« Mes Euros » par Philippe Mailhabiau : « En 1991, nous vivions un moment d’Histoire en direct. »
Interview
Témoin privilégié des Euro 1989, 1991 et 1995 auxquels il a participé, Philippe Mailhabiau est l’arbitre n°1 français de cette période. Après les années 80 d’Yvan Mainini et avant l’avènement de Pascal Dorizon, c’est lui le boss du sifflet sur les parquets de Nationale 1A. Pour Basket Rétro, il revient sur cette période et nous propose un voyage dans les coulisses de ce monde assez secret de l’arbitrage de très haut niveau avec l’évocation des Euro masculins des années 90… Les spécificités de l’époque, les grandes différences avec l’arbitrage d’aujourd’hui : le Neversois aborde tous ces sujets, sans langue de bois.
Philippe Mailhabiau, aujourd’hui vice-président du service du Haut Niveau des Officiels à la FFBB, peut se targuer d’un palmarès arbitral long comme le bras : 3 Euros masculins, une finale de mondiaux féminins (en 1994 à Sydney), les JO de Barcelone 1992, un Open McDonald à Barcelone, deux finales de Coupes d’Europe masculins (finale Coupe des Coupes 1992 PAOK/Real Madrid à Nantes et finale Coupe des Coupes 1995 Trevise/Vitoria), 19 finales de Pro A, 4 All Star Game LNB, 11 ans d’arbitrage international (1986 à 1997) : c’est un vrai cador de l’arbitrage de haut niveau qui se confie aujourd’hui à Vincent Janssen, notre archiviste.

Lors d’un match de ce que l’on appelait pas encore l’Euroleague, au Buckler Bologne du pivot US Orlando Woolridge. Philippe Mailhabiau fait alors partie du gratin européen.
BR : Durant cette période 1989/1992, vous êtes dans votre « prime », votre meilleure période concernant l’arbitrage ?
PM : En effet ! J’ai vraiment senti avec cette finale de Coupe des Coupes 1992 à Nantes que j’avais franchi un palier. Avec les belles désignations précédentes comme l’Open Mc Do de Barcelone, J’étais plein badin, c’est peut-être cela qui m’a permis d’etre retenu pour les Jeux Olympiques de Barcelone. Le seul problème, c’est que je tapais dans mes congés sans soldes, tout en gardant une seule semaine par an pour la famille. Je n’étais pas du tout aidé par mon travail, bien au contraire, on me mettait plutôt des bâtons dans les roues – je travaillais au service logistique de la SNCF. J’étais jalousé, on me voyait dans le journal, à la télé, on voyait que je partais à droite à gauche… J’étais évidemment vu comme un « millionnaire » !
BR : Comment étiez-vous informés de votre sélection pour l’Euro 1989 à Zagreb ?
PM : la Fédération française recevait un fax de la part de la FIBA Europe et nous le retransmettait ensuite. Il n’y avait ni téléphone, ni mail à cette époque-là !
BR : Comment vous vous prépariez pour cette échéance ? Est-ce que la FIBA vous envoyait un programme précis de mise en forme comme aujourd’hui ?
Pas du tout ! Par rapport à maintenant, c’était à toi de te préparer. Même si on était plutôt en forme, je me préparais seul physiquement, je faisais un peu de code de jeu, je regardais ce que la FIBA nous envoyait concernant les nouvelles règles. Aujourd’hui, les arbitres arrivent 2-3 jours avant sur site pour un pré-stage alors que nous arrivions la veille de la première rencontre avec une simple réunion avec la FIBA et nous partions comme ça. On était observés par les gens qui nous désignaient, le yougoslave Radomir Shaper, le canadien Nar Zanolin ou l’anglais Alan Richardson.
