[Long format] Busnel – Buffière, les frères d’armes – Episode 3 : la fracture
Long Format
Robert Busnel et André Buffière ont grimpé ensemble l’échelle du succès et de la notoriété. Un attelage unique qui a donné une nouvelle dimension au basket français au milieu du XXème siècle (voir épisodes 1 et 2). Dernier épisode : « Bubu » succède à son ainé « Bus » à la tête de l’équipe de France, mais Busnel reste Directeur technique national. Les relations, jusque-là complices, vont se tendre.
Prendre la suite d’une forte personnalité n’est jamais aisé, a fortiori si celle-ci reste dans l’environnement. C’est vrai dans n’importe quel univers, c’était encore plus vrai pour « les B.B » du basket français.
Robert Busnel ne pouvait pas imaginer que ce soit mieux sans lui. André Buffière ne le remplace pas, il lui succède.

André Buffière (à gauche) succède à Robert Busnel à la tête de l’équipe de France.
A l’été 1957, Buffière quitte ainsi le SA Lyon pour prendre ses nouvelles fonctions à la tête de l’équipe de France, mais aussi du Bataillon de Joinville, qui regroupe l’équipe de France militaire, soit le creuset des espoirs du basket français.
RAJEUNISSEMENT
Le match de novembre contre la Pologne marque un vrai changement. Après la déconvenue du championnat d’Europe de Sofia où l’équipe de France aurait dû faire mieux que huitième, le nouvel homme fort de la sélection décide d’injecter du sang neuf, une idée portée par son boss, Busnel qui avait prévenu : « L’équipe de France actuelle a vécu. (…) Tout a une fin. Désormais, une nouvelle génération doit prendre une place. Il faut trouver des jeunes, mais leur tâche s’annonce difficile. »
André Buffière mise sur une nouvelle génération talentueuse.
Il lance Jean Degros (AS Denain), Jérôme Christ (SIG, qui évolue en Honneur, soit le 3eme niveau), Bernard Mayeur (Bagnolet) et mise sur Christian Baltzer (AS Mulhouse) qui avait accumulé des sélections, mais restait confiné sur le banc durant l’ère Busnel. Tous ont entre 19 et 21 ans. « Il faisait jouer les jeunes et grâce à lui, j’ai eu du temps de jeu. » expliquera Baltzer. Un peu plus tard, ce sera au tour d’un autre talent, Maxime Dorigo (Bagnolet).

André Buffière entouré de son adjoint Justy Specker (à gauche) aux côtés du DTN, Robert Busnel.
Incomplets, notamment sans Jean-Paul Beugnot, alors l’un des meilleurs joueurs d’Europe, ni Roger Antoine, les Bleus réalisent pourtant un tournoi brillant au championnat d’Europe d’Istanbul en mai 1958, n’étant barrée qu’au panier-average derrière l’inaccessible URSS (3eme).
A 35 ans, Buffière fait ses preuves.
Mais insensiblement, la relation avec Robert Busnel se dégrade.
Un premier coup de canif avait alerté l’entourage des Bleus. C’était lors du dernier match, gagné contre la Finlande, du championnat d’Europe de Budapest en juin 1955. Sans préparation, l’équipe de France, maladroite (30 lancers-francs ratés sur 42 !) et épuisée par la saison termine 9eme dans le stade de plein-air de Budapest.

