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Aydin Örs, la formation dans la peau

Portrait

Montage Une : Laurent Rullier pour Basket Retro

Parfois, pour expliquer les choses, une image vaut mieux que mille mots. Dans cette optique, à l’instar du slogan du magazine hebdomadaire « Paris Match », « Le poids des mots, le choc des photos », une image fait encore le tour des amateurs de basket en Turquie. Au mitan des années 90, Efes Pilsen, que l’on connaît sous le nom d’Anadolu Efes désormais, domine le championnat local et remporte quantités de trophées. Mais, ce qui fait le sel de cette histoire est cette capacité à répéter ces performances sur la scène européenne. Pas courant dans un pays sevré de références en Europe même si cette levée de foule est à mettre au crédit du club de football de Galatasaray, précurseur et premier demi-finaliste d’une compétition européenne lors de la saison 1988/1989. Mais revenons à Efes Pilsen, donc, qui réussit à obtenir des résultats importants dans les compétitions européennes (finale de la Coupe Saporta, en 1993) et remporte même un trophée (Coupe Koraç, en 1996). Dès lors, cette photo en question renvoie aux souvenirs des passionnés avec respectivement de gauche à droite, quatre hommes se lever d’un bond : Ufuk Sarıca et son numéro 15 de joueur, Oktay Mahmoudi, coach-adjoint d’origine macédonienne, Ergin Ataman, adjoint également et l’architecte de ces victoires, Aydın Örs. Pour la petite histoire durant plus de 25 ans, hormis Örs, chacun de ces hommes deviendra à un moment coach d’Efes Pilsen-Anadolu Efes jusqu’en 2023.

Dès lors, Aydın Örs (dont le patronyme littéral signifie « enclume éclairée ») est considéré en Turquie comme l’un des maîtres du coaching turc. Celui qui a eu les plus importants résultats et a permis de centrer le pays au croissant de lune sur la carte des pays qui comptent au basket. Né à Ankara en 1946, l’homme suit un parcours linéaire agrémenté de jeu et de coaching tout au long de sa carrière tout en poursuivant des études à la faculté des sciences politiques de la ville. Par tropisme familial et en suivant l’exemple de ses frères et amis, Örs découvre le basket à partir des années 60. En écumant plusieurs clubs locaux tels que Suspor, DSI Spor ou Şekerspor, il se forme progressivement aux différentes facettes du jeu sur le terrain tout en s’intéressant à d’autres facettes du sport. En pratiquant l’athlétisme, idéal pour parfaire sa condition physique et notamment travailler le saut. Tant et si bien qu’il parvient également à être sélectionné en équipe nationale turque et fait partie de l’équipe turque qui obtient le premier « résultat » du pays. A l’Eurobasket 1973, en terminant huitième de la compétition, devant la France, dixième, Örs (35 sélections au total) et ses coéquipiers sont les premiers sportifs en sport collectif à terminer si haut dans une compétition européenne. Accompagné de son meilleur ami et futur binôme à Efes, Doğan Hakyemez (décédé en 2018), Örs évolue également avec quelques gloires nationales que les plus passionnés reconnaissent malgré les années qui passent. Citons ainsi Kemal Erdenay, père du futur arrière international Harun Erdenay, de Battal Durusel, Necmi Ton et du coach Mehmet Baturalp, ces trois derniers sont également décédés. Pour Örs, ces années à Ankara sont donc très formatrices et lui mettent le pied à l’étrier dans la construction, le développement et la gestion d’une équipe de A à Z. Ce qu’il faut également souligner et le fait que le basket de la ville en question est loin d’avoir les standards actuels en termes de développement et d’infrastructures. Tout est fait avec des bouts de chandelles et par de véritables passionnés qui mettent l’amour du jeu en avant. Performances d’autant plus remarquables qu’aucun vrai sponsor n’est présent si ce n’est les municipalités qui participent aux frais de fonctionnement.