Les pointures de l’arbitrage de l’époque, c’était le soviétique Davidov, le jeune finlandais Jungebrand, les grecs Rigas et Douvis, le polonais Zych… Ma génération d’arbitres internationaux était une grosse génération : il y avait les espagnols Mitjana et Betancor (NDLR : on peut citer également le grec Pitsilkas, le slovène Rems, l’israélien Virovnik). Je me souviens que Bernard Lejade (commissaire FIBA lors de l’obtention de mon niveau FIBA) m’avait soufflé que j’avais fini major de promotion à l’issue de mes deux stages devant Carl Jungenbrand. Mais c’était une autre époque, il ne faut pas comparer avec maintenant, il n’y a rien de comparable… à part peut-être la politique !
BR : Est-ce que vous scoutiez les sélections pour préparer vos rencontres de l’Euro ?
Très peu, parce que l’on avait pas beaucoup de cassettes (VHS). Les matchs que j’avais, c’était ceux de l’équipe de France contre des équipes étrangères. Mais sinon, le scouting on en parlait entre arbitres. On se questionnait entre collègues. On connaissait quand même certains joueurs, les San Epifanio, les Sabonis. Aujourd’hui, les arbitres ont des outils à disposition pour « clipper » leurs rencontres dès le coup de sifflet final, le scouting est pro maintenant. A l’époque, les joueurs commençaient à être pro – ce n’était pas le cas pour tous – mais l’arbitrage, pas du tout.
« Il n’y avait pas d’aide de la FFBB comme ces dernières années pour préparer les futurs profils d’arbitres de haut niveau international.«
BR : Est-ce que le rythme était soutenu pour un arbitre lors de vos Euros ?
Oui, c’était soutenu. Parfois un match par jour, parfois un jour sur deux durant la quinzaine. Lors de la première phase, nous avions une journée de repos comme les sélections mais pas en deuxième phase, car les matchs s’enchainaient, tout était sur le même site. On bouffait du basket !
BR : Comment se passait une journée de compétition pour vous ?
Il n’y avait pas de matchs le matin, je crois me souvenir, quatre matches s’enchainaient l’après-midi jusqu’au soir. Je n’avais pas vraiment le temps de me soucier de ma famille. En plus, j’étais très jeune papa, mes jumeaux venaient de naitre 15 jours avant l’Euro ! J’ai pu aller quand même voir jouer l’équipe de France, j’allais discuter un peu avec le staff et l’entraineur Francis Jordane pendant leurs entrainements. Sinon, j’allais regarder un maximum de matchs de ces Euros auxquels j’ai participé.
Le matin, on allait courir entre arbitres, mais on n’avait pas de programme établi par la FIBA. On était parfois réunis en salle de cours mais pas aussi souvent que maintenant. Il n’y avait quasiment pas d’études de clips vidéos, cela n’existait pas ou alors très peu. On travaillait plutôt sur des principes que l’on mettait en place sur le terrain. Après les rencontres, on avait un débriefing mais c’était très succinct. Ensuite, on recevait les désignations le soir et on apprenait alors si on continuait dans la compétition ou non. Pour ma part, j’ai eu la chance d’aller souvent jusqu’au bout. C’était toujours plus ou moins le même fonctionnement lors des Euro 91 et 95 auxquels j’ai participé ensuite.

Arbitrer des top joueurs tels que Michael Young (CSP Limoges) dans le championnat domestique permettait à P.Mailhabiau d’être performant lors des Euros.
BR : Vous venez de l’évoquer brièvement mais aviez-vous des contacts avec l’équipe de France durant ces compétitions ?
Assez peu finalement, j’allais les voir de mon propre chef mais aujourd’hui cela n’est plus vraiment possible. De nos jours, la FFBB demande à ce qu’un arbitre de niveau international les accompagne pendant une partie de la prépa afin d’habituer les joueurs aux coups de sifflets. Durant l’Euro, c’est devenu très difficile d’avoir des contacts avec l’équipe. Ne serait-ce que parce qu’il y a différents sites désormais et les arbitres français sont toujours désignés sur d’autres lieux, d’autres pays que celui où joue les Bleus.
