[Long Format] Jacky Chazalon, le dernier trimestre – Episode 2 : la maison Bleue
Long Format
Jacky Chazalon a prolongé sa carrière d’une saison dans l’espoir avoué de la terminer en apothéose. Avec trois opportunités historiques ramassées en un seul trimestre au printemps 1976 : enlever une première coupe d’Europe avec le Clermont UC, conquérir une médaille d’argent au championnat d’Europe dans sa salle fétiche et participer aux Jeux de Montréal qui accueillent – enfin – le basket féminin. Le premier objectif est raté, malgré l’absence de Riga (voir épisode 1). Il en reste deux.
Le premier objectif (la coupe d’Europe) s’est envolé, comme une fatalité. Tétanisées à domicile, les Demoiselles de Clermont ont découvert la peur de gagner. Décidément, il n’y a pas que Riga : le Sparta de Prague est bien son autre bête noire…
« N’oublions pas que si la coupe d’Europe prépare le championnat d’Europe, celui-ci prépare les Jeux Olympiques » explique Joë Jaunay dans sa feuille de route.
Place au 15eme championnat d’Europe, qui se déroulent en France, 14 ans après ceux de Mulhouse.
Le contexte ambiant est alors très lourd. La sélection masculine, décapitée par la suspension de onze internationaux venus en retard à un stage le 7 mars, est balayée début mai à Edimbourg au Tournoi qualificatif pour les Jeux de Montréal. A tel point que la FFBB renonce carrément au Tournoi préolympique de Hamilton. Une nouvelle fois, l’équipe de France sera absente des JO, comme en 1964, 1968 et 1972.
Un cinglant constat d’échec.
Dans un éditorial intitulé « Le relais passé aux femmes » dans Basket Magazine de mai 1976, Jacques Marchand fustige au vitriol autant le comportement des instances que celui des joueurs, avant d’embrayer sur les basketteuses françaises et d’ouvrir un débat sociétal. « Nous ne demandons pas aux basketteuses françaises de sauver l’honneur et de séduire la foule clermontoise au cours de ce championnat d’Europe pour faire flotter dans l’air le petit drapeau tricolore. Le succès du basket, pour nous, a un autre sens et une autre vertu. Nous souhaiterions que le sport féminin, bien représenté et bien défendu par les demoiselles de Clermont, soit un peu plus pris au sérieux et qu’il puisse s’imposer à cette occasion. Ce championnat d’Europe clermontois ne doit pas seulement être la consécration d’un club, mais celle d’un mouvement, d’une réalisation qui atteint son mûrissement. Aujourd’hui, plus que jamais, le sport féminin peut être et doit être compris comme un phénomène social. »
UNE RAPIDE BASCULE VERS LE CHAMPIONNAT D’EUROPE
Les sept Clermontoises de la sélection nationale (Jacky Chazalon, Dominique Leray, Elisabeth Riffiod, Françoise Quiblier, Irène Guidotti, Colette Passemard, Maryse Sallois), n’ont pas le temps de ressasser leur amertume.
Passer rapidement à un nouvel objectif est le meilleur moyen de faire le deuil de la coupe d’Europe 1976.
Moins d’une semaine après leur finale ratée, elles enfilent la tunique bleue comme si elles voulaient vite changer de peau, comme si elles voulaient vite conjurer le mauvais sort.
Elles se retrouvent dès le 3 avril au tournoi des 6 Nations à Cracovie. Puis, après un stage à Clermont-Ferrand, deux semaines plus tard à Szolnok, en Hongrie pour des matches musclés, mais très encourageants face aux ténors européens.
En mai, elles sont en stage à Vichy alternant les hôtes : la Roumanie, puis la Tchécoslovaquie, avant un ultime regroupement entre elles, sur place, à Clermont.
Le championnat d’Europe est organisé du 20 au 29 mai par le CUC qui prend pour lui le risque financier. Il se dispute sur quatre sites auvergnats : Moulin, Mont-Dore et Vichy pour les trois poules de qualification avec quatre équipes et pour la poule finale à la Maison des Sports de la place des Bughes à Clermont d’une contenance alors de 4 534 places assises et de 1 500 places debout. Une Maison des Sports qui, pour la petite histoire, vient, quelques jours plus tôt, d’accueillir Procol Harum, le groupe britannique.
COMME A ROTTERDAM EN 1970 ?
L’équipe de France vise très clairement la médaille d’argent derrière l’inaccessible URSS, comme en 1970 à Rotterdam. Elle s’appuie sur plusieurs atouts : sa forte ossature clermontoise, sa qualification directe à la poule finale à sept et l’avantage de jouer dans la salle fétiche, ce qui, historiquement, a toujours fait gagner quelques places aux hôtes. Témoin, la Bulgarie, 2eme chez elle à Varna en 1972, ou l’Italie, 3eme à Cagliari en 1974.