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Toujours est-il qu’avec un travail acharné, Aydın Örs qui, sous faux airs calmes, est en volcan en ébullition et se met à la tâche de manière frénétique. Tant et si bien qu’il réussit même à attirer l’œil des clubs d’Istanbul, intrigué par cet impétrant. Pas banal pour un basket loin de tout et avec des équipes qui ne sont pas les plus clinquantes. Pourtant, de fil en aiguille, les demandes de prise en main d’équipes arrivent sur la table et l’heure est à la décision. Certes pas pour prendre en main les destinées d’une équipe professionnelle mais plutôt la formation et mettre en place un environnement de travail propice à développer de jeunes joueurs. Dès lors, la décision est difficile et la question se pose de quitter son cocon et tenter l’aventure à Istanbul ou continuer sa vie familiale et professionnelle à Ankara ? Difficile mais tout cela est rendu plus simple par l’entremise du père de Doğan Hakyemez, de Pano Natof, dirigeant d’Efes Pilsen et surtout du président du même club, Tuncay Özilhan. Chacun à leur niveau, par petites touches et en soumettant des propositions concrètes permettent à Örs de prendre la décision de sa vie. La meilleure pour lui et le basket turc :  aller entraîner au sein d’Efes Pilsen, club crée en 1976 et propriété d’un millionnaire amateur de basket. Derrière son conglomérat dédié au houblon, Efes Pilsen a de l’ambition, celui de concurrencer la principale force de frappe du basket turc de l’époque : Eczacıbaşı. Propriété de la famille du même nom spécialisée dans la pharmacie et qui performe aujourd’hui au volley-ball féminin, c’est l’équipe des années 70 en termes de résultats. C’est aussi sans doute une histoire d’égo puisque « Ecza » domine le championnat avec un triplé glané entre 1975 et 1978 puis un autre entre 1979 et 1982, entrecoupé d’un titre pour Efes lors de la saison 1978/1979. La balance est donc largement déficitaire pour l’égo d’Özilhan qui souhaite se faire voir et mettre en avant son club. Dès lors, Efes matérialise son souhait d’attirer Örs dans ses filets afin de reprendre les rênes de la formation du club au début des années 80. Sans expérience de coaching en tant que numéro 1 mais qu’à cela ne tienne, tout cela lui sert d’expérience puisqu’il peut façonner des jeunes à son image. Par ailleurs, ce poste de responsable de la formation lui permet également de coacher au niveau des équipes nationales jeunes du pays. Un beau doublé, en somme.

La Turquie des années 80 est à la croisée des chemins aussi bien politique que militaire, économique et sociologique. Après le Coup d’Etat militaire de 1980, le général Kenan Evren prend les rênes du pays jusqu’en 1989. Entretemps, à partir de 1984, une certaine normalisation voit le jour avec l’arrivée au pouvoir du futur président, Turgut Özal qui permet une ouverture économique malgré des crises institutionnelles récurrentes. Sociologiquement et démographiquement, le pays évolue également et Istanbul devient, de par les arrivées successives de l’immigration intérieure venue de l’est du pays, une énorme mégalopole. Ce qui entraîne un développement croissant à tous les étages dans cette ville-monde. Dans ces conditions aléatoires mais changeantes et phosphorescentes, Efes Pilsen remporte deux titres en 1983 sous la direction de Rıza Elverdi et surtout en 1984 pour les premiers play-offs du championnat turc sous la direction d’un entraîneur atypique et qui est en passe de marquer à jamais le métier d’entraîneur. Aydan Siyavuş, ce nom évoque les premières heures de gloire du basket turc pour de nombreux observateurs, encore aujourd’hui, près de 30 ans après sa mort. Ce descendant de la bourgeoisie stambouliote et qui a fait toute sa carrière dans tous les clubs de la métropole (ÏTÜ, Galatasaray, Fenerbahçe, Beşiktaş, Eczacıbaşı) et en équipe nationale est un homme à part dans le basket turc. Sept fois vainqueur du championnat, il est encore aujourd’hui le recordman des titres en championnat avec Eczacıbaşı – six fois et Efes, une fois. Amoureux du jeu, stratège tout autant que tacticien, prônant un basket « rock’n’roll » et adepte du changement continu, il a été un précurseur dans le jeu. Pour comparer, on dirait qu’indirectement, les coachs du Paris Basket s’inspirent de son héritage en pratiquant un basket survitaminé qui ne s’arrête jamais et a permis l’éclosion de quantités de joueurs sous sa houlette. Décédé en 1998 d’une crise cardiaque, il dédie toute sa vie au à la balle orange et a sans doute marqué un homme plus que tout autre.

