Finale Yougoslavie-Lituanie : l’Ancien Monde vous salue bien
Eurobasket
1995, déjà un autre monde. Une année marquée à jamais dans l’histoire du basket européen et, plus généralement, de l’Europe. Sur le terrain, une finale d’Eurobasket à couper le souffle entre la Yougoslavie et la Lituanie, deux pays passionnés et fusionnels avec la balle orange. Mais cette finale sera également marquée par un fond de guerres, de tragédies vécues et d’indépendances acquises par les deux finalistes. 25 ans après, focus sur une finale exceptionnelle, placée sous le sceau de la qualité.
1995, SI LOIN MAIS TOUJOURS PRÉSENTE DANS LES ESPRITS
25 ans et pas une ride. Le basket, comme toute chose a toujours été en mouvement et traduit une identité historique, culturelle et politique qu’il est difficile de nier. Charles Aznavour le chantait déjà dans sa célèbre chanson, « La Bohème », dès 1965 : « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ». Effectivement, en ces temps incertains où même la pratique du basket professionnel comme amateur est quasiment impossible, il est de bon ton de se remémorer quelques bons souvenirs afin de se raccrocher à une espérance positive. Comme, par exemple, une finale exceptionnelle par son intensité, sa qualité et son contexte. Dès lors, il y a 25 ans maintenant s’est déroulée, à l’OACA d’Athènes, sur à peine 11 jours, l’Eurobasket réunissant la fine fleur du basket européen de l’époque. Un championnat d’Europe marqué par la densité des matchs et la présence sur place de joueurs d’exceptions à faire pâlir d’envie la NBA et ses All-Stars. Que l’on regarde de plus près les participants et l’armada de joueurs et l’on comprendra que ce tournoi fut bien plus qu’une simple compétition. Il marquera les prémices d’une nouvelle domination yougoslave sous une nouvelle appellation d’une part et ressortira toute la quintessence et la qualité des équipes présentes grâce à des joueurs aux caractères bien trempés.

Les vainqueurs de la République fédérale de Yougoslavie en 1995 qui deviendront Serbes dans quelques années (Crédit photo : Mozzart Sport)
Mais surtout, le contexte historique se réunira avec celui politique et plus tragique, du conflit dans les Balkans avec sa cohorte de malheurs. Dans ces conditions, la présence des partenaires de Dejan Bodiroga sera donc toute autant sportive que politique. De retour dans le concert des nations sportives après son exclusion du tournoi de 1993 remportée, chez elle, par l’Allemagne, ce qui s’appelait encore la République Fédérale Yougoslave aura non seulement à supporter le poids de la guerre mais sera également l’équipe à battre pour tous ses adversaires. À l’instar de la grande équipe yougoslave de football qui sera exclue par les instances européennes de l’Euro 1992 au profit du Danemark, finalement gagnante de la compétition, Aleksandar Djordjevic et ses coéquipiers seront littéralement en mission. Un objectif autant sportif que de représentation pour leur pays voire même nationaliste, pour certains observateurs. Quoiqu’il en soit, engluées dans une terrible guerre, les Balkans auront trois représentants, outre la Yougoslavie, avec la Croatie et la Slovénie qui feront de ce tournoi, le début d’une nouvelle ère sur le panorama du basket européen. Ajouté à cela, le format d’à peine une dizaine de jours qui sera le théâtre de matchs acharnés et de scores fleuves permettant aux étoiles présentes de se mettre en valeur. Un tournoi définitivement atypique à plus d’un titre.
