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Bob Thate, le pyromane Mosellan

Portrait

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Retro

Qui aurait cru qu’un Américain, dont le rêve de NBA fut coupé court, se retrouverait dans une petite ville de moins de 8 000 habitants au milieu de la Lorraine ? C’est ce qui est arrivé à Bob Thate, joueur alors méconnu du grand public qui est devenu une star du championnat de France du jour au lendemain en devenant un scoreur d’un niveau encore jamais vu.

Bob Thate sous le maillot des Los Angeles Lakers (crédits: famille de Bob Thate pour le Los Angeles Times)

Lorsque Bob Thate signe en France, les dirigeants ne le savent pas encore mais ils ont mis la main sur un talent brut. Son cursus en AAWU (Athletic Association of Western Universities) sous le maillot d’USC (University of Southern California) ne laisse pas présager la moindre étincelle dans le monde professionnel malgré sa présence dans une fac reconnue : sept petits matchs pour des moyennes de 1,4 points, 0,6 rebond à 28% aux tirs et 50% aux lancers francs. Cependant il rebondit à College Occidental, une modeste fac de division 3. L’arrière d’1m86 est jugé « trop petit », mais il ne perd pas espoir et inscrit tout de même son nom à la draft NBA de 1970. Il se voit sélectionné au 17ème tour (232ème position) par les Los Angeles Lakers, alors finalistes battus par les New-York Knicks. Dans une équipe aussi compétitive, il est assez logiquement écarté du groupe avant le début de saison. Rien ne le prédestinait à une grande carrière. C’est lors d’un match d’exhibition en Italie durant l’été 1971 aux côtés de son ami Jerry Cluckey que les dirigeants du SSN font la rencontre de « L’artilleur ». Dans la foulée, il pose ses valises à Nilvange, petite ville de Lorraine avec une honnête équipe de nationale 2 (équivalent de la Pro B actuelle) qui avait déjà connu l’élite avec trois saisons en nationale 1 (Betclic Elite actuelle) quelques années auparavant (1951-1952, 1953-1954 et 1965-1966). En arrivant dans une équipe dont les ambitions sont de retrouver l’élite du basket français, les systèmes sont simples : donner le ballon à Thate et laisser ce jeune prodige enchaîner les cartons offensifs. Une confiance que l’équipe lui devait par ses heures supplémentaires d’entraînement individuel, preuve du bourreau de travail qu’il était :

« Je bossais au minimum deux heures supplémentaires avant et après chacun de nos entraînements, pour améliorer mon dribble, mon shoot, ma condition, et ma force physique. J’ai démontré ma détermination à être mieux préparé que n’importe qui qui défendrait sur moi. » (Maxi Basket)

Les résultats sont sans appel : meilleur marqueur de nationale 2 avec 43 points de moyenne (un record) et surtout une montée en nationale 1. La région n’a pas tardé à découvrir ce scoreur fou auteur d’un match vertigineux à 74 points contre Sochaux. La SS Nilvange remplissait sa salle en grande partie pour son numéro 10. A une question de Joseph Hochard sur sa vie en France, il témoigne :

« Le pays est beau et l’on vit bien. J’ai eu, surtout, la chance de tomber dans une région où j’ai été adopté d’emblée et où l’on a tout fait pour me mettre à l’aise dès mon arrivée. Et puis, avec mes dirigeants, mon entraîneur et mes coéquipiers, nous formons une grande famille. Je me garderai bien, par ailleurs, d’oublier le public Nilvangeois. Il est tout simplement épatant et me rappelle beaucoup celui que l’on voit assister aux rencontres disputées en Amérique. » (Bob Thate, l’artilleur de Nilvange)

Cependant, la nationale 1 est d’un niveau nettement supérieur, où une attaque aussi prévisible ne permet pas de remporter des matchs. Mais pas de quoi inquiéter un pyromane comme Thate :

« Je trouve le niveau excellent, compte tenu du bagage technique dont dispose la plupart des pratiquants. Je pense même qu’il connaîtra, d’ici deux ans une nouvelle et sérieuse évolution. Aux USA, les professionnels opèrent un ton au-dessus des amateurs, ce qui est évidement fort compréhensible. Pour établir une comparaison, je me hasarderai à avancer que le niveau de basket pratiqué par les six ou sept meilleures équipes françaises de Nationale 1 est équivalent sinon supérieur à celui de bon nombre de formations universitaires américaines » (Bob Thate, l’artilleur de Nilvange)

Fraîchement promu en nationale 1 avec les équipes de l’ASPTT Nice, Paris U.C et Vichy, les objectifs sont simples : se maintenir. En revanche, la stratégie reste la même : tout pour Bob Thate. Il se régale des passes d’Albert Bassetto après avoir bénéficié des écrans de Jerry Clukey, lorsqu’il ne fait pas la différence par lui même en isolation. Même le plus haut niveau du basket français ne parvient pas à l’arrêter et il enchaîne les performances XXL avec quatre rencontres à plus de 50 points dont un pic à 63 unités contre Antibes (proche du record de 71 points de Jean-Pierre Staelens en 1967). Tous ces tirs, toutes ces performances n’ont pas de quoi le surprendre, soulignant le fait que son omniprésence dans l’attaque de Nilvange est tout sauf un hasard :

