallas Mavericks juste avant Noël, il se présente devant Jerry Krause le General Manager des Bulls et lui demande d’être coupé, il envisage même de prendre sa retraite.
« Je n’ai pas performé comme je le souhaitais et je n’ai pas réussi à aider l’équipe. Je suis vraiment déçu. »
Quand Julius Erving rencontre pour la dernière fois les Spurs, c’est Artis Gilmore qui prend le micro pour honorer l’ailier des Sixers avec un discours. Chaque franchise faisant de même lorsque Doctor J vient en ville pour la dernière fois. Pour lui, par contre, pas de Farewell Tour, pas de discours, la réponse qu’il donne à un journaliste à ce sujet laisse transparaître une certaine tristesse.
« Si j’avais été bon ces trois dernières saisons j’aurais aimé dire au revoir comme cela, je ne l’ai pas été. Les fans ne me doivent rien, je vais disparaître. »
C’est avec amertume qu’il voit donc la fin de sa carrière se profiler sans avoir les hommages réservés aux champions de son calibre. Mais une dernière opportunité se présente à lui, quelques jours seulement après cette désillusion, les Boston Celtics font appel à lui. Eux, qui ne sont guère épargnés par les blessures, ont grandement besoin d’un remplaçant pour soulager Robert Parish au poste de pivot.
Gilmore s’imagine bien apporter sa contribution en tant que remplaçant lorsque Larry Bird, Kevin McHale, Robert Parish et Dennis Johnson soufflent sur le banc. Lui qui adore le Boston Garden se voit bien soulever le trophée de champion en fin de saison. Un moyen de boucler la boucle, pour lui, qui a, dans les années 1960, assisté à son premier match NBA en tant que fan dans cette salle mythique.

Malheureusement, pas de miracle, pas de belle histoire qui finit bien. La réalité le rattrape à nouveau. Il doit se rendre à l’évidence, il n’est plus au niveau. Il offre quelques minutes acceptables, mais il n’est plus un joueur qui compte. Les hommes en vert s’inclinent 4-2 face aux Detroit Pistons aux portes des Finales.
Il joue donc son dernier match NBA dans la salle de Détroit, lors du Game 6 de cette finale de conférence perdue. Il finit la rencontre avec 3 points et 4 rebonds en 10 minutes de jeu.
Lors de l’intersaison, les Charlotte Hornets envisagent de lui offrir un contrat, mais l’idée est finalement abandonnée. Aucune autre équipe ne se montre intéressée par ce joueur de 39 ans au crépuscule de sa carrière. Artis Gilmore, légende du poste de pivot, champion de l’ABA, multiple All-Star, 1329 rencontres au compteur, 100 matchs de playoffs, quitte les parquets sans un bruit, comme n’importe quel joueur lambda.
SARTI VEUT ARTIS
De l’autre côté de l’Atlantique, un homme cherche à renforcer son équipe. Il s’agit de Giancarlo Sarti, manager général du Arimo Fortitudo Bologna. L’autre club Bolognais (avec le mythique Virtus), fait le yoyo entre la première et la seconde division italienne, mais le Fortitudo souhaite s’installer durablement dans l’élite du basket transalpin.

Sarti est une légende du basket-ball en Italie. Il joue pour Livourne, Cantú, Udine et le Fortitudo. Il est également appelé à douze reprises en équipe nationale entre 1955 et 1971. Mais c’est comme cadre dirigeant qu’il écrit les plus belles pages de sa légende. D’abord comme entraîneur de l’équipe de l’APU Udine et cela dès la fin de sa carrière de joueur, puis comme manager sous l’impulsion du mythique propriétaire de la JuveCaserta, Giovanni Maggio.
Ce dernier voit en Sarti le compétiteur capable de gérer son club de la meilleure des manières. Avec lui, Maggio passe du fonctionnement amateur à celui de professionnel. Il donne carte blanche à Sarti, et ensemble, ils révolutionnent le management en Italie. Il devient ainsi le bras armé qui réalise tous les rêves et visions d’un propriétaire en avance sur son temps. Son premier gros coup est la signature du jeune entraîneur Bogdan Tanjevic qui devient à son tour un rouage essentiel du club.