PLUIE DE STARS A ATHÈNES
Une des caractéristiques de cette compétition aura donc été la présence en simultanée, à l’époque où les calendriers NBA et européens ne se chevauchaient pas encore, d’une pléiade de joueurs. Les citer permet de se remémorer de la qualité qui composait chaque sélection et des locomotives qui portaient le fer face aux adversaires. À l’instar de la fameuse « Bibliothèque de la Pléiade », chère à l’édition française en ces temps troubles, il n’y a eu que du beau monde sur les parquets et bien plus encore tant les noms évoquent la magnificence du basket d’antan. Les lister tous est impossible mais certains noms ressortent plus que d’autres. Qu’ils soient Croates tel que le coéquipier de sa « Majesté » des Chicago Bulls de Michael Jordan, Toni Kukoč, de l’abonné de Vitoria comme joueur d’abord puis, plus tard entraîneur, Velimir Perasovic ou de l’inoubliable, du côté du Panathinaïkos, Stojko Vranković. Ce dernier, géant de 2.18 sera l’auteur du bloc décisif sur le futur Limougeaud José Antonio Montero, permettant aux Grecs de remporter, à Paris, l’Euroleague en 1996 face à Barcelone. Sans compter le meneur à tout faire Vladan Alanovic, l’ailier Arijan Komazec, pur produit du KK Zadar et qui réussira la gageure de jouer sous les couleurs de deux frères ennemis grecs, l’Olympiacos et le Panathinaïkos. Et que dire de l’immense pivot bostonien Dino Radja, mémoire vive de la grande équipe double champion d’Europe (1989 et 90) avec la Jugoplastika Split. Côté italien, comme le pivot slovéno-italien Gregor Fučka, longiligne mais très technique. Du totem du Benetton Treviso, Riccardo Pittis ou du gaucher de Milan, le meneur et père d’Alessandro, Nando Gentile ou encore Alessandro Abbio, meneur du Virtus Bologne. Les Espagnols n’étaient pas en reste, loin de là, avec l’ailier du Real Madrid Alberto Herreros, le Xavi du « Barca » avant celui du football, Xavi Fernández, de l’entraîneur du Real Madrid actuel, Pablo Laso ainsi que Alfonso Reyes dont le petit frère n’est autre que le capitaine actuel du Real, toujours. Les Russes seront représentés par le meneur et actuel sélectionneur de la Russie, l’éternel moustachu Sergueï Bazarevitch, de Vassili Karassev, valeur sûre du CSKA Moscou ainsi que de Sergueï Panov et d’Andrei Fetisov, autres représentants du CSKA. Sans oublier le nom le plus facile à retenir parmi tous les joueurs présents, le pivot Mikhail Mikhailov et qui fera une honnête carrière en Espagne, notamment dans les deux clubs madrilènes du Real et de l’Estudiantes.

Gregor Fučka en action pour l’Italie (Crédit photo : Alchetron)
Citons également les Turcs Mirsad Türkcan qui sera le premier joueur de son pays à être drafté en NBA par les Houston Rockets en 1998 et Ibrahim Kutluay, le serial-shooteur à trois points de Fenerbahçe, Efes Pilsen ou du Panathinaïkos. Les Israéliens Doron Jamchi, meneur légendaire du Maccabi Tel-Aviv et Doron Sheffer ainsi que Nadav Henefeld, autres compères du premier cité au sein du « Club-Nation ». Les Champions en titre de 1993, les Allemands avec le regretté pivot Christian Welp, Henrik Rödl, autre meneur légendaire mais cette fois-ci avec l’Alba Berlin, l’autre pivot Hansi Gnad et Michael Koch, champion européen avec le Panathinaïkos en 2000. Enfin, au rayon du talent soyeux, le Slovène meneur gaucher et actuel entraîneur des Metropolitans 92, Jure Zdovc ainsi que les Grecs Panagiotis Giannakis, capitaine du « Pana », le ténébreux ailier de « l’Oly », Giorgos Sigalas, le jeune et futur capitaine du « Pana », Fragiskos Alvertis, l’ailier du « Pana » Nikos Ekonomou et enfin le pivot de l’Olympiacos et qui sera même élu maire du Pirée entre 2006 et 2010, Panagiotis Fasoulas. Quant à nos « Bleus », ils seront également représentés par la fine fleur de la qualité française, avec le « Roi » Antoine Rigaudeau, de la pierre angulaire de la sélection, Jim Bilba, du regretté meneur du CSP Limoges, Frédéric Forte, des frères Palois Gadou (Thierry et Didier), de Moustapha Sonko, de Stéphane Ostrowski et de Yann Bonato. Une équipe française dure au mal et qui va permettre à l’un de ces joueurs de se révéler à la face de l’Europe tout au long de la compétition.