En effet, avec deux passages à Efes Pilsen durant 5 saisons, entre 1983 et 1986 puis 1987 et 1989, il côtoie en tant que coach principal, son homologue des espoirs, un certain Aydın Örs. S’il n’y a qu’un an de différence entre les deux hommes, Siyavuş est dans le circuit pro depuis plus longtemps et est également un merveilleux exemple de travail et d’abnégation pour Örs. Dès lors, une grande proximité voit le jour entre les deux coachs qui s’unissent sur l’éthique de travail, valeur cardinale des deux hommes. Sur le terrain, Efes Pilsen traverse les années 80 en remportant deux titres mais, mise à part la finale de 1986, les résultats sont décevants et loin des attentes. Dépassés par leurs concurrents d’Istanbul, les « bleus et blancs » se cherchent dès lors en changeant du tout au tout chaque saison.  Des années d’errances que même l’expérience de Siyavuş n’arrive pas à juguler. Finalement, ce dernier quitte le club au début des années 90 ce qui permet l’arrivée d’un nouveau coach sur le banc, Halil Üner.

Malgré ce changement, les résultats ne suivent pas et les dirigeants d’Efes se décident enfin à donner à sa chance à leur coach des espoirs. Après plus d’une décennie à entraîner les jeunes du club d’Efes, avec des résultats concluants, notamment quatre titres glanés dans leurs catégories d’âges, l’heure d’Örs sonne enfin. La saison 1991/1992 voit donc débarquer sur le banc en février 1992, Örs comme entraîneur principal, ce qui lui permet de prendre en charge sa première équipe professionnelle. A 45 ans, avec une expérience poussée au sein du club et des joueurs qu’il a côtoyés, formés et envoyés en équipe première, l’heure de gloire sonne littéralement. Dès son arrivée, Efes Pilsen revient dans la course et remporte le titre lors de cette saison en disposant de Paşabahçe en finale, club qui dépose le bilan dans la foulée, par ailleurs. Belle prouesse certes mais le meilleur est à venir dès la saison suivante avec des records à la pelle.

Dans l’imagerie populaire, cette année 1992 est celle d’un basculement entre la victoire du Partizan Belgrade à Istanbul face à la Joventut Badalona sur un trois points d’Aleksandar Djordjevic sur fond de guerre en ex-Yougoslavie et les JO de Barcelone qui voient le basket prendre une plus grande ampleur avec l’arrivée des pro de la NBA. Pour le basket turc en général et Efes Pilsen en particulier, la saison 1992/1993 est à marquer d’une pierre blanche. Dans un premier temps, le club investit sur deux joueurs étrangers afin de densifier l’équipe. Le Macédonien Petar Naumoski (24 ans) débarque au poste de meneur lui qui ronge son frein dans le club yougoslave de Jugoplastika depuis plusieurs saisons. Pour 50000 dollars et même s’il a eu une mauvaise impression, comme il le dira lui-même en interview 20 ans plus tard d’Istanbul, Efes Pilsen réussit à l’attirer dans ses filets en lui confiant les clés du camion. Le numéro 7 ne le sait pas encore mais lui aussi a pris la décision de sa carrière en débarquant sur les rives du Bosphore. Deuxième étape, le poste de pivot est également pourvu avec l’arrivée de l’Américain Larry Richard (27 ans) en provenance de Fenerbahçe. Un joueur qui a passé toute sa carrière pro en Turquie et qui accompagne quelques pépites turques telles que Volkan Aydın, 23 ans, spécialiste du tir à 3 points et premier défenseur. Ufuk Sarıca, 21 ans, capable de prendre le jeu à son compte et la mène lorsque cela s’avère nécessaire, Tamer Oyguç, 27 ans, au poste de pivot en complément de Richard. Taner Korucu, 29 ans, capitaine fidèle du bateau et le jeune Mustafa Kemal Bitim, 18 ans, et dont le fils évolue en Euroleague de nos jours, au Bayern Munich. A part Korucu, aucun joueur n’approche les 30 ans dans cette équipe avec quatre autres joueurs à 20-21 ans dans la seconde rotation.

