En basket, comme en baseball ou encore en football américain, la draft représente le moment le plus important pour un jeune athlète dans sa quête de signer un contrat dans une ligue professionnelle. La NBA, la NFL et la MLB sont très attentives aux jeunes joueurs dont le potentiel pourrait faire d’eux les futurs visages de la ligue, sportivement comme médiatiquement. Dave Winfield fait partie des rares athlètes à avoir été repérés dans plusieurs sports, et surtout à avoir été draftés dans ceux-ci.

UN GARÇON DU MINNESOTA PASSIONNÉ DE BASEBALL

Parmi les disciplines dominants la culture sportive aux Etats-Unis, les plus influentes sont le basketball, le football américain, et le baseball. Ces trois sports, organisés en ligue, sont aujourd’hui ceux qui font le plus rêver les jeunes Américains. Mais au début des années 1970, ce n’était pas la balle orange qui ressortait du lot, mais le baseball, véritable sport n°1 de l’époque.

C’est face à cette réalité que le jeune David Winfield grandit, avec son frère Stephen, dans l’état du Minnesota. Ses héros sont Willie Mays et Mickey Mantle, et c’est pour leur ressembler qu’il lance ses premières balles et frappe à la batte. Les frères Winfield se prennent au jeu, qui devient sérieux après leur rencontre avec le coach du club local, Billy Peterson. Ce dernier est pris d’affection pour le jeune Dave, qu’il qualifie de « clown sérieux », capable de faire le pitre pour faire rire ses coéquipiers, tout en étant le plus assidu et attentif aux entraînements.

Dave est à peine diplômé de la S-Paul Highschool en 1969 qu’une équipe professionnelle de ligue mineur lui propose un contrat, au terme de ce qui peut être considéré comme la première draft de sa vie. Mais face à cette opportunité financière intéressante, Dave Winfield choisit le parcours universitaire, moins bien payé mais avec la possibilité d’en ressortir avec un diplôme. Il rejoint ainsi la Minnesota University, bien que l’école ne comporte que de faibles programmes sportifs.

LE CHOIX DU BASKET POUR PASSER L’HIVER

Dave Winfield a signé pour le programme de baseball de l’université du Minnesota. Bien qu’il ne bénéficie que de la moitié d’une bourse, l’université manquant de moyen, il est persuadé que cette expérience lui permettra d’atteindre à terme la MLB.

Il faut savoir que la saison de baseball universitaire se déroule uniquement en été. Mis à part les entraînements, Dave est ainsi peu sollicité sportivement durant le reste de l’année. C’est pourquoi Bill Musselman, entraîneur de l’équipe de basket de l’université étant venu à un entrainement de baseball pour superviser les nouveaux arrivants, le démarche afin de lui faire rejoindre son programme. Au départ peu enclin à cumuler les sports, Winfield est finalement convaincu par la promesse de Musselman de lui offrir une bourse complète. Si le coach est prêt à ce sacrifice financier, c’est parce qu’il a été impressionné par le physique du jeune homme. Il présente en effet un excellent entre taille et mobilité, « rapide comme un petit et fort comme un big man ». Toutefois, même s’il rejoint les Golden Gophers avec la promesse de se donner entièrement, Winfield prévient son équipe que le baseball reste sa priorité.

BAGARRE ET BIG TEN

Dave Winfield évolue alors pour la première fois de sa vie sur un parquet. Ce qui ne l’empêche pas de prendre le dessus sur ses adversaires plus âgés, étant qualifié par Musselman de « meilleur rebondeur [qu’il] n’ait jamais entraîné ».

Les Gophers du Minnesota évolue au sein du Big Ten, le prestigieux championnat universitaire. S’ils sont très loin de faire partie des favoris, les joueurs de Musselman, qui a pris la tête du programme un an auparavant, n’en sont pas moins de sérieux outsiders. Si bien que quand Ohio State, une des meilleures équipes du pays, se présente sur le terrain de Minnesota, les supporters récemment convertis au basket viennent en nombre. Et ce malgré les All Star Game de NHL se déroulant le soir même.

