[Long Format] Sauver Olga – Épisode 2 : La lettre d’Élizabeth
Long Format
Prise dans l’étau du dramatique siège de Sarajevo qui a débuté en avril 1992, Olga Djokovic, l’ancienne joueuse du Clermont UC, se désespère. Elle a perdu dix-huit kilos et ne voit aucune issue à cet enfer. Par bonheur, Élizabeth Riffiod, son ancienne coéquipière, envoie une lettre comme on envoie une bouteille à la mer. Elle fera mouche et deviendra sa « bonne fée » …
A trois semaines de son jubilé prévu le 15 mai 1993 à Sainte Eulalie, près de Bordeaux, où la grande majorité de ses anciennes partenaires de Clermont ou d’Asnières ont répondu présent, il manque une réponse à Élizabeth Riffiod : celle d’Olga Djokovic cernée à Sarajevo.

Elizabeth Riffiod (à gauche) et Olga Djokovic sous le maillot de Clermont en 1974.
Elle se décide à contacter l’équipe de « Perdu de Vue », une des émissions-phares de TF1, véritable phénomène de société animée par Jacques Pradel et Jean-Marie Perthuis, l’homme de terrain, qui accueillait à chaque émission du lundi près de dix millions de téléspectateurs. Le concept de cette télé-réalité était de retrouver une ou plusieurs personnes dont on avait perdu la trace.

La lettre d’Élizabeth Riffiod à « Perdu de Vue » en date du 27 avril 1993.
« L’année dernière, quand cette ville est devenue si tristement d’actualité, écrit Élizabeth Riffiod dans son courrier dont elle a conservé une copie, on a toutes pensé à elle, on a cherché à lui écrire et les lettres sont revenues, elle n’a pas envoyé de carte à Noël dernier, on ne l’a pas vue aux Jeux Olympiques alors qu’en qualité de journaliste elle suivait habituellement les grandes manifestations sportives. Une joueuse de Chantecler-Bordeaux, Slaja Golic, a fait son enquête à Belgrade et elle a enfin appris la semaine dernière qu’Olga est restée à Sarajevo, qu’elle a beaucoup maigri et n’a pas le moral. (…) Mon vœu le plus cher serait de la revoir, de la recevoir à la maison, de la soigner, de lui apporter un peu de bonheur afin qu’elle puisse vivre presque comme avant. Merci d’essayer de faire quelque chose pour Doda. »
Cette lettre datée du 27 avril 1993 fera partie des 3 000 reçues mensuellement par les producteurs de « Perdu de Vue ».
Le jubilé passe, sans Olga. Le temps passe, sans nouvelle.
Le courrier s’est -il noyé dans la masse ? Restera-t-il sans réponse ?
6 MOIS PLUS TARD, ENFIN…
Non, car pile six mois plus tard, le 27 octobre, Félicie de l’équipe de « Perdu de Vue » contacte Élizabeth Riffiod : la lettre a été sélectionnée par le comité de lecture !
La machine se met alors en route.
Le 25 novembre, Jean-Marie Perthuis se fend d’une lettre à destination d’Olga Djokovic. « (…) La vie à Sarajevo qui nous est décrite par les médias comme terrible est sans doute pire à vivre au quotidien. Élisabeth et derrière elle toute l’équipe du CUC à qui vous manquez réellement, sait que vous souffrez de faim et de soif, que le froid a envahi la Yougoslavie et que vous risquez votre vie chaque jour. Aussi Élizabeth veut-elle vous lancer un message d’amitié en vous invitant en France, chez elle, le plus tôt possible et aussi longtemps que vous le désirerez. Si vous le désirez bien-sûr et si nous réussissons à organiser votre départ de Sarajevo. »

