[ITW] Odile Santaniello – Partie 2 : « Au Mosa Jambes, s’ils n’avaient pas été là, je ne serais pas qui je suis ! »
Interview
A Bourges, Odile Santaniello fait exploser son palmarès. C’est alors comme si elle vivait sur l’astéroïde B156 du Petit Prince de Saint Exupéry, atteignant la vitesse de la lumière. Schio, la WNBA, les bleues, Odile nous dit ensuite tout de sa vie de basketteuse, pour laquelle elle ne changerait rien. Second volet de notre interview.
BR : Beaucoup de choses ont été écrites sur Bourges. Pour mémoire, en 5 ans, vous gagnez 5 titres de championnes de France, 2 tournois de la fédération, une Ronchetti et 2 euroligues.
OS : Je pars d’Aix parce que j’avais besoin de gagner quelque chose collectivement. Le basket c’est un sport collectif et si j’avais voulu gagner individuellement, j’aurais fait du tennis. Alors, c’est un grand soulagement de gagner la Ronchetti. Là tout se libère : j’ai fais quelque chose pour le club, j’ai donné quelque chose au club et ce club avec qui je joue me permet de gagner et me rend quelque chose. Sur mes grands meubles, à côté de mes trophées, je voulais absolument mettre un trophée collectif. Oula la, j’ai pleuré ! Le filet de la finale, il est chez moi dans un carton, enfin non chez ma sœur plutôt, mais je l’ai gardé. Et là, je me suis dit : « c’est le début d’une grande histoire avec Bourges ».
BR : Impossible de revenir en détail sur cette période. Cependant, quelques questions nous viennent en tête : vous nous parlez d’abord de Vadim Kapranov ?
OS : Vadim ! L’être suprême de Bourges. J’ai été très affectée par son décès. Il a tellement compté pour nous. Ce n’était pas sa manière d’entrainer qui m’a marqué. Mais il a fait de cette équipe une machine. On est devenue des guerrières. On était pas toutes copines dans la vie, c’était pas non plus qu’on s’entendait mal. C’était pas le plus important. Vadim, il a fait de nous une équipe avec un objectif commun : gagner ! Et cette équipe, je le répète est devenue une machine à gagner qui a marqué l’histoire.

Vadim, L’être suprême ! Odile Santaniello
BR : Ensuite, est-ce que vous aviez conscience d’écrire l’histoire à l’époque notamment lorsque vous êtes reçue à l’Élysée en devenant la première équipe collective française à conserver son titre de Championne d’Europe des clubs ?
OS : Quelle fierté ! On s’était toutes préparées en s’achetant de belles robes. On est des pionnières, on a marqué l’histoire. Le CUC a été Champion de France 13 fois c’est vrai, mais c’est nous qui avons gagné les titres en Europe. Et là, tu te rends compte que tu as fais du chemin. On s’est arrêté dans une station essence où c’était la folie. A l’hôtel, on s’est toutes faite belles. Et quand tu arrives à l’Elysée : ouah ! Qu’est-ce que c’est beau ! Le président Chirac nous a félicité, il a été très sympa. C’était une très grande émotion.
BR : Enfin et c’est plus personnel , comment vous avez vécu vos retours à la Pioline, votre maison, avec Bourges ?
OS : C’était horrible ! Horrible. D’habitude, je sais gérer mes émotions mais là je n’ai pas pu et cela a été très très compliqué. Les fleurs tout cela… (elle marque un temps). J’étais très stressée. J’ai d’ailleurs pas fait un bon match. C’est pas le plus important évidemment mais je pouvais pas bien jouer, pour moi cela a été horrible ce retour.
BR : Le 7 mai 1997 à San Fernando, contre l’Espagne, vous honorez votre dernière sélection en équipe de France. C’est pas un peu tôt pour raccrocher avec les bleues ? Vous en totaliserez 141 en carrière ce qui est assez peu au final au regard de la longueur de votre carrière.
OS : Alors, je n’ai aucun souvenir de ce match, désolé. Ensuite, 141 c’est parce que maintenant les filles jouent beaucoup. Ok on faisait des tournois, mais avant de jouer un championnat d’Europe, on faisait pas 15 matchs, c’était plutôt 3. Donc sur la durée, cela fait toute la différence. J’ai été blessé aussi. Et puis, j’arrête parce que je suis fatiguée. L’équipe de France, l’Euroligue, Bourges… il y a une année, j’ai joué 62 matchs ! Mon corps a dit stop. Je me retrouve à un stage et je me sens très fatiguée. Gérard notre médecin me prend ma tension et j’avais 9. J’ai fait un courrier pour expliquer que je préférais arrêter parce que physiquement ces enchainements de rencontres, je ne pouvais plus tout simplement. Psychologiquement également, je n’en pouvais plus de ces enchainements.