La répartition des sites du championnat d’Europe 1976.
Les Tricolores sont plutôt jeunes – seules Jackie Delachet (31 ans) et Jacky Chazalon (30) atteignent la trentaine – mais néanmoins très expérimentées que ce soit avec la Team France et/ou le CUC en coupe des Champions. Mais les autres nations ont travaillé. « Il y a deux ou trois ans, nous avions une certaine avance sur les meilleurs, à l’exception de l’URSS, au-dessus du lot et de la Tchécoslovaquie avec laquelle nous étions botte à botte, explique Joë Jaunay, le DTN. Aujourd’hui, l’Italie ou la Hongrie, par exemple, nous ont rattrapé en s’inspirant de notre travail. Nous n’avons plus l’élan nécessaire pour progresser. Pour reprendre notre avance, cela demande un travail considérable, qui a été entrepris. Ce qui devrait nous donner plus d’une chance sur deux de réussite. »
FRACTURE DU RADIUS POUR CHAZALON

La cérémonie d’ouverture. @La Montagne
Victime d’une fracture du radius gauche au cours d’un match de préparation, Jacky Chazalon, qui voulait être au sommet de sa forme pour son dernier championnat d’Europe – son sixième depuis 1964 – a longtemps été plâtrée. Elle a néanmoins continué à s’entrainer physiquement, mais sera-t-elle en pleine possession de ses moyens ?
La poule finale de sept équipes est organisée à Clermont sous forme de championnat entre le 24 et le 29 mai 1976.
Adam Weber, le coach d’origine polonaise du CUC, s’est mis au service de l’équipe de France. « Ce championnat d’Europe, je l’ai vécu plus que jamais puisque j’ai fait la préparation à l’INSEP avec l’équipe de France. Ce que m’avait demandé Joë Jaunay en juillet 1975. Il était un peu le père et le grand-père de chacune. Ma déception, c’est que j’ai été son assistant jusqu’à deux semaines de la compétition avant d’être remplacé parce que je n’avais pas encore la nationalité française (NDLR : il l’obtiendra en 1977). » C’est en effet, Suzy Bastie qui assistera le DTN dans la compétition.
DEFAITE CONTRE LA TCHECOSLOVAQUIE
Les Bleues entrent bien dans la compétition. Elles règlent l’Italie avec autorité (58-41) avec 22 points de Chazalon, plutôt bien remise et très adroite.
De quoi insuffler l’optimisme.
Elles abordent ainsi avec confiance le match – charnière les opposant à la Tchécoslovaquie. Le choc, un classique entre les deux nations, toujours âprement disputé est considéré comme un véritable tournant dans la compétition.
Le vainqueur a toutes les chances de prendre la médaille d’argent.
Problème, la France n’a jamais battu la Tchécoslovaquie en compétition officielle (championnat du monde ou d’Europe).
Autre problème, le Sparta de Prague, véritable réplica de la sélection tchèque, comme l’est le CUC pour l’équipe de France, a pris le meilleur sur les Auvergnates tant en 1975 que quelques semaines plus tôt en finale de la coupe d’Europe. Si bien que l’ascendant psychologique a clairement basculé en faveur des Tchèques, malgré l’avantage de la Maison des Sports…
Bonne surprise : Elisabeth Riffiod (21 points) domine dans la raquette pourtant un point fort tchèque.
Mauvaise surprise, Irène Guidotti (14) et Jacky Chazalon (8) ne sont pas en réussite.
Bozena Miklosavicova (16) et Ivana Korinkova (15) conduisent les Tchèques vers un succès capital avec une certaine autorité. Au repos (24-32), elles avaient pris une option. Les Françaises réagissent, mais pas assez fort. A l’arrivée, dans leur antre, il leur manque six points (62-56).

Irène Guidotti profite d’un écran pour filer au panier.@ La Montagne
C’est une déception.
Le lendemain, suit une défaite, inévitable, contre le futur champion soviétique avec Ouliana Semenova et ses 2, 10 m (83-56) qui tournait jusqu’alors à une moyenne de 111 points par match et exceptionnellement limité à 83 points (83-56).
Une victoire rassurante signée Guidotti (22) et Chazalon (21) contre une Yougoslavie en progrès, conduite avec brio par Marija Veger, meilleure réalisatrice du tournoi (23,8 points en moyenne), ouvre la perspective du podium (70-60).
