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Au service de la France : Les naturalisés en Bleu

Equipe de France

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro

Après Bria Hartley en 2018, Gabby Williams, l’épineuse question des naturalisés en sélection nationale est à nouveau relancée. Présenté comme un véritable sacerdoce par beaucoup, revêtir la tunique bleu blanc rouge relève alors d’une certaine idée de la France qu’un grand général deux étoiles n’aurait pas renié. Basket Rétro a donc réalisé un petit tour d’horizon de cette légion étrangère.

Le 17 novembre 2018, l’américaine Bria Hartley honore sa première sélection en Équipe de France lors de la victoire des Bleues face à la Roumanie pour le compte des éliminatoires de l’Eurobasket 2019. Cette sélection fait alors grincer bien des dents. Il faut dire que la situation est inédite. Hartley n’a jamais joué en France, a été sélectionnée aux États-Unis dans les équipes de jeunes et même présélectionnée par Team USA pour le championnat du monde 2014. Le lien qu’elle entretient avec la France est ainsi extra-sportif. En effet, sa grand-mère s’est mariée avec un soldat américain envoyé en Europe pendant la Seconde guerre mondiale. Les deux tourtereaux se sont ensuite installés au pays de l’Oncle Sam. La joueuse passée par Mersin et le Fenerbahçe en Turquie a donc profité de la nationalité française de sa mère et de sa grand-mère pour entamer la même démarche et espérer rejoindre l’Équipe de France.

Il existe peu de cas dans les sélections féminines de joueuses naturalisées. La précédente États-unienne à avoir joué en Équipe de France est la meneuse alors à Mondeville, Kristen Brooke Sharp et l’expérience fut de courte durée puisque Sharp ne prit part qu’à une seule rencontre en marge de la préparation de l’Eurobasket 2013. Cependant contrairement à Hartley, Brooke Sharp évoluait en France depuis 2006 avant d’être appelée en équipe de France en 2013. On peut citer également une figure de l’équipe de France féminine de ces dernières années, Isabelle Yacoubou et ses 147 sélections. Arrivée du Bénin à l’âge de 17 ans, elle fut naturalisée à 20 ans et foula les parquets de Tarbes lors de ses cinq premiers saisons professionnelles. Elle détient ainsi, pour notre petit tour d’horizon des naturalisés en Équipe de France, le record de sélections hommes et femmes confondus.

Le dernier exemple en date concerne donc Gabrielle « Gabby » Williams. La native de Sparks dans le Nevada rappelle le cas Hartley de 2019 : une joueuse états-unienne, pur produit de la formation NCAA, draftée par le Sky de Chicago qui s’en va monnayer ses services sur le vieux continent avant de retrouver la WNBA durant la période estivale. La comparaison s’arrête là puisque celle qui était à deux doigts de représenter les Etats-Unis en saut en hauteur aux Jeux olympiques de Londres en 2012 cultive une forte francophilie. Avec une grand-mère française, Gabby Williams maitrise parfaitement la langue de Molière (ce qui n’est pas le cas de Bria Hartley) et entretient toujours des liens avec sa famille maternelle vivant en France. Ainsi, depuis son plus jeune âge, l’Hexagone tient une place particulière dans sa vie. Repérée par Edwige Lawson, alors directrice sportive de Lattes-Montpellier, Williams rejoint la France en 2019 pour une saison. L’objectif de porter la tunique tricolore est déjà dans l’esprit de l’ancienne Huskie du Connecticut. Profitant de la blessure de Hartley, c’est chose faite en 2021 pour la préparation de l’Eurobasket féminin. N’ayant pas choisi l’équipe de France avant ses 16 ans, Gabby Williams est en effet considérée comme joueuse naturalisée par la FIBA. Retenue avec les Bleues pour la compétition, elle décroche la médaille d’argent et surtout joue un rôle non négligeable dans le formidable parcours de l’équipe de France féminine lors des Jeux Olympiques de Tokyo la même année remportant la médaille de bronze. Ce podium permet ainsi à Williams de devenir la deuxième athlète états-unienne à être médaillée avec la France aux Jeux Olympiques après Crawford Palmer en 2000.

FIRMIN OUVRE LE BAL

Les équipes de France masculines connurent quant à elles beaucoup plus d’exemples au cours de l’histoire. On retient deux grandes familles de naturalisés, les Africains issus de l’ancien empire colonial et dont le statut paradoxal évolua de réintégration à naturalisation pure et simple et les Américains bien souvent naturalisés par leur club pour libérer une place d’étranger dans leur effectif. À partir de 1975, la fédération instaura la fameuse « règle des trois ans » suivant les recommandations de la FIBA à propos de la sélection de naturalisés. Les joueurs naturalisés avaient ainsi l’obligation de demeurer en France durant trois années consécutives avant de pouvoir prétendre à l’Équipe de France. Parmi ces naturalisations d’États-uniens, on trouve plusieurs cas de figure du choix purement sportif bien éloigné de toute considération patriotique à la véritable histoire d’amour avec notre pays comme pour Bob Riley par exemple qui ira jusqu’à effectuer son service militaire au bataillon de Joinville en 1974.