Le courrier de Jean-Marie Pertuis à Olga en date du 25 novembre 1993.
Ce courrier avec en-tête TF1 est confié à Goran Radonjic, arbitre de basket en France et ami d’Olga. Il est accompagné d’un billet de 50 DM pour permettre à Olga de répondre.
Le 9 décembre, le courrier parvient à Olga via le frère de Goran. Le hasard veut que la veille au soir Olga avait raconté le Noël en France à ses voisins et leur avait expliqué ce qu’était la bûche de Noël et la nourriture française. « Lorsque j’ai pris congé, mes hôtes m’ont remercié de leur avoir rempli le ventre ».
En ouvrant le courrier, « j’ai éclaté en larmes. J’ai sangloté pendant des heures. J’en avais le visage tout bouffi. J’étais si touchée qu’on m’écrive de si loin, qu’on s’inquiète de moi, qu’on veuille me faire venir, qu’on me tende une main secourable. Quelque bonne fée s’était-elle souvenue de moi ? Dieu avait-il enfin condescendu à entendre mes prières ? »
S’en suit, pendant plusieurs jours, le tiraillement en entrant dans le vingt et unième mois de la guerre : partir et quitter ses proches ou rester dans le danger ?
« OLGA EST VIVANTE ! »

Olga casquée et protégée le 26 janvier 1994. L’issue est proche…@TF1
Il était prévu qu’Olga puisse intervenir par fax-satellite en direct dans l’émission du 13 décembre depuis l’hôtel Holiday Inn de Sarajevo. Échec technique. Le sujet est néanmoins abordé ce lundi-là dans l’émission. Jacques Pradel lance en direct un appel aux radioamateurs afin qu’ils se mobilisent et joignent Sarajevo. Dans la ville bosniaque martyre, le capitaine Portet, responsable des transmissions de l’état-major français au PTT Building, reçoit le message. Il sait qu’une jeune fille, Aida Filipovic, employée comme secrétaire à l’état-major, a joué au basket. Il la joint immédiatement. « J’ai vu Olga récemment, affirme Aida. Je sais où elle habite, je vais essayer de la joindre par l’intermédiaire de sa voisine. A la fin de l’émission, Pradel peut annoncer : « Olga est vivante ! »
Décembre passe. Jacky Chazalon et Jean-Marie Perthuis écrivent à Olga. Le dossier a été transmis au ministère compétent. « Ils me promettent que je pourrai bientôt me détendre. Il existe encore des gens merveilleux ! »
Olga a définitivement pris sa décision. « Je quitte la ville qui hier encore était à mes yeux la plus belle ; je ne l’aurais échangée contre aucune autre. Le Sarajevo de jadis était une ville de légende. Mais le Sarajevo de demain sera tout autre. On a semé la haine. J’ai peur de ce qui sortira de ces graines. »
Lors de l’émission suivante, le 3 janvier 1994, Olga est amenée au PTT Building tandis que ses anciennes partenaires du CUC sont réunies sur le plateau. La communication téléphonique est établie. Elles ne se voient pas, mais elles se parlent. De part et d’autre, l’échange est filmé. L’émotion est grande.
Olga écrit à Perthuis et lui raconte son quotidien. « Je tremble 24 heures par jour. Je n’ai pas de nourriture. Depuis avril 1992, je n’ai pas mangé de viande, de fruits, de légumes, d’œufs, de fromage. Grâce à Dieu, je n’ai pas perdu la raison. Je ne hais personne. Je ne le veux pas. »
UNE EXFILTRATION COMPLIQUÉE
Pour autant, l’exfiltration d’Olga ressemble à un pari impossible. Son anniversaire, le 8 janvier, est triste. Le challenge sera cependant tenté par TF1 et le journal Le Parisien qui unissent leurs efforts.
Jean-Marie Perthuis et Christian Chardon, journaliste au Parisien, filent à Zagreb le 14 janvier pour rencontrer les acteurs (militaires, Croix rouge, ONU).
Ils rentrent sans grand espoir.
En parallèle, Olga demande et obtient son passeport bosniaque. Une avancée. Mais le fonctionnaire de l’ONU refuse l’accréditation de presse d’Olga. La situation semble bloquée. Revenus sur place, Chardon et Perthuis font du lobbying auprès de personnes – clés de l’ONU. Avec un heureux concours de circonstances, le travail paie à Zagreb. L’espoir revient. Finalement, ils obtiennent le fameux sésame pour Olga, et retournent à Sarajevo via un vol militaire transportant du fuel et théoriquement interdit aux passagers.
Après un ultime coup de frein qui a semé le doute chez Olga, le chemin vers la liberté s’ouvre enfin le 26 janvier : Perthuis et Chardon tendent à Olga le passeport et la carte de presse de la FORPRONU. « Tu as réussi Jean-Marie, c’est mon laisser passer ! ». « Ses yeux rougissent, témoigne Jean-Marie Perthuis. Elle retient les larmes. Ce petit bout de papier avec sa photo va donc changer le cours inexorable de sa vie. La force, la ténacité qu’elle m’avait transmises, avaient réussi à vaincre l’invincible. » Ils filment. Les casques bleus sont là. Ils la coiffent d’un casque et lui enfilent un gilet pare-balle au-dessus du manteau. Destination Split, puis Zagreb. Un dîner et, surtout, une douche chaude, moment intense de bonheur.
9 MOIS APRÈS LA LETTRE DE LA « BONNE FÉE »
C’est l’arrivée à Paris, le 27 janvier, soit neuf mois jour pour jour après la lettre d’Élizabeth. Du poisson, de la bière, du chocolat. Et un lit douillet. Le 31 janvier, c’est l’émission. Olga en est la vedette. Elle retrouve ses anciennes coéquipières, en direct, sur le plateau. Une des meilleures audiences historiques.
Les projecteurs éteints, place à la nouvelle vie.