BR : 1998 MVP (avec Yannick Souvré) pour la neuvième fois de votre carrière, vous avez 32 ans ! Malgré un dos qui grince, est-ce que c’est à Bourges que vous êtes à votre top ?
OS : (elle réfléchit) Mon meilleur basket, je l’ai joué à Bourges oui, mais aussi à Aix. J’ai explosé individuellement à Aix. A Bourges, j’étais mature collectivement. C’est différent donc. Un jour Vadim Kapranov m’invite chez lui à manger et il nous parle Russe, Anglais avec un peu de Français. Il était comme cela Vadim, il disait qu’il comprenait pas. Bref. Ilona Korstine qui était là aussi me traduit ce qu’il me dit avec son accent : « Si tu n’es pas sur le terrain, c’est un problème. Tu es très importante. » Mais au delà des mots et ce qui est important à retenir, c’est qu’il voulait que je sois sur le terrain tout le temps, quoi qu’il arrive, parce que collectivement : j’étais essentielle à ses yeux. Un jour, on va jouer à Limoges et l’écart était tel qu’on allait gagner de 40 points, c’était sur. Et bien, il m’oblige à jouer quand même alors que j’avais une béquille et que je lui avait dit avant le match que je ne pouvais pas jouer. Je lui ai dit non, je ne peux pas et dieu sait que je suis pas douillette. J’en pouvais plus sur le terrain parce qu’il ne me sortait pas. Je l’insulte. Je le vouvoie, mais je l’insulte parce que je l’ai toujours vouvoyé Vadim. Et je lui dit : « Faites semblant de pas comprendre ! ». Il comprenait ce qu’on disait, c’était sur parce que là du coup, il me sort. On était à plus 30…. Parfois, il jouait contre nous en un contre un aux entrainements. Il nous mettait des coups en post up. Il nous regardait alors en disant : « problème ? problème ? » En plus c’était un excellent joueur, il shootait très bien à trois points. Mais cette anecdote en disait long sur qui il était. Moi, je l’adorais Vadim. C’était un personnage.

Et quand tu arrives à l’Elysée : ouah ! Qu’est-ce que c’est beau ! Odile Santaniello
BR : La WNBA, c’est un acte manqué ?
OS : Si si, j’ai fait un match. J’ai joué à Phoenix un match. C’est Cheryl Miller qui nous entrainait et elle voulait des Européennes. Et, c’est le seul moment où j’ai un agent : Paco Torres qui est devenu mon agent parce que je veux signer à Schio, en Italie. Et comme lui, il est en contact avec les franchises WNBA, il fait le relai et je me retrouve à Phoenix, en Arizona. C’est l’année où on fait 62 matchs je crois. J’arrive, je m’entraine et je me fais mal au dos. L’IRM montre une fracture de fatigue de la L5. Le médecin m’explique cela, enfin plutôt une traductrice canadienne, Caroline. Elle me dit que c’est généralement les gymnases ou les danseurs qui ont cela. Et ce n’était pas du tout là ou j’avais mal. Je m’étais déjà fait opérer de le L4 et la L5 plus tôt. C’était la présaison et je devais jouer parce que je m’y étais engagé à jouer. On devait rencontrer Malgo Dydek qui jouait pour Utah. J’avais pris le numéro 33, parce que le 23 (Jordan) et le 91 (celui de Rodman aux Bulls), ils ne le donnait pas. Cheryl Miller nous avait invitées à une soirée pour une cohésion d’équipe. Elle avait réservé tout un bar/restaurant juste pour nous et ce pour regarder son frère jouer contre Jordan (NDRL : Cette année là les Bulls battent les Pacers en 7 matchs en finale de conférence). J’ai discuté toute la soirée avec elle. Très beau souvenir !
BR : Les statistiques, les résultats, les journaux vont épluchiez cela à cette époque ?
OS : Non franchement, je m’en fichais. S’il y avait un journal, je le regardais évidemment mais j’allais pas chercher ces infos. Mon père avait gardé pleins d’articles sur moi. Il collait tout dans un cahier que j’ai redécouvert à sa mort.
BR : Quand on s’appelle Santaniello, on s’adapte forcément bien à l’Italie et on parle Italien évidemment…
OS : Oui et non. Mon père ne voulait pas qu’on parle italien en France. On parlait pas non plus Polonais. Mes parents voulaient qu’on parle français. C’est donc une coéquipière à Schio qui m’a aidé et au bout de quatre mois je me débrouillais à peu près. C’est Bev Smith, qui nous entrainait, une légende du basket canadien. Elle parlait italien et anglais et on communiquait comme cela.