Le match entre les Buckeyes d’Ohio State et les Golden Gophers du Minnesota est tendu, l’ambiance est électrique, sur fond de tension raciale : une équipe principalement composée de joueurs blancs, Ohio State, face à une autre équipe majoritairement noire, Minnesota. A 36 secondes de la fin du match alors que Ohio State mène 50 à 44, un joueur des Buckeyes tombe au sol après un duel aérien pour le rebond. Un des membres des Gophers tend la main pour l’aider à se relever, avant de lui asséner au passage un coup dans le ventre. C’est l’élément déclencheur d’une des plus grosses bagarres de l’histoire de la scène universitaire. Des fans envahissent le terrain surélevé en grimpant pour se joindre à la mêlée, qui devient totalement incontrôlable. Trois joueurs d’Ohio State finissent la soirée à l’hôpital. Côté Gophers, Taylor et Behagen sont suspendus pour le reste de la saison, mais pas Winfield, qui a pourtant participé, comme le montre le témoignage de William Reed, journaliste à Sport Illustrated ayant assisté à la scène depuis son siège au bord du terrain : « Dave Winfield, qui venait de rejoindre l’équipe universitaire des Gophers, s’est également joint à la mêlée, se frayant un chemin jusqu’au milieu du terrain où certains remplaçants du Minnesota et des civils tentaient de plaquer au sol Mark Wagar, remplaçant de l’Ohio State. Winfield a sauté sur Wagar alors qu’il était à terre et l’a frappé cinq fois au visage et à la tête avec son poing droit. » Le principal concerné, Mark Wagar, appuie les propos du journaliste : « Ma commotion cérébrale était due à plusieurs coups à la tête, la plupart infligés par Dave Winfield. … L’arrière de ma tête devait être menaçant. » La scène serait également visible sur une des cassettes vidéo issues de la diffusion télévisée du match, visionnée par les responsables du département des sports d’Ohio State. Encore aujourd’hui, Winfield minimise son implication dans les évènements, n’ayant jamais avoué avoir véritablement participé. Lorsque Winfield rentre chez lui le soir-même, sa mère est sur le canapé, la larme à l’œil, tremblante car effrayée par ce qu’elle avait vu à la télévision. Winfield avoue que lorsque l’on est jeune, on n’arrive pas à mesurer les conséquences d’un épisode comme celui-ci.

Puisque deux des joueurs de l’équipe ne pouvaient plus jouer, à cause de leur suspension, le rôle de Dave Winfield sur le terrain n’en a été que renforcé. Les rotations étant rendus moins faciles par le manque de profondeur du banc, Musselman s’est résolu à donner les clés à son intérieur. Les cinq titulaires, dont Winfield fait dorénavant partie, deviennent les « Iron Five », les seuls joueurs à fouler les parquets pour le reste de la saison. Minnesota se met alors à dominer alors la ligue défensivement, notamment grâce à leur capacité à capter les rebonds.

« Chaque semaine, la pression s’intensifiait, de plus en plus à chaque match », avoue Winfield. A cette période, malgré sa volonté de se concentrer exclusivement sur le baseball, la tension qui se dégageait lors de la fin de saison ne lui permettait plus de prendre sa saison de basket avec détachement. Dave n’était plus en capacité de diviser son temps entre les deux sports. Victime du doute à plusieurs reprises, Winfield ne lâche néanmoins pas l’affaire, et continue de mettre son âme sur le terrain à chaque rencontre.

Minnesota remporte ainsi le Big Ten, au nez et à la barbe des autres programmes, pour la première fois depuis 1935, avec un total de 11 victoires pour 3 défaites. Une victoire qui suscite l’indignation chez certains, notamment en Ohio, en raison de la bagarre. Les Gophers obtiennent tout de même une invitation pour le tournoi NCAA 1972, la première de l’histoire de l’université du Minnesota. Les Gophers sont néanmoins stoppés dès le premier tour par Florida State. Ces derniers vont cette année-là jusqu’en finale, s’inclinant face à UCLA (qui domine le championnat universitaire depuis 1964, avec 8 titres en 9 ans). Fin de saison pour les Gophers et Dave Winfield, qui reprend alors le baseball, mais se blesse en lançant, lui faisant rater sa première saison universitaire de baseball.