Cependant, les deux dernières équipes à être citées sont, last but not least, les deux finalistes de l’épreuve : la Lituanie mais surtout la Yougoslavie. Dans un premier temps, un rapide coup d’œil à l’effectif des Lituaniens fait apparaître la qualité des joueurs présents pour la première fois dans un Championnat d’Europe, côté balte. Une première après l’Indépendance obtenue en 1991 et la participation du « nouveau » pays aux Jeux Olympiques de 1992 à Barcelone. Une équipe enfin délestée du poids de l’URSS et qui fera de son axe Šarūnas Marčiulionis-Arvydas Sabonis, l’acmé de sa puissance. Avec « Marciu », génial meneur de jeu gaucher et qui passera la majeure partie de sa carrière en NBA, une donnée assez rare pour être soulignée notamment pour des joueurs ayant évolué en Union soviétique. Entre Golden State Warriors d’avant Stephen Curry, Seattle, Sacramento et une dernière pige au Colorado avec les Denver Nuggets, « Šarūnas 1er » (en référence à l’autre Šarūnas, Jasikevičius) aura marqué son époque par son talent et sa ferveur pour son équipe nationale. Bien aidé par cela par le golgoth Arvydas Sabonis, multititré avec l’Union soviétique, plus de vingt ans de carrière, véritable mythe en Lituanie avec son club de coeur, le Zalgiris Kaunas dont il prendra même la présidence au milieu des années 2000. Un CV long comme le bottin mondain avec Kaunas mais aussi une présence, à trente ans passés, en NBA après un dernier titre en Europe sous l’égide du… Yougoslave d’alors, Željko Obradović, en 1995. Direction l’Oregon, aux Portland Trail Blazers où son physique fera merveille notamment face à Shaquille O’Neal, un autre physique de mammouth lors de soirées NBA endiablées. Mais pour faire une équipe, il faut également des lieutenants permettant de tenir le cap et la Lituanie sera bien pourvue à ce niveau avec le meneur Valdemaras Chomičius, l’ailier Saulius Štombergas, le meneur Rimas Kurtinaitis, que les amateurs d’Euroleague peuvent voir entraîner Khimki Moscou, le pivot Gintaras Einikis, tous passés à une période de leurs carrières au Zalgiris Kaunas. Ainsi qu’une vieille connaissance du championnat de France en la personne de Artūras Karnišovas, ancien de Cholet, de Barcelone, de l’Olympiacos et qui poursuit sa brillante carrière en… NBA en tant que vice-président des opérations aux Chicago Bulls.
LA « DREAM TEAM » D’EUROPE AVEC LA RÉPUBLIQUE FEDERALE DE YOUGOSLAVIE
Néanmoins, côté yougoslave, la donne est sensiblement la même que chez les Lituaniens mais avec davantage de profondeur puisque les douze joueurs auraient largement eu leur place dans n’importe quelle équipe. Douze noms que tous les amoureux du basket européen ont déjà entendu au moins une fois et qui démontrait toute la qualité du basket balkanique. À la mène, les deux futurs chauves en la personne du génial général Aleksandar Djordjevic dont la qualité de passe et les points marqués ont rendu fous plus d’un joueur sur le continent européen et même au-delà et qui est aujourd’hui sélectionneur serbe. À ses côtés, Saša Obradović, double idéal du premier et qui aura passé une bonne partie de sa carrière en Allemagne avant de devenir entraîneur aujourd’hui notamment à Monaco la saison dernière. Le reste fut également à l’avenant avec un autre génie des Balkans, Dejan Bodiroga, dont le langage corporel pouvait le faire passer pour un anachronisme à l’ère du basket de pleine puissance mais qui en aura bluffé plus d’un par sa vista. Sans compter les deux caractériels du groupe avec Predrag Danilović et son numéro 5, le génie du Partizan Belgrade et qui aura fait de l’Italie son deuxième pays après une courte carrière en NBA (Miami Heats et Dallas) et le pivot Željko Rebrača. Ce dernier ne sera jamais le dernier à aller au combat et ira également aux Etats-Unis, chez les Detroit Pistons, ce qui démontre le caractère dur du bonhomme.