André Buffière @L’Equipe
Busnel s’insurge. « Manager des joueurs hors de forme, nerveux au point de ne rien supporter, hargneux vis-à-vis de tout, cela devient un problème ardu. Il est un fait que je n’ai pas entièrement trouvé la solution puisque l’équipe a perdu ses deux matches principaux à la dernière minute à chaque fois. Il est exact aussi que j’ai subi l’ambiance de l’équipe. »
Pierre Tessier raconte dans l’Equipe : « Budapest a altéré le magnifique climat de l’équipe de France. L’entente entre le manager Busnel et le capitaine Buffière s’est brisée. Au cours du match France-Finlande, il avait fallu les séparer pour rompre une querelle que le public ne comprenait pas. Le soir même, Buffière me confiait qu’il avait décidé de ne plus jouer en équipe de France. Le lendemain, Busnel me disait : « Lorsque Buffière annonce qu’il ne veut plus jouer en équipe de France, il ne fait que prendre les devants, sachant très bien qu’il a déjà perdu sa place. » Dans l’Orient-Express du retour, Marcel Hansenne et Pierre Tessier tentent de les rabibocher. Ils se serrent la main, mais il en restera des traces.
La déclaration du président de la FFBB, Charles Boizard, résonne comme une épitaphe. « J’ai lu d’amère critiques à l’égard de nos deux vétérans, Buffière et Vacheresse. Certes les ans pèsent sur eux et leur enthousiasme, leur modestie se sont usés sur la longue route des sélections, mais il serait injuste d’oublier les services qu’ils ont rendus à l’équipe de France. »
« DES SYSTEMES TROP SOPHISTIQUES »
Quatre ans plus tard, au sortir de son championnat d’Europe réussi d’Istanbul, Busnel et Buffière ont les JO de Rome en ligne de mire. L’équipe de France termine invaincue l’année qui les précède et brigue une médaille. Alors que les étés précédents avaient été consacrés à des stages sur la Côte d’Azur, destinés notamment à s’adapter à la chaleur romaine, la préparation au tournoi tourne au fiasco à Elisabethville dans les Yvelines. Le froid et la pluie, des blessures et l’alerte du récent tournoi raté à Moscou sapent le moral des Bleus. Ils ratent leurs deux premiers matches d’un (Tchécoslovaquie) et trois points (Yougoslavie). Ils basculent aussitôt dans la poule de consolation (10eme), bien loin de leur ambition.

Avant les JO de Rome en 1960, André Buffière et Jean Degros répondent aux questions de Thierry Roland @INA
Dans le vestiaire, les joueurs, effondrés, s’en prennent à Busnel, responsable, selon eux, de cette préparation cahotique. Chahuté, Busnel incrimine le manque de budget de la Fédération. Plus tard, il mettra directement en cause la méthode. « Un jour arriva où nos rapports se modifièrent. Dans son désir de toujours faire mieux, Buffière travailla dur pour se perfectionner. Il s’engagea sur la voie de la théorie par l’étude de brochures américaines, par les conseils répandus dans les stages et par l’action de quelques « amis » qui allaient apporter une rupture dans nos relations. Je revois le début de ce virage pendant le stage de l’équipe de France avant les JO de Rome. » Il cite en exemple « des systèmes de jeu trop sophistiqués » qui, selon lui, ont trop complexifié l’approche des joueurs. « Il aime passionnément le basket et l’équipe de France, mais il limite trop sa passion au cadre du terrain. C’est un solitaire qui garde au fond de lui des choses trop importantes pour un hommes seul. »
Séducteur, créatif, volubile, Robert Busnel, à l’inverse, magnétise et électrise le basket français. Témoin cette introduction de Jacques Marchand dans l’Equipe en 1962. « Qui êtes-vous, M. Busnel ? Le directeur du basket français. Donc sa conscience. L’animateur du basket français. Donc son âme. Le prospecteur de talents nouveaux. Donc son avenir. Un commis voyageur à travers le monde. Donc son ambassadeur. Un chef respecté, un homme parfois discuté. En tous cas, un patron ! On vous aime, on vous déteste, on vous envie, mais vous ne laissez pas indifférent. »
BRILLANTS A RIOI AVANT LE TROU NOIR
Sans Maxime Dorigo et Jean Degros notamment, l’équipe de France se reprend en terminant au pied du podium du championnat d’Europe 1961 à Belgrade (4eme) dont le MVP est Radivoj Korac, avant de rester quasiment un an sans jouer suite à des annulations de tournées. Alors que l’icône Beugnot prend sa retraite internationale à 30 ans, Buffière lance le jeune espoir roannais, Alain Gilles.

Le tableau noir de Buffière avant les Jeux de Rome sous les yeux de Busnel @Keystone
Présenté comme un personnage rigide et animé par le doute permanent, il montre aussi qu’il a de l’humour. En avril 1963, l’équipe de France reçoit l’URSS, l’inamovible championne d’Europe, à Lyon. Histoire de motiver ses troupes, il promet de se baigner nu en cas de victoire des Tricolores. L’équipe de France réussit l’impensable exploit (58-54). André Buffière ne se démonte pas : il tient sa promesse devant les joueurs de son équipe et quelques photographes hilares…
C’était trois semaines avant de s’envoler pour le Mondial de Rio. Auteurs d’un excellent championnat du monde, les Bleus ne sont pas loin de la médaille (5emes). Le travail de Buffière est salué. « Il insistait beaucoup sur la défense et avait mis en place plus de systèmes », a expliqué Christian Baltzer.
Ce Mondial est suivi à peine cinq mois plus tard par le championnat d’Europe de Wroclaw en Pologne. Une charge bien trop lourde pour des joueurs au statut d’amateurs que leurs employeurs et leurs clubs qui ont pris du poids, rechignent à libérer. La majorité des joueurs avait d’ailleurs préféré le soleil de Rio et de Copacabana à l’hiver de la Silésie.
Mayeur, Dorigo, Grange, Leray ne sont pas du rendez-vous de Wroclaw qui vire au désastre annoncé. Craignant une déroute, Buffière propose de déclarer forfait, Busnel, lui, préfère superviser des installations possibles pour les Tricolores pour les JO de Tokyo. Il ne se rend même pas en Silésie. L’équipe de France où plusieurs joueurs, ulcérés, parmi eux Baltzer, ont l’impression de servir de chair à canon, termine à une piteuse 13eme place.