La couverture du livre-mémoire d’Olga paru en décembre 1998.
Une visite au Louvre (« Elle a tout de suite été reconnue, preuve de l’impact énorme de l’émission » commentera Jacky Chazalon), et « s’écoulent mes jours tranquilles en France. Sans obus, sans rafales, sans détonations. Cela ne me manque pas. On prend vite goût aux bonnes choses. » (….)
La solidarité s’organise autour d’Élizabeth (« ma bonne fée ») et des « Dames de Clermont » qui s’occupent d’elles la soutenant matériellement. « Je suis très riche. Riche car j’ai des amis. »
Olga fera la tournée, logeant chez l’une puis chez l’autre, trouvant ensuite un studio, travaillant dans l’entreprise d’articles de sport de l’international Charles Tassin. Elle vit modestement, certes, mais en liberté. Elle ne veut pas être un poids et file ensuite à Paris, s’y installe après avoir retrouvé un poste de pigiste pour traiter la vie de la diaspora yougoslave.
LE DERNIER COUP DE STRESS
« Elle a eu un coup de stress lorsqu’elle a été convoquée à la Préfecture, raconte Élisabeth. Elle a compris et a été rassurée lorsqu’une fonctionnaire lui a fièrement tendu sa carte d’identité française ».
« J’ai des millions d’anecdotes, mais je n’ai pas de nostalgie. Je retourne à Sarajevo chaque année. Ce n’est plus la même ville. Je suis restée positive et vivante dans ma la tête. Ils m’ont retrouvée grâce à « ma bonne fée ». On m’a donné une nouvelle vie. Je serai toujours reconnaissante. C’est une jolie histoire. J’adore Paris, c’est une ville magnifique. Je vais souvent à l’opéra, mais regarde aussi la NBA tous les matins. » raconte, au printemps 2022, Olga la Parisienne qui se languit de ses anciennes coéquipières de Clermont.
Sources : L’Equipe Basket Magazine, Olga Djokovic raconte son match pour la vie (Arnaud Franel Editions), Le Parisien (Christian Chardon).
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