Finale NCAA 1966 – Paint it black
NCAA
Mars 1966. Les Rolling Stones venaient d’enregistrer « Paint it Black », entrant ainsi de belle manière dans le mouvement psychédélique. Au Collège Park, Md, les milliers de spectateurs qui assistaient à la Finale du tournoi NCAA se demandaient au coup d’envoi si un esprit malin n’avait pas mis du LSD dans leur Coca. Seule une hallucination pouvait en effet expliquer ce qu’ils voyaient.
De mémoire de ceux qui étaient dans les gradins et des téléspectateurs qui virent la rencontre en différé sur des chaînes locales, ce ne fut pas un match extraordinaire. Il n’y a pas eu une qualité de jeu à archiver dans les écoles de basket, ni de suspens à couper le souffle. Certes le vaincu, Kentucky University, était une fac prestigieuse multititrée et le vainqueur, Texas Western, ne revendiquait qu’une présence au « sweet sixties » en 1964, mais de là à en faire David terrassant Goliath ? Et pourtant la finale NCAA 1966 est entrée dans l’histoire avant même l’entre-deux qui lança les hostilités, au moment précis où les joueurs du cinq majeur des Miners se TW se sont présentés sur le parquet. Ils étaient tous noirs.

1966, une finale en noir et blanc.
« Nous avons le jeu le plus intelligent, le plus ennuyeux, le plus discipliné de toutes les équipes du tournoi. » – Willie Worsley, Texas Miners.
Le match en lui-même n’est pas donc pas resté dans les mémoires. Mais il n’en fut pas moins une surprise par le jeu proposé par chacune des deux équipes.

Don Haskins a osé l’impensable.
Les Wildcats blancs du coach légendaire Adolph Rupp ont déployé un run and gun axé sur deux fortes individualités, l’intérieur Louis Dampier et l’ailier Pat Riley. Du côté des Miners noirs, (aucun des joueurs blancs du banc n’est entré en jeu), Coach Don Haskins ne s’est appuyé que sur sept joueurs, les deux remplaçants étant noirs également. Ces sept coloureds ont apporté une réponse cinglante aux à priori racistes en développant un jeu parfaitement construit et un collectif huilé qui a su déjouer la défense 1/3/1 de Rupp, tout en pratiquant une individuelle consciencieuse. Au coup de sifflet final, 72 / 65, Don Haskins pouvait savourer sa victoire et Rupp ruminer dans l’aigreur sa défaite. Plus rien ne serait comme avant.
« Les Blancs pensent que mettre cinq joueurs noirs sur le parquet, c’est les renvoyer à leurs pulsions indigènes » – Wallace Perry, premier noir de la Southeastern Conférence en 1967.
Il est des évènements, même sportifs, qu’il est bon de contextualiser pour mieux mesurer son impact. En mars 1966, les lois fédérales abolissant la ségrégation raciale sur tout le territoire n’avaient été votées que deux ans auparavant. Les émeutes raciales de Watts, Los Angeles, avaient fait 34 morts l’année précédente.

Willy Cager Face à Pat Riley
Le premier secrétaire de cabinet noir du gouvernement venait juste d’être nommé. Le premier sénateur noir ne fut élu que huit mois plus tard… et Martin Luther King était encore vivant et très actif. La ségrégation et le racisme étaient au cœur des préoccupations de la société états-unienne en ces années qui voyaient pourtant une minorité de ses enfants remettre en cause l’ordre conservateur WASP. Les curseurs avaient encore du mal à s’éloigner des préjugés de la classe moyenne blanche. Car il n’était pas question d’un racisme primaire et haineux dans les travées de l’enceinte sportive, (la légende des « Dixie Flag » brandis par des supporters d’UK ne semble pas résister aux images d’archives).
Les spectateurs savaient que les Noirs pouvaient être de formidables joueurs de basket. Bill Russel, Wilt Chamberlain et Oscar Robertson le prouvaient chez les professionnels. Pourtant presque tous estimaient qu’un joueur noir était un athlète obnubilé par le cercle, individualiste, piètre défenseur et surtout indiscipliné. Pour être rentable dans une équipe, il devait être drivé, être sous la coupe de blancs qui eux avaient le sens du collectif et « l’intelligence du jeu ». Le 19 mars 1966, à 22 heures, au moment de l’entre-deux, ces arguments fallacieux étaient des évidences pour la très grande majorité du public, un public blanc, les arbitres blancs, les coachs et leurs assistants blancs, les journalistes blancs et les cheerleaders blanches.
Pour eux, la décision de Haskins, n’était pas vécu comme une provocation ou un acte militant, mais comme une aberration, un non sens. Comment esperait’il l’emporter avec cinq Noirs sur le terrain ? Il allait à la catastrophe, au chaos.
«Je ne voulais juste mettre mes cinq meilleurs gars sur le terrain. Je voulais juste gagner ce match. » – Don Haskins, coach des Texas Western Miners.
Dans son livre Glory Road, Don Haskins a écrit : « Je ne m’attendais pas à être un pionnier de la cause raciale ou changer le monde. » On veut bien le croire, mais avec la saison régulière qu’il venait de vivre, il devait se douter que son choix ne passerait pas inaperçu. Des insultes et parfois même des violences avaient émaillé le parcours des Miners jusqu’au tournoi final. Haskins venait de fêter ses 36 ans le jour de la finale. C’était un jeune homme sans doute ouvert au changement, mais il y avait déjà trois joueurs de couleur dans son effectif au moment où il pris en main l’effectif des Miners en 1961. Texas Western était durant les années 50 une des premières universités du Sud à offrir une place aux Noirs dans leur équipe.

