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[Long Format] Jacky Chazalon, le dernier trimestre – Episode 1 : L’occasion manquée

Long Format

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro

De l’aurore de tous les possibles au crépuscule inassouvi. Il peut en être ainsi d’une journée. Il peut en être ainsi, également, d’une carrière sportive. Pour Jacky Chazalon, l’année 1976, qu’elle avait pressentie comme étant la dernière, pouvait se terminer en apothéose. C’est une triple déception qui l’attend.

Au printemps 75, une forme d’érosion et de désenchantement s’installe dans l’environnement de la jeune femme d’Alès et celui de son club, le Clermont UC. Le huitième titre de champion de France cache mal une drôle d’année. Des clignotants négatifs apparaissent. Dans le désordre : la lassitude de certaines joueuses qui, au-delà du haut niveau, aspirent à vivre une vie de femme normale, les blessures à répétition, des frictions entre joueuses, les changements de coaches avec, en dernier lieu, le Polonais Adam Weber après l’échec de l’Autrichien Eric Birmaier, les relations ambigües avec Joë Jaunay, l’homme qui a modelé le club dans sa dimension européenne, une certaine désaffection du public auvergnat devenu exigeant, et, enfin, des difficultés financières alors que Palladium, le sponsor maillot, annonce son retrait. Le budget de 50 millions de francs n’évolue pas depuis plusieurs années. Avec l’inflation galopante, de fait, il régresse.

L’OGRE RIGA DECLARE FORFAIT

French basketball player Jacky Chazalon. (Photo by Universal/Corbis/VCG via Getty Images)

En coupe des Champions, après deux saisons où le CUC s’était hissé en finale, contre l’invincible Daugawa Riga, le printemps 1975 apparait soudain plus tourmenté avec une sortie de route brutale lors de demi-finales absolument lunaires contre le Sparta Prague.

A l’aller, à Prague, le CUC subit un revers historique le 6 mars 1975 face à une équipe euphorique qui ne se prive pas d’engloutir les égos clermontois : 100-58 ! La pire humiliation de la jeune histoire du CUC. La réaction est tout aussi violente, mais insuffisante au retour (87-57). 72 points d’écart en une semaine ! Jaunay sort de ses gonds : « Clermont n’est pas managé » déclare-t-il visant son successeur, Adam Weber. « Adam Weber estime que le rôle de manager est peu important, que les joueuses doivent savoir ce qu’elles ont à faire sur le terrain. »

Le jeu de ping-pong aigre-doux entre les deux coaches se poursuit un plus tard.

« Le jeu du CUC est plus ou moins dépassé, je m’emploie à le corriger. » (Adam Weber).

« Je connais des entraineurs qui auraient intérêt à garder les pieds sur terre et surtout à tourner sept fois la langue dans la bouche avant de parler et de dire n’importe quoi. » (Joë Jaunay).

Dans un entretien avec Dominique Grimault dans L’Equipe Basket Hebdo, en mars 1975, Jacky Chazalon s’emporte. « Si nous avions eu le même entraineur depuis cinq ans, l’équipe serait aujourd’hui beaucoup plus sûre d’elle. Il est déprimant de changer d’entraineur chaque saison. Le CUC est en mutation permanente dans sa façon de jouer. Il serait bon de s’en tenir à un style, une fois pour toutes. » Certains l’imaginent sur le déclin. Elle rétorque avec force. « Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent, ça m’est égal. Il fut un temps où l’on me reprochait de tirer la couverture à moi, où l’on disait que « Chazalon jouait à la petite vedette, etc… » Maintenant, c’est le contraire. Il semblerait que je sois trop effacée sur le terrain. Personnellement, je ne sais qu’une chose : mon jeu a gagné en efficacité. »

A 30 ans, l’icône du basket français, celle qui a révolutionné la pratique chez les femmes, celle qui fait rêver des milliers de jeunes filles qui, grâce à elle, sont venues au basket, apparait pourtant tiraillée. La question de la suite se pose, comme celle de sa reconversion. Quelques mois plus tôt, elle a découvert, dans le pays du basket, l’Old Pro Camp en Pennsylvanie et le basket à l’état de plaisir pur, ces stages pour les jeunes durant les vacances, concept qu’elle importera en France plus tard avec le joueur nantais et futur coach, Carmine Calzonetti.