1973 : LE BASEBALLEUR REPREND LE DESSUS SUR LE BASKETTEUR

Dave participe bien à sa deuxième saison de basket, tournant à 10 points de moyenne. Les Gophers signent un bilan de 21 victoires pour 5 défaites, deuxième meilleure équipe du Big Ten à une victoire près du doublé.

Mais 1973 est surtout l’année de la révélation sur la scène du baseball pour Winfield, qui est très loin d’avoir changé ses plans de carrière. Il démontre ses capacités à être un très bon « two-way-player », capable aussi bien de lancer que de frapper à la batte. Son talent mène la section baseball de l’université du Minnesota à remporter le Big Ten. Dave réussit ainsi l’exploit d’être titré dans cette compétition avec deux sports différents. Et ce n’est pas fini : Minnesota atteint la finale des College World Series, et passe à une blessure de Winfield près d’être officiellement la meilleure équipe du pays. Ce qui n’empêche pas Dave d’être sacré MVP, en ayant participé à seulement quatre matchs, et ce pour sa deuxième saison universitaire, mais surtout sa première véritable en baseball. Des performances qui font de lui un des joueurs les plus prometteurs du pays, d’autant plus qu’à côté de ça il parvient à finir diplômé.

QUADRUPLE DRAFT

Winfield est alors très attentif aux résultats des drafts 1973. Drafts, au pluriel, car la MLB n’est pas le seul championnat à lorgner sur ses qualités. Bien évidemment, les ligues de basket sont aussi intéressés par son dossier. Il est sélectionné au cinquième round de la draft NBA par les Atlanta Hawks, mais aussi au sixième round de la draft ABA par les Utah Stars. Les deux ligues concurrentes veulent se disputer le talent du jeune prodige.

Plus étonnant, car n’ayant jamais joué au football, il est sélectionné au 17^e round de la draft NFL par les Minnesota Vikings, la franchise de l’état de Winfield, qui compte jouer sur son amour pour sa contrée.

Mais sans réel étonnement, Dave Winfield est surtout intéressé par la franchise de MLB qui va le choisir. Ce sont les San Diego Padres qui le sélectionnent en tant que « pitcheur » à la quatrième place de la draft MLB. Dave accepte l’appel, et rejoins ainsi la ligue de ses rêves.

Ces quatre drafts font de lui un des très rares joueurs à travers l’histoire à avoir été sélectionnés dans plusieurs sports américains différents. Bien qu’il ait fait face à de multiples possibilités, son choix de rejoindre le baseball va s’avérer judicieux.

HALL OF FAME

A travers sa carrière de 22 ans en MLB, Dave Winfield va évoluer au sein de six franchises, parmi lesquelles les New York Yankees, où il va rester neuf années durant avec à la clé, à l’époque, le meilleur contrat du sport professionnel (23 million de dollars sur 10 ans). Il participe au match des étoiles lors de 12 saisons consécutives de 1977 à 1988, finissant troisième de la course au MVP en 1979. Dave est introduit au Hall of Fame des Padres de San Diego, du baseball universitaire, et enfin au sein du Baseball Hall of Fame en 2001. Son numéro 31 est retiré par les Padres la même année.

Plusieurs stars universitaires pratiquaient différents sports, pour développer différentes caractéristiques, à l’image du footballeur Patrick Mahomes, qui était capitaine de son équipe de basket à l’université, ou Joe Mauer, « two-way-player » en baseball et quaterback au football américain à l’université. Mais il est beaucoup plus rare d’être drafté dans plusieurs ligues différentes, et encore plus difficile de faire le bon choix au point d’être considéré comme une légende de son sport. S’il présente quelques zones d’ombres, notamment ce soir de 1972 face à Ohio State, Winfield n’en est pas moins un des athlètes les plus complets de l’histoire du sport américain, et un de ceux qui auront suscité le plus de hype au moment de leur entrée dans le sport professionnel.