SCM Le Mans 1978 : La consécration, enfin
France
Bon club, sérieux, bien géré, toujours présent, toujours placé, mais jamais à l’arrivée à l’heure de la remise des prix. C’était, pendant longtemps, le destin du SCM Le Mans. Jusqu’à ce que tout bascule, enfin, en 1977/78, l’année du changement à plus d’un titre chez les Tangos sarthois.
On a longtemps considéré que le modèle du SCM Le Mans, s’appuyant sur une vision corporative du sport de haut niveau (« tu viens jouer au SCM, je t’offre un poste aux Comptoirs Modernes et tu pourras t’y développer ») pouvait être une solution adaptée en France, notamment pour attirer les bons joueurs français. Et une alternative crédible après l’ère des patros, désuète, et avant celle du professionnalisme, absolument honnie à cette époque.
Bernard Gasnal s’en est fait l’apôtre éclairé trois décennies durant avec les Comptoirs Modernes, société de distribution alimentaire aux multiples enseignes (Suma, Mammouth etc…). Il en était le chef du personnel et, en même temps, le président du SCM qu’il a créé. Plusieurs joueurs de premier plan avaient ainsi signé dans cette philosophie. « Je prends certaines précautions et j’ai parfois refusé de très grands noms du basket français parce que la garantie morale me paraissait insuffisante ». Engendrant une stabilité dans les effectifs et dans la performance impressionnante au niveau des places d’honneur, mais sans le titre de champion de France rêvé et avec un seul Trophée conquis : la Coupe de France 1964.
Et lorsque Bernard Gasnal, en manque de consécration, quitte ses fonctions au printemps 1977 après 33 ans de présidence, c’est une page importante qui se tourne. Le remplace à ses deux postes (RH et président), celui qui incarne le mieux le système : le fidèle Christian Baltzer, arrivé en 1961 comme joueur, puis entraineur-joueur, puis entraineur. « Il était au bout de son mandat, dit Baltzer. Et, de la même façon qu’il était en retraite professionnelle, il a pris sa retraite de président ». (Bernard Gasnal est décédé en 2014 à l’âge de 100 ans).
UNE NOUVELLE ÈRE AVEC BALTZER ET SWEEK
L’homme de confiance et nouveau gardien des valeurs de l’institution ouvre une nouvelle page. « Il faut faire preuve de beaucoup d’autorité envers les joueurs. Leur en imposer. Et c’est surtout vrai chez nous. Il faut exiger de la discipline sur le terrain et à l’entrainement, un engagement total, le respect des consignes collectives et d’une certaine image de marque. Il faut diriger vraiment ». Un nouveau ton est donné. Et un message à peine voilé concernant la gestion du vrai-faux départ d’Eric Beugnot à Nice.

Eric Beugnot, devient un grand défenseur. @Presse Sport
Premier chantier : le coach. Présent depuis trois saisons, estimé « trop gentil », Bob Andrews retourne à Cincinnati ouvrir un commerce. Jean Galle (Caen) semble devoir le remplacer. Un accord est trouvé, mais il ne viendra pas. Au terme d’un imbroglio administratif de dernière minute, Galle restera dans le Calvados.
Finalement ce sera Bill Sweek.
Après trois titres de champion universitaire à l’UCLA avec les célèbres John Wooden, coach, et Lew Alcindor, coéquipier, il vient à Paris, joue au Stade Français, entraine, puis retourne aux Etats-Unis avant d’être appelé en 1976 pour prendre la tête des Demoiselles de Clermont de l’après-Chazalon. Il apporte une autre culture, développe les jeunes talents (Joly, Sainte-Croix) et permet au CUC de retrouver la finale de la Coupe d’Europe et de conquérir un dixième titre. Au printemps 77, Antibes lui propose un contrat de trois ans, mais il préfère finalement signer au Mans.
Une première pierre est posée. Elle est fondatrice.