B Un quatuor de choc avec Dominique Leray, Irène Guidotti, Colette Passemard en maillot de cycliste et Jacky Chazalon. @Getty

Son corps aussi rechigne. L’enchainement des matches depuis toutes ces années, les entrainements quotidiens sur des surfaces dures la conduisent à gérer ses élans pour, notamment, maîtriser une tendinite à répétition.

Enfin, elle est en jachère de l’équipe de France depuis le 27 mai 1973, date du dernier match (contre Cuba) et sa dernière sélection (la 172eme) au Tournoi de Lima où les Françaises sont à l’honneur. Elle estime ne plus s’y retrouver dans le coaching du DTN, Jaunay. Elle n’a pas pris part au championnat d’Europe 1974 à Cagliari, où la France a terminé septième. « Je ne suis plus en accord avec moi-même lorsque j’opère en équipe de France. Je ne m’y amuse plus. Les conceptions de jeu qui y sont appliquées ne correspondent plus aux miennes. » Elle était alors aux Etats-Unis, envoyée par le Secrétariat d’Etat de la Jeunesse et aux Sports. Une absence qualifiée de « désertion » par L’Equipe. Sans sa star, l’équipe de France n’a d’ailleurs pas participé aux championnats du monde de 1975 à Bogota.

Saturée, Jacky est tentée d’en rester là. De passer à autre chose, d’explorer une autre vie, autrement, ailleurs qu’à Clermont-Ferrand. « Je ressens le besoin d’aspirer à quelque chose d’autre qu’au basket »

Pourtant, le ballon démange encore ses doigts. Mais autrement. « La passion est toujours là, mais différente. Depuis dix ans, sur le plan international, la compétition et la cadence sont très intenses. Le basket est devenu très astreignant alors que ça ne l’était pas à 17 ans. »

TROIS OPPORTUNITES EN OR MASSIF

La saison 1975/76 qui vient s’annonce très particulière.

Elle est parsemée d’enjeux forts, inédits et triplement historiques.

  • Le championnat d’Europe est organisé dans la salle des Demoiselles de Clermont en Auvergne.
  • Les Jeux Olympiques de Montréal voient – enfin – la grande entrée du basket féminin.
  • Daugawa Riga renonce à défendre sa couronne européenne détenue depuis 1964 dans la perspective prioritaire de la préparation de la sélection soviétique pour les Jeux.

Trois opportunités en or massif. Trois rêves, trois objectifs atteignables pour boucler une magnifique carrière par un feu d’artifice. Un triptyque ramassé sur quelques semaines, précisément entre le 25 mars et le 9 juillet. Un peu plus de trois mois. Un trimestre pour s’installer encore plus haut dans la légende internationale. Définitivement. « Nos féminines ont trois rendez-vous, explique Jaunay. Si nous n’en manquons qu’un seul, ce sera un très bon résultat. »

JACKY DECIDE DE RELEVER LE TRIPLE CHALLENGE

C Match aller de la finale de la coupe des champions : Jacky Chazalon (à gauche) et ses coéquipières passent à côté face à Prague.

L’enjeu dépasse tout le reste. Elle fera les sacrifices nécessaires. Comme un dernier banco. Un dernier shoot d’adrénaline. Mais trois cols de première catégorie l’attendent. Il faut tout donner. Dompter ses états d’âmes, rafraichir ses pensées, calmer son corps, une dernière fois. Et s’astreindre à un régime infernal. Pour ne rien regretter.