Complétant la sélection menée de main de maître par les deux maîtres du basket européen, Dušan Ivković et Željko Obradović, il faudra compter sur celui qu’on ne présente plus, Vlade Divac en tant que pivot et référence historique. Le gaucher et capitaine Žarko Paspalj, le globe-trotter européen qui aura passé sa carrière entre Espagne, Italie, Turquie et Grèce, Zoran Savić. Ainsi que les deux « Dejan », pivots de leur état : Dejan Tomašević et Dejan Koturović, autres habitués du basket européen, solides et de grande envergure ainsi que des meneurs de Belgrade, Miroslav Berić et Zoran Sretenović. Bref, un pur bonheur pour un entraîneur d’avoir un tel réservoir interchangeable et complémentaire. Une des dernières équipes où les douze joueurs auraient eu leur place dans n’importe quelle autre sélection sans problème. Ivković et son assistant Obradović, dans une sorte de tandem type NBA auront donc la matière pour faire fructifier cette armada vers sa quête suprême : le titre.
RETOUR EN 1991, ANNEE PIVOT ENTRE INDÉPENDANCE ET GUERRES
La fin des années 90 aura été le théâtre de bouleversements géopolitiques intenses et de troubles politiques de premier plan pour le monde. Et concernera également les deux finalistes de l’Eurobasket 1995 : la Yougoslavie et la Lituanie. Rembobinons le fil de l’Histoire : l’année 1989 sera marquée par la chute du Mur de Berlin puis en 1990, par la proclamation de l’Indépendance de la Lituanie. Mais une des similitudes entre les deux nations reste l’année 1991 avec des fortunes diverses pour deux entités qui ont été sous le joug direct (Lituanie) ou indirect (Yougoslavie) et qui subiront les derniers soubresauts du communisme agonisant en Europe. D’un côté, une indépendance lituanienne obtenue du « Grand Frère » russe dans une relative tranquillité hormis l’invasion par les soviétiques des Pays Baltes en janvier 91. Ce qui conduira à un retrait rapide des troupes russes grâce à une résistance pacifique de la population. De l’autre côté, 1991 sera marquée d’un autre état de fait pour la Yougoslavie qui verra un à un ses anciens voisins slovènes, croates bosniaques puis, plus tard, kosovars et albanais revendiquer leurs indépendances de Belgrade avec le début de dix ans des « Guerres de Yougoslavie ». Entre massacres, manipulations de dirigeants despotiques et guerres fratricides entre anciens voisins voire membres de la même famille. L’une de ces histoires sera résumée, petite digression par le football, par l’expérience vécue par l’ancien défenseur de la Lazio Rome, le génial gaucher Siniša Mihajlović dont le père (Serbe) et la mère (Croate) ont vécu l’horreur d’être tiraillés par la guerre et les menaces de mort des deux belligérants. Dans ces conditions et avec le début de la guerre et la politique nationaliste menée par le Président de la République fédérale de Yougoslavie, Slobodan Milošević, toute la région sera embrasée et les équipes sportives, fer de lance de l’entité yougoslave depuis Tito, seront impactées avec des mesures de rétorsions prises à leur encontre par les instances internationales.

