Les surdoués tricolores à l’âge de 18 ans
France
Drafté en 8e position par les New York Knicks, Frank Ntilikina est devenu à 18 ans le plus haut pick français de l’histoire. le jeune meneur strasbourgeois fait donc parti de cette caste rare en spécimens, celle des précoces, des surdoués. Le basket français à déjà connu des phénomènes de ce genre. Mais où en étaient-ils à 18 ans ?
ALAIN GILLES, SURDOUE DANS L’ANONYMAT

Le petit Alain Gilles offre des fleurs à son idole André Vacheresse
C’est un temps sans Internet, sans presse spécialisée, (hormis Le bulletin de la Fédération ), sans télévision ou presque… Le minime Alain Gilles est déjà très fort si l’on en croit les témoignages de ceux qui voient cet adolescent filiforme balle en main. Mais qui le connaît à part sa famille, les dirigeants de la Chorale et quelques spectateurs roannais ? Le buzz n’est qu’une affaire de conversations de buvette : « Il est pas mal le gamin. Lui ça s’ra un tout bon ! » – « Oooh… Mais faut pas trop lui dire, sinon il va devenir crâneur. ». Alain Gilles n’a pas de poster de Bob Cousy dans sa chambre, il ne rêve pas de NBA dont il ignore sans doute l’existence. Son idole c’est la vedette du club, André Vacheresse, son entraîneur et mentor dont il calque les gestes. Grandi dans un quasi anonymat , il doit autant à son talent précoce qu’à la guerre d’Algérie, (plusieurs joueurs appelés sous les drapeaux), d’intégrer l’équipe fanion de la Chorale à l’âge de 15 ans.
« Attendu qu’à l’issue de la partie, dans les vestiaires, les joueurs BOYER Jean et GILLES Alain du G.S.C.M. Roanne, ont tenu à l’encontre de l’un des arbitres des propos insultants… » – Réunion de la commission de discipline du 15 mai 1961.
Déjà chauffadou le jeune Gilles pour se permettre d’insulter un arbitre ? Une suspension avec sursis de 2 mois ne l’empêche pourtant pas d’être sélectionné Equipe de France Junior l’année suivante aux côtés de Laurent Dorigo et Gérard Lespinasse avant d’être appelé avec les A à l’automne pour une série de matchs amicaux contre la Belgique et la Hongrie. C’est lors du quatrième match contre les Magyars que celui qu’on n’appelle pas encore un prospect se révèle en Bleu. Il a droit pour l’occasion à ses premières lignes élogieuses, signées Robert Busnel, dans le bulletin de la Fédération : « Détente, vitesse, résistance, adresse, sens du jeu, des qualités qui font de Gilles, le basketteur type, chef de file de tous les nouveaux, qui après Tokyo, viendront assurer la relève. ». Gilles n’attendra pas « l’après Tokyo ».
Intelligence de jeu, increvable, grand et délié pour son poste, Gilles à 17 ans est « le basketteur type ». Sa performance contre les Hongrois, 11 points, ne reste pas sans suite et c’est sans surprise qu’il est rappelé en 1963 pour disputer le Championnat du Monde à Rio ou les Bleus font une belle campagne en terminant à la quatrième place. Gilles y gagne définitivement sa place en Equipe de France. « Alain Gilles, lui, fut au-dessus de tous. Il est entré dans l’équipe de France non plus comme un espoir, mais comme un candidat à part entière. Jouant comme un chevronné, évoluant intelligemment, se battant comme un démon, adroit, subtil, résistant, il fut le seul joueur étranger à mettre sous l’éteignoir, pendant une mi-temps, l’extraordinaire M. Amaury*. A 18 ans, Alain Gilles, est déjà un authentique champion. » – Bulletin de la FFBB, juin 1963. * meilleur joueur de l’équipe brésilienne championne du monde. Il vient tout juste de fêter ses 18 ans.
HERVE DUBUISSON, UN REVE D’ADOLESCENT
En décembre 1973, Hervé Dubuisson n’a que 16 ans et pourtant L’Equipe Magazine Basket lui consacre deux pages. « Les cheveux longs mais d’une propreté exemplaire » comme l’écrit le journaliste J-P Dusseaulx, le Denaisien existe à travers la rumeur de ceux qui assistent aux matchs du club nordiste, de rares retransmissions télé et quelques articles qui ne peuvent que susciter la curiosité. 16 ans et dans le cinq majeur d’un cador du championnat aux côtés des deux Américains de service, Hill et Truit, et des internationaux Degros et Staelens, excusez du peu. Pourtant dans tous les vestiaires de France, minimes, cadets et juniors répandent le mythe de ce mec comme eux, aux cheveux longs, (mais propres), Français, blanc, mais qui smashe comme un Américain noir, shoote comme un Américain blanc ou noir, s’impose aux « vieux »… et il a leur âge ! Dubuisson a-t’il conscience qu’il provoque des fantasmes de grandeur parmi toute une génération ? Pas sûr, tant il paraît cool.

