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Louis Devoti : la flamme du diablotin (1926-2020)

France

Il incarne à lui tout seul le basket ouvrier qui a connu son heure de gloire dans les années 50 avec Auboué pour capitale. Fils d’immigré italien, à l’enfance difficile, plus petit que les autres, Louis Devoti a cravaché plus qu’un autre pour se tenir sur le haut du pavé.

Bourgade agricole, Auboué (Meurthe-et-Moselle) est devenu une cité industrielle et ouvrière avec l’arrivée de la société Pont-à-Mousson chargée de l’exploitation d’une mine de fer. Fonderie, deux haut-fourneaux et tout l’équipement ont radicalement changé son destin installant une formidable mixité sociale avec les Italiens représentant la moitié de la population (5 000 habitants), les Français un tiers à côté des Polonais, des Espagnols et des Luxembourgeois.

Louis Devoti sous le maillot de l’équipe de France. @les amis de l’histoire d’Auboué

L’Etoile sportive d’Auboué est devenue le Cercle Sportif Municipal. Son président, Emile Ferrari est en même temps le patron de l’usine. Ça aide. Le paternalisme règne, le basket y est roi, Maurice Pichon, bourrelier de formation (confection de pièces d’attelage pour les chevaux), en est l’instigateur technique et visionnaire et Louis Devoti le fils prodigue.

L’attelage a conduit le CSM Auboué au firmament du basket français, à la force du jarret, d’un travail de formation alors à nulle autre pareil et d’une foi qui a renversé tous les obstacles, créant un formidable engouement populaire.

Emile Ferrari n’est pas encore en fonction sur le site d’Auboué lorsque le CSM, faute de moyens financiers, accepte la proposition de renoncer au terrain neutre et de jouer à Marseille, tous frais payés par l’UAM, pour y disputer – et perdre, de 7 points (32-25) – la finale du championnat de France Honneur 1947 (2° niveau). Qu’importe, la montée au sein de l’élite est acquise. Et le jeune Louis Devoti, arrivé quelques temps plus tôt en provenance du club voisin de la Légion St Sébastien de Valleroy, découvre la mer.

APPRENTI-MINEUR A 14 ANS

Il a 19 ans. Cinq ans plus tôt, durant la guerre, il a pratiqué son sport le ventre vide : « Je courrais torse nu sur la glace. J’étais chétif, mais je souhaitais m’endurcir. » Son seul souhait initial est alors de trouver un emploi stable et nourrir sa passion pour le basket. En entrant comme apprenti-mineur au centre d’apprentissage rattaché à l’usine Pont-à-Mousson, il fait coup double. Il se prend définitivement de passion pour ce sport pour lequel il n’est pas prédestiné. Il est plutôt doué : Il court vite – moins de 11 secondes au 100 m – et saute haut – 1,80 m – mais c’est le basket qui l’attire. Or il mesure 1,73 m. Mais il s’accroche : « Chaque jour, je m’entrainais inlassablement à shooter dans toutes les positions. » Il est aussi bon footballeur et les Girondins de Bordeaux lui font une proposition. Il refuse : « Le pari était trop risqué. A l’usine d’Auboué, j’avais un emploi garanti. »

1956 : la victoire en Coupe de France. Devoti (n°4) pose devant le trophée. @les amis de l’histoire d’Auboué

D’autant que Maurice Pichon le mentor, croit en lui : « Il nous enseignait déjà la méthode américaine. Il avait lu beaucoup de livres sur le basket outre-Atlantique. J’ai beaucoup appris avec lui » La présence d’une base américaine non loin renforce les convictions de Pichon basées sur la condition physique : « On ne touchait pas le ballon la première heure. Après, on travaillait la contre-attaque, les combinaisons. J’étais capable de passer la balle sans regarder mon partenaire, sachant exactement où il était. Pour jouer comme cela, il fallait une condition physique irréprochable. Plusieurs joueurs valaient moins de 3 minutes au 1 000 m. Pendant l’intersaison, on faisait de l’athlétisme à la mine du Paradis où s’entrainait l’US Batilly, un des meilleurs clubs français de l’époque. »

MALADE TROIS JOURS AVANT LE DÉPART

A la fin des années 40, tous les joueurs travaillent à l’usine ou à la mine, récoltant quelquefois de sérieuses blessures en accident du travail. Seul Devoti, devenu moniteur pour prodiguer des cours de basket dans les écoles primaires, bénéficie d’un régime particulier, mais cette double adhésion au travail et au basket a noué des valeurs de solidarité qui permettent au club de grimper les marches de la notoriété en Nationale 1 (trois places de demi-finaliste, en 1953, 56 et 57) et en FSGT avec quatre titres de champion de France, servant d’ossature à l’équipe de France travailliste en pleine guerre froide.