JAMES LISTER, LE CHAÎNON MANQUANT
A un effectif par ailleurs inchangé qui lui a valu la 3° place derrière Villeurbanne, champion, et Caen, le SCM libère une ligne comptable pour un troisième joueur US aux côtés de Lloyd King, le meneur, (arrivé en 1973) et du néo-naturalisé Bill Cain, au Mans depuis deux ans. Durant l’été, Bill Sweek supervise une demi-douzaine de joueurs américains dans la salle Gouloumès. Il décide d’opter pour celui qui s’est fait le plus discret sur le parquet : James Lister.

Hervé Dubuisson, le meilleur marqueur de l’équipe (18 points) @Presse Sport
Ce diplômé de criminologie, transfuge de Malines (comme Ed Murphy quelques années plus tard), sera le joueur-clé de la saison. Il sera le contrôleur aérien calme et précieux, défenseur hors pair, disponible et modeste avec un sens du placement rare.
Avec une méthode nouvelle faite de sueur, de rigueur, Bill Sweek créée l’adhésion avec un mot d’ordre : la défense. Il nivelle les egos qui s’étaient développés, impose son leadership et transforme l’état d’esprit. Lloyd King rentre dans le rang, Eric Beugnot devient un grand défenseur, Hervé Dubuisson prend une nouvelle dimension. Ce sera une équipe, une vraie. Bill est dur, exigeant. « Il était sans filtre commente Hervé Dubuisson. Il savait ce qu’il valait, alors on faisait le job et on respectait les consignes (….) C’était un mec charismatique, un meneur d’hommes. On avait trouvé un slogan pour le définir : « In Sweek, we trust ».
UN CINQ MAJEUR EXCEPTIONNEL
Sur la base d’un cinq exceptionnel alliant technique et physique (King/Beugnot/Dubuisson/Cain/Lister) et un banc très robuste, plus solide qu’ailleurs, (Gasnal/Lamothe/Peter/Conter en tête), Le Mans démarre bille en tête et frappe les imaginations : + 30 à Challans, + 22 contre Clermont, + 24 au Racing, + 24 contre Denain, + 26 à Joeuf, + 20 contre Bagnolet. Pas les ténors présumés certes, mais le public, séduit, adhère et vient en nombre à la Rotonde. Le jeu, la dynamique, l’état d’esprit : tous les indicateurs démontrent une équipe soudée, solidaire, sous la férule de leur coach. Bref, tout va bien.
Le premier accroc survient en novembre. Antibes, avec son pivot John Service, surprend. Les Manceaux, dominés au repos (40-50), bafouillent leur basket pour la première fois. A cinq minutes de la fin, Antibes mène encore (77-75). Les vieux démons individualistes resurgissent. Bref, ça sent le traquenard aussi gros que la cathédrale mancelle. Moment choisi par Bill Sweek pour sortir de ses gonds lors d’un temps mort. Théâtral, il hurle : « Je m’en fous si vous prenez 50 points. En attendant, jouez comme je vous l’ai appris ! Après je ferai mon auto-critique ! ». Le Mans gagne son huitième match de rang. Et Sweek prend définitivement l’ascendant.
L’engouement est tel que la Rotonde n’est pas assez grande : deux salles voisines diffusent les matches à domicile en circuit fermé !
Quatorze victoires d’affilée, intégrant deux matches de Coupe Korac. Il a fallu attendre le 10 décembre pour voir le SCM chuter, de peu, à la Moutète (91-88). « Après un bon départ, nous avons cafouillé. Nous avons perdu notre lucidité » regrette le coach.
UN MATCH NUL DÉCISIF A CAEN
En battant Villeurbanne, le champion en titre, au terme d’un match âpre fin décembre (74-66), le SCM a-t-il réussi le plus dur ? S’agit-il d’une passation de pouvoir ? Il semblerait, mais la reprise de janvier est difficile avec un court revers à Clermont (80-79) et une élimination en Coupe d’Europe à Zagreb.