Hervé Dubuisson entre J.M Dida et J.M Picou lors d’un rassem-blement à l’Institut National du Sport en 1974 – © Equipe Basket Magazine
La saison suivante, lui qui a déjà disputé un match de Coupe Korac à 15 ans et demi, (certes contre une équipe luxembourgeoise), se retrouve élément essentiel du dispositif nordiste suite à l’arrêt de Jean Degros et aux absences répétées de Jean-Pierre Staelens pour raison professionnelle. Dans un jeu small ball par obligation, (un seul joueur de plus de 2 mètres, Bernard Vandenbroucke, 19 ans), Dubuisson laisse éclater sa classe, même si des vieux grincheux lui reprochent son manque d’implication en défense, sa décontraction et une candeur qui peut passer pour de l’arrogance.
« Je suis content de jouer au basket. Je préfère le faire sans Jean Degros car sur un terrain, on ne se comprenait pas toujours. Il voyait le basket d’une autre manière. » – Hervé Dubuisson, Equipe Magazine Basket, déc. 1974.
En 2017, on n’ose imaginer ce qu’une telle déclaration déclancherait sur les réseaux sociaux. L’alerte à la melonite aiguë vibrerait sur tous les smartphones.
International A à 16 ans et 9 mois lors de la désastreuse Coupe d’Europe des Nations 1974, celui qui, selon Pierre Dao, « a le plus beau tir du basket français », est pisté par des universités américaines, un indéniable signe de reconnaissance au-delà de nos frontières. Hervé Dubuisson vient tout juste de souffler ses 18 bougies quand il est intronisé dans le cinq de départ de l’Equipe de France face à l’Italie, (victoire 67-62), aux Jeux Méditerranéens. A la reprise du championnat, il change de tunique, abandonnant celle d’un Denain en déclin et en proie à des soucis financiers, pour celle de l’ambitieux SCM Le Mans et ses six « géants » de plus de deux mètres.
ANTOINE RIGAUDEAU, LE BON ELEVE DES MAUGES
La légende raconte l’histoire d’un « meneur de grande taille ». Sur la biographie d’Antoine Rigaudeau exposée sur le site officiel de Cholet Basket on peut lire : « Son double mètre est un atout de taille pour un meneur de jeu. Une plus-value que Jean Galle ne tarda pas à exploiter, dès les premiers matches de la saison 1987/88. » Pourtant la photo de l’équipe 1987-1988 montre un adolescent fluet pas plus grand que Bruno Ruiz, (1,90 m).

Non, Antoine Rigaudeau n’était pas encore un « meneur de grande taille » quand il a intégré l’équipe pro. – © Cholet Basket
Surclassé dans toutes les catégories de jeunes, Antoine Rigaudeau intègre l’équipe Pro à 16 ans et demi et s’y développe discrètement dans l’ombre de Valéry Demory. Avec le départ du meneur international pour le CSP Limoges celui enfin devenu un meneur de grande taille, 1,97 m, se partage la mène du Cholet Basket avec un autre jeune Français, Olivier Alinéi, (20 ans). Si l’on ajoute à cette doublette inexpérimentée une escouade de gamins, (Bilba, Lauvergne, Zaïre, John), les adversaires du CB peuvent se dire qu’il suffit de contrôler les deux Ricains, John Devereaux et surtout Graylin Warner pour l’emporter. C’est ce que pense l’ailier du SQBB, Tom Snyder : « Le groupe choletais n’est plus ce qu’il était. Même s’ils restent dangereux, le départ de Demory a affaibli cette équipe ». Rigaudeau lui répond par 18 pts à 100% et une victoire de 19 pts à la clé malgré un Devereaux disqualifié dés la 18e minute. Des performances de cet acabit, Rigaudeau les répète tout au long de la saison : 22pts contre Paris Racing par exemple et surtout ces 30 pts, (7/13 à 2 pts, 3/5 à pts, 7/8 aux LF), 6 rebonds, 2 contres, 5 passes, 4 interceptions pour une balle perdue et 3 fautes contre l’ASVEL abattue dans une Meilleraie en fusion.
« Rigaudeau, véritable moteur, qui a tout réussi au cours d’un match qu’il aura écrasé de son talent, de son calme sans jamais oublier la collectivité. Si les petits cochons ne le mangent pas, le gamin a pris le chemin d’une carrière à la Gilles. » – l’Equipe – janvier 1990
Au lendemain de la finale perdue contre Limoges qui clôt la saison 1989-1990, le jeune Rigaudeau, 18 ans, n’est plus un espoir, mais un cador du Championnat français… En attendant plus.