Une région marquée par les guerres dans les années 90-2000 (Crédit photo : L’Histoire)
C’est donc, en 1995, une équipe yougoslave fortement touchée par la guerre et son cortège de destructions et de morts qui sera en mission en Grèce. Non seulement, chaque joueur sera directement touché dans sa chair mais un ressenti collectif se fera jour dans leur esprit. Le fait de devoir lutter et montrer à l’Europe et au monde que leur pays valait plus que ce que les informations donnaient et sur ce point, force sera de constater que Danilović, Divac, Rebrača et compagnie auront ce supplément d’âme leur permettant de ne jamais se contenter de la facilité. Une sorte de pacte entre joueurs et encadrement sera de mise pour mettre en avant un « soft-power » avant l’heure et montrer leur pays sous un jour différent. Là où l’indépendance de la Lituanie se fera sans trop de casse, ce qui sera la même chose pour la Slovénie (le seul pays de l’entité balkanique à n’avoir pas eu de guerre sur son sol), l’éclatement de la Yougoslavie sera dans toutes les têtes lors de la compétition. Pour les Lituaniens, toutefois, gros pourvoyeurs de joueurs à l’époque soviétique, la donne sera sensiblement différente. Indépendante de l’URSS depuis 1991 donc, les coéquipiers du géant Arvydas Sabonis auront l’occasion de représenter pour la deuxième fois leur pays au plus haut niveau. La Lituanie, aura finalement enfin l’occasion d’être libre, aussi bien politiquement que sportivement en jouant pour elle-même. En bons professionnels et patriotes, ils ne laisseront pas passer l’occasion de montrer leur talent et leur culture basket. Avant une autre date, 4 ans plus tard en 1999 qui verra le Žalgiris Kaunas remporter la plus grande compétition européenne. Le basket sera donc bien utile pour placer ce petit pays sur la carte européenne lors des grands rassemblements entre J.O. ou Championnats d’Europe. Grâce aussi et surtout au développement du basket hors frontières et l’arrivée en NBA de joueurs formés à Kaunas, Vilnius ou Klapeida qui représenteront le basket lituanien au plus haut niveau d’exigence et de réussite.
PHASE DE GROUPE ET QUARTS DE FINALE : TOUTE EN MAITRISE POUR LES DEUX PAYS
Dans ce contexte, mélange d’histoire, de politique et de guerre larvée en filigrane, la composition du Groupe A aurait donné une migraine à n’importe quel entraîneur adverse. En effet, outre la Yougoslavie et la Lituanie, il faudra compter sur la Grèce, titrée en 1987, l’Italie qui le sera en 1999, l’Allemagne, tenante du titre de 1993, Israël, jamais simple à jouer et la Suède. Un groupe compliqué et qui tiendra toutes ses promesses pour la bande à Divac avec un premier match remporté sur le fil face à la Grèce de Giannakis et les 17 points du jeune Efthýmios Rentziás. Dejan Bodiroga et ses 22 points auront été bien utiles à ses coéquipiers pour se tirer du guêpier grec avec 4 points d’avance après prolongations (84-80). Les Baltes, quant à eux, n’auront pas trop de mal à se défaire des tenants du titre allemands (96-82) avec les 35 points de Artūras Karnišovas. Un prélude à la foison de points que marqueront bon nombre de joueurs durant la compétition. La rencontre suivante, pour les Yougoslaves, sera face à la Lituanie avec une maîtrise de la partie grâce aux 18 points de Djordjevic. En face, les Lituaniens se reposeront beaucoup trop sur la doublette Marčiulionis-Sabonis (70-61) pour exister. Dès lors, après ces deux premières rencontres, la suite sera plus fluide pour les deux pays qui dérouleront leur jeu face à leurs adversaires sans trop craindre de remous. En maximisant leurs gains, la bande de Djordjevic et Sabonis seront premiers et seconds du groupe suivis par les Grecs et les Italiens pour préparer leur quart de finale, respectivement face à la Russie pour la Lituanie et la France pour les Yougoslaves.
Les quarts de finales offriront à la Lituanie un clin d’œil de l’histoire avec un affrontement face à l’ancienne puissance soviétique. Mais Bazarevitch et ses coéquipiers trouveront à qui parler face à des Lituaniens en verve et repartiront à Moscou avec une défaite 82-71. Arvydas Sabonis se rappellera au bon souvenir de tout le peuple russe, lui, l’ancien (soviétique) médaillé d’Or aux Jeux Olympiques de Séoul en 1988 en sortant un match absolument monstrueux : 33 points et 14 rebonds. En face, la Yougoslavie aura bien du mal défensivement face à un Yann Bonato en feu et qui illuminera de sa classe la compétition mais l’Equipe de France sera, là encore, trop légère pour juguler les attaques adverses et repartira avec une défaite 86-104. Presque vingt points d’écarts certes mais 86 points marqués contre une telle armada, un gain qui aura été assez significatif pour être signalé et à mettre au crédit d’Antoine Rigaudeau et ses coéquipiers.
