[ITW] Maxime Dorigo : « Shaquille O’Neal, c’est un monstre mais Krouminch aurait arraché un arbre ! »
Interview
Fer de lance des Bleus pendant les années 60, Maxime Dorigo est revenu pour Basket Retro sur l’Euro 1959, disputé en Turquie durant lequel l’Equipe de France a décroché une belle médaille de bronze. Interview !
Basket Rétro : Avant coup, la presse est assez pessimiste sur les chances de la France pour cette compétition. Les absences sont nombreuses (Beugnot, Antoine, Bertorelle ou Degros), la préparation a été très courte et le tirage au sort pour le premier tour est difficile (URSS, Italie, Israël). Vous aviez conscience de cela à l’époque ?
MD : Avant de partir, nous savions effectivement que c’était un tirage difficile. Après, il y a une chose que je ne pourrais jamais oublier. C’est Rio en 1963. 40.000 personnes ! Inoubliable ! Une histoire extraordinaire. Même Busnel n’avait jamais vu cela. On avait une équipe diminuée et pourtant cela a marché. Tout cela pour dire que dans ces situations, il faut savoir se serrer les coudes. En 1959, on s’est serré les coudes. Je l’ai dit d’ailleurs à Vincent Collet quand je l’ai vu dernièrement. Il vaut mieux avoir un groupe soudé dans un grand championnat. Si l’ambiance est bonne, le résultat est bon. On ne gagne pas sans équipe soudée qui partage tout. C’est à dire, ne pas jouer pour les stats et « se défoncer ». C’est cela la force à avoir pour un championnat d’Europe : le collectif et le partage de la balle. A Rio, je jouais le titre de meilleur marqueur et je ne le savais même pas. En contre attaque, s’il fallait faire la passe, je la faisais pour faire marquer les copains. Bien sûr, il s’agit pas d’avoir « des chèvres » (il se marre) mais le collectif : c’est la clé ! Vincent retransmet une partie des valeurs de notre génération à la nouvelle génération. C’est le mec idéal pour la France, Vincent.

BR : Bob Cousy, sauf erreur de notre part, est venu parler à l’équipe avant son départ. C’est formidable…
MD : C’était à l’INSEP. Bob est venu nous faire un entrainement, oui je le confirme. Bien sûr, on était impressionné d’avoir une personne pareille mais sans plus parce que c’est un gars ordinaire. Il est modeste. C’est pas non plus le genre de gars à venir avec une grosse escorte. Il a fait part à Buffière de certaines indications après la séance je m’en souviens et cela nous a aidé forcément. Sa venue nous a mis dans la compétition.
Individuellement, des gars comme Grange, Lefèvre : ils sont formidables. Balzer, Christ, c’étaient des Alsaciens, « des bêtes » et moi j’étais le tireur. Ils se sacrifiaient pour moi sur les picks and rolls.
BR : Dans l’équipe on retrouve Jean Claude Lefèvre, Bernard Mayeur, Michel Rat, Philippe Baillet, Christian Balzer, Henri Grange ou Robert Monclar le tout coaché par André Buffière qui a pris le relai de Busnel. Comment se passe la vie de groupe ?
MD : D’abord, l’ambiance étaient exceptionnelle. Nous étions contents, à chaque fois, de nous retrouver. Individuellement, des gars comme Grange, Lefèvre : ils sont formidables. Balzer, Christ, c’étaient des Alsaciens, « des bêtes » et moi j’étais le tireur. Ils se sacrifiaient pour moi sur les picks and rolls. C’était un partage. Quelle mentalité ces gars-là ! Je n’ai pas retrouvé ces choses là après. Bien sur qu’on étaient contents quand on « mettait dedans » mais notre stat à nous : c’était la victoire.

On faisait jouer Lefèbvre à cache cache dans le jardin public. Quelle rigolade ! Il se mettait derrière des petits arbres, lui, le « bestiot » de 2m18.
BR : La Turquie en 1959, c’est forcément un pays à part. Avez-vous des anecdotes sur l’organisation ? Sur l’hébergement ? Sur vos visites ?