Russia et Lhassa, ses deux dalmatiens, attendront leur maitresse, une saison de plus…

Après un séjour aux Etats-Unis avec son club qui y enlève huit victoires en huit matches, fin juin, elle renoue avec l’équipe de France. Au programme estival des Bleues, les tournois de Constanta en Roumanie et de Yambol en Bulgarie en août. Mais c’est celui de Kosice, en Tchécoslovaquie, qui, début septembre, voit le grand retour de Chazalon sous le maillot tricolore, face à la Hongrie après plus de deux ans d’absence. En face, les meilleures équipes européennes (URSS, Bulgarie, Pologne, Tchécoslovaquie, etc..).

Durant l’intersaison, son équipe, le CUC a perdu l’expérimentée Olga Djokovic, ancienne sélectionnée en équipe d’Europe, retournée en Yougoslavie où elle deviendra journaliste, et Dominique Sinsolliez, revenue à l’Amiens SC après trois saisons chez les Demoiselles de Clermont.

En France, le championnat – 20 matches tout compris – est vécu comme un pensum ou, au mieux, comme un entrainement. Il tourne au carnage. De quoi s’attirer les foudres en concurrence déloyale de clubs, comme la VGA Linnet’s Saint-Maur, le club qui dans les années d’avant-guerre avait outrageusement dominé le basket féminin français. A Noël, Jacky occupe la cinquième place des marqueuses, un classement dominé par Irène Guidotti, à son meilleur. Énergique et efficace, la Marseillaise est considérée en cette année 1976, comme la meilleure joueuse française. Longtemps en retrait au plan médiatique, la cadette de cinq ans de Jacky a dépassé son modèle.

L’équipe réalise quelques cartons effrayants comme ce 142-51 contre Toulon ou ce 139-45 contre Amiens. Le score moyen du CUC : 104-45. Tout est dit.

Pour autant, finances obligent, les conditions de déplacement ne sont pas royales. « Pour la première fois, précise le Dr Michel Canque, le président, le CUC a fait des déplacements avec des sandwiches. Ou alors, il était prévu que chaque joueuse mangerait chez soi avant le départ. Nous économisons aussi sur les hôtels. Nous resserrons nos dépenses. Les joueuses s’en accommodent mieux que moi. C’est moralement que cela me gêne. »

Adam Weber emmène ses troupes vers son neuvième sacre consécutif. Un titre sans partage, contesté, de manière très relative, par l’AS Montferrand renaissant de ses cendres avec ses deux anciennes Cucistes, Adriana Birmaier et Christine Rougerie-Dulac et la Gerbe de Montceau, le rival éternel.

C’EST L’ANNEE OU JAMAIS

En coupe des Champions, l’objectif est clairement avoué. « C’est l’année ou jamais » déclare le président. Il rabiboche Weber et Jaunay qui font alliance sacrée, avec l’accord des joueuses. « Savez-vous pourquoi je m’occupe du Clermont UC ?, interroge Jaunay en janvier 1976. Tout simplement pour le CUC, mais surtout pour l’équipe nationale. Actuellement personne n’est apte à entrainer les filles, qui sont très difficiles. Il existe de nombreux problèmes que je suis le seul à pouvoir résoudre simplement parce que cela fait dix ans que je suis avec les joueuses. »

Riga forfait, la voie se dégage encore un peu plus pour des raisons politiques. Les pays de l’Est refusent de se rendre en Espagne par opposition au régime de Franco. Du coup, dans un de ces tours de passe-passe dont elle a le secret, la FIBA organise la compétition-reine en créant une poule avec les clubs des pays de l’Ouest (San Giovanni, Barcelone, Bruxelles) et une autre avec ceux de l’Est (Belgrade, Sofia, Prague, Cracovie). Une aubaine pour les Auvergnates qui se jouent facilement de San Giovanni, Barcelone et Bruxelles pour se hisser sans encombre en demi-finale.

Les choses commencent alors à se raidir.

SANS ADRESSE

Au match aller dans la petite salle de l’AK Sofia, les Bulgares comptent jusqu’à quinze points d’avance, avant que le CUC ne limite l’écart final (65-60). Tout reste ouvert.