Aujourd’hui, les arbitres ont l’outil vidéo à disposition dès le lendemain matin pour décrypter leurs rencontres de la veille, ils ont une équipe d’instructeurs FIBA (dont fait partie la française Chantal Julien sur cet Euro masculin 2025) qui s’assurent que les consignes sont bien appliquées… C’est professionnel, tout simplement. Il y a beaucoup d’enjeux financiers et on n’a pas le droit de se planter !
BR : Cette période 1989-1995 était une époque où les français n’étaient pas particulièrement favoris…
Ah ça non et je peux te dire qu’ils avaient pas la mentalité et les attitudes de gagnant, en plus. J’ai assisté à des discussions parfois… La 4ème, la 5ème place, la 7ème place : le principal, c’était qu’ils soient qualifiés pour la compétition suivante. ça leur allait bien, ils étaient contents de ce qu’ils faisaient. C’était pas beaucoup mais ça leur convenait !
BR : Est-ce que cela vous donnait des ambitions personnelles d’aller loin dans la compétition ?
De toute façon, je vais être un peu méchant, mais plus l’équipe de France se cassait la gueule, plus j’étais dans la short-list de ceux qui allaient arbitrer. C’est ce qui s’est passé à cette époque où j’ai été généralement en quarts ou en demi-finales. On n’était pas content quand ils perdaient mais, d’un autre côté, notre compétition à nous était tributaire de cela. Je n’allais quand même pas sauter de joie quand les bleus perdaient !
« On n’était pas content quand ils perdaient mais, d’un autre côté, notre compétition à nous était tributaire de cela. Je n’allais quand même pas sauter de joie quand les bleus perdaient ! »
BR : Ces sentiments ambivalents sont les mêmes que connaitront plus tard sur de grandes compétitions des arbitres tels que Eddie Viator ou Yohan Rosso. A la différence notable qu’à leur époque, l’équipe de France masculine était devenu un prétendant sérieux aux médailles…
Tout à fait. Mais, de toute façon, une médaille pour une équipe, ça rejaillit un peu sur l’arbitre aussi. Si l’arbitre est bon, il restera dans les petits papiers, il restera dans la compétition entre arbitres, c’est sûr !
Si un pays est bon, cela veut dire que ses joueurs sont bons – il y avait beaucoup moins de joueurs français à l’étranger à l’époque – cela signifie aussi que son championnat est bon et que ses arbitres sont capables d’officier dans ce pays-là.
Aujourd’hui, quand on regarde les matchs que les Français arbitrent, on ne peut pas se plaindre. C’est ce que j’explique souvent aux jeunes arbitres FIBA français : Attendez-vous à avoir des matches mais il faut aussi une part de chance. Des fois, tu es vu sur le bon match par la bonne personne, ce qui te permet de monter. Il y a beaucoup d’arbitres et, il ne faut pas le cacher, il y a aussi de la politique qui rentre en ligne de compte. C’est de la compétition pour les arbitres aussi, il faut se montrer !
BR : En parlant de politique… Comment étaient perçus les arbitres français par la FIBA comparé aux arbitres des autres nations il y a 35 ans?
On était très bien considérés parce qu’on étaient performants, c’était pas plus compliqué que ça ! Mais on ne peut pas ignorer qu’il y avait les arbitres de l’Ouest et les arbitres de l’Est. On voyait bien qu’il y avait parfois certaines désignations qui pouvaient prêter à question mais les grosses nations comme l’Italie, l’Espagne et la France, sans compter la Grèce qui arrivait avec ses finances, ses salles qui étaient pleines ; tout cela faisait un mix qui se passait bien, au final. Je n’ai jamais eu de soucis avec mes collègues, jamais.