MD : On a visité l’île des princes sur le Bosphore où il n’y a pas de voitures. On a visité aussi la grande mosquée . Ce qui a été exceptionnel également c’est le banquet avec les danseuses. Par contre, c’était pas un voyage organisé non plus et puis Buffière c’est plutôt le résultat d’abord. C’est pas trop le genre, il voulait des joueurs concentrés. Il s’en foutait de la mosquée (il se marre). On revenait à pied de la salle. On faisait jouer Lefèbvre à cache cache dans le jardin public. Quelle rigolade ! Il se mettait derrière des petits arbres, lui, le « bestiot » de 2m18. Les gens étaient morts de rire autour. Tout était bon, en dehors du match, pour s’amuser et rire entre nous. Et Buffière remettait de l’ordre pour le match. Incomparable avec ce qu’il se passe maintenant. Et c’est normal, aujourd’hui l’argent fait que tout a changé.
BR : Premier match, première défaite : contre les Russes. Avec Krouminch (2m18), Petrov (2m10) ou Zoubkov, ils sont vraiment injouables ?
MD : Zoubkov : injouable ! Krouminch : n’en parlons pas ! Avec sa jambe gauche de bûcheron, il ne pouvait pas être arrêté. Zoubkov a été le plus fort de mémoire sur le tournoi de 1959 avec un bras roulé inoubliable. Et quel athlète ! Nous n’avions aucunes chances contre eux même si on les a battu une fois en amical.
En 1959, on jouait dans un stade de foot qui contenait 20.000 personnes. Et il y avait, pour nous, 2000 marins français du Foch qui venaient nous voir tous les soirs ! Ils étaient formidables ! D’ailleurs, on a visité le Foch, c’était grandiose sur le Bosphore !
BR : Après une victoire face à Israël, le match contre l’Italie s’annonce décisif pour l’accession au second tour. Et pour vous, c’est forcément un match particulier parce que vos parents sont Italiens. Vous gagnez difficilement après avoir été longtemps menés.
MD : L’Italie… Oui bien sûr. Jouer contre l’Italie, cela a été pire pour moi aux Jeux de Rome puis à Rio, mais oui en Turquie jouer contre eux a été très spécial. Mais attention, je suis le plus français des Italiens… Je leur disais aux gars d’ailleurs. Par exemple, à Christian Balzer, je lui disais : T’es né où toi Christian ? » Parce qu’il me surnommait le « rital ». « Toi t’es d’Alsace, mais moi je suis né à l’Hôtel Dieu, en plein centre de Paris… » (il se marre). Alors pour en revenir aux Italiens, parfois, ils mettaient en place une défense spéciale pour me contrer. Ils aimaient pas que je score contre eux, chose que je peux comprendre mais cela se passait bien quand même. D’autant plus que Milan m’avait fait une proposition exceptionnelle pour l’époque. Et puis j’ai encore une maison familiale dans les Dolomites. Dans cette maison, j’y vais une fois par an. Et, tous les ans environ 30 joueurs italiens viennent chez moi. On met la polenta sur la table, etc. On met les hymnes. Ils chantent la Marseillaise et je chante l’hymne national Italien. Et la presse est là ! Après le repas, on joue au basket, enfin on fait un concours de tir pour être précis.

BR : La victoire contre la RDA vous permet d’accéder pour le second tour à un groupe accessible. (NDRL : l’autre poule est très relevée avec la Hongrie, la Pologne et l’URSS. Résultat : 3 rencontres, 3 victoires, contre la Belgique, la Roumanie puis la Tchécoslovaquie contre qui vous marquez 20 points.
MD : Le second tour, je me souviens très très bien. La Hongrie, on perd de deux points. Mais à cet Euro on ne doit pas finir troisième mais second parce que les Tchèques battent la Hongrie qui se laisse battre. A l’époque, c’était un bloc et ils se soutenaient. Contre la Hongrie, c’est un vol manifeste et ensuite il y a cet arrangement, si je puis m’exprimer ainsi. Nous contre les Tchèques, nous avons été exceptionnels. En 1959, on jouait dans un stade de foot qui contenait 20.000 personnes. Et il y avait, pour nous, 2000 marins français du Foch qui venaient nous voir tous les soirs ! Ils étaient formidables ! D’ailleurs, on a visité le Foch, c’était grandiose sur le Bosphore !