Il y aussi les petites histoires qui font sourire comme celle de Laurent Dorigo. Le petit frère de Max, figure de l’Alsace de Bagnolet dans les années 1960, n’a a priori rien à faire dans notre tour d’horizon. Et pourtant ! La nationalité française pour ce fils d’immigrés italiens n’était pas si évidente que ça puisqu’on se rendit compte que la sélection du cadet des Dorigo face à la Belgique en 1961 n’aurait pas dû avoir lieu. En effet, Laurent (Renzo Osvaldo sur son passeport) Dorigo n’était au moment de cette sélection pas français mais italien. Cependant, ne dit-on pas que les italiens sont des français de bonne humeur ?

Passeport italien de Laurent Dorigo

Le premier véritable naturalisé à jouer en équipe de France est ainsi Firmin Onissah. Repéré en 1969 par Robert Busnel lors d’une tournée en Afrique, le Togolais a d’abord défendu les couleurs du Togo aux jeux Africains de Brazzaville en 1965. Arrivé en France, il fit les beaux jours de l’ASPTT Nice qui profita de la loi du 9 janvier 1973 modifiant le code de la nationalité pour naturaliser Onissah. Cette modification du code de la nationalité intervenait pour tenir compte des différentes indépendances des pays de l’ancien empire colonial français. Nombre d’Africains nés avant les indépendances utiliseront ainsi ce biais pour obtenir leur naturalisation. Firmin Onissah honora 12 sélections chez les Bleus et participa à l’Euro 1973.

LES PIONNIERS AMÉRICAINS DES SEVENTIES

Les années 1970 marque l’arrivée des premiers Américains dans l’histoire des Bleus. Les téléspectateurs estivaux de France 3 au début des années 2000 se souviennent sûrement de Barry White, le juge à l’accent outre-atlantique soucieux de la bonne réalisation de records pour le Guinness Book lors de l’émission l’Été de tous les records. Homonyme d’un célèbre chanteur à la voix reconnaissable entre mille, Barry White fait partie du cercle fermé des pionniers américains en Équipe de France. Arrivé en 1970 à Vichy, le natif de New York y rencontra son épouse et porta le maillot bleu à 43 reprises notamment lors de l’Euro 1977 en Belgique. L’autre pionnier américain est sans doute le cas le plus emblématique de la volonté de montrer son attachement à ses nouvelles couleurs. Bob Riley, nous l’avons évoqué, effectua son service militaire. Marié lui aussi à une Française, il fut naturalisé en 1973 et quelques années plus tard au cœur d’une situation ubuesque. Devenu sélectionnable en équipe de France en 1976 à la faveur de la règle des trois ans, l’intérieur du Caen BC, qui avait pourtant participé à l’ensemble des rencontres de Nationale 1 lors de la saison 1975-1976 comme « français », redevint « étranger » lors de la saison 1976-1977. La fédération ayant modifié son règlement, il n’était alors plus possible d’aligner plus de deux joueurs ayant évolué à l’étranger ! Parce qu’il avait participé à la saison NBA des Hawks en 1970, Riley se retrouva dans la situation d’être sélectionnable en Bleu tout en étant considéré comme étranger pour le championnat, une situation qui se reproduira quelques décennies plus tard… Avec 27 sélections, Bob Riley demeure le meilleur marqueur de notre légion étrangère (13,5 points de moyenne).

Apollo Faye

D’autres États-uniens marquant se succédèrent en Équipe de France au cours de la décennie 1970, Bill Cain, légende du Mans avec ses 63 sélections et George Brosterhous, 96 sélections (record de sélections de notre légion masculine) passé par Monaco et le CSP, coéquipiers à l’Euro 1979 par exemple. Cette édition vit d’ailleurs la présence de 4 naturalisés dans le groupe France, Cain, Brosterhous qui participa également à l’Euro 1983 en France, Apollo Faye (80 sélections pour le Sénégalais lui aussi présent en 1983 ) et Mathieu Bisséni le Centrafricain. Ce dernier fut même international pour trois pays, la Centrafique, le Cameroun et enfin la France à 91 reprises !