Une caricature après la finale de la Coupe 1956

Et l’équipe de France, la vraie ? C’est l’histoire d’un rendez-vous manqué pour démarrer l’aventure. Devoti est pressenti pour intégrer à 22 ans la sélection de Robert Busnel pour les Jeux de Londres en 1948. « Trois jours avant le grand départ, j’ai contracté une angine rouge foudroyante. J’avais plus de 41°.» Pas de médaille d’argent pour lui à Londres, mais au Caire, un an plus tard aux championnats d’Europe où il fait ses grands débuts en bleu. Il gagne ensuite le bronze de l’Euro 1951 à Paris. Au niveau des Jeux, il sera de la partie à Helsinki en 1952. « J’étais le plus petit joueur du tournoi olympique. Mais je compensais par ma rapidité et mon adresse » raconte celui qui se souvient d’y avoir déjeuné aux côtés d’Alain Mimoun.

« Vif, rapide, adroit, bon feinteur, Devoti constitue un danger permanent pour les meilleures défenses, écrit Robert Busnel. Et si ses shoots sont parfois contrés par de plus grands que lui, il sait, avec une hargne constante, reprendre des balles difficiles même à des adversaires avantagés par la taille. »

Au total il cumule 32 sélections d’une épopée tricolore étirée jusqu’en 1956.

FORMIDABLE TRIPLÉ EN 1956

Cette année-là, le CSM Auboué signe son fait d’armes : un magistral triplé avec la Coupe de France gagnée par les séniors, les juniors et les cadets. Malgré Robert Monclar (24 points), le Racing Club de France n’a rien pu face aux raids d’Auboué emmené par son lutin « P’tit Louis » auteur de 13 points. Créant l’effervescence en Lorraine.

Le chouchou du CSM Auboué. @les amis de l’histoire d’Auboué

Nouvelle finale, à Tours, quatre ans plus tard, en avril 1960, face à l’AS Denain Voltaire. L’immuable n° 4 rouge a 34 ans. Après une saison malheureuse, à l’issue de laquelle il doit quitter l’élite, le CSM croise le fer avec un club à la trajectoire inverse. Champion de France Excellence, Denain est sur le point de rejoindre la Nationale 1. La finale est indécise, Auboué prend l’avantage pour la première fois à 40 secondes du terme, mais un panier du meneur denaisien Jean Degros, 21 ans, scelle le destin du match.

UNE SALLE BOUILLANTE

extrait de presse finale 1956

La saison suivante, la finale en Excellence, gagnée de deux points par les JSA Bordeaux tourne à la confusion de Devoti, de Serrier et de Wippy, blâmés ou suspendus pour des faits peu glorieux (« injures, voies de faits, propos discourtois »). Affichant la part plus sombre de la bande du « diablotin » (surnom donné par Pichon), surtout à domicile où les joueurs jouent devant amis, collègues, famille mais aussi toute la région : « Les gens venaient de toute la Lorraine. De Metz, de Nancy et même des Vosges. Ils retenaient leurs places à l’avance. Si on avait eu une salle de 6 000 places, on l’aurait remplie. On ne pouvait en accueillir que 2 200. Parfois il y avait autant de monde dehors que dedans. » Et c’était chaud. Très chaud. Il fallait y aller. Il fallait arbitrer ces joutes viriles et fougueuses où la moindre étincelle pouvait embraser une salle partisane. « C’était un pressing incessant, on était toujours en mouvement. » Il arrivait que des noms d’oiseau pleuvent, que des coups tombent, des suspensions aussi. Devoti en a payé un lourd tribut, privé de terrain de longs mois. Ce qui a fait dire à Emile Ferrari, lui-même bouillonnant : « J’ai trois haut-fourneaux à Auboué, deux à l’usine, un à la salle des sports. »

Le CSM Auboué a fréquenté l’élite entre 1948 et 1967, une saison exceptée, avant de décliner à l’arrivée de l’amateurisme marron. Louis Devoti, lui, a arrêté sa carrière au haut niveau à 38 ans, en 1964, année de sacre pour l’AS Villeurbanne, riche d’une carrière bien remplie. En tous cas au plan émotionnel « car je n’ai jamais touché un centime grâce au basket, a-t-il déclaré en 2012. Tout ce que j’ai gagné dans ma vie, ce sont des poignées de main. D’ailleurs, j’en ai encore mal au doigt… »

Il est entré à l’Académie du Basket en 2019, quelques mois avant sa disparition en août 2020 à l’âge de 94 ans. Le complexe sportif d’Auboué porte son nom, la Halle des sports, elle, porte le nom de Maurice Pichon.

PORTRAIT DE LOUIS DEVOTI PAR LA FFBB

 

Sources : l’aventure des « grands » hommes (Fabien Archimbault, Loïc Artiga, Pierre-Yves Frey/Pulim) – les Amis de l’histoire d’Auboué.

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About Dominique WENDLING (57 Articles)
Ancien journaliste, joueur, entraîneur, dirigeant, président de club. Auteur en 2021 de "Basket in France", avec Laurent Rullier (I.D. L'Edition) et en 2018 de "Plus près des étoiles", avec Jean-Claude Frey (I.D. L'Edition).

1 Comment on Louis Devoti : la flamme du diablotin (1926-2020)

  1. J’ai trouvé votre article intéressant à lire.

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