BR : A ce stade de la compétition, vous pensiez au titre ?
MD : Non impossible ! Deuxièmes oui. Premiers non. Tout le monde l’a vu, tout le monde l’a dit qu’on s’était fait voler le match mais bon c’est comme cela.
BR : Et puis contre la Hongrie, vous perdez de 2 points (62-60). Vous vous souvenez de cette rencontre ? Elle fut le cadre d’une énorme erreur d’arbitrage !
MD : Dans le détail, je mentirais si je disais que je m’en souviens.
BR : Avec la défaite des Hongrois face aux Tchécoslovaques, votre rencontre face aux Russes fait figure de Finale. C’est le plus beau match de la compétition selon la Revue Basket Ball. Quels en sont vos souvenirs ?
MD : On jouait dans un stade de foot à l’époque et il y avait beaucoup de condensation sur le parquet. Comme le Bosphore était tout proche, ça glissait beaucoup. Le Russe Krouminch, pendant un autre match, il est en retard sur le repli. Il glisse du milieu jusqu’à son panneau. 20.000 personnes rigolaient dans le stade. On a parfois dû jouer en marchant et c’est pour cela que quand on rejoue les Russes, on les rejoue en salle avec un plancher provisoire. Le plancher est surélevé. A un moment, Krouminch est aux prises avec Lefebvre. Le passeur donne à Krouminch et je viens flotter dessus. Et je me suis senti m’enfoncer sur le parquet par leurs 260 kilos. Le terrain s’affaissait. Shaquille O’Neal c’est un monstre mais Krouminch aurait arraché un arbre !

Après la finale, je ne sais pas si c’était le plus beau match de la compétition mais ces deux équipes, c’est du costaud. Comme nous, les Tchèques ont souffert de leur manque de taille. Nous, quand Jean Paul Beugnot et/ou Lefèbvre n’étaient pas là, c’était compliqué !
Mes copains m’ont couché… J’étais dans le brouillard. J’ai dormi 24 heures !
BR : Finalement 3èmes. 1959, c’est la dernière médaille française au championnat d’Europe avant le bronze de 2005 en Serbie avec des joueurs comme Parker, Diaw, Pietrus, Rigaudeau ou Weis.
MD : Cela fait 40 ans sans médailles, je le sais bien. Et ce n’est pas difficile à comprendre. Je me suis battu à Bagnolet pour faire évoluer le basket français. A l’époque, j’avais une voix assez importante dans le monde du basket et j’ai tout fait auprès de Busnel et de la Fédération, d’abord, pour qu’il n’y ait pas d’étrangers dans le championnat. Tous les clubs prenaient des pivots étrangers et il n’y avait pas de places pour que les nôtres progressent. Il s’est passé ensuite qu’ils étaient là. On allaient pas les chasser ! L’idée était alors de faire comme l’Italie et l’Espagne en donnant de l’argent pour les clubs. J’étais allé négocier avec des sociétés italiennes mais cela n’a pas fonctionné. Mais ces dernières n’étaient pas intéressées pour le sponsoring mais plutôt pour acheter l’équipe. A l’époque, c’est le cas de Milan, Varèse et quasiment tous les clubs italiens. Pour l’époque, c’était l’idéal le modèle italien. Ce sont des amis, mais je me suis « battu » avec Pierre Tessier et Jacques Marchand de l’Equipe. On a pas vu l’Equipe de France, j’exagère évidemment, pendant 40 ans parce qu’on a pas voulu de cette évolution. Les gens ont envie de voir des stars tous les dimanches. Si MBappé était parti et qu’on l’avait vu qu’avec les Bleus cela n’aurait pas été pareil. Même s’il est en NBA, c’est ce qui s’est passé avec Tony Parker. Et on est resté dans le trou pendant 40 ans… Avec Busnel , c’était la guerre du portefeuille et je l’ai dit à l’époque. Vous pouvez reprendre les Equipe. Et malheureusement, j’avais raison. Il fallait être complétement pro. Il fallait faire un championnat professionnel français avec de grosses finances. Mais aujourd’hui : c’est pareil. J’exagère bien sûr mais tous nos meilleurs sont partis ailleurs. Quand je dis ailleurs parce que la NBA évidemment c’est intouchable, je dis en Espagne, en Turquie, en Russie, en Italie etc… Si on avait suivi la méthode dont j’ai parlé, nous n’aurions pas été 40 ans dans le trou.