Sur le papier, cela peut faire léger, pourtant, sur toute la saison régulière en Turquie, en comptant les 30 rencontres de championnat et les deux tours et la finale de play-offs, cette équipe de jeunes remporte toutes ses rencontres sans discontinuer. Plus loin, si l’on se fie à la fameuse data actuelle et l’analyse pointue des scores, à part une rencontre en mars 1993 contre PTT Ankara (76-74) et une autre le même mois face à Tofaş Bursa (69-65), toutes les parties sont remportées haut la main sur des scores fleuves. Une vraie domination qui se répercute également en Coupe d’Europe puisque Efes participe à la Coupe Saporta cette saison-là. Après un premier tour expédié comme une lettre à la poste face aux Roumains du Dinamo Bucarest, Efes Pilsen tombe dans le Groupe A en compagnie de Zaragoza, de Smelt Olimpija, du CSKA Moscou et de l’Hapoël Tel-Aviv notamment. Bilan des courses : 10 rencontres et une seule petite défaite. Les Turcs se permettent même le luxe de finir avec la troisième meilleur défense (707) des deux poules derrière l’Aris Salonique (689) et Zaragoza (701). En demi-finale, l’Hapoël Galil Elyon ne fait pas non plus le poids et Efes Pilsen se retrouve en finale à Turin face aux Grecs de l’Aris. Dans une rencontre cadenassée et heurtée, les Turcs perdent sur un dernier ballon mal négocié la rencontre sur un score étriqué, 50-48. Dès lors, la suite des évènements ne fait pas honneur au basket avec une bataille rangée entre… joueurs turcs et supporteurs grecs sous les yeux de la police italienne, bien passive pour le coup. Au final, cette saison est fantastique puisque sur 50 rencontres, seules deux défaites sont venues ternir ce bilan hégémonique. Plus encore, c’est le début d’une domination sans partage avec un Naumoski au zénith, un Örs qui maîtrise son équipe grâce à une défense de fer qui broie toute velléité adverse.

La saison 1995/1996 est l’apogée de la carrière de Aydın Örs avec, déjà, le retour de l’enfant prodigue. Petar Naumoski revient après un titre européen avec Trévise (la Saporta) au bercail tout change pour Efes. Ensuite, l’arrivée de Conrad McRae dynamise la raquette avec un joueur fantasque et showman à tous les niveaux. Enfin, de nouveaux joueurs prennent le relais des Volkan Aydın, Tamer Oyguç et autres Ufuk Sarıca notamment Beşok et Türkcan qui apportent leur écot quand le meneur Bora Sancar soulage Naumoski à la mène. Sans compter Murat Evliyaoğlu, le « divin chauve » turc capable de coup de sang à trois points et l’équipe a plus de profondeur et de variété.

