NBA : les distinctions disparues
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Si la fin de la saison régulière rime avec le début des playoffs, c’est également la période où la ligue récompense les performances individuelles de ses principaux acteurs à travers des titres aujourd’hui bien établis (MVP, DPOY, ROY…). Mais toutes les distinctions ne résistent pas aussi bien à l’usure du temps. Deux trophées ont ainsi disparus.
LE TROPHEE DU COMEBACK, UNE ETHIQUE EN QUESTION
A l’aube de la saison 1980-1981, la NBA songe à introduire de nouvelles distinctions individuelles dans l’optique de capter l’intérêt des fans. A l’époque, seuls deux trophées individuels sont décernés, le MVP et le Rookie de l’Année. La ligue va alors chercher à s’inspirer de ce qui se fait dans les autres sports US pour introduire sa nouvelle récompense, débouchant ainsi sur la création du « Comeback Player of the Year Trophy ». Déjà existant (et encore décerné aujourd’hui) en NFL et en MLB, ce trophée vise à récompenser le retour au meilleur niveau d’un joueur après une baisse de régime ou une blessure. Le lauréat était désigné par un panel de soixante-dix huit médias (trois dans chaque ville possédant une franchise et neuf médias nationaux).

En 1981, l’ancienne gloire des New York Knicks Bernard King inaugure ce nouveau trophée en bouclant sa première saison aux Warriors avec 21,9 points de moyenne. Un retour au jeu remarqué après une saison à seulement dix-neuf matchs du côté du Jazz, mais qui vient aussi soulever des questions au sein de l’opinion publique. En effet , la saison de King à Salt Lake City avait été écourtée en raison d’une suspension suite à des poursuites judiciaires pour agression sexuelle et consommation de cocaïne. Après un séjour de plusieurs mois dans un centre de réhabilitation, il avait finalement été transféré aux Warriors. A peine introduite, l’opprobre était déjà jetée sur cette nouvelle distinction.
Cette question sera provisoirement laissée en suspend, le débat étant atténué par les vainqueurs suivants au passif plus « classique ». En 1982, c’est Gus Williams qui rafle la mise après une saison blanche en raison de problèmes contractuels. Pour son retour sur les parquets, le meneur des Sonics signe l’un des meilleurs exercices de sa carrière avec 23,4 points par match, lui valant une première sélection pour le All Star Game. L’année suivante, c’est l’arrière des Knicks Paul Westphal qui lui succède, sortant d’une saison à 10 points et 5,5 passes de moyenne après avoir manqué soixante-quatre matchs auparavant suite à une fracture du pied. Enfin, en 1984, Adrian Dantley s’impose comme une évidence pour les votants en terminant meilleur scoreur de la ligue, un an après avoir subi une opération de l’épaule qui lui avait fait manquer soixante matchs.

(crédit : NY Times)
Mais après cette courte accalmie, des doutes vont resurgir au sein de la ligue sur les problèmes éthiques que soulève ce trophée. Récemment nommé commissionnaire, David Stern veut faire de la NBA un spectacle avant tout familial, motivant la mise en place de mesures pour en finir avec les histoires de bagarres et de drogues qui gangrenaient le basket américain depuis près d’une décennie. Autant dire que lorsque Michael Ray Richardson puis Marques Johnson sont récompensés pour leur comeback en 1985 et 1986 après avoir purgé une suspension pour consommation de stupéfiants, la crédibilité du trophée est sérieusement remise en cause.
Au cours de la saison 1986-1987, Russ Granik, alors porte-parole de la NBA, annonce la suppression définitive du Comeback Player of the Year Award. Officiellement, cette décision est justifiée par le manque de critères clairs pour désigner un vainqueur. Officieusement, il est évident que le profil des lauréats commençait à poser un réel problème, d’autant plus que les deux favoris pour le titre avant l’annonce de la ligue étaient John Lucas et Walter Davis, eux aussi de retour après une suspension liée à la drogue. Ce scénario aurait très probablement été amené à se répéter, les suspensions se multipliant dans le cadre de la politique anti-drogue de David Stern.
Pour éviter qu’un vide ne s’installe, la ligue créera dans le même temps une autre distinction qui, elle, a résistée à l’usure du temps : la meilleure progression de l’année. L’idée était globalement la même, à savoir récompenser l’évolution positive et spectaculaire d’un joueur d’une saison à l’autre, tout en écartant les profils « problématiques » du scrutin à l’avenir.
IBM AWARD, LA SCIENCE AU SERVICE DU SPORT
Au basket comme ailleurs, les distinctions individuelles sont régulièrement la source de nombreux débats. Une affirmation rendue d’autant plus vraie par la technologie qui, via les réseaux sociaux, donne l’occasion aux fans du monde entier de confronter leurs avis. Mais il fut un temps où ce progrès technologique proposait, au contraire, de couper court à toute distinction. Comment ? En désignant le meilleur joueur de la saison mathématiquement !
Le projet naît au début des années quatre-vingt dans le cadre du partenariat entre la NBA et la société d’informatique IBM. La ligue cherche alors à mettre en avant son nouvel associé à travers une récompense de fin de saison. Le géant de la tech va répondre à cette requête avec une proposition assez folle : mettre au point une formule mathématique qui désignerait le joueur le plus impactant de la ligue au terme de chaque saison. Le procédé repose sur un simple calcul qui soustrait l’impact négatif (ballons perdus, tirs ratés) à l’impact positif (points, rebonds, passes, interceptions, contres), le tout multiplié par le pourcentage de victoire de la franchise où le joueur évolue. Pour faire la promotion de la marque, un ordinateur IBM serait remis au lauréat en guise de trophée. Introduit pour l’exercice 1983-1984, l’algorithme de IBM désignera Magic Johnson comme le joueur le plus impactant de la saison, là où les médias remettront le MVP à Larry Bird. Le meneur des Lakers bouclait sa saison régulière avec 17,6 points, 7,3 rebonds, 13,1 passes et 2,1 interceptions de moyenne dans une équipe des Lakers qui avait remporté 54 matchs, lui valant un indice IBM de 98,81 (contre 92,01 pour Bird).