A Clermont, les Auvergnates démarrent de travers, ratant leurs quinze premiers tirs. Les supporters craignent le pire. Mais les femmes au maillot noir lèvent le doute, refont leur retard (68-58) et signent une quatrième participation à la finale européenne. Laborieusement. Car l’adresse les fuit. Un premier signe avant- coureur… Un match curieusement boudé par le public auvergnat. « Contre Sofia, nous aurions dû faire le plein, refuser du monde, se plaint le président Canque. Même à ce niveau-là, nous ne faisons pas les recettes que nous espérions. La lassitude du public est évidente. (…) Avant il y avait une espèce de mobilisation autour du CUC. Avec l’accoutumance, le CUC a tué la notion d’exploit. L’habitude s’est installée. Si la conquête est difficile, il est peut-être encore plus délicat de se maintenir au top niveau. Et surtout de maintenir le public en état de mobilisation. »

UNE PREMIERE COUPE D’EUROPE POUR LA FRANCE ?

La finale les voit affronter le Sparta Prague, soit quasiment la sélection tchèque. La France sportive se met légitimement à rêver.  Une première coupe d’Europe dans un sport collectif, enfin ?

Il y a – hélas – loin de la coupe aux lèvres. La frustration est énorme au match aller, le 18 mars, en Auvergne, tant les Clermontoises, sous pression, sont fébriles et maladroites avec un incompréhensible 30% de réussite aux tirs (23/75) qui fait le jeu du Sparta vainqueur-surprise (55-58). Les deux artilleuses, Jacky Chazalon et Irène Guidotti sont limitées à 11 points chacune. Un manque d’efficacité souvent signe de manque de confiance, de tension, de crispation. C’est la douche froide.

chazalon avril 75 gIGANDI

Un vrai choc.

Tout reste cependant possible au retour, la semaine suivante. Les Clermontoises vont-elles retrouver leur adresse à l’extérieur, comme souvent par le passé ? Non. De plus, les pivots Doussova, Pechcova et Ptakova (56 points à elles trois) dominent à l’intérieur. Si au repos, c’est encore jouable (32-22), le vent tourne irrésistiblement en faveur des Tchèques qui dominent les débats avec aisance. Elles enlèvent leur première coupe, au grand dam des Françaises, cruellement déçues (77-57), malgré Les 18 points de Guidotti et les 16 de Chazalon, le jour de ses 31 ans.

« Nos basketteuses ont découvert à leurs dépens que la peur de gagner était bien pire que celle de perdre » écrit Gérard Bosc.

En restant positif, on soulignera la constance dans la performance au plus haut niveau européen, l’année où l’ASPO Tours a accédé à la finale de la coupe des Coupes, où deux autres clubs se sont hissés en demi-finale européenne (Villeurbanne en coupe des Champions et la Gerbe de Montceau en coupe Ronchetti).

Le premier objectif passe.

Il en reste deux.

« N’oublions pas que si la coupe d’Europe prépare le championnat d’Europe, celui-ci prépare les Jeux Olympiques » explique Joë Jaunay dans sa feuille de route.

(A suivre…)

Sources : L’équipe Basket Magazine, Une histoire du Basket Français (Gérard Bosc/Presses du Louvre), L’année du basket 1976 (Pierre Tessier, Noël Couedel/ Calmann-Lévy), La fabuleuse histoire du basket-ball (Jean Raynal/ODIL).

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About Dominique WENDLING (57 Articles)
Ancien journaliste, joueur, entraîneur, dirigeant, président de club. Auteur en 2021 de "Basket in France", avec Laurent Rullier (I.D. L'Edition) et en 2018 de "Plus près des étoiles", avec Jean-Claude Frey (I.D. L'Edition).

2 Comments on [Long Format] Jacky Chazalon, le dernier trimestre – Episode 1 : L’occasion manquée

  1. Encore un très bon article Monsieur Wendling !
    merci de nous faire partager ces belles pages d’histoire.

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  2. Merci !

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