La saison suivante est presque du même acabit en championnat avec la même équipe qui verra arrivée sur la fin de saison Tim Burroughs, un ailier-fort drafté par les Wolves, en 1992. Dès lors, des victoires à la pelle et trois défaites en saison régulière viennent couronner une finale expédiée trois victoires à une face à Ülkerspor. Une coupe de Turquie vient aussi agrémenter le tout et le tour est joué. C’est surtout sur la scène européenne, dans l’ancêtre de l’Euroleague, qu’Efes Pilsen démontre son savoir-faire, notamment défensif, marque de fabrique d’Örs. Dans le groupe B, celui des sponsors de boissons plus ou moins tolérées, Efes termine premier de son groupe devant le Panathinaïkos, le 7up Joventut et le Buckler Bologne avec la deuxième meilleure défense (957 points encaissés) juste derrière l’Olympiacos (897). Malheureusement, en quarts de finale, les Turcs sont éliminés par Barcelone, 2-1. Un plafond de verre sur lequel butera régulièrement Aydın Örs malgré des résultats probants et encourageants lors des phases de poules. La saison 1994/1995 est somme toute différente puisque Naumoski quitte le club et s’en va rejoindre le Benetton Trévise. Pour le remplacer, Efes jette son dévolu sur le meneur US Chris Corchiani. Mais il est dit que cette saison est clairement à mettre de côté puisque Efes Pilsen, malgré sa première place en saison régulière, voit Ülkerspor de Harun Erdenay et Orhun Ene lui souffler le titre. En Europe, pas mieux, les Turcs finissent à la cinquième place et sont éliminés dès la phase de poule. Seules satisfactions, les arrivées de Hüseyin Beşok et Mirsad Türkcan dans la rotation, deux joueurs qui vont prendre de l’épaisseur dès la saison suivante.

Sur la saison régulière, seulement deux défaites concédées à face Galatasaray et Fenerbahçe avant de reprendre le titre à Ülkerspor, 3-0 en finale. La coupe de Turquie est également mise dans la besace et Örs peut se concentrer sur son œuvre ultime, avec la coupe Koraç qui est un objectif du club. Une compétition qui regroupe à l’époque la fine fleur du basket européen avec des équipes de la trempe du Stefanel Milan, Fenerbahçe, l’Estudiantes Madrid, le Cagiva Varèse, le Panionios, Teamsystem Bologne, l’Alba Berlin, l’Aris, Scavolini Pesaro, Manresa, l’AEK et même l’ASVEL, demi-finaliste cette saison-là. Du beau monde et des matchs d’anthologies qui participent à la quintessence du trophée si on pense que la moitié des équipes sont en Euroleague actuellement. Pour Efes Pilsen, affronter Varèse et le Panionios avec leurs chaudes ambiances dans un premier temps puis Fenerbahçe en quarts n’a pas été une sinécure, loin de là. Des rencontres difficiles mais, les « bleus et blancs » parviennent tout de même en demi-finale où se dresse le Teamsystem Bologne de Djordjevic. Après deux rencontres dantesques dont le retour en Italie où les Turcs se plaignent de l’arbitrage de l’arbitre russe, Efes se qualifie. Place à la finale face au Stefanel du coach Bogdan Tanjević et de son trio star Gregor Fučka, Dejan Bodiroga et Rolando Blackman. Les favoris sont les Italiens clairement mais coach Örs fait montre de sang-froid et de majestueux coups tactiques. En attaquant à Istanbul et prenant à la gorge Milan, Efes Pilsen creuse un écart de 8 points (victoire turque 76-68) avant le retour en Italie une semaine plus tard. Là-bas, là encore Örs et son équipe font corps et rendent une copie propre malgré la défaite et le jeu d’échecs tourne à l’avantage du coach turc, plus à même de gérer les moments chauds. Défaite 70-77 certes mais avec les 8 points du match aller, la différence se fait sur un tout petit point. Une saison exceptionnelle, face à des adversaires de qualité et avec des héros différents à chaque rencontre. Efes Pilsen est une des plus belles équipes à voir jouer durant les années 90 avec sa défense de fer étouffante et son attaque de feu. Surtout, ces victoires exaltent le sentiment de fierté nationale et permettent au basket turc de provoquer une bascule. A coups d’investissements et d’arrivées de joueurs confirmés, au détriment parfois, surtout ces dernières années, de la formation locale, les équipes se renforcent et obtiennent des résultats rapidement. En ce sens, le travail d’Aydın Örs a permis l’émancipation et la libération du basket turc sur la scène européenne en brisant ce plafond de verre qui empêchait les clubs d’avancer. Quelque part, les victoires sur la scène européenne des Fenerbahçe, Galatasaray et autres Beşiktaş ont été pavées par le chemin tracé par Efes Pilsen et son mentor.

