“Dr. J’s Farewell Tour” : la première tournée d’adieu en NBA
Retraite
Plus que jamais d’actualité, les tournées d’adieu des légendes de la grande ligue n’ont pourtant pas toujours été aussi institutionnalisées qu’aujourd’hui. Pendant longtemps, les départs à la retraite se sont limités à un simple discours lors du dernier match de la saison, avant d’être pour la première fois transformé en véritable “show” avec la retraite de Julius Erving en 1987.
UN MONUMENT SUR LA FIN
Lorsqu’on pense “basket” et “années 70”, l’un des premiers joueurs qui vient à l’esprit est sans aucun doute Julius Erving. Certes, il ne détient pas le plus grand palmarès de sa génération, ni les plus grandes lignes statistiques, mais il a marqué son époque par son style inimitable, aérien et spectaculaire, avec un lot de dunks aujourd’hui devenus iconiques. Facilement reconnaissable sur les parquets avec sa grande coupe afro, “Doctor J.” obtient ses premières lettres de noblesse du côté de l’université du Massachusetts où il tourne à près de 26 points et 20 rebonds de moyenne, avant de se diriger vers la ABA. En cinq saisons, Erving se forge une solide réputation en raflant trois titres de MVP, deux titres de champion et en remportant le concours de dunk du All-Star Game en s’élançant depuis la ligne des lancers francs. A la disparition de la ligue en 1976, Erving mettra ses talents au service des Philadelphia Sixers avec qui il signera ce qui constituait à l’époque l’un des plus gros contrats de l’histoire, d’un montant de trois millions de dollars sur huit ans. A nouveau MVP en 1981, Erving emmène Philly en finale à trois reprises, avant de remporter enfin le titre NBA aux côtés de Moses Malone en 1983. En parallèle, le Docteur honore également dix participations au match des étoiles, ainsi que sept sélections dans les All-NBA Teams. De quoi faire de lui l’un des plus grands noms de la ligue.

Alors, lorsqu’en ce 1er novembre 1986, Julius Erving annonce dans une conférence de presse précédant le lancement de la saison NBA 1986-1987 qu’il mettra fin à sa carrière au terme de l’exercice, c’est un petit séisme qui s’abat sur le monde du basket. Tandis que la grande ligue s’apprête à faire sa rentrée, les médias ne parlent désormais plus que de la future retraite d’une icône. On anticipait déjà son dernier match à domicile, ses adieux au public, une prise de parole en fin de rencontre…et s’en serait fini de “Doctor J”. C’est alors toujours de cette manière que les retraites de grands noms de la ligue se sont déroulées. Oui, sauf que depuis quelques années, la NBA a entamé sa révolution, avec à sa tête un certain David Stern. Le maître mot est désormais très clair : faire du basket américain un spectacle et le rendre plus attractif. La retraite d’un aussi grand joueur que Julius Erving ne peut donc pas se faire d’une manière aussi discrète, il faut rendre l’événement marquant et symboliquement fort pour le public. L’idée inédite d’organiser sa dernière saison sous la forme d’une tournée d’adieu prend alors forme, en étroite collaboration avec les Sixers. Au bout de quelques semaines, un programme voit le jour avec 23 dates clés réparties sur les six mois de la saison régulière, de quoi faire jeu égal avec les rockstars de l’époque.
LA DERNIERE TOURNEE DU DOCTEUR
La tournée “Across America” débutera le 11 novembre 1986 à l’occasion d’un déplacement des Sixers à Seattle. Le hasard faisant bien les choses, la rencontre se jouait un “Veterans Day”, impliquant donc le respect d’une minute de silence avant le début du match. Celle-ci aura du mal à avoir lieu en raison des très nombreuses acclamations du public destinées à Julius Erving, obligeant ce dernier à demander à la foule de respecter ce moment de recueillement. Un geste d’une grande classe, à l’image de sa carrière, et qui restera le seul petit accroc des célébrations. Durant les mois suivants, “Doctor J.” recevra de nombreux hommages…ainsi que des cadeaux pour le moins originaux. Pour son ultime match sur le parquet du Forum d’Inglewood, les Lakers vont ainsi lui offrir une chaise à bascule, sous les applaudissements d’une salle peu rancunière de la défaite en finale trois ans plus tôt. D’un point de vue sportif, Erving est d’ailleurs toujours au rendez-vous avec près de 17 points de moyenne. Très sollicité par les votants, il décroche même une onzième sélection pour le All Star Game en autant de saisons. Le match des étoiles offre ainsi à la ligue une occasion supplémentaire de rendre hommage à l’immense carrière de l’ailier des Sixers. Avant la rencontre, il reçoit un télégramme de son coéquipier d’un soir, Isiah Thomas : “Tu as été une inspiration, un leader et un modèle pour moi et tous les autres joueurs NBA. Tu as rendu le chemin beaucoup plus facile pour notre génération.”.