J’ai vécu des championnats d’Europe ou je voyais certains collègues de l’Est qui étaient venus clairement pour faire du business, ils s’en fichaient s’ils n’arbitraient pas ! C’était vraiment une autre époque, j’ai vu des choses incroyables, vraiment ! Je me souviens qu’on était défrayés à l’époque en deutschmark (la monnaie allemande), c’était 300 DM par match et je me rappelle que cela correspondait alors au salaire moyen d’un médecin ou d’un ingénieur en Pologne. Il faut comprendre que pour ces arbitres, qui avaient l’autorisation de pouvoir évoluer au niveau international, c’était hyper important de pouvoir être désignés sur ces compétitions-là car cela leur faisait un très fort gain financier. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, ils devaient redonner une partie de leurs gains à leur fédération ou au ministère.
« Je me souviens d’un mondial ou un arbitre cubain a dû donner tous ses gains à sa fédération, il en était fou ! «
Je me souviens d’un mondial ou un arbitre cubain a dû donner tous ses gains à sa fédération, il en était fou ! On s’était tous cotisés pour lui donner des vêtements, chaussettes, chaussures. Il était arrivé avec une valise, il est reparti avec une autre ! Le peu d’argent qu’on lui avait donné (5 ou 10 dollars chacun, de mémoire), cela lui avait fait 6 mois de salaire… Le grand public ne connait pas ces histoires mais il faut bien se rendre compte, cela faisait partie de l’époque et cela parait extraordinaire aujourd’hui…
En 1991, à l’Euro de Rome, je me retrouve dans le hall de notre hôtel le jour où éclate la guerre en Yougoslavie et c’est le jour où Jurij Zdovc dit stop et quitte la sélection (sur ordre du tout récent gouvernement slovène). Ce jour-là, le bruit courait que l’Euro serait complétement arrêté et tout le Board de la FIBA, le secrétaire général Borislav Stankovic en tête, a fait des pieds et des mains pour faire revenir sur les parquets les favoris yougoslaves.
J’étais dans ce hall d’hôtel avec deux, trois gars de l’équipe de France et j’ai vu tout ça, ces tractations. Nous vivions un moment d’Histoire en direct. C’était chaud patate… On voyait ce joueur quitter la salle de réunion et cette salle de réunion, c’était pas pour parler tactique, hein !
BR : Donc, les résultats sportifs d’une sélection rejaillissent sur les désignations des arbitres de ce pays ?
Ah, tout à fait. Pendant les compétitions, on regardait les résultats des pays et on se disait entre nous : « tiens, toi , tu risques de faire tel match, telle équipe »… La meilleure désignation possible pour nous, c’était d’être pris sur un quart de finale car on se disait « si je fais un bon quart, j’ai peut-être mes chances d’être sur une finale ». ça se passait comme ça entre nous, mais toujours dans une bonne atmosphère.

Philippe Mailhabiau, lors de la finale des mondiaux féminins 1994 à Sydney (Brésil/Chine)
BR : Le fantasme, largement alimenté par les fans, selon lequel les instances donneraient des consignes pour favoriser telle ou telle équipe : foutaise ou réalité ?
Nous aussi, on entendait parfois des choses ou on avait des trucs qui nous paraissait bizarres, mais je certifie que je n’ai jamais eu de demandes de ce genre. Ni en face, ni un peu caché. A mon époque, ce genre de choses n’arrivaient pas jusqu’aux arbitres, cela pouvait éventuellement se passer via les délégations mais franchement, je ne rentrerai pas dans ce sujet : je n’ai pas connu et, pour moi, il n’y en a pas eu. Même si on n’est pas à l’abri, je sais que certains le disent parfois, dès que leur équipe perd et qu’il y a plusieurs coups de sifflets contraires, on entend « oui mais c’est normal, tel arbitre est de tel pays… ». Comme tout le monde, j’ai vu parfois certaines décisions qui laissaient certaines nations dans le questionnement mais rien de véritablement organisé.
« Comme tout le monde, j’ai vu parfois certaines décisions qui laissaient certaines nations dans le questionnement mais rien de véritablement organisé. »
BR : Quel est votre meilleur et votre pire souvenir de ces 3 Euros ?