BR : 11 jours de compétitions : 9 matchs… c’est assez incroyable non ?
MD : D’abord aujourd’hui, c’est inimaginable. Rio : 9 matchs aussi en 10 jours. Je terminais à chaque fois à des stades d’agonie. J’étais en coton, vidé, mort. Mais j’ai cru mourir… Je ne pouvais pas marcher à Rio. J’ai suivi les chaussures de mes copains pour ne pas les perdre au dernier match. Je suis désolé vous me parlez des Championnats d’Europe et je vous parle de Rio mais c’est pour bien comprendre comment cela se passait. A Rio, on me met dans le car, on met à l’hôtel à Copacabana avec Bebel qui tournait « L’homme de Rio » là-bas. Bref… Mes copains m’ont couché… J’étais dans le brouillard. J’ai dormi 24 heures ! En Turquie, c’était très très dur aussi même si j’ai récupéré très vite. Il faut savoir que j’avais un atelier de couture. Et cet atelier, je le laissais pendant les compétitions. Je travaillais et au basket, je n’avais que 2 ou 3 dollars par jour : de l’argent de poche (il se marre). Les trois grandes compétitions que j’ai voulu faire parce que les autres, je pouvais pas, j’ai refusé pour mon travail, j’ai réussi à être à la pointe de ma forme. Pendant 2 mois, avec la préparation, j’étais professionnel. Quel bonheur ! J’étais au top pendant deux mois. Il faut dire que le reste du temps, je travaillais 10 heures par jour, debout.
BR : Il y a d’autres anecdotes qui vous reste de cette époque ?
MD : Une année, on joue les Russes. On les bats à Lyon, à la surprise générale. A l’époque, j’avais dit à Buffière : « On gagne : tu te baignes à poil ! » C’est ce qu’il a fait au casino Barrière à Lyon. Pour le second match le président de la fédération vient me chercher chez moi en voiture pour aller à Tours, lieu du match. Je suis arrivé très peu de temps avant la rencontre. Mes copains étaient sur le terrain, les hymnes se jouaient presque. On rebat les Russes dans une ambiance grandiose ! On bat deux fois les Champions d’Europe ! Rendez-vous compte ! Troisième match, à Rennes, je n’ai pas pu jouer à cause de mon travail. La France perd. Buffière vient me voir plus tard et me rapporte que l’entraineur Russe était sidéré quand il a appris pourquoi je ne jouais pas. Cela se passait comme cela. C’était la France qui était toujours avec un tour de retard.
BR : Qu’attendez vous des Bleus pour cette compétition ?
MD : A chaque fois qu’il y a une grande compétition, je fais un petit mot pour Vincent Collet. Il est toujours le suivant : « Comme tu sais Vincent avec l’expérience que tu as maintenant, mieux vaut avoir des gens qui partagent le ballon que d’avoir de grandes individualités. Un championnat d’Europe, c’est long et il faut avoir la tête et les jambes ! » On en a parlé avec Vincent et évidemment il est d’accord. La France a une très belle équipe. Individuellement : rien à dire parce que tous sont des beaux joueurs. Par contre, je trouve la transmission trop lente sur les picks and roll. Il y a trop de joueurs qui regardent à mon sens parce qu’après c’est très téléphoné. Je ne suis pas trop pour le jeu américain. J’étais pour le tir à 3 points qui a permis d’agrandir le jardin et avoir derrière des espaces verts pour pouvoir travailler et attaquer la raquette. Nous on avait 10 mecs qui se « tapaient sur la g… » dans la raquette. Le basket, c’est Curry, c’est Thompson qui te disent : « si tu viens pas mon pote, je vais te punir et si tu viens, je vais te passer ». C’est le basket total. Si je jouais maintenant, je regarderais surement mes stats, comme tous le monde, mais en 1959 et pour revenir à cet euro : c’est le partage total de la victoire ! Et la force de Vincent Collet, c’est retransmettre une partie de cela.
Merci à Maxime Dorigo pour sa grande disponibilité ! Montage Une : Laurent Rullier.
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