Le match contre la Bulgarie va décider de la médaille de bronze.
Maladroites à l’image de la paire Irène Guidotti (6/23) – Jacky Chazalon dont elles sont trop dépendantes, mais supérieures en taille, les Françaises mènent pourtant au repos (28-26), puis de sept points. Décidées, les Bulgares reviennent fort et les Tricolores, fébriles, se mettent à faire du sur-place. Elles sont rattrapées par le syndrome de leur stérilité offensive subie en finale de la coupe d’Europe deux mois plus tôt et laissent malencontreusement filer la victoire et la 3eme place (53-50).
Les observateurs soulignent l’incohérence du coaching d’un Joë Jaunay aux abois « modifiant continuellement son équipe et perturbant davantage son groupe qu’il ne dérangeait ses adversaires. »
Avec un certain courage, les Tricolores reprennent le dessus pour terminer en beauté face à la Pologne (53-52) et prendre la 4eme place, avec la médaille en chocolat, au pied du podium. Bien loin des légitimes rêves argentés.
C’est un nouvel échec cruel.
En guise de consolation, Chazalon, Guidotti et Jaunay sont sélectionnés en équipe d’Europe pour donner la réplique au champion d’Europe 1976, l’URSS, qui étrenne son 14eme titre européen consécutif par un succès de prestige (62-30) le dimanche 30 mai, au lendemain de la finale. « J’ai managé environ cinq cents matches entre les rencontres internationales et celles de coupe d’Europe avec le Clermont UC, déclarera le sélectionneur. La dernière pourrait être d’avoir dirigé la sélection d’Europe contre l’Union Soviétique à Clermont-Ferrand au terme du championnat d’Europe. »
LE PUBLIC AUVERGNAT N4A PAS SUIVI
Mais, au revers sportif, s’est ajouté une autre déception, tout aussi inattendue.
Clermont et sa région n’ont en effet pas répondu à l’appel et aux attentes du sport français : Les Bleues déplorent l’incroyable et navrant désintérêt du public auvergnat, qui a privé les Françaises du nécessaire soutien, si précieux dans une compétition internationale, notamment face à la Tchécoslovaquie et la Bulgarie. Certains parlent de trahison.
La compétition se termine sur un déficit de 80 000 francs, malgré les efforts du Clermont UC, l’organisateur, et la ligne de produits dérivés lancée pour l’occasion, notamment avec le concours du journal Marie-Claire.
Le deuxième objectif passe.
Pour Jacky Chazalon, il en reste un, l’ultime défi d’une carrière très riche, peut-être le plus beau : faire partie des six premières équipes féminines de l’histoire à disputer les Jeux Olympiques. Pour participer à la fête mondiale du sport, Jacky et ses coéquipières devront passer par le premier Tournoi préolympique de Hamilton, près de Montréal. Mais cette compétition inédite ne décernera que deux billets pour les Jeux…
(A suivre…)
Sources : L’Equipe Basket Magazine, Une histoire du Basket Français (Gérard Bosc/Presses du Louvre), L’année du basket 1976 (Pierre Tessier, Noël Couedel/ Calmann-Lévy), La fabuleuse histoire du basket-ball (Jean Raynal/ODIL)
Superbe travail de Dominique Wendling comme toujours….
Juste une petite faute d’orthographe dans le corps du texte Moulins prend un S!!
Mais je n’ai pas la prétention de les corriger toutes!!
Digression: A ma connaissance personne n’a écrit de livre sur l’aventure du CUC!
On trouve plusieurs « papiers » sur internet mais cette aventure mériterait un Livre Mémoire…
Le prochain ouvrage de Dominique?
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Merci pour ce commentaire !
Jean-Pierre Dusseaulx, l’excellent journaliste, alors à l’Equipe, a suivi de près l’épopée du CUC. Il a publié un ouvrage fin 1973 couvrant la création de la section de basket et sa montée en régime au plan européen (Les demoiselles de Clermont, le CUC vers l’Europe, Editions Solar).
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Dominique,
J’ai effectivement connaissance de ce livre (épuisé sur tous les vendeurs internet sur lesquels je surfe!!) mais le CUC aurait mérité un Livre a posteriori de son aventure….
1973 était loin d’être la fin..
Mais si vous savez où je peux trouver le livre de Jean-Pierre je prends l’information avec plaisir….
Meilleurs voeux à vous et à toute l’équipe de Basket Rétro par la même occasion…
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Je me réponds à moi même..
Je viens de trouver le Livre de Jean-Pierre Dusseaulx sur Rakuten…
Il en reste deux pour ceux que cela intéresse…
Un peu cher mais on ne compte pas quand on aime!!!
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