« Tout était normal dans cette saison 1972-73, que je marque beaucoup de points faisait partie des plans de l’équipe pour gagner des matches. » (Maxi Basket)

Il parvient à décrocher le record de la meilleure moyenne de points sur une saison jusqu’alors détenu par Randle « LC » Bowen avec 34 unités datant de… la saison précédente. Ses 38,9 points par matchs figurent encore aujourd’hui au sommet du championnat de France ; au terme d’une saison monstrueuse où il affiche un total de 1 169 points soit 46,5% des points de son équipe. Au passage peu avant la mi-saison (il n’avait pas encore joué contre toutes les équipes), il ne manque pas de faire les louanges de ses compatriotes évoluant en France lors de la même saison :

« Je nommerai à titre provisoire Riley et Sadlier (Caen), Bennett (Antibes) et Purkisher (Villeurbanne). Mais il y en a indiscutablement d’autres qui mériteraient de figurer dans cette liste. » (Bob Thate, l’artilleur de Nilvange)

Malgré un début de saison compliqué, entre calendrier difficile et accident, il reste confiant et croit en son équipe :

« La S.S Nilvange dispose d’une bonne équipe, qui devrait pouvoir conserver sa place en Nationale 1. Elle a certes connu un début de saison assez laborieux. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’elle compte de nombreux jeunes dans ses rangs dont l’adaptation au rythme de la Nationale 1 s’est faite dans les conditions quelques peu brutales : Villeurbanne, Antibes, Denain, Le Mans, Berck… pour un baptême du feu, c’est évidemment un peu salé. Puis, il ne faut pas oublier que nous avons été littéralement traumatisés par l’incendie qui a ravagé une partie de la salle des sports de Nilvange. Mais nous prouverons notre véritable valeur dans les semaines à venir et nous devrions nous en tirer à notre avantage. » (Bob Thate, l’artilleur de Nilvange)

La saison de tous les records certes, mais les résultats ne suivent pas. Avec un bilan de 2 petites victoires, 1 match nul (oui, les règles le permettaient) et 27 défaites, Nilvange termine 16 ème et bon dernier du championnat et se retrouve relégué en nationale 2 (tandis que Berck remporte le premier titre de Champion de France de son histoire). Finalement, la S.S Nilvange n’est jamais parvenu à retrouver l’élite depuis le départ de Thate qui sillonne les autres clubs du championnat de France, restant en première division entre Caen et Evreux. Malheureusement, il ne parvient pas à égaler son niveau, mis en difficulté par un environnement et une équipe différente, freiné par un rôle nettement moins indispensable, il finit par rentrer au pays.

Bob Thate sous le maillot de la S.S Nilvange (crédits: DR)

Après avoir raccroché, il ne s’éloigne pas pour autant de la balle orange en devenant entraîneur au niveau universitaire pendant treize ans, entre Pepperdine, Loyola, UCI et Long Beach State ; parvenant à se créer une réputation de recruteur de qualité. Puis il décide en 1993 de prendre plus de temps pour s’occuper de sa famille en reprenant l’équipe du lycée Santa Ana Foothill durant dix ans. Au beau milieu des années 2000, Bob Thate sort de sa retraite et parvient enfin à intégrer la NBA en œuvrant à l’accompagnement du tir individuel aux New Jersey Nets entre les saisons 2005-06 et 2007-08. En parallèle de cela, il crée sa fondation « ABC’s of Shooting » où il aide au développement de la mécanique de tir de joueurs de tout niveau tel que des lycéens, universitaires, professionnels et même des joueurs NBA (Jason Kidd, Lebron James, Nenad Krstic, Mike Miller, Luke Walton et Lazar Hayward pour ne citer qu’eux). Puis il revient dans la Grande Ligue pour le même poste cette fois avec les Los Angeles Clippers de 2012-13 à 2014-15 et se voit promu assistant coach pour l’exercice 2015-16. Il est ensuite nommé assistant coach des Memphis Grizzlies de 2016-17 à 2017-18 avant de revenir à nouveau son poste d’entraîneur individuel au tir pour la saison 2018-19.

Bob Thate devenu entraîneur individuel au tir pour les Los Angeles Clippers (crédits: Cheryl A. Guerrero / Los Angeles Times)

L’histoire de Bob Thate, c’est celle d’un talent passé sous les radars, rebondissant en France, déterminé à briller et à mettre la lumière sur une petite ville de Lorraine. Son nom restera à jamais gravé dans l’histoire du championnat de France, avec un record qui ne risque pas de tomber de sitôt. Même après son décès le 8 juin 2023, il reste présent dans les mémoires de la région, connu comme le Capitaine de la « Dream Team Nilvangeoise » dont la salle a été renommée en son nom en 2005.

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About Léo Daulon-Nicolas (14 Articles)
Etudiant en L2 Information-Communication dans l'objectif d'entrer dans le monde journalisme. Beaucoup de sujets historiques avec un peu d'actualité sur la NBA et le basket en général, l'histoire n'a pas fini d'être racontée dans un devoir de mémoire des plus grandes légendes.

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