Il y avait un sapin dans la salle. Je suis allé me cacher derrière pour pleurer. C’est la kiné de l’équipe qui est venue me rechercher. J’étais inconsolable. Odile Santaniello sur sa défaite en finale du Championnat avec Schio.
BR : Nous sommes en novembre 1999, vous butez aussi en finale du championnat face à Priolo.
OS : J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. A ce moment là, la finale se joue au meilleur des 3 matchs. On bat Côme en demi. Un exploit. Et comme on a l’avantage du terrain en finale, on va en Sicile, à Priolo, jouer les deux premières rencontres. Et comme par hasard, je dis pas que c’est la faute des arbitres attention mais on perd d’un point le match 1. Le match 2 se joue pareil de très peu avec des coups de sifflet… Bref. Les trois dernières rencontres devaient se jouer à la maison mais on perd encore. Pour une fille d’origine italienne qui veut gagner en Italie… Je pleurais et je suis allée m’excuser de ne pas avoir gagné. Marcello Cestaro, le président voulait tellement gagner qu’il me téléphone avant le match et me dit, si on gagne je te donne une prime. Mais moi, je lui réponds mais non, je joue pas pour l’argent même si c’est important, je joue pour gagner. Il y avait un sapin dans la salle. Je suis allé me cacher derrière pour pleurer. C’est la kiné de l’équipe qui est venue me rechercher. J’étais inconsolable. J’aurais du y rester à Schio mais bon j’ai pensé à ma reconversion.
BR : Puis direction Bordeaux, vous avez 34 ans. Bordeaux : une équipe pour qui vous jouez peu finalement.
OS : Je pense à ma reconversion. J’y signe parce que Stéphane Planque et Philippe Fargeon montaient une agence de communication et de marketing. Ils me contactent pour vivre cette aventure. J’y signe un super contrat mais en vacances, je reste bloquée du dos en revenant de la plage. Coincée, je ne pouvais plus bouger. J’ai eu une discopathie dégénérative. Mes vertèbres sont soudées, elles se touchaient. On m’a opéré à Bordeaux : une arthrodèse, destinée à bloquer mes vertèbres en les fusionnant. 5 mois de rééducation à Bordeaux dans une clinique privée. Je reprends en Novembre. On se qualifie en Coupe d’Europe d’ailleurs ce qui est bien et le coach à l’époque c’était Francis Dandine.
L’équipe de France, l’Euroligue, Bourges… il y a une année, j’ai joué 62 matchs ! Mon corps a dit stop. Odile Santaniello
BR : Votre retrait des parquets, vous vous y étiez préparée ? Comment cela s’est passé ?
OS : Cela a été très dur. D’abord, je souffrais le martyr. La douleur était si intense ! Je me disais : « mais comment je vais faire pour vivre ? » Quelle souffrance ! Mais je n’avais pas le choix, il fallait que j’arrête. Et ensuite, non je ne m’y étais pas préparée. Je n’étais pas prête. Tu te relèves quand même. Guy (Boillon) m’a appelé et m’a dit « viens entrainer ». Je voulais pas au départ et puis j’ai passé mes diplômes.
Je me disais : « mais comment je vais faire pour vivre ? » Quelle souffrance ! Odile Santaniello
BR : Quel regard vous portez sur votre carrière après coup ?
OS : Je ne regrette rien, et si je devais refaire les choses, je le referais. Je n’ai aucun regret non plus dans mes choix même si j’ai du renoncer à certaines choses. Je suis restée moi en fait. D’ailleurs, pour rien au monde je ne me changerais.
BR : Odile Santaniello, elle a pu avoir une vie ordinaire pendant toutes ces années, nous voulons dire flâner en ville, aller au restaurant ou aller faire ses courses et être tranquille ?
OS : A Aix, au départ, les gens me reconnaissaient dans les rues. C’était assez fréquent oui. A Bourges c’était quasiment tout le temps mais c’est plus petit donc c’est normal. Parfois, oui ca pouvait être fatiguant mais c’est comme cela. Et puis, moi j’aime discuter et j’ai jamais « remballé » quelqu’un. J’ai toujours essayé d’être sympa parce que il ne faut pas oublier que c’est aussi grâce à eux qu’on est là. Mais globalement, oui je pense avoir eu une vie plutôt normale.
BR : Des joueuses perdues de vue que vous voudriez revoir ?