DEMI-FINALE FACE A LA GRÈCE, MAGMA INCANDESCENT POUR LA YOUGOSLAVIE
Une fois les quarts emballés, la Lituanie s’avancera face à la Croatie de Toni Kukoč dans une sorte de préparation indirecte à la finale. Jouant le même jeu que leurs anciens compatriotes yougoslaves, les Croates opposeront une résistance mais face, encore une fois, à Sabonis (17 rebonds) et Marčiulionis (27 points). Les coéquipiers de Dino Radja seront éliminés aux portes de la finale (90-80). Une défaite somme toute logique tant Sabonis aura été dominant et la patte gauche de Marčiulionis, diabolique dans le jeu. Toutefois, la demi-finale Grèce-Yougoslavie aura été une rencontre qui va avoir une grosse incidence sur la finale.

Cet homme aura été le cauchemar de tous les adversaires de la Yougoslavie (Crédit photo : FIBA)
Un terrain miné bien comme il faut face au pays hôte, la Grèce, et un public chauffé à blanc dans la salle OACA. En souvenir du match de la phase de poule perdue de justesse par Fassoulas et sa bande, pour le peuple grec qui attendra la revanche de pied ferme, d’Athènes à Salonique. Si culturellement, les deux peuples partagent somme toute les mêmes valeurs, notamment religieuses, les deux pays étant orthodoxes, la Grèce étant partisan d’une politique d’unité de l’entité yougoslave, il en va différemment lorsqu’une finale est en jeu. Cette demi-finale sera une bataille de tous les instants face à des Grecs qui vendront chèrement leur peau dans le sillage du pivot Fassoulas, au four et au moulin lors de cette rencontre (14 points et 11 rebonds). Sifflets, insultes, bruits incandescents, cette demi-finale donnera toute sa plénitude et sera à mettre en valeur. Danilović, Divac et Bodiroga, qui utilisera tellement bien le chronomètre, ne flancheront pas aux lancers-francs, dans un match fermé, contrairement aux Grecs et rafleront la mise et leur place en finale (60-52). Une demi-finale à couteaux tirés donc et dont l’incidence sera extrêmement présente pour la finale Lituanie-Yougoslavie.
VICTOIRE POUR L’HONNEUR ET FIN DES VANITÉS PERDUES
Une finale, dans la plupart des cas, se gagne au mental et avec un soupçon de chance. Quelque soit la préparation effectuée ou les victoires engrangées auparavant, il faut être prêt le jour J et ne pas laisser passer les occasions lorsqu’elles se présentent. Pour les deux finalistes, cet avant-match sera donc ambivalent avec une Yougoslavie conquérante suite à ses huit victoires d’affilées et une Lituanie sûre de ses forces mais battue en match de poule par ces mêmes adversaires. Si les Lituaniens pouvaient légitimement présumer de leur force, la finale va être l’occasion d’aller au-delà d’un simple match de basket. Sur le terrain, léger avantage pour la triplette Djordjevic-Divac-Danilović face à Marčiulionis et Sabonis, un peu moins aidés par leurs partenaires à cause de leur grande influence et la vampirisation du jeu par les deux compères Baltes. Cependant, un évènement va donner une tournure toute particulière à cette finale . Mécontents d’avoir été éliminés par les hommes de Ivković, le public grec prendra fait et cause pour les… Lituaniens. Durant tout le match, Sabonis et ses coéquipiers auront l’impression d’être à Vilnius plutôt qu’Athènes. Ce qui donnera un sentiment très étrange pour les personnes qui auront regardé la finale avec un public acquis à la cause des Lituaniens tout au long de la rencontre.