Retrouvailles lors du jubilé d’André Buffière.
Le signe avant-coureur de l’échec, amer, de la non qualification – la première – pour les Jeux Olympiques. La voici entrainée sur le toboggan la menant dans un trou noir dont elle ne sortira que vingt ans plus tard…
Car France termine 3eme du Tournoi qualificatif de Genève de juin 1964 ce qui sera insuffisant pour se qualifier pour les Jeux de Tokyo. Surtout, les dissentions entre les joueurs et Robert Busnel, le DTN, très critique dans la défaite, sont étalées au grand jour. Les Tricolores perdent contre la Hongrie un match décisif. « La veille du match, se souvient Christian Baltzer dans la Grande Histoire du basket français, Busnel attaque Buffière dans la presse et ce dernier a craqué pendant son speech d’avant-match. Il s’effondra en larmes dans le vestiaire et ça a notamment mis sur les genoux notre meilleur joueur, Max Dorigo, qui loupa le rendez-vous, touché émotionnellement. »
UN COURRIER DES INTERNATIONAUX
Au retour, le collectif des internationaux se fend officiellement d’un courrier au vitriol : « (…), Il apparait que le DTN ne s’occupe pas de l’équipe de France, mais par ses déclarations à la presse écrite et parlée cherche à nuire au bon climat qui règne parmi les joueurs. Dans ces conditions, il est difficile pour des joueurs amateurs faisant des sacrifices pour l’équipe nationale de respecter un homme, malgré les responsabilités qu’il devrait assumer, (…) Nous reprochons à Monsieur Busnel de prendre sa part de lauriers en cas de bons résultats et de prendre en cas de défaite une attitude pour le moins étonnante chez un homme qui, en fait, est responsable de la direction technique du basket français. Il est pénible pour des joueurs, déçus par la défaite, de supporter ce visage ironique qui n’a même pas la pudeur de masquer sa satisfaction. (…).
Ce courrier est adressé au président de la Fédération, Maurice Chavinier, et au Ministère des Sports, l’autorité de tutelle. Mais il n’est jamais parvenu à destination. « Busnel mettait de la zizanie dans l’équipe, c’est vrai. Les lettres avaient été postées à l’INS (ndlr : aujourd’hui l’INSEP) et moi je les ai enlevées, elles ne sont jamais arrivées à Jeunesse et Sport… Je l’ai fait parce que j’étais reconnaissant à Busnel qui m’avait découvert. » concédera Buffière, loyal jusqu’au bout, malgré son amertume.
Toujours est-il que l’homme fort du basket français, celui qui se croyait intouchable, celui qui rêvait chaque soir de disputer la finale olympique du 100 m (et la gagner) est ébranlé par ce mouvement d’humeur qui le stupéfait.
Pour calmer le jeu, le Ministère l’envoie en Afrique pour des missions liées au développement du basket au titre de la Coopération. Avant de partir, Busnel, bravache, lance un « Je reviendrai » prémonitoire.
BUFFIERE QUITTE L’EQUIPE DE FRANCE
Plusieurs techniciens sont aussitôt candidats à sa succession au poste de Directeur technique national. Parmi eux, André Buffière qui vient de conduire l’équipe de France militaire au titre mondial. Mais, à la surprise générale, Joë Jaunay prend tout le monde de vitesse. Il aura pour mission de « Débusneliser le basket français » pour reprendre l’expression de Jacques Marchand de l’Equipe. Un Busnel qui, en veste blanche, sera le coach de la sélection d’Europe (avec Roger Antoine) pour un match de prestige face au champion d’Europe, le Real Madrid.
Déçu et amer, André Buffière, adepte de l’esprit d’équipe, ne trouve pas d’atomes crochus avec Jaunay. La démarche centralisatrice et plus solitaire du nouveau DTN qui mise plus sur la confrontation ne lui convient pas : il démissionne de la tête de l’équipe de France le 11 mai 1965, soit deux semaines avant le championnat d’Europe de Tbilissi. « Buffière quittera finalement l’équipe de France au moment de mon départ, commentera Busnel. Il faut bien le dire, à cause de moi, tout de même ulcéré de ce qui s’était passé. »