OS : Pas vraiment non. Parce que grâce aux réseaux sociaux, j’ai gardé les contacts que je voulais garder. Je discute encore même régulièrement avec des étrangères avec qui j’ai joué. Parfois, on se revoit aussi. Cela maintient du lien.
BR : En 2009, vous êtes promue par la FFBB Académicienne du basket autrement dit vous intégrez le Hall of Fame français. Dans votre promotion, il y a Joe Jaunay qui avait fortement insisté auprès de Guy Boillon pour que vous rejoigniez Aix.

OS : Tu te dis que t’es une breloque (elle se marre) ! Au départ, j’ai pensé aux écrivains qui ont 90 ans à l’Académie et je me suis dit : « Odile, regardes ce que tu es devenue ! ». Non non plus sérieusement, j’ai passé une très belle journée et c’est un honneur de telles récompenses. Cela fait quelque chose, c’est sur.
BR : Dès que vous le pouvez, vous participez aux galas des Anciens Internationaux, cela représente quoi pour vous cette association ?
OS : C’est différent des récompenses que tu peux recevoir. Moi, j’adore y aller. J’ai revu Colette Passemard que j’adore et qui m’a entrainé dès les cadettes. Colette a marqué ma vie à un moment donné et quelle joueuse ! On passe de bons moments à ces galas. Et dans le basket, on doit parler des Anciens Champions. On ne peut pas rester indifférent à ce qui a été fait par le passé. C’est aussi grâce à eux que le basket français en est là où il en est actuellement. Cela permet de mieux connaitre notre sport. Cela fait deux ans que je ne le fais plus parce qu’il y a eu le Covid et parfois j’entraine aussi mais j’adore y aller.
BR : Et puis en 2018, Bourges retire votre maillot, le 9 que personne ne pourra plus porter au CMJ.
OS : Ah ouais !!! D’habitude c’est en NBA qu’ils font cela. Et là, tu te dis que tu as écrit l’histoire. C’est formidable, mon numéro 9 est gravé dans l’histoire du basket à Bourges. J’ai pas toujours joué avec le 9. A Auboué, j’ai commencé avec le 11 et ce n’est qu’en cadette que j’ai pris le 9. Ah oui, en Italie, j’avais le 6 aussi, le 9 était porté par une joueuse qui était là depuis longtemps.

BR : Moins pimpant mais pas moins valorisant l’Organisme Municipal des Sports d’Auboué va vous décerner un prix pour l’ensemble de votre carrière. Auboué, une ville où le complexe sportif se nomme Louis Devotti.
OS : Oui, c’est cela. J’ai de la famille qui habite encore à Auboué. Cette remise cela devait être fait en Décembre mais cela a été reporté à cause du Covid. L’OMS souhaite vraiment me remettre quelque chose et je me mettrais à leur disposition, je prendrais du temps pour cela parce que c’est très sympa. J’ y retourne deux fois par an environ à Auboué. Les gens m’abordent et me reconnaissent, normal ils m’ont vu dans les journaux ou à la télé. Mais moi c’est impossible que je les reconnaissent, parce que j’ai eu ma vie d’adulte et je les ai connu à l’adolescence. Mais j’irai parce qu’effectivement c’est moins pimpant mais c’est chaleureux.
BR : Le mot de la fin c’est pour vous Odile. C’est une tradition chez Basket Retro.
OS : Je voudrais redire que j’ai fait des choix et que je ne changerais rien à ma carrière. Je suis restée égale à moi même. Je pense avoir été différente des autres, c’est vrai. Je le suis encore d’ailleurs différente mais on m’aime comme je suis. Ensuite et pour finir, je voudrais qu’on parle du Mosa Jambes parce que c’est un tournant de ma vie. En Belgique, la famille Deligne : Yves, Arlette leurs filles Françoise, Sylvie, Annie et Claudie, le président du Mosa Jambes, Christian, Thierry : s’ils n’avaient pas été là, je ne serais pas qui je suis !
Interview réalisée pour Basket Retro par Guillaume Paquereau. Basket Retro tient à remercier Odile Santaniello pour sa gentillesse et sa disponibilité. Merci Odile.
Lien pour la partie 1. Odile Santaniello : « Je suis fière d’avoir commencé à Auboué ! »
Encore toutes mes félicitations.
Juste un petit constat:
La réponse à la question: « Dès que vous le pouvez, vous participez aux galas des Anciens Internationaux, cela représente quoi pour vous cette association ? » n »est pas complète. La dernière phrase est coupée.
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Merci beaucoup ! C’est rectifié !
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