Au fil des années, le trophée va progressivement gagner en légitimité, s’imposant même chez certains journalistes comme un argument de taille dans la course au MVP (plusieurs médias de Salt Lake City utiliseront la remise de l’IBM Award 1998 à Karl Malone pour légitimer son dossier dans la course au MVP). Néanmoins, des critiques vont aussi commencer à s’élever vis-à-vis de la formule utilisée par IBM, et leur définition « d’efficacité ». En effet, l’algorithme de l’entreprise donnait une telle importance aux chiffres qu’ils finissaient plus par avantager les joueurs aux statistiques volumineuses et complètes que réellement impactant. Ce détail donnait à l’époque un avantage considérable aux intérieurs qui trustaient les premières places du classement chaque saison. Magic Johnson et Michael Jordan seront d’ailleurs les deux seuls extérieurs à mettre la main sur le trophée entre 1983 et 2002. Ce système donnera également lieu à plusieurs lauréats inattendus, avec entre autre Dennis Rodman en 1992, Grant Hill en 1997 ou encore Dikembe Mutombo en 1999.
Au fil des années, voir une concordance entre les votes pour le MVP et les résultats de l’algorithme créé par IBM va en réalité devenir très rare, relevant même de l’exception. En dix-neuf saisons, l’IBM Award ne sera remis qu’à trois joueurs MVP la même année : David Robinson en 1995, Shaquille O’Neal en 2000 et Tim Duncan en 2002. Il sera également décerné à deux rookie de l’année (Michael Jordan en 1985 et David Robinson en 1990) et un défenseur de l’année (Hakeem Olajuwon en 1993). Chose encore plus étonnante, Michael Jordan ne remportera aucun IBM Award durant la décennie 1990, là où David Robinson en décrochera cinq en l’espace de sept ans.
Mais malgré cette volonté d’objectivité absolue, l’IBM Award a toujours peiné à s’imposer comme une récompense majeure aux yeux du public. Son modèle rigide et neutre en toute circonstance peine à séduire dans une période marquée par la narration autour de la domination des Bulls. Après presque deux décennies d’existence dans le paysage de la grande ligue, l’IBM Award va finalement disparaître d’une manière assez…brutale. Au terme de la saison 2001-2002 qui verra la victoire de Tim Duncan, plus aucun lauréat ne sera désigné. Sans aucune annonce officielle, la NBA a mis fin à sa collaboration avec le géant de la tech, sonnant le glas du trophée associé à l’entreprise. En parallèle, la ligue introduit au même moment les premières statistiques avancées, notamment le « Player Efficiency Rating » (PER) dont la formule s’approche beaucoup de celle utilisée autrefois par l’algorithme de IBM.

Même s’il ne sera jamais vraiment parvenu à se faire une place dans le coeur des fans, la prépondérance des statistiques dans le paysage des médias sportifs aujourd’hui place l’IBM Award comme une sorte d’outil visionnaire, certes imparfait, mais qui avait déjà saisi à l’époque la place que pouvaient jouer les chiffres dans le monde du sport.


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