Efes Pilsen et son coach ont érigé la formation locale au rang de mantra, c’est un fait. La moyenne d’âge de l’équipe première gonflant aussi rapidement que l’arrivée de joueurs reconnus sur la scène européenne les saisons suivantes. Si la saison 1996/1997 est réussie avec l’obtention du titre national (deux petites défaites sur la saison) et la coupe de Turquie et malgré un parcours européen remarquable, puisque Efes Pilsen termine en tête des deux poules disputées, le club se heurte une nouvelle fois à ses limites. Les quarts de finales de l’Euroleague sont le mur impossible à franchir pour Efes Pilsen et son coach et ironie de l’histoire à chaque fois face des clubs en vert. Efes Pilsen se fait tout d’abord éliminer par les verts de l’ASVEL du génial meneur US Delaney Ruud et du coach Greg Beugnot. En dépit de la présence de Naumoski, Aydın, Oyguç, Sarıca, Evliyaoğlu, Beşok, Türkcan et avec les arrivées de Mark Pope, Vasily Karasev et du jeune Hidayet Türkoğlu formé au club avec son ami Ömer Onan, l’ASVEL se qualifie à Istanbul face à des Turcs désabusés. Une saison en forme de copié-collé avec la suivante mais en pire avec un titre perdu face à Ülkerspor et un nouveau quart de finale perdu sur la scène européenne face aux verts du Benetton Trévise… Ironie de l’histoire, la saison suivante encore, même combat, cette fois face à Tofaş et au Žalgiris Kaunas (en vert également). Bref, la fin de l’histoire semble tout droit se dessiner pour Aydın Örs malgré des transferts coûteux tels que Zoran Savic, Predrag Drobjnak, Marc Jackson ou encore Damir Mulaomerović. Une certaine usure s’installe et ce qui devait arriver arriva avec le départ, après un match contre le club d’Izmir, Pınar Karşıyaka, du coach mythique d’Efes Pilsen remplacé par son adjoint, un certain Ergin Ataman lors de la saison 1999/2000.

Au total, Aydın Örs à Efes Pilsen, c’est 11 ans avec les jeunes et 8 ans avec les pros. 13 trophées glanés en comptant les quatre coupes du Président et quatre titres avec les jeunes. Surtout, le nom de Örs évoque Naumoski et son jeu si spécifique, une défense intense, étouffante et qui se conjugue avec les nombreux joueurs turcs formés au club. Dès lors, à 54 ans, que peut bien faire un coach turc de cette trempe ? Se reposer, partir à l’étranger ou bien reprendre les rênes de la sélection nationale ?  C’est cette dernière option qui est choisie par Aydın Örs qui se voit confier à partir de 2001, l’avenir des « 12 Dev Adam », les « 12 Grands Hommes », surnom des joueurs de l’équipe nationale turque. Avec pour mission de préparer la troupe pour l’Eurobasket qui aura lieu en août 2001… en Turquie.

La Turquie en équipe nationale, c’est de nombreuses participations à l’Eurobasket mais bien souvent avec des résultats médiocres voire catastrophiques. Les performances sont tellement peu en adéquation par rapport aux résultats des clubs qu’il est difficile de se projeter pour les coachs. Aydın Örs pourtant a plus de ressources et une idée précise derrière la tête. Tenter de faire un coup à domicile lors de l’Eurobasket qui aura lieu entre Istanbul, Ankara et Antalya en août et septembre 2001. Pour cela, petit à petit, il apporte au sein de la sélection des joueurs qu’il a connus et formés notamment à Efes Pilsen en s’appuyant sur la génération de 1979. A l’instar des los « Niños de oro » espagnols, celle-ci est composée du meneur Kerem Tunçeri, Hidayet (pas encore Hedo) Türkoğlu, Mehmet Okur (tous trois nés en1979) ainsi que Mirsad Türkcan (1976), Ömer Onan (1978) et Hüseyin Beşok (1975). Pour les accompagner, les expérimentés Orhun Ene, Harun Erdenay de 1968, Haluk Yıldırım et Ibrahim Kutluay, accompagnés par Kaya Peker et Asım Pars pour terminer la rotation.

