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[ITW] Nicole Pierre Sanchez : « Sur le plan publicitaire, les « petites françaises », c’était très vendeur ! »

Interview

Basket Retro a eu la chance de rencontrer Nicole Pierre Sanchez, une pionnière du basket français. Plus jeune joueuse de l’histoire de l’équipe de France (sélectionnée à 16 ans et 11 mois pour la première fois), elle revient pour nous sur son histoire personnelle. Découvrez le récit d’une carrière, mais aussi d’une époque.

Basket Retro : Pouvez vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ?

Nicole Pierre Sanchez : Je suis Nicole Pierre Sanchez, mariée à Michel Sanchez, un ancien volleyeur de l’équipe de France. Je suis née en 1942 à Saint-Germain-en-Laye, j’ai commencé le basket là-bas d’ailleurs. Mon père était à la direction du Saint-Germain Football, qui est devenu le PSG depuis, donc j’allais à tous les matchs de foot. Je pense que si le football féminin avait été ce qu’il est aujourd’hui, j’aurais fait du foot parce que j’adorais ça.

Donc quand j’ai voulu faire du sport, j’ai choisi le basket dans ce club. C’était un club omnisports, comme souvent à l’époque. J’ai commencé à 13 ans et demi, je faisais déjà un peu de basket, de foot, de volley à l’école et avec des copains. A l’époque on joue en extérieur avec des ballons en cuir. Souvent on devait balayer le terrain quand il était mouillé. C’était vraiment une autre époque.

BR : Très vite, vous vous faites remarquer et vous rejoignez un grand club.

NPS : Oui, à l’époque il y a trois clubs possible à Paris. J’ai 15 ans et on avait dit à mes parents que l’entraîneur du PUC (Paris Université Club) était vraiment bon, donc j’y suis allée. L’équipe venait d’être championne de France en 1957. Sauf que l’entraîneur a pris sa retraite juste quand je suis arrivée, donc j’ai eu un entraîneur très jeune, Pierre Breysse, qui avait à peine 19 ans.

Je m’entraînais avec l’équipe première dès mon arrivée en 1958. Il y avait un mélange de filles très « vieilles » qui avaient 25 ans, et des plus jeunes, comme moi. Elles nous ont très bien acceptées, et on a été championnes de France en 1960, 61, 63 et 64.

Le pauvre Pierre Breysse était jeune. Il avait des filles qui avaient de l’expérience, donc il était très dur avec nous, pour se faire accepter je pense.

Nicole Pierre Sanchez qui, en dépit de sa moindre taille, remporte un entre-deux face grâce à sa détente. © Nicole Pierre Sanchez

BR : Est ce que cela vous a permis de participer à des championnats d’Europe ?

NPS : On a fait un premier tour de coupe d’Europe la première année, 2 victoires contre Coïmbra, une équipe portugaise, mais on a pas pu continuer parce qu’on était un petit club complètement amateur sans le sou.

Par exemple, nos maillots étaient blancs, on avait aucune aide. On devait coudre nous-même nos numéros. On nous payait quand même nos billets de trains quand on allait jouer loin, mais il y a eu des saisons où nous ne jouions qu’à 8. On avait pas d’équipements ! On se cotisait pour offrir un fanion aux adversaires en finale de coupe.

« S’il y avait 100 personnes c’était bien ! A l’époque, le basket féminin n’était pas connu du tout. »

BR : Il y avait du public ?

NPS : Nous en avions un peu, oui, moins qu’en province. Notre gymnase, Charlety, était sous la tribune du club de rugby. On jouait souvent à 16h30 après leurs matchs et le speaker disait au public de venir nous voir. Mes parents venaient souvent me voir jouer aussi. Ma mère avait un petit carnet où elle prenait des notes les points marqués pour toute l’équipe, les lancers francs réussis, des statistiques avant l’heure ! Mais s’il y avait 100 personnes c’était bien ! A l’époque, le basket féminin n’était pas connu du tout. C’est grâce au CUC (Clermont Université Club). Je dois leur reconnaître d’avoir permis de faire connaître le basket féminin en France.

BR : Comment êtes vous arrivée en équipe de France?

NPS : Un jour, mon père était venu me chercher au lycée à Saint-Germain, alors que j’étais en Première. Il me dit « assieds toi. J’ai une nouvelle pour toi ». On était en mai, et il venait de lire dans le journal « L’équipe » la composition de l’équipe de France féminine pour un tour en Sicile au mois d’août. Il était tellement content, je suis heureuse de l’avoir rendu fier à ce moment là car je l’ai perdu peu de temps après…

Photo rare : les équipes de France masculine et féminine, avant une double confrontation contre la Belgique. © Nicole Pierre Sanchez

BR : Donc votre première sélection a eu lieu en mai 1959.