Zoran Savić (N°13), Zoran Sretenović (en t-shirt), et Željko Rebrača (N° 11) entourent l’idole de tout un pays Aleksandar Djordjevic (N°10). Comme son numéro, il aura fait un récital digne des plus grands N°10 (Crédit photo : http://mondo.ba)
Toutefois, Djordjevic et ses compères ne s’en formaliseront pas car pour eux l’essentiel sera ailleurs et l’objectif double. Rafler le titre et mettre leur pays sur le devant de la scène autrement que par la guerre et tenter de redonner un minimum de sourire à leur peuple. Dans ces conditions, l’affrontement entre les deux pays sera dantesque et offrira une des plus, sinon LA plus belle, finale d’un Championnat d’Europe qui soit. La première mi-temps sera marquée par des paniers respectifs, les deux équipes se rendant coup pour coup, avec un avantage d’un point pour les Baltes après les vingt premières minutes, la seconde réservera bien des surprises. Dans une atmosphère incandescente et brûlante, les Yougoslaves prendront l’avantage grâce à leur meneur de génie, Aleksandar Djordjevic, auteur ce soir-là de 41 points. Face à lui, Marčiulionis et ses 32 points feront tout pour rester au contact jusqu’aux trois dernières minutes et un opéra en trois actes.
Premier acte, la sortie sur cinq fautes de Sabonis, à cinq minutes de la fin de la rencontre, qui va considérablement affaiblir les Lituaniens tant leur numéro 11 était une pièce essentielle de leur dispositif. Deuxième acte, l’intervention de l’arbitre américain George Toliver qui sifflera une faute offensive, que d’aucuns considéreront comme inexistante, à Saulius Štombergas ce qui provoquera l’ire du banc lituanien. Sabonis se faisant même exclure du banc. Et c’est là que le troisième acte survient et décidera de l’issue de cette finale. Pour un tel match, le côté dramatique se devait d’être mis en valeur et il le sera avec le refus de Marčiulionis et ses coéquipiers de revenir sur le terrain. Une scène surréaliste que de voir le banc lituanien faire corps et il faudra toute la force de persuasion de… Djordjevic pour que « Marciu » prenne la décision de revenir sur le terrain. Ce qui montrera non seulement que le numéro 10 yougoslave était un compétiteur hors norme mais qu’il voulait également gagner, sur le terrain, à armes égales face à son adversaire. La suite de la rencontre mettra en avant la roublardise et la gestion des hommes d’Ivković notamment aux lancers-francs. Les Lituaniens, quant à eux, avec la perte de Sabonis, la tension physique et mentale et ce sentiment d’injustice des décisions arbitrales n’auront plus assez de jus pour tenter de rafler la mise et s’inclineront 96-90. La déception et la frustration seront donc terribles pour la Lituanie toute proche d’un titre qui aurait pu lui tendre les bras si seulement la Yougoslavie n’avait pas été si forte.
« Nous ne sommes pas des marionnettes, nous sommes des basketteurs. C’est dommage que nous n’ayons pas pu changer notre propre destin » Šarūnas Marčiulionis, pas content (Crédit : New York Times)
Au final, la Yougoslavie aura maîtrisé son sujet de bout en bout avec 9 victoires et aucune défaite et une finale exceptionnelle d’intensité et à tiroirs. Même jusqu’à la remise des médailles où les vainqueurs se feront huer par le public. Bien plus tard, pas rancuniers pour autant toutefois, les deux entraîneurs adverses, Dušan Ivković et Željko Obradović n’en prendront pas ombrage, loin de là. Eux qui iront respectivement à l’Olympiacos et au Panathinaïkos et glaneront d’autres trophées sur le sol avec les deux plus grands clubs du pays. Deux Euroleague (1997 et 2012) pour le premier et cinq pour le second (2000, 2002, 2007, 2009 et 2011). Eux qui deviendront par la force des choses représentants de la future Serbie dans un avenir proche et une Guerre de Yougoslavie de dix années (1991-2001) qui aura marqué une génération entière. Mais c’est une autre histoire et cette finale aura permis de mettre en avant une immense génération de joueurs et des individualités talentueuses au service d’une cause, leur cause sportive : la victoire.