Les cérémonials se poursuivent après le All-Star Weekend avec notamment des déplacements à Boston, où Larry Bird lui offre un morceau de parquet, à New York, où il sera ovationné par le Madison Square Garden aux côtés de l’acteur de la série Star Trek, DeForest Kelley et enfin dans le New Jersey pour jouer les Nets, où son ancienne franchise ABA annoncera le retrait à venir de son numéro 32. Erving recevra également des cadeaux plus insolites, avec entre autres une machine à lancer des balles de tennis à Sacramento, une paire de ski à Salt Lake City, une cravate avec un motif de poisson à Milwaukee, des santiags à San Antonio, une maquette de la fusée Saturne V à Houston et même les clés de la ville à Indianapolis ! Le 17 avril enfin , après six mois d’hommages en tout genre, la tournée du Docteur arrive à son terme. La Spectrum Arena de Philadelphie va être le théâtre de l’ultime match de saison régulière de Julius Erving. Avant l’entre-deux, ce dernier prend la parole pour remercier le public…puis lance plusieurs piques à destination de son organisation : “Je suis le premier joueur de cette organisation à pouvoir annoncer que c’est ma dernière saison ici. Tous les autres ont été coupés, échangés, remerciés ou ont simplement disparu. Trop de gars quittent cette équipe en mauvais termes.” Depuis plusieurs années, Erving entretenait une relation assez conflictuelle avec le propriétaire de l’équipe, Harold Katz, qui avait notamment cherché à le transférer aux Clippers après le titre de 1983. Il s’était d’ailleurs montré assez réticent à l’idée de re-signer Erving pour une dernière saison, et était plutôt partisan de le laisser partir comme agent libre.

Pour son ultime rencontre de saison régulière, “Doctor J.” va offrir à son public un spectacle mémorable. Intenable, ce dernier cherche à inscrire les trente-six points qui lui manquent pour franchir la barre symbolique des 30,000 points en carrière (ABA + NBA). Un cap qui semble alors difficile à atteindre, lui qui n’a pas inscrit plus de trente points une seule fois cette saison. Et pourtant, dès le troisième quart temps, c’est chose faite après un tir à mi-distance réussi. Un temps mort est alors pris pour permettre à la salle d’acclamer la star de la soirée. Au terme de la rencontre le compteur de Julius Erving affiche trente-huit points, six rebonds, trois passes et trois interceptions dans ce qui sera le dernier récital de sa carrière. Deux jours plus tard, une gigantesque parade est organisée dans la ville, un événement qui réunira pas moins de trente mille personnes ! Deux semaines plus tard, le véritable dernier match de Julius Erving prendra place à Milwaukee dans le cadre du premier tour des playoffs. Privé de Moses Malone, blessé, les Sixers s’inclineront en cinq matchs face au duo Terry Cummings-Sidney Moncrief. Mis en difficulté, Erving donnera les clés de l’attaque sur la série à Charles Barkley, comme un symbole de passation de pouvoir. Auteur de vingt-quatre points dans le dernier match, le Docteur sera une dernière fois ovationné par la foule à sa sortie du terrain, avant d’être raccompagné aux vestiaires par Barkley. Interrogé après la rencontre, il déclare simplement : “C’est fini. J’ai tout donné sur ce terrain. Je suis en paix avec ça.”. Clap de fin.

Souvent sous-estimé concernant l’impact qu’il a eu sur le basket américain, Julius Erving a quitté la grande ligue au terme d’une tournée spectaculaire, toujours menée avec classe et élégance, à l’image de sa carrière. Véritable prototype de l’ailier moderne, “Doctor J.” n’a pas seulement inspiré Michael Jordan, il a également inspiré la ligue pour institutionnaliser les “Farewell Tour” destinés aux grands noms de la ligue. Un honneur auxquels auront droit par la suite Kareem Abdul-Jabbar, Kobe Bryant, Dwyane Wade…et peut-être bientôt LeBron James.


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