Les Wildcats dépités.
On ne peut pas en dire autant de KU qui resta « All White » jusqu’en 1970. Elle se prit en pleine figure la défaite de 66. Elle devint le symbole de la ségrégation qui persistait dans les universités du Sud. Et il faut admettre que c’était peut-être un peu injuste, car malheureusement elle était loin d’être la pire. Au moins elle acceptait de jouer contre des adversaires des états du Nord qui accueillaient des Afro-Américains. Ce que refusaient la plupart des autres facs du Sud. Forte de son palmarès, de son statut, KU était également plus exposée et par conséquences, les déplacements au delà la ligne Mason-Dixon avec ses Wildcats, tous blancs, attiraient les projecteurs. En faire l’archétype de l’Université raciste du Sud découlait de cette notoriété. Les fans des Wildacats auraient-ils accepté l’intégration ? Ceux de Lexington ou Louisville peut-être, ceux des campagnes probablement beaucoup moins. Mais on ne peut avoir de certitude sur ce sujet. Puis, il faut aborder le cas Adolph Rupp. En poste depuis 1930, il avait à son actif quatre titres nationaux, six participation au Final Four, il était déjà une légende du basket universitaire. Mais Rupp était aussi un homme de 65 ans issu d’une modeste famille de fermiers mennonistes du Kansas, c’était l’homme d’un temps révolu, un homme dépassé par l’évolution de la société.
« Je sais que j’ai beaucoup d’ennemis. Mais je préfère être le gagnant le plus détesté du pays que le perdant le plus populaire » – Adolph Rupp, coach des Kentucky U. Wildcats.
Arrogant, cassant, impitoyable avec ses joueurs qu’il n’hésitait pas à couvrir d’injures, Rupp n’avait que deux centres d’intérêt : le basket et lui-même. Ancré dans ses certitudes il n’a pas vu ce qui se passait hors du parquet et du campus. Alors raciste Rupp ? 50 ans après la question fait encore débat.

Adolph Rupp, un vieil homme du sud.
Ses détracteurs l’accusent de propos déplacés mettant en doute la validité de l’admission des joueurs noirs à TW, un basketteur noir ne pouvant avoir le niveau scolaire suffisant. Dommage pour lui, quatre des sept Miners de la Finale ont obtenu leur diplôme pour un seul du cinq majeur des Wildcats. Il n’aurait jamais voulu par la suite rendre visite à des Noirs pour les faire venir à Kentucky et ce n’aurait été que sur pression des autorités de l’université qu’il se serait résolu à prendre Tom Payne en 1970. Ses défenseurs mettent en avant son âge et ses origines sociales pour justifier son comportement. C’étaient les joueurs Noirs qui ne voulaient pas venir à KU. Puis tout ça n’étaient que mensonges de la part de jaloux de ses succès.
Où est la vérité ? Adolph Rupp est décédé en 1977. Il est tentant de se dire aujourd’hui qu’on s’en fiche un peu et se réjouir qu’un demi-siècle après le coup de tonnerre de la Finale 66, son échos paraisse si lointain.
A voir : L’article de BasketRetro sur le roman de Pat Conroy, « Saison noire », pour mieux comprendre le basket universitaire des mid-sixties Les Bulldogs de Citadel 1966-1967
L’adaptation par les Studios Disney en 2006 du livre de Don Haskins, « Glory Road ». Bande annonce
Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Rétro
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