Du jeune, du dynamique, du tir à trois points et du muscle avec un zest de génie (de folie ?) avec le duo « Yougo » Türkcan- Türkoğlu puisque les deux joueurs sont originaires des Balkans. Le résultat est incertain certes mais à domicile face à l’Espagne, la Lettonie et la Slovénie, tout est possible se disent les spécialistes. Dès lors, après deux victoires sur la Lettonie et l’Espagne et une défaite face à la Slovénie, les Turcs se qualifient pour les quarts de finale face au troisième du Groupe C, la Croatie. Une rencontre qui voit Mirsad Türkcan se mettre à l’honneur avec un double-double de 20 points et 14 rebonds pour une victoire après prolongation, 87-85. Direction la demi-finale face à l’Allemagne de Dirk Nowitzki et cette fois-ci, le trio Kutluay (24 points), Beşok (13 rebonds) et Türkoğlu (8 passes dé) se met en valeur avec une victoire… après prolongation qui envoie la troupe de Örs en finale face à la Yougoslavie de Stevislav Pesic. Face aux favoris ultimes, après une première mi-temps dominée par la Turquie, les coéquipiers de Bodiroga prennent le large et remportent finalement le trophée, 78-69. Qu’à cela ne tienne, cette deuxième place est belle et permet à la Turquie de remporter sa première médaille en Eurobasket le 9 septembre 2001, deux jours avant les attentats de New-York. USA justement, en 2002, les hommes d’Örs ont également le droit de disputer le championnat du monde à Indianapolis qu’ils terminent à la neuvième place. 2003 arrive dès lors vite et les Turcs se retrouvent dans la même poule que la Croatie, la Grèce et l’Ukraine. Avec deux victoires et une défaite face aux ennemis héréditaires grecs, la bande à Ibrahim Kutluay s’offre le droit d’affronter en huitièmes de finale la Serbie-Monténégro avec à la clé, une élimination 80-76. La Turquie terminant à la douzième place de la compétition. Au final, le mandat d’Aydın Örs passe du haut de gamme avec une médaille d’argent à une douzième place mais sous un format un peu bancal, la Turquie terminant l’Eurobasket 2003 avec le même nombre de défaites (2) que l’équipe de France, quatrième. Cependant, il a posé les jalons qui permettront à d’autres équipes turques de performer notamment en 2006 au Japon lors du championnat du monde ou en 2011 lors d’un autre championnat du monde, en… Turquie.

2003 n’est pas seulement une année de sélection, c’est aussi le point de départ vers un club chéri par le coach Aydın Örs sur sa dernière ligne droite professionnelle. En effet, malgré des approches à la fin des années 70, puis dans les années 80, comme il le relate lui-même en interview, le Turc rejoint enfin Fenerbahçe, club qu’il soutient depuis sa prime jeunesse. Prenant la succession de Murat Özgül à 57 ans mais la formation du « Fener » est loin d’être clinquante. Il s’agit donc pour Örs de remettre de l’ordre et pour cela, dès la saison suivante, en 2004/2005, le coach turc s’appuie sur Ömer Onan, formé à Efes et le Bosniaque Damir Mršić, arrière reconnu en Turquie. Avec le fantasque Marc Salyers et Chris Booker pour compléter la rotation, Fenerbahçe termine à la quatrième place du championnat et se fait éliminer par… Efes Pilsen en demi-finale (3-1). Mais c’est à partir de la saison 2005/2006 que les germes de la formation sont plantés. Sur le papier, Fenerbahçe est encore loin de ses standards et termine septième tout en étant de nouveau éliminé par Efes dès les quarts. Mais, en coulisses, du sang frais arrive avec les pivots et futurs joueurs NBA, Ömer Aşık et Semih Erden, 19 ans tous les deux, ainsi que le futur capitaine d’Efes, Doğuş Balbay, 16 ans. Alors, les résultats ne sont pas là mais la dernière année de coaching d’Aydın Örs lui offre sur un plateau un bel échantillon de fusion-acquisition digne du Cac 40.