Je dirais que je n’ai pas de pire souvenir. J’ai eu la chance de faire des grosses équipes, j’ai eu la chance de vivre un rêve éveillé parce que, je ne sais pas si vous vous imaginez, moi j’arrive de la Nièvre, d’un coin où il n’y a rien niveau basket.
J’ai eu la chance de monter très vite, j’étais joueur au départ et les gens qui m’ont décelé, finalement, ils ne se sont pas trompés parce que derrière, j’ai aussi fait ce qu’il fallait et même s’il y a peut-être un don pour arriver au niveau où on était, on est un peu barjot aussi, des fois !
Moi je me dis, dans tout ma carrière d’arbitre, j’ai eu des matchs où je n’ai pas été très bon, j’ai eu beaucoup de matchs ou j’étais correct (quand je vois des matchs d’aujourd’hui et quand je vois ce qu’on demande aux arbitres maintenant je me dis « bin, nom de Dieu, je serais même pas en Département ! »). Mais je pense que j’avais une très forte personnalité et ça passait très bien avec les joueurs.
Au niveau des championnats d’Europe, je n’ai pas de mauvais souvenirs. Le seul que j’ai, c’est qu’on m’a piqué ma valise au retour de Rome en 91 avec toutes mes affaires et les cadeaux reçus, elle a transité vers Atlanta mais elle a pas été perdu pour tout le monde, si tu vois ce que je veux dire !
BR : Revenons sur la grosse polémique entourant l’arbitrage de la finale de l’Euro 1995 à Athènes dans un contexte géopolitique tendu, avec le retour en compétition de la Yougoslavie. Les coups de sifflets de l’arbitre américain George Toliver avaient provoqué l’ire des Lituaniens et en particulier de Sabonis et Marciulionis.
L’Américain George Toliver prenait cela par-dessus la jambe. En plus, il ne connaissait pas nos règles. C’est quelque chose que j’ai vécu aussi lors des JO de Barcelone ou un arbitre américain s’était planté en VTT dès le premier jour de compétition. Ils n’avaient pas du tout la notion de championnat d’Europe de basket. Je n’ai pas peur de le dire : ces mecs-là venaient en vacances ! Toliver, en fin de compte, il prenait tout le monde de haut. C’est ça qui a créé aussi cette polémique. C’était très compliqué.
BR : Y a-t-il plus de stress pour un arbitre sur un Euro qu’en championnat de France ?
A ce sujet, j’ai toujours dit que les compétitions internationales étaient plus facile à arbitrer qu’un Limoges / Pau ! Sur ces gros matchs, comme sur les matches avec l’ASVEL ou Antibes, on avait une grosse pression et il ne faut pas oublier qu’on était que deux sur le terrain.
« J’ai toujours dit que les compétitions internationales étaient plus facile à arbitrer qu’un Limoges / Pau ! »
Une fois qu’on était sur place, à l’étranger, on se créait une petite bulle. On est pris dans un ambiance et on reste focus. On peut toujours se planter mais je trouve que sur ces rencontres à l’Euro, on a une confiance totale en son collègue, on a la confiance du staff FIBA quand il te désigne sur ces compétitions, on est accompagné malgré tout et on est entre nous… C’est une petite caste, les arbitres, en fait. On peut être potes mais on veut tous aller au bout ! Si on peut passer devant le copain, on le passe.
Et puis, on est sur place, il n’y a aucun problème de déplacements qui peut engendrer un stress. Le stress que l’on avait était positif mais il était vite parti dès qu’on rentrait sur le terrain, dès le premier coup de sifflet parce que je savais pourquoi j’étais, je savais ce que j’avais à faire. Il y a aussi une confiance des équipes, des entraineurs et des joueurs parce qu’ils nous connaissaient. C’est les meilleurs joueurs et normalement, c’était les meilleurs arbitres qui étaient là, ce qui n’empêchaient de se planter parfois.