NPS : Oui, c’est grâce à « Geo » Coste qui était arrivée un an avant. Elle a voulu bâtir une nouvelle équipe de France en s’appuyant sur des filles athlètes. Et elle m’avait vu courir, sauter etc. Je faisais beaucoup de sport à côté, de l’athlétisme notamment au CAO (club athlétique de l’ouest). J’ai été championne de France junior sur 80m haies, en saut en longueur et même au poids. J’ai eu le record de France du 80m haies !

J’ai rejoint un stage en 1958, à 16 ans et 10 mois. J’avais une particularité parce que j’ai regardé jouer les garçons et je faisais comme eux, je restais en suspension pendant mes shoots. Je pense que je suis une des premières en France à avoir utilisé le « jump shoot », les autres filles shootaient les pieds par terre.

BR : Comment expliquez vous cette particularité ? C’est étonnant qu’aucune fille n’ait essayé avant, non ?

NPS : On avait peu de temps pour s’entraîner. On avait le gymnase de Charléty le jeudi et le samedi soir de 18 à 21h. Le jeudi c’était notre seul vrai entraînement, il y avait peu de moments pour travailler la technique, c’était surtout collectif. Et toutes les filles ne faisaient pas de sport entre les entraînements. Moi si, j’avais pris l’habitude, je faisais de l’athlétisme et j’adorais le volley donc j’allais souvent m’entraîner avec mon frère le mercredi.

Donc nos entraînements d’équipe étaient collectifs, mais suffisamment pour créer une vraie dynamique puisque nous avons monopolisé le titre de championnes de France pendant plusieurs années.

BR : Vous aviez des stages un peu plus intenses avant les matchs internationaux ?

NPS : Quand on avait un match le samedi, on était 16 joueuses à être convoquées pour 12 places. Il fallait se donner à fond ! C’était à la fois une préparation et une sélection. On avait entraînement le matin, sieste l’après midi puis un autre entraînement. On allait faire un footing dans le bois de Vincennes … Mais on avait pas l’habitude de faire autant de sport, on était cuites le vendredi quand on prenait l’avion !

Là où j’ai été la meilleure c’est lors d’un stage à Boulouris, avant de partir en Roumanie. J’avais mal aux adducteurs, mais comme j’avais fait mes preuves, ça faisait 2, 3 ans que j’étais en équipe de France, j’avais quasiment pas fait le stage. Le samedi, je peux vous dire que je pétais le feu ! J’étais en super forme.

« La fédération péruvienne tenait absolument à voir l’équipe de France parce que, sur le plan publicitaire, les « petites françaises », c’était très vendeur ! »

BR : Quels souvenirs gardez vous de vos matchs en équipe de France ?

NPS : Ça va vous paraître la préhistoire, mais on jouait contre la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, l’URSS, des pays qui n’existent plus et qui étaient des sélections très fortes ! Aujourd’hui, plusieurs pays de l’ex Yougoslavie sont forts individuellement, alors imaginez si on les réunissait à nouveau …

Mon plus grand souvenir, ce sont les championnats du monde en 1964 à Lima, au Pérou. La fédération ne voulait pas nous envoyer car c’était trop cher, et qu’on avait aucune chance de ramener une médaille. Mais la fédération péruvienne tenait absolument à voir l’équipe de France parce que, sur le plan publicitaire, les « petites françaises », c’était très vendeur ! Alors ils ont insisté et Marceau Crespin, le ministre des sports de l’époque, n’a pas pu dire non. L’avion des Bulgares est passé nous prendre et on est parties un mois au Pérou, c’était extraordinaire !

On a fait un séjour formidable. On n’a pas pu se qualifier pour les poules finales, mais les salles étaient pleines et on a fait des matchs intéressants. Et on a profité du pays ! Le Pérou avait fait les choses en grand : visites au musée, excursions … Entre les matchs et les entraînements, on faisait du tourisme ! Ça ne se ferait plus aujourd’hui.

BR : Vous parliez des pays de l’Est. En période de guerre froide, vous faisiez partie des rares personnes autorisées à aller voir comment ça se passait là bas !

NPS : Oui, on a joué à Moscou, à Bakou en Azerbaïdjan, à Erevan en Arménie. Souvent les joueuses étaient bien plus fortes parce qu’elles étaient professionnelles, elles s’entraînaient beaucoup plus que nous. On a déjà battu la Roumanie, par contre la Bulgarie, la Tchécoslovaquie et l’URSS, c’étaient trois nations intouchables.