1980-1990, DES SÉLECTIONS SPORADIQUES

Benkaly Kaba à la lutte avec George Brosterhous

Les années 1980 ne furent pas une période propice aux naturalisés. En effet mis à part le Sénégalais Benkaly Kaba et ses 32 sélections, peu d’étrangers firent des passages suivis en Bleu. On note toutefois les deux sélections de Bob Wymbs ou encore les sept d’Allen Bunting entre 1984 et 1986. On parle souvent des « fils de », les plus jeunes d’entre nous parleront ici de « père de » avec Skeeter Jackson. Le papa d’Edwin totalise en effet 41 sélections en équipe de France dont une participation à l’Euro 1989 aux côté des Dubuisson, Dacoury et autres Ostrowski.

Les années 1990 sont à l’image des années 1980, des sélections sporadiques au gré des opportunités. La sélection de Ken Dancy en 1990 nous permet néanmoins d’évoquer les dessous de certaines naturalisations. Nous l’avons dit, la plupart du temps ces naturalisations n’interviennent pas forcément dans le cadre d’un engagement citoyen fort mais plutôt comme une opportunité sportive et une bonne manière de contourner les différents règlements limitant le nombre d’étrangers dans le championnat de France. Certains firent ainsi peser le soupçon de mariage blanc notamment sur Ken Dancy quand en 1982, le joueur alors au Stade français, tout juste divorcé de sa première épouse américaine, épousa à Boulogne-Billancourt une Française. Rien d’a priori suspect si la seconde femme n’était pas introuvable et la première toujours omniprésente dans l’entourage du joueur. L’affaire est lancée par le journaliste Jean-Jacques Maleval dans l’Équipe et provoque son petit effet dans le monde de la balle orange au point que la Fédération modifie une nouvelle fois son règlement et impose cinq saisons de licence pour prétendre évoluer dans le championnat comme « français ». Les naturalisés ne dépassent donc pas les 20 sélections (Ronnie Smith) au cours de la décennie et seul Howard Carter et ses 5 sélections en 1994 à 13,4 points de moyenne tira son épingle du jeu. On trouve également Jim Deines (13 sélections en 1991) et presque dix ans plus tard Dwayne Scholten (1 sélection en 2000).

L’AN 2000 ET UNE MEDAILLE OLYMPIQUE

Des années 2000, on retient bien évidemment Crawford Palmer (47 sélections entre 1999 et 2002), membre du groupe France médaillé d’argent aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000. Le dernier naturalisé en date à avoir porté le maillot bleu en équipe masculine est également un Américain habitué du championnat de France, Tariq Kirsay avec ses 29 sélections entre 2007 et 2008. Passé par Rueil, Bourg-en-Bresse et surtout Nancy, il fit lui aussi grincer quelques dents quand une fois son statut de communautaire obtenu, il quitta la Lorraine pour Perm en Russie. Son retour en France à Fos-sur-Mer en 2017 rappela la situation ubuesque vécu par Bob Riley en 1976. En effet, entre temps, la fédération changea une nouvelle fois son fusil d’épaule pour ne distinguer que les « joueurs formés localement » (JFL) et les autres. Un joueur formé localement devait satisfaire de 4 années de licence en France entre ses 12 et 21 ans (règle toujours en vigueur), ce qui n’était évidemment par le cas de Kirksay. Kirksay, pourtant international français, ne put faire valoir ses sélections et dut être qualifié par Fos comme bosman c’est-à-dire étranger communautaire, la France faisant partie de l’Union Européenne CQFD.

Ce tour d’horizon confirme que la présence des naturalisés en Équipe de France n’a jamais été vu d’un très bon œil et a toujours suscité des débats. Si la France les a sélectionné avec parcimonie, on note que les naturalisations ne sont jamais intervenues pour l’équipe nationale mais plus dans un souci de jouer avec la règle des qualifications de joueurs étrangers en championnat de France. Ce ne fut pas toujours le cas pour les fédérations de nos voisins. On se souvient de JR Holden naturalisé Russe en quelques mois en 2003 (il évoluait alors au CSKA Moscou), ou plus récemment d’Anthony Randolph, champion d’Europe en 2017 avec la Slovénie sans avoir jamais foulé les parquets d’un club slovène. Les exemples ne manquent pas à travers l’histoire et la France n’avait jusqu’à présent pas franchi le rubicon. Avec Bria Hartley, ce fut chose faite au grand dam des plus patriotes d’entre nous. Cependant, le cas Gabby Williams suscita moins de réticences. Est-ce dû à son année passée à Lattes-Montpellier ? A sa maitrise du français ? Y aurait-t-il ainsi des bons et des mauvais naturalisés ? Toujours est-il qu’après ses prestations aux Jeux de Tokyo à l’été 2021, on peut légitimement penser qu’on reverra souvent la jeune franco-américaine au service de la France.

INFOGRAPHIE : LES NATURALISES EN EQUIPE DE FRANCE

 

About Julien Hector (52 Articles)
aime les vieux grimoires surtout quand ils parlent de basket et de l'ALM Evreux Basket !

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