TONY PARKER ET BORIS DIAW, ENFANTS DE ZADAR
Tout le monde connaît la belle histoire des deux copains de chambrée de l’INSEP qui rêvent éveillés de NBA 15 ans avant de soulever ensemble le Graal sous le soleil de San Antonio. Tony et Boris ne passent pourtant qu’une petite année scolaire ensembles sous les arbres du bois de Vincennes. Le jour de ses 18 ans, Boris Diaw est encore pensionnaire de l’INSEP pendant que son copain Tony est déjà pro à quelques kilomètres de là, au Paris Basket Racing. En cette fin de saison 1999-2000, le lycéen basketteur est l’objet de toutes les convoitises. Onze clubs de ProA, dont le PBR, l’ont inscrit sur leur liste de recrutement. Le fils d’Elisabeth Riffiot, optera pour Pau-Orthez, le représentant du Sud-Ouest de sa maman, prenant le risque de se retrouver en concurrence avec un autre prospect phénomène jouant sur le même poste, Mickaël Pietrus.
Tony, lui, se pose des questions. Il sort d’une saison frustrante au regard des ses très hautes ambitions. Deuxième meneur derrière l’international Laurent Sciarra qui ne le ménage pas, il a des envies d’ailleurs. Duke et North-Carolina ont des visées sur lui suite à ses excellentes performances au Hoop Summit. Objet d’un sujet du 20 h de France 2, son nom fait déjà le buzz en ces premières années d’internet. On l’oppose souvent d’ailleurs, lui et son basket si « américain » à un autre grand espoir du moment, le très européen « nouveau Rigaudeau » Robert Michalski. A l’intersaison, l’arrivée d’un nouveau coach, Ron Stewart, et le départ de Sciarra pour l’ASVEL le pousse à rester Porte de Saint-Cloud. Mais l’événement de l’été 2000 qui marquera à jamais le basket français et déterminera le futur de ces deux jeunes gens, c’est évidemment la « bataille de Zadar », la finale du championnat d’Europe Espoirs. Une victoire chez l’ennemi, dans un environnement on ne peut plus hostile… La preuve qu’au-delà du talent, il y a une force mentale extraordinaire, du jamais vu jusqu’alors chez les basketteurs tricolores.
Tony réalise une saison 2000-2001 quasi-parfaite qui en fait un All-Star. Les stats moins ronflantes de Boris à Pau ne gâchent pourtant le plaisir de la découverte d’un jeune joueur hors norme.
Les voraces petits cochons n’ont pas dévoré Alain, Hervé, Antoine, Tony et Boris. Ils se sont cassés les dents sur un environnement sain et des têtes bien faites et solides. Ces cinq-là n’ont pas déçu. Mais les années 2000 ont aiguisé les dents et les appétits des porcins affamés. La médiasphère en perpétuelle extension leur offre une tanière confortable et les réseaux sociaux affûtent leurs couteaux. De Batum en Gobert, on a appris à construire des forteresses autour des surdoués. Agent, staff et famille encadrent et surveillent. Car certains se sont perdus en cours de route ou ont carrément explosés en vol comme Tahirou Sani, ou simplement déçus à l’image de Jérôme Moiso.
LES BONNES FEES ET LES PETITS COCHONS BUZZERS

Franck Ntilikina,18 ans et déjà sur une façade de Big Apple.
Il est loin le temps des propos flatteurs à la buvette de Roannes. Le monde va vite, très vite… Aujourd’hui un phénomène à peine détecté est aussitôt exposé aux yeux de tous les terriens. On note les changements d’une année sur l’autre. Thierry Chevrier, le directeur sportif de Cholet Basket, le constate en comparant le buzz qui enveloppe Ntilikina et celui qui entourait Rudy Gobert en 2013, « Rudy, globalement on l’a traité comme un autre joueur, même si, bien sûr, il était l’objet d’une attention particulière, il y avait beaucoup d’attente autour de lui mais rien d’ingérable. Mais Rudy était sans doute moins exposé que Frank. La présence d’internet, des réseau sociaux, était moins dominante. » – l’Equipe, 8 avril 2017. Que Frank Ntilikina soit doué, très doué, nul n’en doute. Qu’il ait cette capacité d’élever son niveau de jeu quand ça compte vraiment, (demie-finale et finale de l’Euro des U18, play-off 2017) en dit long sur son mental. Qu’il soit capable de stoppé le MVP du championnat, D.J Cooper, sidère les plus blasé. Mais en 2017 pour assumer son statut de jeune phénomène, il faut aussi encaisser un article du New York Times ou d’un site « pop culture », les tournages pour TF1, SFR, BeIN, Canal+, un propriétaire de franchise qui se déplace en Europe pour vous voir… Ni Alain Gilles, ni Hervé Dubuisson, Antoine Rigaudeau, Tony Parker et Boris Diaw n’ont eu à faire face à ça. Mais les bonnes fées ont l’air de s’être penchées sur le berceau du petit Frank et semblent tenir les vilains petits cochons à distance.
https://polldaddy.com/js/rating/rating.jsEt Szanyiel Philip ?
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