Djordjevic enlaçant Marčiulionis lors de la finale et après le coup de sifflet de l’arbitre, très controversé, quelques instants auparavant. Deux grands champions !! (Crédit photo : You Tube)
YANN BONATO, LA REVELATION FRANCAISE
Si la Yougoslavie, la Lituanie, la Croatie et la Grèce ont raflé les quatre premières places, par leurs statuts et leur puissance de frappe, le tournoi de 1995 aura été bonifié pour un autre joueur. Et « Cocorico », ce joueur est français en la personne de Yann Bonato qui terminera troisième meilleur marqueur derrière, excusez du peu, les Lituaniens Sabonis et Marčiulionis. Des performances de folie avec en point d’orgue, le quart de finale face aux futurs champions yougoslaves pour une défaite 86-104 de l’Équipe de France mais avec 38 points pour le futur limougeaud. Ayant réussi à mettre à mal à lui tout seul la défense des coéquipiers de Bodiroga, ce qui sera la deuxième rencontre, outre la finale, où les Yougoslaves auront encaissé autant de points (86 vs 90). Ce qui démontre toute l’étendue de la performance du Cannois. Au final la France finira après les matchs de classement à une huitième place dans un tournoi hautement relevé, prélude, quelques années plus tard et avec une autre génération, à la victoire finale, le basket étant fait de cycles.

Yann Bonato, ici en 1997, sera un des joueurs les plus en vus de l’Eurobasket 1995 (Crédit photo : Basket Retro)
AU-DELA DE LA VICTOIRE, DES CHANGEMENTS PROFONDS
Grâce à ce trophée, les Yougoslaves auront l’occasion de dominer l’Europe du basket par pays et remporteront d’autres victoires avec une nouvelle génération en Espagne (1997) et Turquie (2001) sous leur appellation de 1995. 1995 qui sera également l’année de la signature des « Accords de Dayton » qui mettra fin, sous l’égide des États-Unis d’Amérique, aux conflits ethniques de Bosnie-Herzégovine en présence des présidents Yougoslave, Croate et Bosniaque. Côté terrain, la République fédérale de Yougoslavie existera encore jusqu’à l’Euro 2001 avec un dernier titre pour Bodiroga et Vlado Šćepanović contre les Turcs à Istanbul avant de changer de nom. Dès lors, l’Euro 2003 fera place à une nouvelle entité, la Serbie-Monténégro avant que la Serbie seule s’affiche en haut de l’affiche suite à l’Indépendance du Monténégro en 2006. La Lituanie, quant à elle, devra attendre 2003 et l’édition suédoise face à l’Espagne de Pau Gasol, en finale, pour remporter le Graal tant espérée sous la houlette d’un autre Sarunas, Jasikevičius. Mais avec un joueur déjà présent lors de l’édition 95 : Saulius Štombergas qui bouclera la boucle des deux tournois. Effectivement, les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître véritablement cette finale mais tout amoureux du basket se doit de la regarder ou s’en rappelle forcément. Car cette finale fût un opéra alternant des moments d’émotion et de passion comme seules les grandes rencontres peuvent en procurer et c’est pour cela que le basket est un sport si passionnant. Mais ce fut également une fenêtre sur l’Histoire européenne avec un grand H, avec une guerre fratricide aux portes de l’Union. Drames, joies, pleurs et bonheurs fugaces, l’Eurobasket 1995 aura été un concentré de ce que la vie réserve bien souvent. Finalement, que l’on ait 20 ans ou plus, peu importe, car comme le disait Aznavour plus loin dans sa chanson : « La bohème, la bohème, ça voulait dire : on est heureux ». Par les temps qui courent, il ne faut pas ménager son bonheur mais tenter de le faire perdurer. Et le basket est un bon viatique pour cela.
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