Maurice et André Buffière, deux frères et coaches adversaires lors des derbies ASVEL-CRO Lyon.
André Buffière s’en va au terme d’un solide bilan (58,3% de succès en 120 rencontres entre 1957 et 1964).
Un peu plus tard, il cessera également ses fonctions au Bataillon de Joinville où il sera remplacé par Pascal Ezguilian. En 1971, avec le recul, il commente de manière ambigüe : « Je n’ai pas de regrets, non. La retraite m’a au contraire ouvert de nouveaux horizons. Mon regret, c’est peut-être d’avoir arrêté au moment où j’étais le plus apte à m’occuper d’une équipe puisque j’avais acquis l’expérience indispensable pour manager dans les compétitions internationales. »
LIMOGES ET LA FIBA EN GUISE DE RECONNAISSANCE
Les deux hommes prendront ensuite des voies parallèles.
Le coaching pour Buffière (SA Lyon, SCM Le Mans, AS Villeurbanne, CSP Limoges pour trois nouveaux titres de champion de France) avant un rôle de directeur sportif au Racing Paris et un nouveau retour comme conseiller du président à Villeurbanne alors mal en point.
Un rôle de dirigeant pour Busnel après sa mission africaine et un passage rapide et inabouti au Real Madrid.
Chacun dans son couloir trouvera la reconnaissance en fin de carrière.

André Buffière en fin de carrière.
Buffière avec la conquête de la Coupe Korac à deux reprises avec Limoges (1982 et 1983), les premières coupes européennes du basket français qui lancent pleinement le CSP dans sa destinée. Fidèle à sa logique. « Il est dans une bulle de basket et je ne l’ai pas vu souvent mettre un doigt dehors » commentera Jean-Michel Sénégal. Des succès que Busnel saluera : « André Buffière est un monsieur aux principes rigides, mais qui vous préparent des lendemains qui chantent. »
Busnel en étant élu à la tête de la FFBB à peine deux ans après son départ de la DTN au cours d’une Assemblée générale sulfureuse à Bendor (1966). A son poste, il fera basculer le basket français vers la modernité malgré quelques dégâts collatéraux, puis de devenir président de la FIBA (1984).
En 1989, soit deux ans avant de disparaitre dans un tragique accident de la circulation, Robert Busnel, revenant sur sa carrière et, plus précisément, sur son lien avec André Buffière, écrit : « Cet homme ne connaitra jamais la gloire qu’il mérite, même si tout le monde sait ce qu’il a apporté au basket français. Son sens de la mesure, sa modestie, sa sensibilité cachée, son désir de ne jamais se mettre en avant, ne sont plus des qualités reconnues dans ce monde en folie. Pour moi, il sera resté mon ami, en dépit des moments difficiles. Il n’est pas trop tard encore pour lui rendre l’hommage auquel il a droit. »
En écho, Buffière lui répond. « Comme dans tous les couples, on a eu des accrochages, mais on n’a jamais divorcé. » Il a survécu à son frère d’armes plus de vingt ans jusqu’à ce funeste automne 2014 qui l’a emporté quelques semaines avant Alain Gilles, celui-là même qu’il avait lancé en équipe de France à 17 ans.
« L’avenir s’ouvre vers l’infini. Il n’y a plus maintenant qu’une route ensoleillée où les platanes de mon enfance sont remplacés par des poteaux de basket » (Robert Busnel)

André Buffière, double vainqueur de la coupe Korac, porté en triomphe par les joueurs du CSP Limoges. @Le Populaire
Sources : Une histoire du Basket Français (Gérard Bosc/Presses du Louvre), Les cahiers de l’Equipe, L’Equipe Basket Magazine, Basket Ball, Trans-Korac Express (Jean-Luc Thomas/Souny-Ponty), ASVEL, la vie en vert (Serge Galichet/Horbath), la grande histoire du basket français (Pierre-Marie Descamps/L’Equipe). Le Guide du Basket (Didier Le Corre/Maxi Basket).
Très belle épopée, très bien contée par l’auteur. Merci pour lui j’ai appris certaines choses que mon grand-père ne m’avait pas raconté.
Romain petit fils d’André Buffiere
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