Explications nécessaires : Fenerbahçe est un club omnisports mais la saison 2006/2007 est un peu spéciale puisque le club d’Ülkerspor, anciennement champion de Turquie et qui a vu pléthores d’internationaux évolués dans ses rangs rend son tablier définitivement. Le sponsor principal du club, nom de famille et fabricant de biscuits très connu en Turquie, décide de se retirer du basket. Dès lors, la dénomination et les joueurs restent sur le carreau. L’occasion est donc rêvée pour Fenerbahçe, par ailleurs sponsorisé par… Ülker de rafler une bonne part de ce dessert en y intégrant presque tous les joueurs de feu Ülkerspor dans ses rangs.

Ira Clark, Oğuz Savaş, Mirsad Türkcan, Ibrahim Kutluay débarquent directement au « Fener ». Avec déjà la présence d’Ömer Onan, du musculeux letton Kaspars Kambala et Eddis Basden, l’équipe a fière allure d’autant plus avec l’arrivée du meneur Will Solomon. Une saison de rêve se met en place avec une première place en championnat avec seulement deux défaites. Puis des quarts rondement menés avec une belle victoire face à Darüşşafaka, 3-1. Un petit 3-0 face aux ennemis de Galatasaray en demi et voici la finale tant rêvée par des millions de fans du club. Une sorte de baroud d’honneur, également, pour Örs qui retrouve son club de toujours face à son club de cœur. Victoire 4-0 derrière le trio Mršić, Solomon et Türkcan. Un dernier titre, le sixième à une unité de son ami Aydan Siyavuş, face à Efes Pilsen et avec des joueurs dominants tels Onan et Türkcan formés par ses soins. Quoi de plus beau d’autant que Fenerbahçe remporte son second titre après celui de 1991, une éternité à l’échelle locale et prend son envol à partir de cette saison vers des cieux plus dorés.

Passé maître du coaching, que retenir de la carrière d’Aydın Örs ? Ses années de formation au sein de l’académie d’Efes Pilsen ? Ses années 90 glorieusement répertoriées dans la légende du basket turc ? Ses rencontres avec des amis et mentors qui ne sont plus ? Son parcours avec l’équipe nationale turque ? Ou, plus généralement, sa science du basket, lui le féru de jeu et le coach par excellence rigoureux et capable de mettre en place une défense aussi dense que pénible pour l’adversaire. Au final, davantage qu’un entraîneur classique, l’homme est un passeur d’histoire et de flambeau, lui qui a permis quelque part à Ergin Ataman, Oktay Mahmoudi, Orhun Ene ou Ufuk Sarıca de prendre de l’épaisseur et de suivre sa voie dans le coaching. Celle que lui-même a suivi avec les regrettés Yalçın Granit (passé par Paris dans les années 50), Mehmet Baturalp et Aydan Siyavuş. Aujourd’hui, à presque 79 ans, Aydin Ors est une figure tutélaire du basket turc et une mémoire vivante qui transmet ses souvenirs et son savoir à travers les époques. Un grand bout d’histoire et qui fera, peut-être, l’honneur à son club, Anadolu Efes aujourd’hui, Efes Pilsen hier, d’être présent l’an prochain au cinquantenaire de la création du club d’Istanbul (en 1976), le plus titré en championnat et en coupe de Turquie, encore aujourd’hui. Aydın Örs et Efes, c’est une histoire commune, celle de la passion de la balle orange dans un pays qui a appris à aimer le basket grâce aux performances d’un club, d’une équipe, d’un meneur et d’un leader éclairé. Comme la définition de son prénom, Aydın.

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Fan de basket européen, d'Anadolu Efes, de Fenerbahçe du KK Partizan Belgrade et du CSKA Moscou, je voue un culte à l'immense Željko Obradović ainsi qu'à Petar Naumoski, grâce à qui j'ai appris à aimer la balle orange. Passionné également d'histoire, j'essaye de transmettre ma passion à travers Basket Retro.

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