Tous les regards sont désormais tournés vers Caen, adversaire direct. Et vers le rendez-vous du 18 mars. Ce soir-là, dans un match très tendu, voire brutal, mal maitrisé par les arbitres, Caen mène encore de deux points à 30 secondes de la fin. King fait le forcing (licite, pas licite ?) pour récupérer la balle et la passer à Lister. Dobbels fait faute. Lister transforme ses deux lancers-francs dans la fureur et égalise. Match nul (99-99). Le verdict tombe : Avec neuf points d’avance, le SCM ne peut plus être rejoint. Le Mans est sacré pour la première fois de son histoire et après 16 ans de présence continue en Nationale 1 et ce, à quatre journées de la fin !
Détails révélateurs : Le Mans termine avec la meilleure défense (82,6 points), aucun Manceau ne figure dans les dix premiers du classement des marqueurs (Bob Wyms de Denain est le plus efficace avec 32, 35 points de moyenne) et l’équipe compte dans ses rangs …huit joueurs déjà présents en 1972 !
En même temps, deux clubs historiques du basket français, l’Alsace de Bagnolet et l’AS Denain quittent – définitivement – l’élite. Il en sera de même pour Joeuf et le Racing CF, dans sa version originelle. Une page se tourne.
Par ailleurs, le balancier du règlement fédéral change une nouvelle fois de direction : il n’y aura plus qu’un joueur étranger par équipe en 1978/79. Très mal à l’aise avec le sujet, la FFBB établit un « statut du joueur » dans lequel l’article 11 précise que « tout joueur de basket qui, sans justifier d’une activité professionnelle, d’une inscription scolaire ou universitaire, s’adonne à la pratique de ce sport contre rémunération est considéré comme « joueur professionnel ». Avec le décodeur : On continuera l’hypocrisie, car, mon bon Monsieur, le professionnalisme n’existe pas en France !
Pour sa part, le SCM poursuivra sa politique de stabilité, mais perdra son axe 1-5 : James Lister, devenu trop gourmand, file à Hertogenbosch aux Pays-Bas et Lloyd King devient entraîneur-joueur à Auxerre en Nationale IV à la surprise générale. Arriveront Randy Gentry dans la perspective de la Coupe des Champions ainsi qu’un jeune chien fou nommé Gregor Beugnot, qui s’est installé au Mans en janvier pour ouvrir Orée Musique, un magasin de disques, avec son frère Eric, alors que Hervé Dubuisson s’est lancé, en parallèle, dans la mode en ouvrant Ivory, un magasin de prêt-à-porter féminin tenu par l’épouse de Bill Cain. Les deux expériences, méritoires, ne dureront, hélas, pas longtemps…
LA SAISON EN BREF

Les champions de France 1978, avec, de gauche à droite, debout : Sweek (coach), Beugnot, Lamothe, Cain, Gasnal, Lister. Accroupis : King, Dubuisson, Peter, Conter, Robin.
Le classement final de la saison 1977/78 : 1. SCM Le Mans 81, 2. AS Villeurbanne 76, 3. Caen BC 71, 4. Olympique Antibes 70, 5. EB Orthez 68, 6. ESM Challans, 7. ASPO Tours 64, 8. Berck BC 62, 9. Nice BC 62, 10. AS Monaco 62, 11. Stade Clermont 60, 12. ES Avignon 50, 13. Alsace Bagnolet 48, 14. Joeuf Basket 42, 15. AS Denain 41, 16. Racing CF 38.
L’équipe du SCM Le Mans, championne de France : Michel Audureau, Eric Beugnot, Bill Cain, Jean-Marc Conter, Alban Dubuisson, Hervé Dubuisson, Claude Gasnal, Lloyd King, Jacky Lamothe, James Lister, Claude Peter, Patrick Robin. Coach : Bill Sweek.
Les classements successifs sur la période : 1975 : 3° derrière Villeurbanne champion et Tours, 1976 : 4° derrière Tours champion, Villeurbanne et Caen, 1977 : 3° derrière Villeurbanne champion et Caen, 1978 : champion de France, 1979 : champion de France, 1980 : 2° derrière Tours.
Sources : le livre d’or du basket 1978 Gilles Petit/Solar, les grandes équipes de basket, Pierre Maincent/PAC, Hervé Dubuisson, une vie en suspension, Stéphanie Augé/Ipanema.
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