Ensuite Sarti s’envole pour le Brésil avec un plan bien précis. Il souhaite ramener dans ses bagages un certain Oscar Schmidt. Grâce aux conseils de coach Tanjevic, l’affaire est conclue et le génial scoreur brésilien rejoint ainsi la Juve. Oscar passe huit ans sous le maillot de la JuveCaserta avec, à la clé, une finale de la coupe Korac en 1986, une coupe d’Italie gagnée en 1988, une finale de la coupe des coupes en 1989, et deux finales du championnat en 1985 et 1986.
L’équipe remporte le championnat italien lors de la saison 1990/1991, sans Oscar Schmidt, mais avec un Sarti revenu juste à temps de son escapade bolognaise pour voir le fruit de son travail. De l’avis de tous, il est avec Giovanni Maggio le grand bâtisseur de ce succès et cela même s’il s’est un temps absenté.
Son infidélité à la JuveCaserta commence d’abord du côté de Trieste le temps d’une saison, avant de rejoindre le Fortitudo. Une fois installé à Bologne, il se met au travail et signe l’ailier Gene Banks, l’ancienne star de l’université de Duke, avec 468 matchs de NBA à son actif. Banks est recruté pour être la star de l’équipe, le fer de lance de l’attaque.
Il jette ensuite son dévolu sur le pivot Pat Cummings, un autre vétéran NBA en perte de vitesse, mais avec un fort pedigree notamment grâce à un bon passage chez les New York Knicks. Il ne réussit cependant pas à faire venir le joueur qui décide de rester en NBA et de signer au Miami Heat.
Il doit alors trouver un autre intérieur. Fort d’avoir déjà réussi à convaincre une légende comme Oscar Schmidt de venir jouer en Italie, il rêve alors de faire la même chose avec ce vieux pivot dont personne ne veut plus : Artis Gilmore. Il se rend donc à Jacksonville pour rencontrer le joueur fraîchement retraité et lui propose de venir faire une pige en Italie.
Giancarlo Sarti a dans sa manche un atout qui se nomme Gene Banks. L’ailier américain est lui aussi un ancien des Spurs. Il passe trois saisons dans le Texas avec Gilmore et ils deviennent à cette époque de très bons amis. Avec un beau contrat de 400 000 dollars la saison et un ami cher dans l’équipe, Gilmore accepte de tenter l’aventure italienne.

Sarti annonce la venue du joueur à Bologne et c’est tous les supporters du club, mais aussi tous les fans de basketball italien, qui s’enflamment. Une des plus grandes légendes de la NBA débarque en ville, on imprime des T-shirt «Artis for Arimo», le nom du sponsor de l’époque, et on attend avec ferveur les débuts du géant de 2m18.
Avec la signature de Gilmore, Sarti met la lumière sur le club secondaire de la ville. Il pose aussi une des premières pierres d’un cycle qui s’annonce victorieux pour cette équipe qu’on connaît plus tard sous le nom de TeamSystem Bologna, ou encore Skipper Bologna.
PLACE AU JEU
Les débuts du Arimo Fortitudo sous l’ère Gilmore sont plutôt compliqués. Il faut déjà que le joueur s’adapte au jeu européen, mais aussi que ses partenaires s’adaptent au jeu statique du pivot américain. L’équipe est privée de son arrière titulaire, George Bucci. Malgré ce que son nom laisse à penser Bucci n’est pas italien, c’est un américain. Un ancien joueur de la défunte ABA, où il ne joua qu’une seule saison, le temps de remporter le titre avec les New York Nets en 1976 aux côtés d’un certain Julius Erving.
Autre problème de taille, Gene Banks, l’autre grande acquisition de l’été, passe lui aussi le plus clair de son temps à l’infirmerie. Les dirigeants décident donc de couper le joueur au grand damne de Gilmore qui prend la chose plus ou moins bien. Il ronchonne dans un premier temps mais finit par accepter ceci avec beaucoup de professionnalisme.