Je dirais qu’on avait une communication qui était… plus facile. Parce qu’il y avait une confiance dès le départ. Même si les staffs n’étaient pas aussi fourni que maintenant, il savaient qui étaient les arbitres, quels matchs ils arbitraient dans la saison, comment cela se passait dans les championnats. Quand on arrivaient dans ces compétitions, on étaient pas étrangers : tout le monde savait qui on était et pourquoi on était là.
Moi, j’avais mes petits rituels pendant ces tournois : la sieste bien sûr et puis il fallait que je baille, c’était le bâillement de stress ! Parfois, dans le taxi, il ne venait pas et alors je me disais « merde, il manque quelque chose ! ». Il y avait aussi le rituel de la façon de faire son sac avec toujours le même timing. Ça, ce sont des choses que les arbitres ont encore maintenant, si on est pas dans le timing que l’on a d’habitude, on est gênés.

Tiré à quatre épingles, c’est le lot des arbitres internationaux (source :Maxi Basket) !
BR : Est-ce que la communication avec le collègue étranger se passait toujours bien ?
Généralement oui. Certains étaient plus ou moins bon en anglais mais on arrivait tous à communiquer, aussi bien sur le terrain qu’en dehors. Ces rapprochements-là étaient très bénéfiques pour moi qui aime bien parler des langues étrangères. Je progressais en anglais, en espagnol. C’était la partie que j’aimais le plus : découvrir d’autres cultures, d’autres langues et d’autres pays. Cela permettait de créer des liens, les sujets étaient souvent les mêmes : les familles, nos matches, la compétition, combien on était payés pour arbitrer dans nos pays respectifs ! Cela ne change pas, ce sont les mêmes discussions maintenant !
BR : Est-ce que, pour un français, c’était compliqué d’atteindre les désignations de prestige ?
C’était compliqué, oui parce qu’il y avait beaucoup d’arbitres. Il y avait des habitudes que c’était toujours les mêmes. Par exemple, Yvan Mainini que tu citais, il raflait la majorité des grosses compet’, en plus l’équipe de France tournait pas bien à son époque. Il y avait Costas Rigas, Wieslaw Zych, Alan Richardson qui étaient abonnés aux demis ou au finales mais je ne vais pas me plaindre. Je peux avoir des regrets une fois ou deux ou je me suis dis « put…, j’étais à ça d’être en finale !» et puis, de toute façon, t’as beau être content ou pas content : c’est pas toi qui décide !

Yvan Mainini était le top arbitre français des années 80 et l’un des tout meilleurs mondiaux (source : Maxi-Basket 1989)
Oui, ça peut arriver de voir les gars qui vont arbitrer une finale et tu peux être un peu jaloux parce que tu te dis quelque chose comme « merde, je suis pas moins bon qu’eux »… Mais bon, ça fait partie des choses que je dis aux jeunes qui arbitrent aujourd’hui en NM1, la division dont je m’occupe : « Quand je recevais une désignation, je ne regardais pas combien j’allais gagner, je regardais en premier le match. L’important, c’est le match ! Et il faut que cela le reste ».
BR : Pour en revenir à aujourd’hui, dans quel domaine trouvez-vous que l’arbitrage a le plus progressé ?
(catégorique) Ah, le côté professionnel. Dans l’approche des matchs, la préparation d’avant-match. Les arbitres d’aujourd’hui sont obligés de regarder un match de chacun des 2 clubs avant de commencer leurs briefings dans la semaine, ils doivent scouter les deux équipes et ils s’appellent dans la semaine avant de faire leur brief avec l’observateur avant la rencontre. Tout cela fait que c’est beaucoup plus pro et nous, les managers, on veut qu’ils soient en perpétuelle relation entre eux.