Quand on jouait contre ces équipes, si on avait voulu on aurait pu tout vendre et repartir nues! A la fin des matchs, les filles de ces équipes nous achetaient à prix d’or nos bas nylon, nos Kways, elles ne connaissaient pas tout ça ! Le chocolat aussi. En Arménie on a ramené du courrier aussi, parce qu’il y a beaucoup d’Arméniens qui ont de la famille en France et qu’il ne passait pas toujours bien.

Nicole Pierre Sanchez, mise en avant dans les médias péruviens.

BR : Vous avez commencé jeune, mais vous avez aussi arrêté très jeune.

NPS : Il a fallu que j’arrête parce que j’ai eu mon diplôme de kiné, et qu’il fallait que je gagne ma vie. En plus j’étais fiancée avec un volleyeur, kiné aussi, on voulait ouvrir un cabinet ensemble. Donc j’ai arrêté l’équipe de France et le PUC à 23 ans, c’est dommage parce que c’est l’âge où on commence à avoir de l’expérience. Je jouais encore l’été au volley sur la plage avec mon mari et mon frère, on faisait plein de tournois. Je suis un peu honteuse parce que j’ai eu quatre enfants mais je n’ai même pas produit de basketteur. Ils ont tous fait du volley, donc c’est devenu le sport qui occupait ma vie. Mon mari est devenu président du club de Quimper, et pendant 20 ans je m’occupais de la logistique et j’ai réalisé que pour avoir le plaisir de jouer sur un terrain, il faut des gens dans l’ombre qui nous permettent de le faire.

« Et de toutes façons, je n’aurais jamais quitté le PUC, parce que ce n’était pas mes valeurs. Pour moi ça ne se faisait pas, l’amour d’un club, d’un maillot, c’était important. »

BR : Et la fin de votre carrière marque aussi le début de l’ère de domination du CUC de Clermont.

NPS : A un stage, sur la fin de ma carrière, Joë Jaunay, qui venait de prendre les rênes de l’équipe de France, me dit « si tu veux continuer ta carrière, il faut venir au CUC ». Je dis, « écoutez, ça tombe bien, je viens d’avoir mon diplôme de kiné, je vais ouvrir un cabinet, je vais me marier l’année prochaine, donc ça ne m’intéresse pas. » Et de toute façon, je n’aurais jamais quitté le PUC, parce que ce n’était pas mes valeurs. Pour moi ça ne se faisait pas, l’amour d’un club, d’un maillot, c’était important. Mais il a réussit à réunir les meilleures filles de l’époque.

BR : Donc le basket a disparu de votre vie ?

NPS : Oui, des fois on me disait « mais t’as pas fait du basket toi ? ». J’oubliais presque ! Vers 2000, l’Amicale des internationaux du basket français s’est réveillée. J’ai repris le contact avec le basket à ce moment là, j’ai retrouvé des copines, des copains de l’époque. Et grâce au « club des internationaux, je garde le contact encore aujourd’hui avec le basket car je gère les bourses des jeunes et les dossiers de « Gloire du Sport » auprès de la FISF (Fédération des internationaux du Sport français), dont je suis vice-présidente.

BR : Vous continuez à suivre le basket aujourd’hui ?

NPS : J’adore l’équipe de France féminine ! Elles nous ont régalé aux JO. Une fille comme Gabby Williams, c’est une idole pour moi. Elle est complète, techniquement très bonne, elle a du cœur à l’ouvrage. J’aime beaucoup toute l’équipe, Fauthoux, Rupert, Ayayi [maintenant Vukosavljevic]… Elles ont un jeu collectif huilé, ça n’a rien à voir avec nous qui nous entraînions beaucoup moins. J’adore le 3×3 aussi, à un moment donné on avait deux ex quimpérois, dont Dussoulier et Rambeau. Je suis abonnée également au club de Quimper dont l’équipe masculine vient de valider sa montée en Pro B.

Merci à Nicole Pierre Sanchez pour son temps et son énergie !

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About Antoine Abolivier (90 Articles)
Tombé dans le basket en découvrant Tony Parker et Boris Diaw. Passionné par tout ce qui touche à son histoire que ce soit le jeu, la culture ou les institutions.

1 Comment on [ITW] Nicole Pierre Sanchez : « Sur le plan publicitaire, les « petites françaises », c’était très vendeur ! »

  1. Super !!!!

    Jacky Chazalon 0680635819 Chazalon10@gmail.com

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