Pour le remplacer le Fortitudo recrute le jeune Vincent Askew, que les amateurs de NBA des années 1990 connaissent certainement pour son passage dans la franchise des Seattle Supersonics avec le duo Gary Payton et Shawn Kemp. Drafté en 39éme position par les Philadelphia Sixers, il ne joue que très peu lors de sa saison rookie et décide alors de tenter sa chance en Europe afin de se relancer.
George Bucci fait son retour dans l’effectif. Vincent Askew est une bonne pioche. L’équipe se rode un temps. Mais, une fois au complet, les victoires s’enchaînent et le Arimo Fortitudo Bologna sécurise sa place dans l’élite et se qualifie même pour les playoffs.

Artis Gilmore, lui, sans être dominant, fait une bonne saison, avec 12 points et 11 rebonds par rencontre, le tout à 61% de réussite. Il n’est pas ménagé par ses adversaires. Tenter de battre l’ancienne star NBA est devenu un sport national et de nombreux joueurs souhaitent se frotter à la légende des raquettes. Mais même à 39 ans, on ne bouscule pas si facilement le mont Gilmore. Ceux qui s’y emploient se voient vite calmés par le physique toujours aussi solide de « The A-Train ». Il garde aussi de beaux restes et fait profiter le public de son somptueux bras roulé main gauche, de ses dunks et de ses contres spectaculaires.
Bien sûr, avec un tel salaire son rendement est en dessous des attentes habituelles d’un joueur américain payé à ce prix. Mais le plaisir de le voir sur le terrain est tel, que son apport en devient presque secondaire et le dispense également de toutes critiques.
Son équipe se hisse jusqu’en quart de finale, mais Livourne est intraitable et met fin au parcours de Gilmore et des siens dans ces phases finales. C’est la fin de son épopée italienne, le public, ses coéquipiers, ses dirigeants, saluent ce joueur qui s’est intégré avec une humilité remarquable pour un champion de son rang.
LA DOLCE FINE
Artis s’est senti comme chez lui en Italie, grâce à l’amour que lui donnent chaque jour les Tifosi qui le surnomme « Artiglione ». Un amour qu’il redistribue volontiers, notamment aux membres de son club à qui il offre bons nombres de cadeaux avant son départ. Comme ses chaussures offertes au docteur Quadrelli qui dit en plaisantant s’en servir comme des jardinières.

Mais celui qui parle le mieux du passage d’Artis Gilmore à Bologne c’est encore lui-même:
« Fortitudo a été ma première et unique expérience en dehors des États-Unis, mais je me suis adapté rapidement grâce à quelques amis et au fait que Bologne était très accueillante. Le reste a été fait par la chaleur des fans et des coéquipiers italiens. »
» J’ai été frappé par l’atmosphère des derbys avec le Virtus. J’ai joué beaucoup de matchs dans ma carrière, mais peu ont atteint cette intensité. C’était une expérience amusante et un défi, c’est pour ce genre de matchs qu’un joueur voudrait toujours aller sur le terrain parce que cet environnement vous amène à donner le meilleur de vous-même. »
« Bien que je n’ai joué qu’une seule saison à Fortitudo, ce fut une année fantastique. Chaque fois que je pense à ces jours-là, j’ai toujours le mal du pays, ce fut l’une des expériences les plus excitantes de ma vie. Je ne pouvais pas demander un meilleur épilogue pour ma carrière. »
La parenthèse italienne de Gilmore lui permet de recevoir des hommages dignes de son rang, d’effacer l’amertume d’une fin de carrière NBA sans saveur, de vivre une dernière fois les frissons des grands matchs et de ressentir l’engouement du public.
Une sortie réussie, une sortie choisie, du baume au cœur et une dernière opportunité de montrer toute sa classe et toute son élégance. Le monde du Basket italien a ainsi offert à Artis Gilmore ce que leur pays fait de mieux, un peu de « Dolce Vita » avant un repos bien mérité.
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