Ils travaillent de plus en plus, ils bouffent des clips, ils bouffent de la gestion, de la méca (NDLR : de la mécanique d’arbitrage, c’est-à-dire les techniques de déplacements du duo ou trio d’arbitres), il faut être communiquant, il faut être fit et être prêt mentalement. Certains ont des coachs pour le training et certains ont des coachs mentaux. D’autres cherchent à améliorer leur posture, leur façon de faire passer des messages, pas seulement leurs coups de sifflet… On leur en demande beaucoup. On leur dit de siffler quand c’est utile pour le match et qu’ils soient en capacité de dire « j’ai pas sifflé parce que cela n’a aucun intérêt pour le match » et cela est parfois difficile à capter pour le public.

Un fois la carrière au sifflet terminée, Philippe Mailhabiau a continué de graviter sur les parquets du haut niveau. Ici, commissaire lors du All Star Game LNB 2019 et son concours à 3pts.
BR : Y a-t-il une nouvelle règle qui vous auriez aimé avoir à votre époque ?
Ah bin, les trois arbitres (rires) ! J’ai fini ma carrière avec un genou qui couinait en 2003 mais je voulais connaitre l’arbitrage à trois, qui commençait cette saison-là en Pro A.

Philippe Mailhabiau, entouré de collègues lors de son jubilé vers 2003 (Philippe Manassero, Goran Radonjic et les jeunes Rémy Perier et Paul Antiphon)
Je vais être franc, au début, quand j’ai vu cela arriver, j’ai dit « c’est de la connerie » mais aujourd’hui, je milite pour que l’on passe à trois arbitres en NM1. Cela à un vrai coût financier mais on y arrivera sûrement dans quelques saisons… On a déjà les arbitres pour le faire car, lors des matchs amicaux de présaison, de LFB ou de Coupe de France, tous les arbitres de NM1 sifflent déjà à trois, donc ils connaissent tous cette mécanique spécifique à trois arbitres.
BR : A l’inverse, y a-t-il une règle ancienne que vous regrettez ?
Non, je ne pense pas. Je trouve qu’il faut vivre avec son temps. Aujourd’hui, on est habitué à travailler avec les règles et on va dans le bon sens. Mon seul souhait, ce serait qu’on joue partout dans le monde avec les mêmes règles.
Je pense qu’il faut s’adapter à chaque évolution, on a sûrement râlé lorsqu’il y a eu des changements de règles, mais aujourd’hui on ne s’en rappelle même plus !
J’ai un souvenir qui me revient : en 1987 lors de la finale Orthez/Limoges, ma première finale, c’est sûr que s’il y avait eu un troisième arbitre, Paul Henderson (pivot US d’Orthez) on le chopait tout de suite et il n’y a pas la baston derrière ! A cette époque-là, les mèches étant courtes, il fallait pas grand-chose pour que cela dégénère !

Au coeur de la mêlée en 1987, le jeune arbitre tente de s’interposer avec le président Seillant alors que Clarence Kea s’occupe d’Henderson déjà à terre, tandis que Jacques Monclar fait une caresse à Franck Butter.
Quand t’es désigné sur un match comme ça, tu te dis « put…, j’ai fait une bonne saison ! »
BR : Pour finir, un pronostic pour l’Euro 2025 des français ? (entretien réalisé avant le France/Pologne du 1er tour)
Cette défaite contre Israël ne veut rien dire, les Français ont été tellement mauvais qu’ils ne peuvent pas être aussi mauvais au prochain match. C’est le match suivant contre la Pologne qui va être riche d’enseignement et qui va nous dire comment on va passer au tour suivant. Je pense que si on va en quarts de finale, c’est déjà bien. Mais on peut se tromper, on l’a vu au J.O. ! Pour aller au bout, je vois bien la Serbie. Il faut se méfier aussi de l’Italie, de l’Allemagne. Si on va en demi-finale, ce serait un exploit car cette équipe est jeune, ça manque de métier et on n’a pas de pivots.
Merci beaucoup Philippe pour votre disponibilité et cette immersion dans le petit monde des arbitres internationaux !


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